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Sylvain Kerspern - dhistoire-et-dart.com

Autour de Melun

Une brève histoire du Clos Bontemps.
Table Autour de Melun - Table générale
Voici un peu d'histoire très locale.

J'ai repris l'habitude qu'avait mon père de préciser dans son adresse la mention du lieu-dit « Le Clos Bontemps », un peu dans l'espoir de faciliter le travail des facteurs, mais aussi pour l'inscription dans l'histoire que cela suppose. Quelques petites recherches et documents à l'appui, je voudrais évoquer ici cet ancrage, et l'aventure que fut l'entreprise des Castors qui se sont installés ici il y a maintenant 65 ans.
Histoire du site (XVII-XXIè s.)
Quelques recherches rapides sur Internet permettent de constater une certaine ancienneté à son appellation. Le patronyme Bontemps n'était pas rare à Melun, où il subsiste encore. Il a été donné à une rue toute proche, sur laquelle je vais revenir et que Jacqueline et Henri Clayette ont évoquée dans leur petit fascicule Melun En flânant dans les rues. N°12 Entre la rue Saint-Liesne et la Seine (1984). Ils ont trouvé des traces de cette toponymie dès 1628. Il doit donc provenir de celui d'un ancien propriétaire - peut-être d'un Claude Bontemps, ce qui peut éventuellement nous laisser croire à une dérive aboutissant à Clos Bontemps...

Un clos est, au sens général, un lieu fermé par des murs ou des haies; au sens particulier, renfermant des vignes. On sait qu'elles abondaient dans les environs de Melun, et une donation de Charles de Rostaing aux Récollets en mentionnent parmi les terres qu'il leur avait concédés (Arch. Melun, GG23). En l'occurrence, il est tout de même traversé par un chemin (l'actuelle rue des Récollets) selon le cadastre napoléonien (Arch. Dep. 77, 4P37/686), qui en donne l'emprise. Il est bordé à l'Est par la route de Vaux, menant au château, au Sud, par le parc de celui-ci, à l'Ouest, par la rue de l'Hôpital (autrefois des Récollets ou Bontemps, selon les fréquentes interversions du XIXè siècle, aujourd'hui Capitaine Bastien), et au Nord, par les maisons bordant la rue Saint-Liesne jusqu'à la place du même nom, à laquelle elle aboutissait. Autant dire qu'il excède celle du lotissement des Castors.

Emprise du Clos Bontemps selon le cadastre dit napoléonien (1824 - 1850).
La rue Bontemps/des Récollets/de l'Hôpital demande une mise au point sur son tracé historique. La rue Saint-Liesne conduisait au faubourg du même nom, puis, à partir de la place en son sommet, Maincy sur la gauche ou Sivry sur la droite vers Provins. Le chemin de Melun à Montereau actuel est une création rectiligne propre au XIXè siècle. Avant cela, comme le montre le plan d'intendance de Vaux-le-Pénil (ci-contre), il prenait naissance au pied de ce qu'on appelle localement la côte saint Liesne pour rejoindre les limites du parc du château de Vaux-le-Pénil puis louvoyer entre les terres labourées en passant au sud des fermes de Mimouche et de Berceau, puis du village de Sivry pour rejoindre directement le Châtelet. Son départ correspond donc à cette rue.


Plan d'intendance de Vaux-le-Pénil (Arch. Dep. 77, 1C50/15).

Rue Bontemps, de l'Hôpital ou des Récollets, amorce du chemin de Melun au Châtelet-en-Brie.
À gauche, détail de la carte Cassini - à droite, celle d'État-Major du XIXè s. (Source : Remonter le temps avec l'IGN)
Il faut confronter les différents plans pour déterminer la trame des voies de cette portion, aucun de ceux que je vais présenter ici n'en dressant un état complet.
Le plan Desquinemare (1) commandé par le maréchal de Villars et fait en 1740 (Melun, Astrolabe) donne une assiette fautive pour le parc de Vaux-le-Pénil et des approximations dans le quadrillage de l'ensemble mais propose l'essentiel des chemins qui le composent. On voit bien, partant vers le bas de la rue Saint-Liesne, un chemin conduisant dans un premier temps vers le couvent des Récollets, puis le contournant pour arriver à un petit carrefour (avec point rouge) : là il rencontre tout à gauche un chemin qui doit pouvoir être identifié avec l'actuelle rue du Capitaine Bastien après avoir été celle de l'Hôpital, au moment où s'y trouvait son entrée principal (avant les années 1970); en oblique aboutit l'actuelle rue des Récollets; en continuant tout droit, on aboutit à l'angle du parc, débouchant sur l'actuelle rue de Vaux (au second point rouge). Mais il faut reconnaître que la confrontation avec le réseau conservé de la partie nord des hauts de Saint-Liesne, autour du site de l'église pourrait proposer une autre interprétation, et suggère en fait des confusions.

