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Les Stella

Pour Pierre Rosenberg




« D'abord il eut l'avantage à Rome d'y être reçu favorablement de M. Poussin... »

(Guillet d'après Claudine)



Antoine Bouzonnet Stella auprès de Poussin :

une proposition

Mise en ligne le 18 décembre 2022

« D'abord il eut l'avantage à Rome d'y être reçu favorablement de M. Poussin, qui ayant toujours eu beaucoup d'amitié pour l'oncle [ Jacques Stella ], combla de bons offices le neveu, lui donnant à toute heure une libre entrée chez lui, ce qui étoit une grâce bien singulière, et même l'obligeant à loger auprès de sa maison, pour y venir chercher plus facilement les préceptes dont il avoit besoin. (...) Il ne laissoit pas de travailler, de génie, à plusieurs tableaux sur différents sujets pour des personnes particulières. »

Guillet de Saint-Georges d'après un manuscrit de Claudine Bouzonnet Stella,
« Mémoire historique des principaux ouvrages d'Antoine Bouzonnet, surnommé Stella » in
Mémoires inédits sur la vie et les ouvrages des membres de l'Académie Royale de peinture et de sculpture,
(L. Dussieux, E. Soulié, Ph. de Chennevières, Paul Mantz, A. de Montaiglon publ.,
Paris, t. 1, 1854, p. 423-424)

Sera-t-il possible, un jour, de monter une exposition en l'honneur d'Antoine Bouzonnet Stella (1637-1682) telle que celle qui rend actuellement hommage, à Caen, à celui qui fut apparemment un ami et finit sa vie, comme lui, en travaillant pour la Chartreuse de Bourg-Fontaine, Louis Licherie (1642-1689)? J'ai consacré une étude au neveu de Jacques Stella il y a maintenant une trentaine d'années pour la Société de l'Histoire de l'Art Français (1989), à quoi j'ai ajouté sur ce site quelques compléments indexés ici. Pour partie, son catalogue se constitue progressivement en dépouillant ceux d'autres artistes, en premier lieu l'oncle mais à ce jour, aucune peinture n'avait encore été distraite de ce que l'histoire a pu donner, à un moment ou un autre, à celui qui fut son second maître, Nicolas Poussin, nom imposant un respect parfois pesant. Ce qui suit pourrait en proposer un premier exemple.
1. Contours d'une composition.
Il s'agit d'une Sainte famille dont la singularité et une certaine ressemblance dans les types a suscité le grand nom de Poussin, mais aussi répétitions ou copies. Comme dans toute enquête, il faut commencer par un état des lieux, qui passe, en histoire de l'art, par les conditions matérielles et l'historique de son objet.
Longtemps attribué à Nicolas Poussin (1594-1665),
La sainte Famille, sainte Élisabeth présentant le petit saint Jean.
Toile. 69 x 51,5cm.
Chantilly, Musé Condé.

Historique.
Peint pour le cardinal Giulio Rospigliosi (1600-1669)? Inventaire de Giovanni Battista Rospigliosi, 26 juin 1713 (« Un Quadro in tela di mezza testa [...] rappresenta la Vergine con il Bambino in braccio, S. Gioacchino, et s. Anna del Pusin »); décrit par La Lande en 1769 ainsi : « Sainte Anne qui conduit le petit S. Jean devant l'enfant Jésus pour l'adorer : la Vierge porte le Jésus, et S. Joseph est appuyé sur sa règle; tableau du Poussin, bien pensé et bien dessiné, mais dont la couleur est tout à fait d'un ton de pierre. »; encore décrit par Vasi en 1791, mais plus dans un guide de Rome de 1804; acquis par le cardinal Fesch (1763-1839), inventaire après décès de 1839; vente du 17 avril 1843, Rome, n°118; coll. Frédéric Reiset (1815-1891), sa vente le 28 avril 1879, n° 29 (Nicolas Poussin), acquis avant la vente par le duc d'Aumale (1822-1897); donation sous réserve d'usufruit à l'Institut, effective à sa mort en 1897. Chantilly, Musée Condé, Inv. 304.

