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Simon Vouet : Les années italiennes

Autre épisode : 2/2. Chronologie


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À propos du

Catalogue de l’exposition

Simon Vouet, les années italiennes (1613/1627) (Nantes-Besançon, 2008-2009) :

I. Effigies de Vouet

Mise en ligne le 17 mars 2009.



L’exposition coorganisée par les musées de Nantes et de Besançon sur les années italiennes de Simon Vouet (1613-1627) constitue assurément un évènement dans le domaine de l’histoire de l’art français et italien du XVIIè siècle. Elle appelle des commentaires et, déjà, le site de La tribune de l’art s’est fait l’écho de débats contradictoires à son propos.
Voici ma contribution. Il ne s’agira pas, pour moi, d’en reprendre dans le détail les propositions, mais de m’attacher à certains points sur lesquels j’ai pu mener une réflexion.

Il faut dire d’abord le mérite d’avoir réuni un ensemble aussi important d’ouvrages aux statuts certes variables mais tous effectivement rattachés à la problématique. Ce rassemblement, et la possibilité ainsi offerte de voir confrontées des peintures éparpillées aide assurément à une meilleure compréhension du cheminement du peintre.

Après l’exposition Champaigne (sur laquelle j’espère pouvoir revenir assez vite), après celle consacrée à Stella (objet de diverses mises au point de ma part sur ce site comme sur celui de La tribune de l’art), celle-ci vient confirmer la difficulté de tenir la chronologie d’un artiste. Certaines mises en présence, à mon sens, permettent d’en clarifier le cours. Je voudrais commencer par le cas des portraits de l’artiste.
Les portraits de Simon Vouet : dire la ressemblance.

Sept effigies sont montrées dans l’exposition. Une seule est indiscutable (la gravure de Leoni), une autre est unanimenent reconnue (celle de Lyon), manifestement copiée dans une troisième (le dessin annoté comme de Mignard) que je n’aborderai pas ici. Les autres posent deux questions : est-ce Vouet? en est-il l’auteur (en dehors de la sanguine de Mellan)?

À quoi ressemblait Vouet?

Ottavio Leoni, Portrait de Simon Vouet, dessin de Karlsruhe, 1625.


La pièce de référence sur cette question pour le séjour romain est donc le portrait d’Ottavio Leoni. La feuille du cabinet des dessins de Karlsruhe, datée d’avril 1625, comme la gravure qu’il en a tirée la même année justifient la description psychologique de Jacques Thuillier : “Ces paupières lourdes sur de gros yeux saillants, la bouche petite et gourmande, le nez long aux narines frémissantes, livrent et dissimulent un tempérament sensuel en toutes choses et sensible jusqu’à la passion, actif et entreprenant, égoïste et dominateur, mais souvent inquiet et susceptible, fidèle dans ses affections et réfléchi dans sa conduite.”

Il faut à mon avis compléter la caractérisation du visage : les yeux sont écartés et plus ou moins tombants; surtout, Leoni laisse deviner une disgrâce ponctuée de verrues sur la tempe gauche. Ce dernier détail peut être déterminant dans la mesure où le portraitiste ne cherche pas à le dissimuler par des artifices de point de vue ou de lumière : il faut justement noter qu’aucune des autres images présentées à Nantes ne la montre clairement. Elle est pourtant confirmée par les effigies plus tardives connues par les gravures de Perrier (1632) et d’après van Dyck (entre 1632 et 1636). On peut penser que les boucles encadrant le visage de même que celle qui descend jusqu’aux épaules soient un autre moyen d’en distraire l’attention.