Le recours au plan d'Intendance de Melun (2) y inciterait. On y retrouve, avec d'autres correspondances par-delà la rue Saint-Liesne, les mêmes chemins : rue montant du bas de la rue Saint-Liesne pour rejoindre la rue de Vaux, avec deux bifurcations possibles vers le faubourg Saint-Liesne, vers l'église et vers la place en son sommet : il s'agissait tout simplement de la desserte du couvent des Récollets, dont l'installation fut favorisée par le seigneur de Vaux, par les trois bourgs voisins.

Le doublement d'une aile pour répondre aux besoins de la nouvelle fonction hospitalière de leurs bâtiments oblige au contournement, comme le montre très bien la carte IGN (3) vers 1950. Le développement de l'établissement sur le plateau, notamment la maternité, ont encore conduit à en modifier le cours. En réalité, partie du chemin, longeant le lotissement des Castors, subsiste et pouvait desservir certaines de ses maisons. La résidence du château voisine, sans doute pour prévenir des visiteurs indésirables, en a clos sans autorisation l'accès sur la rue de Vaux mais la photo actuelle ci-dessous laisse encore percevoir le tracé à peu près droit de ce chemin longeant le parc, vendu par la ville en 1822 au châtelain de Vaux-le-Pénil mais qui portait à tout le moins une servitude de passage commun à cette résidence et aux Castors.


1. Plan Desquinemare de la seigneurie de Sivry... (Melun, B.M., HHR 217 T. 4.).

2. Plan d'intendance de Melun
(Arch. Dep. 77, 1C50/8).

3. Plan IGN de Melun de 1950.
Des Castors au Clos Bontemps
On accédait donc au Clos Bontemps par le chemin des Récollets. Cet ordre franciscain s'était installé en contrebas au début du XVIIè siècle, bénéficiant des plus hautes protections pour la construction et la décoration de leur couvent, d'Henri IV et Marie de Médicis à Foucquet, et grâce au seigneur de Vaux-le-Pénil qui leur concéda le terrain.

Le document ci-contre, transcrit en dessous, entérine la translation en 1609 du couvent à son emplacement définitif plus bas dans le faubourg Saint-Liesne. Avec les lettres patentes de 1611 (plus bas), il la justifie par la difficulté d'alimentation en eau de leur première implantation faite plus haut, et par son exposition en temps de guerre; elle était donc proche du Clos Bontemps, si elle n'en comprenait pas une partie.

L'incendie de 1761 aura notamment détruit la chapelle, que l'on disait ornée d'un des plus beaux tableaux du Frère Luc (1614-1685). Il se peut que le tableau de Sivry-Courtry, du même peintre, en provienne, suite aux troubles révolutionnaires.


Frère Luc, Sainte famille, un ange faisant silence,
toile. Sivry, église (provenant des Récollets de Melun?).

L'histoire, en quelque sorte, s'y est répétée, puisque la propriétaire du château, la Princesse de Faucigny-Lucinge favorisa le projet des « Castors ».

Donation de Charles de Rostaing aux Récollets pour leur implantation au faubourg Saint-Liesne, 15 avril 1609.
Melun, Arch. Mun., GG23.
«... hault et puissant seigneur de Vaulxpenil les Melun, de StLiesne faubourg dud. Melun, demt a Paris... Disant comme pour le zele qu'il porte a l'ordre des freres mineurs de l'etroicte obeissance dits Recolets il leur eut fait don irrevocable d'une Tour ronde scituée a l'un des coins du Parc de son chateau de Vaux du coté de l'eglise StLiesne, avec 20 thoises en carré dans ledit coin ainsy qu'il appert par contrat dud. don passé pardevant led. Jaques Parque et Phles. Cothereau nores. le 24 avril 1606. Et soit ainsy que lesd. religieux ayant commencé a se etablir audit lieu, auroient trouvé et recogneu l'incommodité tant de l'assiette que du defaut d'eau, l'auroient humblement supplié leur permettre de eux establir pour batir leur couvent un peu plus bas et audedans dudit faubourg St. Liesne a luy appartenant, au lieu ou il y a des masures... »