Longtemps attribué à Nicolas Poussin (1594-1665) puis à Eustache Le Sueur (1616-1655),
La sainte Famille, sainte Élisabeth présentant le petit saint Jean.
Toile. 68,6 x 50,8 cm.
Londres, National Gallery.

Historique.
Serait venu d'Italie en Angleterre au XVIIIè siècle (?). Passé sous le nom d'Eustache Le Sueur (1616-1655). Don Francis Turner Palgrave, 1894, à la National Gallery de Londres.
Nota : Le bleu de la robe de la Vierge semble avoir révélé du bleu de Prusse, ce qui situerait l'exécution au plus tôt au XVIIIè siècle, et en ferait une copie.

Il existe un troisième exemplaire remontant au moins au XVIIIè siècle, au château de Pavlosk (toile, 65,5 x 48,6 cm.), reproduit par Pierre Rosenberg (1994) (p. 74). Je n'en ai pas trouvé de reproduction exploitable sur Internet.

Longtemps attribué à Nicolas Poussin (1594-1665),
La sainte Famille, sainte Élisabeth présentant le petit saint Jean.
Plume, encre brune, lavis brun sur esquisse à la pierre noire, sur papier bleu, mise au carreau à la pierre noire. 21,3 x 16,4 cm
Windsor Castle, Royal Library.

Historique.
Cardinal Camillo Massimi (1620-1677); acquis des héritiers en 1739, pour 300 scudi, par Richard Mead (1673-1754); probable don à Frederick, Prince of Wales, en 1750.

Pierre Rosenberg, qui a reçu de l'Académie Française une reconnaissance pour l'histoire de l'art que d'autres continuent de refuser à notre discipline, a brillamment cerné en 1994 le statut de La Sainte Famille avec sainte Élisabeth présentant le petit saint Jean du musée Condé de Chantilly, longtemps donnée à Nicolas Poussin (1594-1665). Un tel nom remonte au début du XVIIIè siècle et à la collection d'un héritier de l'un des commanditaires du peintre Normand, le cardinal Rospigliosi (1660-1679). Ce n'est qu'au XXè siècle que le doute s'est installé au point que le tableau soit retiré de son catalogue par tous les spécialistes de Poussin, d'Anthony Blunt à Jacques Thuillier en passant, bien entendu, par Pierre Rosenberg.

Ce nom prestigieux doit avoir favorisé l'existence de copies aux qualités diverses. Celle de la National Gallery aurait pu faire illusion mais l'analyse des pigments a détecté dans l'habit de la Vierge du bleu de Prusse dont l'emploi ne remonte pas au-delà du début du XVIIIè siècle. Il faut donc envisager un copiste italien reprenant la version Rospigliosi à cette époque puisqu'il semble passé d'Italie en Angleterre au cours du siècle. L'exemplaire de Pavlosk présente apparemment quelques variantes dans l'impact de la lumière (dans la chevelure de Joseph ou sous l'aisselle gauche de Jésus, par exemple) mais je n'en connais pas de bonne reproduction. Une quatrième peinture, trop faible pour être autographe, passée en vente chez Leclère-De Baecque le 18 avril 2016 (lot 9), témoigne encore du succès un peu paradoxal de la composition.

Le tableau a été gravé en sens inverse, apparemment dès le XVIIè siècle mais malheureusement de façon anonyme, puis dans le même sens par Domenico Cunego (1727-1803) dans la seconde moitié du siècle suivant, dans une estampe publiée à Rome (chez Filippo Piale) et à Florence.
« Atelier de Nicolas Poussin »,
La sainte Famille, sainte Élisabeth présentant le petit saint Jean.
Toile. 63 x 48 cm.
Marché d'art parisien en 2016.
Graveur anonyme d'après un peintre actif en Italie dans le troisième(?) quart du XVIIè siècle,
La sainte Famille, sainte Élisabeth présentant le petit saint Jean.
Gravure. Env. 29 x 23 cm.
Albertina.
Domenico Cunego (1727-1803) d'après un peintre actif en Italie dans le troisième(?) quart du XVIIè siècle,
La sainte Famille, sainte Élisabeth présentant le petit saint Jean.
Gravure. Env. 36 x 27 cm.
Albertina
La composition est encore associée à des documents graphiques non moins intrigants. Le premier consiste en un montage de deux fragments sur une même feuille, l'un reconnu comme de Poussin par Pierre Rosenberg et Louis-Alexandre Prat (1994 et 2013) montrant une nymphe chevauchant un centaure, l'autre rejeté de son œuvre par les mêmes auteurs et qui présente la partie supérieure de la composition peinte de Chantilly (Los Angeles County Museum of Art). Une autre feuille propose son étude, mise au carreau, déshabillant les personnages pour restituer leur attitude, sans préciser les traits de leurs visages (Windsor Castle). L'ancienne attribution à Poussin bénéficiait d'un historique favorable par sa provenance du cardinal Massimi (1620-1677). Elle n'est pourtant pas plus acceptée par les auteurs du catalogue des dessins du Normand.