Le portrait de Lyon, qui reprend l’essentiel de la caractérisation faite à l’instant, est éclairant sur ce point : une examen attentif retrouve une verrue au coin de l’oeil droit, dans l’ombre. Trait d’expression? L’artiste a encore retouché légèrement son modèle en diminuant la plongée des orbites vers les tempes. L’identification ne fait pourtant aucune doute, tout comme le fait que Vouet en soit lui-même l’auteur, l’une et l’autre étant reconnus unanimement. Les relations plus nettes avec l’effigie de Leoni qu’avec celles de Perrier et van Dyck ainsi que le constat matériel avancé par Jacques Thuillier (1990) et confirmé par Isabelle Dubois (2008) situent cet autoportrait à la toute fin du séjour italien avec beaucoup de vraisemblance (1626-1627). De fait, nous sommes confrontés à un homme aux yeux “embués dans un rêve intérieur” (Jacques Thuillier) comme pour évoquer le champs des possibles qu’ouvre à lui l’invitation de Louis XIII.

Voici donc une image assurée produite sous le contrôle le plus complet de Vouet - tandis que celle de Leoni, intégrant une série, obligeait à se conformer à un type de représentation n’écartant pas ce que le modèle semble avoir lui-même perçu comme un défaut embarrassant. Leur complémentarité est essentielle pour discuter des autres représentations exposées.

Simon Vouet, Autoportrait, Lyon, Musée des Beaux-Arts.




Leoni, gravure de 1625

Simon Vouet, Autoportrait, Lyon, Musée des Beaux-Arts - Portrait présumé de Vouet Koelliker


En premier lieu, il apparaît que la sanguine de Mellan ne montre certainement pas Vouet, encore moins en Italie. Le visage est plus empâté que dans le tableau de Lyon et surtout, on ne retrouve guère ce qui a été avancé plus haut pour caractériser ses traits : pas d’yeux globuleux et profondément cernés sous des arcades prononcées, pas de narines frémissantes, en particulier. Mariette, responsable d’un montage proposant cette identification, est rarement pris en défaut mais il faut croire qu’il n’est pas physionomiste.

Les trois effigies restantes ne sont pas imédiatement compatibles avec celles consacrées, voire entre elles. On ne reconnaît pas spontanément, en effet, dans le couple toscano-picard ce que l’on voit dans le tableau Koelliker, et tous trois montrent un visage plus maigre, accentuant certaines particularités, comme la dépression formant ride et fossette entre les pommettes et la machoire - laquelle réapparaît, les traits s’affaissant avec l’âge, dans le portrait présenté par François Tortebat pour sa réception.

Pour les accepter, il faut songer à des moments franchement antérieurs aux portraits sûrs de 1625-1627. Mais que peut vouloir dire “franchement”? Car imputer l’empâtement de la figure aux effets de la réussite ne permet pas d’en déterminer l’écart, qui put être court si le triomphe fut soudain.

Portraits de Vouet d’Amiens et des Offices.



Un mousquetaire à la rescousse : l’apport de Claude Vignon.

À ce stade, il convient de s’intéresser à un autre portrait évoqué dans la notice (n°1) du tableau suisse : réalisé par Vignon, il avait été proposé par Paola Bassani-Pacht comme représentant son auteur, alors que Dominique Jacquot y reconnaît son ami Vouet. En effet, confronté aux témoignages de Leoni et au tableau de Lyon, l’idée semble à prendre sérieusement en compte. On croit même deviner la tâche embarrassante sur la tempe - mais il faut reconnaître que la facture libre, largement brossée du Tourangeau peut prêter à confusion.
Il est en tout cas sûr que l’homme ici peint ressemble plus à Vouet qu’à ce que l’on peut connaître du visage de Vignon. Comme Dominique Jacquot, je crois identifier ce dernier dans le jeune homme enchapeauté derrière l’un des docteurs de la Loi, à l’extrémité du Christ parmi les docteurs de Grenoble. Les traits plus réguliers, l’aspect général triangulaire marqué par des pommettes saillantes et un menton volontaire, correspondent à l’autoportrait inséré trente ans plus tard dans le décor de Thorigny-sur-Vire, perdu mais connu par des photographies suffisamment lisibles sur ce point.