Lettres patentes pour la translation des Récollets au faubourg Saint-Liesne, 1611.
Melun, Arch. Mun., GG23.
Ceux-ci réunissaient plusieurs amis, dont mon père, autour d'un projet de construction, incités par la crise du logement au lendemain de la Seconde guerre mondiale. L'idée en germe en janvier 1951 et se concrétise en 1952. Deux jeunes sur Vaux-le-Pénil, d'abord, puis sept candidats dès février 1951; le 24 mars, les 9 membres finalement réunis dans une association dite « de Castors », François Audren, René Dioux, Marcel Fénix, Roger Chèvre, René Durand, André Kerspern, Marcel Le Gallo, Corentin Nédelec, Marcel Préveaux, se fixent pour but de « permettre à ses membres... d'acquérir un logement » et « d'aider de son expérience » tous ceux dont le besoin en logement se ferait sentir. S'y ajoutait le gérant, Pierre Marchet, qui, sans partager alors la recherche d'un logement, a activement participé aux débuts de l'entreprise : il finira par s'intégrer au lotissement un peu plus tard...
Les statuts de la Société civile particulière sont déposés en préfecture le 7 avril (viendra ensuite un règlement de copropriété). Parmi leurs particularités figure le recours à l'unanimité pour les décisions importantes, tous les membres faisant partie du Conseil d'Administration. L'aspect social de ce petit rassemblement est évident, certains, syndicalistes, d'autres, issus de mouvements de jeunesse (Ajistes, scouts), tous ayant des revenus trop modestes pour prétendre individuellement accéder à la propriété.

Cela se traduit par le souci de mutualisation des talents et de services, envisagés au départ du moins, de buanderie, téléphone, etc. Chacun doit fournir aux besoins de la collectivité 40 heures mensuelles, dans l'espoir d'une baisse du prix de revient de plus de 20%; agir en tant qu'organe constructeur permet un meilleur accès aux matériaux. Un tirage au sort final déterminera l'attribution des maisons à la fin du chantier.

Un résumé dactylographié de mai 1951 donne l'ampleur de la tâche : « 9 maisons individuelles type 4 B disposées sur un terrain de 9420 mètres situé en haut de la Côte St Liesne dans un endroit dénommé le Clos Bontemps et appartenant à la Princesse de Faucigny-Lucinge. D'après les conditions de vente, la construction proprement dite ne pourrait commencer qu'en novembre 1951 ».

Le Clos Bontemps était alors utilisé en jardins ouvriers. Les liens de mon père et de ma grand'mère avec le curé de Vaux-le-Pénil servirent à la prise de contact avec la Princesse. Le 16 octobre 1951, le terrain est vendu aux Castors à raison d'1 franc le mètre carré, au lieu de 4 à 8 francs partout ailleurs.

Dès juin, l'architecte melunais Maxime Verdeaux avait donné un plan du lotissement et proposé un projet générique de maison; il ne demandera aucune rétribution. Les photos ci-dessous laissent deviner une trame commune pour la distribution intérieure, susceptible, d'un pavillon à l'autre, d'inversions.

Projet de division du lotissement des « Castors de Melun-Vaux-le-Pénil »
dans le cadre de l'échange de terrains avec le département,
1951 (Arch. priv.)

Plan du site du lotissement des « Castors de Melun-Vaux-le-Pénil » après cet échange,
1951 (Arch. priv.)

(ci-dessus)
Maxime Verdeaux (architecte départemental),
Plan du lotissement des « Castors de Melun-Vaux-le-Pénil »
en 9 lots et jardin d'enfants arborés,
juin 1951 (Arch. priv.)

ci-contre
Plan IGN de Melun de 1950.

La confrontation des deux plans avec la carte IGN de 1950 permet de percevoir l'aspect prospectif donné par l'architecte à l'environnement du Clos Bontemps, notamment pour ce qu'il appelle la propriété Séguin, conformément au Projet de division avant l'échange, mais qui appartient, en fait, au département, selon la rectification apportée sur le Plan du lotissement après échange.