L'analyse de nos feuilles dans leur rapport au tableau fait du fragment américain un point d'étape antérieur à la feuille anglaise. La pose de la main de Joseph, l'orientation de sa tête, son inscription dans une arche ouvrant sur l'extérieur, la façon dont Marie tient son enfant, au ventre et non à la cuisse, dans l'étude de Los Angeles n'apparaissent plus par la suite. Le dessin de Windsor Castle modifie le fond en excluant une ouverture sur la nature mais sans atteindre à l'austérité finale; le motif qui peut sembler incongru de la colonne associée à la figure du père est déjà trouvé. Sainte Élisabeth ne regarde pas encore l'enfant Jésus mais Marie, sa cousine. Ces remarques, les similitudes comme les différences, en plus du statut évident de dessins d'études, font de ces feuilles les produits de l'artiste ayant peint la toile du musée Condé.

Pour autant, leur singularité n'aide pas nécessairement à son identification. Retenons, pour l'instant, l'impression de pastiche « à la Poussin » soulignée par Louis-Antoine Prat (2013) malgré une méthode qu'il emploie peu, ainsi que le fait que le dessin de Windsor provienne du cercle étroit des amateurs du Normand. Le contexte de la peinture de Chantilly étant à peu près brossé, il faut maintenant lui accorder toute notre attention.
Feuille composite. 9,52 x 15,88 cm. Los Angeles County Museum of Art.

(à gauche) Nicolas Poussin,
Un centaure portant une nymphe sur son dos.
Plume et encre brune.

(à droite) Anciennement attribué à tort à Poussin,
La sainte Famille, sainte Élisabeth présentant le petit saint Jean.
Plume et lavis bruns.

Longtemps attribué à Nicolas Poussin (1594-1665),
La sainte Famille, sainte Élisabeth présentant le petit saint Jean.
Plume, encre brune, lavis brun sur esquisse à la pierre noire, sur papier bleu, mise au carreau à la pierre noire. 21,3 x 16,4 cm
Windsor Castle, Royal Library.
2. Le fruit d'une amitié?
N'ayant pas fait ici mystère de l'artiste que je rapproche de cette composition, je dois maintenant argumenter autant par les conditions extérieures que par le style, cette seconde partie étant évidemment la plus périlleuse. Il me faut d'abord étudier les conditions d'un tel rapprochement.

