Sylvain Kerspern - Le millénaire de Notre-Dame de Melun (dhistoire-et-dart.com, septembre 2013) dhdakes

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Millénaire de Notre-Dame de Melun.

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Les célébrations tel que le millénaire de l’église Notre-Dame de Melun sont des décisions avant tout politiques, qui désignent des choix de mémoire. Il n’en demeure pas moins que l’historien doit s’interroger sur la réalité de la date de l’édification du bâtiment, non pour justifier ces décisions mais pour évaluer sa qualité et son apport à l’art et à la culture. À partir des données connues, je voudrais ici mener une petite réflexion pour cerner la question.

Ce millénaire ne concerne évidemment pas le bâtiment en son entier. On sait (et on peut voir) les modifications intervenues au cours des siècles, en particulier les apports gothiques et renaissants. Les études menées sur le bâtiment ont permis de circonscrire les parties qui relèvent de l’édifice initial. Je n’en ferais pas le détail. Je voudrais ici réfléchir sur les enjeux politiques (déjà) et historiques qui contribuent à expliquer son édification, ici, et alors.
Pré-histoire de la collégiale.
Le premier point à souligner est que le vocable de Notre-Dame associé à une autre église Saint-Étienne préexistait à l’église célébrée. Les Carolingiens avaient pris les deux édifices sous leur protection, en particulier le fils de Charlemagne, Louis le Pieux. En 901, dans un contexte politique déjà délicat, son descendant Charles III le Simple, en fait don à un certain Théry; le sanctuaire dédié à la Vierge est désigné comme “petite abbaye” du “castrum” de Melun. J’ai soutenu ailleurs l’hypothèse selon laquelle ce couvent, associé à une église servant aux baptêmes de la paroisse dédiée à Saint-Étienne, avait lui-même pris la place de bâtiments liés à un siège épiscopal éphémère sous les successeurs de Clovis, dont Aspais et Liesne pourraient avoit été les titulaires. En conséquence, le millénaire supposé se rattache à une (nouvelle) transformation, qui fait passer l’édifice du statut abbatial à celui de collégiale, du cadre régulier au séculier : le fait d’être chanoine d’une collégiale soumet à une règle, non à la séparation d’avec le monde.

Avant le siège, Notre-Dame n’était donc peut-être plus protégée par le roi de France. Sa reconstruction paraît avoir impliqué le monarque au point qu’il en devint l’un des chanoines à titre héréditaire. C’est ce qui vaut, sans doute, que les chiffres et l’emblème de François 1er et de son épouse Claude se voient sur l’une des tours de l’église. Tout porte donc à croire que Robert le Pieux ait contribué, comme pour Saint-Aignan à Orléans, à doter le chapitre pour lui assurer son existence, en même temps qu’il participait au financement du bâtiment.

Jean Fouquet, Le siège de Melun,
miniature, Grandes Chroniques de France,
Tours, vers 1455-1460;
Paris BnF
département des Manuscrits, Français 6465, fol. 166v.
(Livre de Robert le Pieux); détail.

Empreinte de Robert le Pieux.
Robert le Pieux, selon toute apparence, a fait en sorte de reconstruire Melun après le siège et d’en faire l’une des villes où il séjourne régulièrement, une “ville royale”, y installant par exemple, un atelier monétaire : dans le domaine royal, le seul autre atelier alors était à Paris. Pendant plusieurs siècles, la monarchie française paraît avoir souhaité garder la main sur la ville, n’accordant pas de lettres de franchises pour un pouvoir communal, au contraire de ce qui peut se constater ailleurs. L’intérêt stratégique du site en est sans doute responsable; les sièges de 1358, 1421, le passage même de Jeanne d’Arc en 1429, répèteront celui de 991 dans la tentative de déstabilisation du royaume, jusqu’à celui par Henri IV en 1594, dans sa reconquête par les armes.

