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Les Stella


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tisser la toile

de la généalogie des Stella.




Mise en ligne le 30 juin 2021

Il y a dans toute recherche une part de Hazard – comme l’écrivait Nicolas de Staël -, dans ce qui la déclenche comme dans son cheminement, et jusqu’à sa fin, dès lors que l’on s’efforce de tirer le plus possible des fils d’Ariane qui se présentent à vous. Je souhaite en profiter (à nouveau) pour partager un peu des coulisses qui se cachent derrière certaines découvertes.
Je me souviens (ou le secours d’une Madeleine)…
J’avais interrogé Gilles Chomer, lors de notre première rencontre, sur l’opportunité de désigner François Stella, père de Jacques, sous le patronyme Stellaert donné par van Mander (1604) et, vraisemblablement à sa suite, Filippo Baldinucci, ce qui permettrait éventuellement de le distinguer de son autre fils, de même prénom. Il m’avait répondu, à juste titre, que lui-même avait signé Stella les deux tableaux que l’on connaissait de lui, à Oberdorf et à Six-Fours, ce qui n’incitait donc pas à adopter la forme, au vrai, mixte sinon bâtarde, mélangeant l’italien et le flamand. Les dessins qui lui sont donnés par des annotations reprennent également l'orthographe italianisée - il est vrai que certains d'entre eux reproduisent des sites romains.
François Stella, L'assomption, 1604.
Toile. Oberdorf, Suisse
François Stella, La descente de croix, 1604.
Toile. 255 x 205 cm. Six-Fours, église

Jacques Stella. La flagellation du Christ, 1618.
Dessin. Ensba, détail de la signature : Jac˜, Stellarij Inveñ, fecit 1618.

La découverte du dessin de l’École Nationale Supérieure des Beaux-Arts de Paris, et surtout de ce qui semblait s’imposer comme une signature (ci-contre) remit, dans mon esprit, la question dans l’actualité. Pour le coup, c'est la lecture du nom qui semblait poser problème. En effet, il est impossible, en la déchiffrant, de s'en tenir à Stella. L'encre continue en formant trois autres lettres, assurément un r et sans doute deux i. Pourtant, on ne saurait envisager  une annotation : mentions et ornements de l'écriture relèvent bien d'une volonté autographe, et on ne peut s’empêcher d’y voir les timides prémisses de celles, complexes, très ornées, que Stella développera par la suite. Pourquoi cette terminaison ? A priori comme un essai de latinisation pour s’adapter au reste de la signature ; mais pourquoi n’avoir pas alors opté pour Stella, comme il le fera très rapidement ?

Signature de Jacques Stella au dos de L'honore, 1633. Louvre.

Des échanges épistolaires  avec Benoît Faure-Jarrosson m'ont livré des éléments me ramenant à cette signature, et à la forme italo-flamande qui pourrait l’avoir motivée. Outre la quittance pour le Saint Eloi (biographie, année 1635), il m'a fait parvenir le contrat de mariage entre Madeleine Stella et Etienne Bouzonnet du 13 janvier 1635 et la quittance, datée du 25 juin 1635, par laquelle les époux reconnaissent le versement de sommes liées à leur mariage et en tiennent pour quitte Claudine de Masso et Jacques Stella. Le notaire orthographie leur nom Stellard, ce qui doit bien reposer sur un usage, du moins à Lyon. Il francise, d’une certaine façon, l’orthographe donnée par van Mander pour François, leur père : Stellaert.

Quittance de Madeleine Stella et Étienne Bouzonnet à Jacques Stella et Claudine de Masso, 25 juin 1635.
Détail des orthographes du nom de Jacques et Madeleine. Arch. Dép. 69

Des étoiles sur la toile, et ailleurs.
J’ai repris alors la piste aux étoiles sur l’Internet, à partir de ce nom comme mot-clé, pour faire le point sur le père comme sur l’aïeul, en partant de ce qu’en disait Mariette, sur bien des points très informé sur la famille Stella, confronté à Félibien, aux sources non moins sûres, et van Mander. J’ai rapidement trouvé ce qui suit, qui m’aurait demandé naguère des mois, si même avec autant de réussite. Pierre-Jean Mariette aborde les Stella dans ses notes manuscrites de manière quasi généalogique. Il avait tenu en mains un livre des œuvres des Stella provenant de Claudine, ce qui devait l’inciter à cette approche familiale. Il mentionne en premier Jean, en renvoyant d’abord à Félibien, qui le dit de Malines (Mechelen) et mort à Anvers où il s’était installé en 1601, à 76 ans, ce qui le ferait naître en 1525.
Au commencement, Jean.
L’amateur en rapproche une gravure de Jan Wierix (1549 ? - v. 1620), donnant pour inventor Joanni Martini Stella. Le musée Plantin-Moretus d’Anvers et le cabinet des estampes du Rijksmuseum en conserve deux exemplaires, chacun d’un état différent (Pieter Balten puis Jean-Baptiste Vriendt éditeurs), confirmés par la lecture de la description de l’amateur : « Minerve, déesse des arts, s’efforçant de rendre célèbre un homme vertueux qui ne reçoit aucun secours de la déesse des richesses, qui est au contraire en proye à la pauvreté » ; ou bien « allégorie sur les efforts que la déesse des arts fait faire à un homme vertueux pour le tirer d’entre les bras de la Pauvreté et lui procurer une réputation qu’il ne doit point attendre de la richesse ; celle-ci paroit endormie et ne prendre aucun intérêt à ce qui se passe » ; ou encore « un homme vertueux qui, délaissé par la Richesse, n’aspire qu’après la Réputation et est aidé dans cette louable entreprise par la déesse des arts, qui l’arrache d’entre les bras de la Pauvreté. »