Dans le mémoire qu'elle a confié à Guillet de Saint-Georges pour qu'il rédige la vie qu'il voulait lire devant l'assemblée de l'Académie royale de peinture et de sculpture, Claudine précise les contours du séjour de son frère en Italie. Antoine se présente à Nicolas Poussin pour offrir ses services dans une lettre aujourd'hui conservée au Louvre après la mort de l'oncle Jacques. Il se rend à Rome après le 23 août 1658, date de délivrance du legs des Poussin aux neveux et nièces1, qu'il signe. Il est mentionné à Rome à Paques en 1659, dans la maison voisine de l'ami de son oncle2. Du travail fait lors de son séjour, Claudine ne mentionne que l'étude des modèles antiques et modernes, la commande de copies de dessins de médailles et autres motifs anciens du cardinal Antonio Barberini par l'entremise de Giovanni Pietro Bellori, confirmée par son paiement mentionné dans les comptes Barberini au 19 mai 1663 3, et « plusieurs tableaux pour des personnes particulières », « de génie », c'est-à-dire de son invention. Si Antoine a pu trouver une clientèle pour ses premières productions peintes, c'est certainement dans la mouvance des Barberini ou de Bellori, et on peut y trouver le cardinal Giulio Rospigliosi, lettré et amateur d'art qui put vouloir encourager un élève de Poussin, dont il fut, par trois fois, client; ce qui peut avoir conduit quelques décennies plus tard à une attribution au maître d'une telle commande.
1. Mickaël Szanto in cat. expo. Lyon-Toulouse 2066-2007 (Sylvain Laveissière dir.), p. 259-260.
2. Jacques Bousquet, « Chronologie du séjour romain de Poussin et de sa famille « in Colloque Nicolas Poussin, 1958, Paris, 1960, t. II, p. 3-10.
3. Marylin Aronberg Lavin, Seventeenth-century Barberini Documents and Inventories of Art, New York, 1975, 41, document 327; Susan Russell (« Pirro Ligorio, Cassiano Dal Pozzo and the Republic of Letters », Papers of the British School at Rome, vol. 75, 2007, p. 246). Voir aussi mon étude sur le séjour italien d'Antoine ici.
Pierre Rosenberg comme Louis-Antoine Prat suggèrent une dichotomie entre décor et personnages. Le premier ne reconnaît guère Poussin dans la mise en place des architectures et souligne certaines affinités pour les protagonistes, en particulier pour la tête de la Vierge dans le tableau, faisant ainsi le constat à peu près inverse du second à propos du dessin («Les structures architecturales... pourraient revenir à (Poussin)»). Ce caractère composite pourrait désigner, plutôt qu'un pasticheur ou un faussaire, un jeune émule du maître, ouvrant ici une solution plus proche du constat de Pierre Rosenberg.
Jacques Stella, Le mariage de la Vierge
Crayon noir, plume et encre brune, lavis gris, rehauts de blanc. 36,7 x 26,7 cm.
Chicago Art Institute
Claudine Bouzonnet Stella,
La présentation de Jésus au Temple.
Plume et lavis. 26,3 x 16,5 cm. ENSBA.
La source du dipositif architectural, scandant sans rythme la largeur par la colonne, me semble pouvoir être Jacques Stella, et plus précisément Le mariage de la Vierge de la suite de 22 dessins très finis. J'ai déjà eu l'occasion de souligner la citation qu'en fait Claudine dans la feuille qu'elle donne à graver à Antoinette sur le sujet de la Présentation au Temple, en l'inversant. La peinture de Chantilly en est presque un décalque, en combinaison plus proche encore avec le motif de l'arc; mais il faut noter que les dessins, et en particulier celui complet de Windsor, proposaient un décor à la fois plus fidèle à l'oncle dans l'articulation complexe des espaces, et s'en détachant par l'installation du motif de la colonne sur piédestal. Ni Claudine ni le peintre de Chantilly ne parviennent à la clarté de l'oncle dans les dispositions spatiales servant de support à la circulation et au parcours de l'histoire. L'artifice de la pierre pour surélever le pied de la Vierge en donne confirmation, même s'il peut s'agir d'une intention plus ou moins archéologique liée au contexte de la rencontre entre l'enfant Jésus et son cousin. Le maître du musée Condé comme mademoiselle Stella plaquent la frise de leurs personnages sur un fond d'éléments d'architecture qui sont autant de signes et non les outils pour instaurer une profondeur sensible.
Que penser des personnages? Les deux historiens se rejoignent pour constater un rapprochement possible avec l'art de Poussin, que ce soit pour la qualité de la tête de la Vierge, pour la typologie d'Élisabeth dans la toile, ou pour l'approche méthodologique du dessin, non tellement pour la pratique consistant à les représenter nus ou plutôt en transparence, mais par l'absence de personnalisation des visages, comme s'il s'agissait de mannequins. Des figures « à la Poussin » dans un décor « à la (Jacques) Stella », voilà qui pourrait sembler suffire à soutenir une proposition en faveur d'Antoine. Ce n'est pas si simple, d'autant qu'il s'agit d'une période toujours complexe pour un artiste encore fort mal connu, le temps de la jeunesse sinon de la formation. Parce qu'il s'agit du neveu de Jacques Stella, que je connais sans doute le mieux pour le fréquenter depuis plus de trente ans, quoique par intermittence, je peux confronter ici ce qui a été identifié de son œuvre à notre toile et aux dessins.
3. L'hypothèse Antoine Stella
Mon étude pour la Société de l'Histoire de l'Art Français (1989) mettait en évidence une connaissance de son art essentiellement par le dessin. Si quelques peintures ont pu être identifiées depuis (notamment publiées sur ce site), la production graphique reste prédominante. Deux exemples montrent qu'à l'occasion, Antoine peut aller au-delà des transparences du vêtement en dessinant en-dessous le corps : Saint Pie V en gloire (coll. part.), vraisemblablement de 1676, et La mort de saint Pierre de Vérone, dominicain, de 1680 (ci-contre). Le recours au papier bleu comme support, pareillement rare chez Poussin, ne l'est pas chez Antoine, qui continue en cela une pratique de l'oncle. L'écriture est évidemment très différente dans la feuille de Windsor, n'ayant ni l'aisance vaporeuse du Saint Pie V ni la fluidité relâchée de La mort de saint Pierre de Vérone, mais elle peut refléter l'évolution des environs de 25 ans jusqu'à 39 puis 43 ans. Il faut d'ailleurs rappeler que le dessin anglais a quelque chose de démonstratif, pouvant répondre à un travail de jeunesse sous le regard de Poussin.
Antoine Bouzonnet Stella,
Saint Pie V en gloire, 1676.
Plume et lavis, rehauts blancs.
31,5 x 22 cm. Coll. part.
Antoine Bouzonnet Stella,
La mort de saint Pierre, dominicain.
Plume et lavis. 18,5 x 12,9 cm.
Louvre
Le dessin pour le tableau lié à la canonisation de Pie V montre cette alliance dans le drapé de surfaces plus ou moins triangulaires planes selon des plis cassés quand d'autres trahissent une certaine mollesse favorisant les transparences ou assouplissant en boucle certains passages. C'est ce que montre d'une part le vêtement de sainte Élisabeth, et de l'autre celui de sa jeune cousine, à Chantilly. Cela se voit aussi dans La vocation de saint Jacques de Dublin (National Gallery of Ireland) et sa préparation de la cathédrale de Blois (ci-contre). On rapprochera aussi le visage de Joseph de ceux des apôtres derrière Jésus de ce tableau, arcades et nez dessinant nettement la forme d'un T, et le travail de la lumière.