L’empreinte de Robert le Pieux se ressent pour un autre édifice de la ville, voisin car installé également sur l’île : le prieuré Saint-Sauveur. Jusqu’à récemment, il passait pour son fondateur, ce que paraissait soutenir, notamment, une tête de roi supposée le représenter et qui en provenait. Les fouilles menées à la fin du siècle dernier et au début de celui-ci ont remis en cause cette tradition, les éléments les plus anciens, dans la crypte, datant du dernier tiers du Xè siècle. Elles suggèrent un changement de statut, suivant les indications archéologiques du massif occidental, de collégiale par fondation comtale à priorale sous l’impulsion du roi, soit le cheminement inverse à celui de Notre-Dame, au même moment.

Nul doute que le roi ait eu un rôle prépondérant dans la réfection des édifices religieux de l’île. Dès septembre 991, Hugues et Robert s’accordent avec l’archevêque Sevin de Sens pour le relèvement de l’abbaye de Saint-Pierre ou de Saint-Père et de l’église Saint-Étienne, après le siège, ce qui dit bien que les destructions avaient frappé jusqu’au coeur de la ville. L’acte ne mentionne pas Notre-Dame, dissociée pour la première fois dans les textes de l’église paroissiale de l’île. Il revenait peut-être au comte Bourchard de s’en charger. Yves Gallet (1998, p. 250 n. 21) rappelle la mention non référencée par de la Fortelle du refus en 989 de concéder à Seguin, archevêque de Sens, le bénéfice de Notre-Dame, que confirmerait cette distinction, en en faisant une prérogative royale. Quoiqu’il en soit, Helgaud, le biographe de Robert, fait du roi le responsable de la reconstruction de l’église dédiée à la Vierge.

Tête de roi,
fragment de statue
provenant du prieuré Saint-Sauveur.
fin XIIIè - début XIVè s.
(Robert le Pieux?).
Melun, musée muncipal.
Robert, Bourchard, Elisande et Renaud.

Le fit-il après la mort du comte, à partir de 1007? Ou de celle de son fils Renaud, en 1016 (voire 1020, selon les sources)? C’est de cette dernière hypothèse que l’on tire, d’ordinaire, un terme pour l’anniversaire. Mais attendit-il réellement cette disparition? Robert le Pieux meurt à Melun en 1031, ce qui soutient, avec les actes qu’il y passe, qu’on lui attribue l’initiative de faire de Melun une “ville royale”. Autant dire que si Bouchard et son fils ont pu se prévaloir du titre de comte de Melun, ils n’en avaient certainement plus l’exercice ni les prérogatives. De plus, c’est bien au roi qu’on attribue le nouvel édifice dédié à Marie, ainsi qu’une autre église qui reste à déterminer (apparemment pas Saint-Étienne, donc Saint-Sauveur?), fondations qui s’inscrivent dans la volonté d’imposer sur Melun la marque de sa souveraineté directe.

S’il faut, comme il est vraisemblable, voir dans ce choix politique la conséquence du siège de 991, révélateur de l’emplacement stratégique de Melun (autant par rapport à Paris, la capitale, que face à la Champagne et à la Bourgogne), et puisqu’il semble bien que cela soit le fait non d’Hugues mais de son fils, tout porte à croire que très vite après la mort de son père (996), Robert ait pris les dispositions pour ce faire, par-delà la faveur jadis accordée à Bourchard : construction d’un château et fondations spirituelles, notamment. Celles-ci traduisent la réaffirmation de la faveur royale pour Notre-Dame, comme collégiale impliquant personnellement la personne du roi, au détriment de Saint-Sauveur, qu’il a peut-être, tout de même, contribué à achever, reprendre, en tout cas maintenir, mais comme prieuré. 1013, 1016 ou 1020, pour Notre-Dame, c’est sans doute déjà tard...


Sylvain Kerspern, Melun, le lundi 30 septembre 2013

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