Le tableau de Grenoble, daté de 1623, est une des premières réalisations de Vignon à Paris, où il semble s’installer à la fin de 1622 et où il épouse Charlotte de Leu en janvier de l’année suivante. C’est donc un témoignage précieux du bagage qui est le sien au début de sa longue carrière française. Or il est stylistiquement très proche du portrait présumé de Vouet, notamment par l’aspect pelucheux de certaines parties brossées avec une autorité également sensible dans la force des larges traits posés dans le vêtement. La variété des effets de matière donne à l’ensemble un relief dont les moyens et la nature vont rapidement changer, suite à l’éloignement du caravagisme et par sa contribution à l’art revendiquant l’héritage du maniérisme (aux côtés de Lallemand, Brebiette...).

Au demeurant, si on tient compte des données biographiques concernant les deux artistes, il ne semble possible d’envisager pour ce portrait présumé de Vouet par Vignon que la courte période qui va de 1617 à 1622. Cette dernière année semble la plus évidente, et pourrait conduire à l’envisager comme un témoignage d’amitié au moment de se séparer : le style du peintre et la physionomie déjà épanouie de son modèle concourent à une telle situation.

Claude Vignon Portrait de Vouet?
Localisation inconnue




Autoportraits de Vignon


Claude Vignon Portrait de Vouet? Localisation inconnue

- Peintre actif à Rome vers 1615? Portrait présumé de Vouet, collection Koelliker

Revenons à nos trois effigies en suspens.

On serait tenté d’accorder plus de crédit à la représentation en mains privées où l’on voit nettement les yeux globuleux et cernés, alors que les deux autres en minimisent l’aspect par le plissement des paupières. Mais dans la mesure où la confrontation avec les portraits assurés semble moins convaincante que pour le tableau de Vignon discuté à l’instant, on peut s’interroger.

Une chose est sûre : la toile Koelliker ne peut manifestement pas être de Vignon. Rien du carnaval qui accompagne ce qui semble bien montrer le visage de Vouet, ni de ce qui se voit d’ordinaire dans les portraits du Tourangeau.

On peut d’ailleurs s’en convaincre dans l’exposition grâce au portrait du jeune homme arrogant (n°85), moins haut en couleurs mais non moins virtuose dans les camaïeux - au point que dans ses mains, on en vient à penser que le genre du portrait se retourne pour nous livrer l’esprit de celui qui peint, non de celui qui est peint...

Je souhaite ajouter une pièce au dossier de ce tableau qui semble avoir échappé aux spécialistes qui se sont penchés sur son cas. Dézallier d’Argenville paraît s’en être servi pour la gravure qui illustre la notice biographique qu’il consacre en 1745 à Domenico Fetti dans son Abrégé de la vie des plus fameux peintres (et que signale l’éditeur dans son avertissement au tome second). Lorsque le tableau est réapparu au début du XIXè siècle, on pensait justement qu’il représentait l’artiste italien peint par lui-même.
Dézallier n’évoque pas d’éventuel autoportrait dans sa “vie” : il s’agissait apparemment, dans son esprit, d’un portrait de la main d’un confrère. Il doit faire état d’une tradition qu’on ne peut écarter trop rapidement. On imagine la connivence qu’il put y avoir entre Fetti et Vignon et au fond, qui mieux que le second pouvait représenter le premier?

Claude Vignon, Portrait d’homme, ici identifié avec Domenico Fetti, Caen, Musée des Beaux-Arts

- Gravure anonyme en tête de la Vie de Fetti par Dézallier d’Argenville (1745).






Un portrait de Fetti par Vignon?


Vignon écarté pour le tableau Koelliker, faut-il se tourner exclusivement vers Vouet pour en trouver l’auteur?

L’autoportrait présumé d’Henri Traivoel, également présenté, témoigne d’une grande qualité dans le genre. Sans l’inscription au dos, n’aurait-on pas conclu - hâtivement, de fait - qu’il ne pouvait s’agir que de Vouet?
L’hypothèse que Traivoel soit responsable du tableau Koelliker mériterait peut-être un examen attentif, au demeurant, même si la facture de ce peintre est plus franchement mousseuse - mais nous n’avons de lui qu’une seule oeuvre.