Concernant la typologie, il faut noter les chevelures ondulées voire bouclées des enfants et de saint Joseph. Est-ce le refus de rivaliser avec la complexité des coiffures d'oncle Jacques? Antoine a manifestement privilégié cette solution commode, frisant ou ondulant toute ou partie de ses chevelures, sauf calvitie. On le constate encore dans une de ses dernières peintures récemment redécouverte par Sylvie Richard de Vesvrotte (2015). Les gravures de Guillaume Vallet ou sous sa conduite (ci-dessous), sans doute des premières années du retour en France, en fournissent d'autres exemples tout en proposant également des éléments de comparaison pour le drapé ou la typologie : le Christ apparaissant à saint François-Xavier évoque Joseph; le démon tentateur tapi derrière l'Ange gardien ainsi que ce dernier, sainte Élisabeth.

Ainsi, malgré la faiblesse encore certaine du catalogue d'Antoine, en particulier pour la peinture, on peut constater que loin de venir en porte-à-faux d'une attribution de la toile de Chantilly, ces dessins, gravures et tableaux apportent leur lot de points de contacts avec elle. Je pourrais apporter encore d'autres compléments, au risque d'une impression de forcer le trait.
Antoine Bouzonnet Stella,
La Vocation de saint Jacques.
Huile sur toile. 82 x 64 cm.
Blois, cathédrale.
Antoine Bouzonnet Stella,
L'Assomption, 1681, détail.
Huile sur toile. Les Planches-près-Arbois (Jura), église.
Sous la conduite de Guillaume Vallet
d'après Antoine Bouzonnet Stella,
L'ange gardien. Gravure. BnF.
Une telle hypothèse, si elle se confirmait, montrerait un Antoine Stella se cherchant encore entre ses deux maîtres que la vie avait transformés en amis. Dans le travail méthodologique, on peut croire qu'il traduise les conseils de Poussin avec application, au risque du pastiche voire, au regard de l'historien d'art, d'un caractère frauduleux, ce qui ne saurait être le cas. La nouveauté de la présente étude réside sans doute dans le fait de souligner le lien passé jusque là inaperçu avec l'art de l'oncle Stella.