Achèvement de la première des 9 maisons initiales.

Vue du Clos Bontemps sous la neige, 2013
Plan de géomètre mesurant les différents lots; ceux habités vont de 800 à 860 m2 environ, rattachés par différents passages au lot 10, un jardin d'enfants, devenu lieu du pavillon de Pierre Marchet. (Arch. priv.)
Le chantier.
Le chantier peut commencer. Les Castors s'y attellent et encadrent les indispensables ouvriers extérieurs, à commencer par un maçon chef de chantier prêté par Alfred Porta, fournissant également du matériel (vibreuse pour tasser les parpaings, rails et wagonnets). S'y ajoutent plâtrier, plombier, électricien, charpentier, menuisier. Le souci d'économie a fait préféré la pouzzolane au sable pour les parpaings, Pierre Marchet ayant remarqué un tel emploi dans la construction en Auvergne; le recul de plus d'un demi-siècle permet de constater que les maisons sont saines (pas humides, gardant la fraîcheur l'été et la chaleur l'hiver).
Ce constat provient d'un petit fascicule de 2010 par Pierre Marchet faisant retour sur cette aventure, auquel je voudrais encore emprunter quelques passages, témoignages directs d'une volonté solidaire modelant le paysage.

«Il fallait aller chercher l'eau au Lavoir Saint-Liesne transportée au moyen d'une citerne prêtée par Monsieur Launay, employeur de Monsieur Fenix. Puis Monsieur Gometz, propriétaire de la seule maison alors dans la rue, nous a permis de prendre l'eau chez lui. (...). Tout se faisait à la pioche, à la bêche et à l'aide d'une brouette! (...) On entendait les interpellations des terrassiers d'un bout à l'autre du chantier : brouettes......rouleurs...

Coulage en une journée des murs de fondation de la 1ere maison. Une bouteille vidée de son vin a été ensevelie dans le ciment d'un mur de la 1ere maison avec les noms des 9 membres constructeurs.

Montage des murs intérieurs du sous-sol, coulage du plancher. Puis montage des murs extérieurs; les passants étaient surpris de voir qu'en une journée, ils étaient montés, nous avions des admirateurs! La Princesse venait nous visiter souvent, elle s'asseyait sur le sac de ciment prévu à cet effet et s'adressant à son chauffeur : “Allez donc chercher de quoi boire et manger pour ces petits”.

Les travaux étaient réalisées le soir après le travail à l'usine ou au bureau, tous les week-ends, les jours de fête; et les vacances; ceci pendant 2 ans! Même en cas de drame, le Castor venait quand même, les larmes aux yeux : André Kerspern venait d'apprendre le naufrage du sous-marin le Minerve et de tous ses camarades de régiment! (...)

Certains membres n'étant pas “manuels” au départ, recevaient des quolibets de la part de leur compagnon. Exemple : les brouettes de béton vidées à côté du coffrage; les tuiles destinées au toit passaient par la fenêtre de la salle à manger, etc. Par contre, c'étaient les mêmes qui étaient les plus doués pour les démarches auprès des autorités pour les comptes ou les litiges.

La fin des travaux a été très pénible pour ces constructeurs (les héros étaient très fatigués...) et... ils ont terminé par les puisards, le tout à l'égout n'ayant pas été branché! Les puisards ont une profondeur de 6 mêtres sur 2 de diamètre; travail fait à la bêche! »

Terrassement et vue sur les champs en face. Fondations.

Passage à niveau... au fond, partie de l'hôpital.

Première maison achevée.

Le raccordement viendrait une vingtaine d'années plus tard, ainsi que le rattachement du chemin desservant l'intérieur du Clos Bontemps à la voirie municipale, en 1970. C'est dans ce chantier, sans doute, que mon père a pris la mesure des ses engagements futurs, dans l'habitat social, autogéré ou en copropriété, dans un esprit co-opératif, puis comme expert en construction - plus pour ces capacités juridiques et administratives que pour celles “ manuelles ”, faut-il le dire...

Beaucoup de ces aventuriers ont disparu, et il me semblait utile - sinon personnellement nécessaire - de rendre compte de leur histoire sur ce site, hommage autant que témoignage de leur amitié, et d'un temps qui appartient déjà à l'histoire.

S. K., Melun, 12 janvier 2017


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