Henri Traivoel,
(Auto?)portrait, CP

Ressemblance, réplique et propos du portrait.

Au risque de surprendre, je ne considère pas les différences entre cette toile et les jumeaux amieno-florentin comme irréductibles du point de vue du modèle. Il faut noter dans les deux cas les yeux profondément cernés, le long nez frémissant et les joues creusées. Dans la mesure où l’effigie dédoublée paraît proche du tableau de Vignon voire légèrement antérieure (vers 1620?), le portrait Koelliker serait donc à situer dans les toutes premières années du séjour romain.

Le tableau d’Amiens porte l’inscription suggérant que le modèle soit Mattia Preti tandis que l’autre s’inscrit dans la fameuse galerie médicéenne des portraits d’artistes célèbres, où il est inventorié comme représentant Vouet depuis 1700 et gravé de façon assez libre par Pazzi sur un dessin de Feretti. C’est évidemment la longue tradition concernant ce dernier qui a attiré l’attention des spécialistes de l’artiste sur eux.

L’exposition pourrait bien infirmer les avis antérieurs repris dans la notice du catalogue concernant leurs statuts respectifs. En effet, j’ai constaté une plus grande vivacité du pinceau comme de coloris dans le tableau d’Amiens. Il est construit sur une base bleutée, le modelé étant apporté par la modulation des jaunes et des roses, essentiellement, conservant le rouge pour les lèvres, ainsi mises nettement en valeur. La version médicéenne en normalise l’effet, transformant même le semblant d’inquiétude en sourire. Le pinceau plus appliqué, malgré une qualité certaine, signale, à mon sens, une répétition.

Vouet à Amiens et aux Offices : appoints visuels



L’essentiel est ailleurs. La facture de la peinture d’Amiens suggère un métier au service d’une intention claire, et qui est au coeur des recherches de Vouet en matière de portrait : on voit là, à l’oeuvre, la “ressemblance parlante” dont Anne Sutherland-Harris, en 1990, avait proposé d’attribuer l’invention à Vouet alors qu’il était d’usage d’en faire un apport du Bernin. La spontanéité est autant sensible par le pinceau que suggérée par la pose mais se double d’une recherche psychologique sur le thème de la mélancolie, si souvent liée à celui de l’inspiration dans l’art.

C’est sans doute aussi ce qui explique l’audace d’une palette claire limitant les bruns alors que Vouet recourt alors encore dans son travail de peintre d’histoire aux “grandes ombres” caravagesques : il s’agit de mettre en évidence les lèvres prêtes à parler, et de soutenir le lieu commun de l’éloquence muette, tirant l’art des “bas-fonds” manfrediens vers ses conceptions intellectuelles les plus élevées.

On peut donc croire qu’une telle peinture s’inscrive à un tournant décisif du parcours de Vouet à Rome - et cela explique, d’une certaine façon, sa répétition dans l’exemplaire médicéen, quand bien même sa radicale nouveauté en aurait été émoussée.

Le tableau Koelliker semble pouvoir être conservé parmi les portraits de Vouet. Toutefois, compte tenu de la peinture de Lyon et de celle d’Amiens que je crois donc également autoportrait, son auteur serait plutôt un artiste de son entourage. La différence de main et d’âge du modèle expliqueraient la relative dissemblance avec celles-ci. Suivant ces remarques, il est possible de proposer une séquence pour ces effigies tenant compte de leur modèle et de leurs auteurs supposés (ci-dessous).

Voilà qui m’amène tout naturellement au problème de la chronologie du séjour romain, auquel l’exposition apporte des éléments de réponse appréciables.

Sylvain Kerspern, mars 2009

Suite : Simon Vouet, Les années italiennes : chronologie
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(1) Entourage de Vouet, vers 1615-1620? - (2-3)Simon Vouet, Amiens et répétition d’atelier, Offices, vers 1620-1621? - (4) ClaudeVignon, vers 1622
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(5-6) Leoni, dessin et gravure, 1625 - (7) Autoportrait de Lyon, 1626 ou 1627
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