Antoine avait pu le voir élaborer la suite de La vie de la Vierge en 22 dessins. L'autoportrait que Jacques glisse dans la Pentecôte de cet ensemble, très proche de celui du retable de Provins, situe assurément sa réalisation dans les toutes dernières années de son existence (1654-1657), alors qu'il forme Claudine, Antoine et Françoise Bouzonnet. L'empreinte du dessin du Mariage de la Vierge semble avoir marqué le frère et la sœur. Mariette estimait que les gravures de la petite suite de la Vie de la Vierge, dont l'invention est aujourd'hui unanimement donnée à Claudine, témoigne d'un manque de pratique de la part de sa cadette; le travail au burin doit correspondre à une première formation à la gravure auprès de son aînée, ses travaux à l'eau-forte, qui forment la part capitale de son œuvre, ayant vraisemblablement correspondu à une impulsion d'Antoine. Il n'est donc pas impossible que Claudine et Antoine aient, à des lieux de distance, rendu hommage à Jacques Stella au même moment, vers 1662-1664, Antoinette ayant alors un peu plus de 20 ans. On ne peut tout de même pas exclure que son travail comme les dessins de Claudine prennent place alors que leur frère est déjà de retour. On aimerait connaître les Heures auxquelles il fut destiné selon Mariette, permettant une date plus ou moins précise...

Jacques Stella

Claudine Stella
Le temps dira, selon l'avancée de la connaissance de l'art de Stella le neveu, quelque découverte de document infirmant ou confirmant la proposition, ou encore des rapprochements plus convaincants que ce qui est présenté ici pour une autre hypothèse, si mon attribution se vérifie ou doit être abandonnée. Ces lignes souhaitaient avant tout apporter des éléments plausibles de contexte à la création d'une peinture « poussinienne ». À ce titre, la candidature d'Antoine peut, à ce jour, en éclairer les enjeux mieux que toute autre.

Sylvain Kerspern - Melun, automne 2022

BIBLIOGRAPHIE :
* Pierre Rosenberg, Nicolas Poussin. La collection du musée Condé de Chantilly, (cat. expo. Chantilly), Paris, 1994, p. 72-75.
* Sylvain Kerspern, «Mariette et les Bouzonnet Stella. Notes sur un atelier et sur un peintre-graveur, Claudine Bouzonnet Stella», Bulletin de la Société de l’histoire de l’art français, 1993, 1994, p. 31-42.
* Louis-Antoine Prat, Le dessin français au XVIIè siècle, Paris, 2013, p. 40.
* Sylvie Richard de Vesvrotte, « Un tableau d'Antoine Stella (1637-1682) identifié dans l'église des Planches-Près-Arbois (Jura), Travaux de la Société d'Emulation du Jura. Travaux 2014, 2015, p. 45-52).
* Philippe Costamagna (Palais Fesch-musée des Beaux-Arts) et Isabelle Dubois-Brinkmann (INHA) dir., Poussin, Nicolas 15/06/1594 - 1665, de, La Sainte Famille, peinture (17è siècle) (consulté le 9 septembre 2022)
* Sylvain Kerspern,
« À propos d’une étude de Jamie Mulherron : Claudine et Jacques Stella. Quel auteur pour les Pastorales? », dhistoire-et-dart.com, mise en ligne le 29 mai 2013 - retouches de mise en forme le 3 décembre 2016; octobre 2020
* Sylvain Kerspern, Catalogue en ligne de l'œuvre de Jacques Stella, La vie de la Vierge en 22 dessins », dhistoire-et-dart.com, mise en ligne en mars 2021
Courriel : sylvainkerspern@gmail.com. - Sommaire concernant Stella - Table générale
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