Les deux musées citées plus haut y voient Hercule (à la croisée des chemins?), sans doute pour l’accoutrement du jeune homme, mais la lettre de la gravure ne mentionne que Minerve, et il doit bien s’agir d’une allégorie plus générale sur le métier des sciences et des arts, différents attributs qui leurs sont liés accompagnant les putti dans les écoinçons de l’encadrement ; possible méditation sur sa propre condition, et ses ambitions, orientées vers la gloire plus que vers la richesse. Illustration savante, aussi, de la sagesse populaire proclamant que bonne renommée vaut mieux que ceinture dorée...
Jan Wierix (1549 ? - v. 1620) d'après Jean-Martin Stella,
Minerve soutenant la renommée d'un homme vertueux
(entre 1559 et 1885, selon le musée).
Gravure. 49,1 x 36,8 cm. Anvers, Musée Plantin (Pieter Balten, 1527-1584 éditeur)
Mariette compare le style de l’image au maître de Rubens, Otto van Veen (1557-1629), sans doute pour la qualité de l’invention mais il faut plutôt convoquer le maniérisme international, et particulièrement la tradition flamande du voyage d'Italie des Frans Floris (1517-1570), Jan van der Straet (ou Giovanni Stradano, 1523-1605), Marten de Vos (1532-1603) et jusqu’à Jacob de Backer (1555-1585), s'exprimant dans un style puissant sinon sculptural et sophistiqué. Le moteur pouvait en être tout autant l’attrait pour les grands modèles de Raphaël, Michel-Ange ou Titien, entre autres, déjà répandus par la gravure, que la fuite des troubles qui agitent les Flandres alors, en proie aux Guerres de religions et à l’iconoclasme. S’y ajoutait souvent un accent bellifontain, plus accessibles aux artistes nordiques, que reflète le recours aux cuirs découpés dans le répertoire ornemental, par exemple.
Grâce à une meilleure connaissance de cette présence flamande en Italie par les entreprises et publications de Nicole Dacos et à sa suite, notamment, la recherche récente en est venue à identifier la main d’un Stella ou Stellaert dans certaines peintures qui s’y trouvent encore, notamment à Terni  (Ombrie): entre autres, la participation à un décor profane avec Gillis Coignet (1542-1599), toujours difficile à débrouiller (Palazzo Giocosi), et un retable signé (ci-contre) dans une église de la ville, datables de 1568 et autour. Le style héroïque, sculptural, correspond bien à celui de la gravure, et on comparera notamment le traitement da sotto in sù des visages, les airs de tête, l’attention anatomique et jusqu’au parti articulant obliques rayonnantes des dispositions au sol et gloire circulaire. La filiation revendiquée d’avec Raphaël transparaît dans le retable avec l’angelot musicien, citation d’un putto du Triomphe de Galatée de la villa Farnésine, à Rome. La voie inaugurée par Andrea del Sorto, poursuivie par Pontormo et Bronzino, donc florentine, me paraît aussi à mentionner ici.
Jan Wierix (1549 ? - v. 1620) d'après Jean Martin Stella,
Minerve soutenant la renommée d'un homme vertueux
(entre 1559 et 1885, selon le musée).
Gravure. 49,1 x 36,8 cm.
Anvers, Musée Plantin
(Pieter Balten, 1527-1584 éditeur)
Jean Martin Stella,
Madone en gloire et des saints
1568.
Panneau peint. Dimensions inconnues.
Terni, Museo diocesano
Signé MAJORI OBTENEBROR LUMINE. I. MART. STELLA BRABANTINUS. BRUXELLENSIS FACIEBAT 1568
Giovanna Sapori (1990) en a judicieusement rapproché le décor du Palazzo Giocoso de la même ville de Terni, en particulier le salon dit de l'Olympe. La typologie (face ronde, nez épaté, bouche charnue...) des personnages soutient cette hypothèse. Le recours, dans l'articulation décorative, aux cuirs bellifontains - motifs découpés à faible enroulement évoquant le cuir -, a rappelé à l'historienne d'art le texte de van Mander à propos du séjour italien de Gillis Coignet en compagnie d'un certain Stello : dans cette ville, ils sont dits avoir peint « une salle de grotesques à la manière française et peignirent à fresque un autel ». Si le retable est sur bois, non à fresque, qui sait si à son emplacement d'origine, il n'emplissait pas tout le haut de la chapelle au point de pouvoir passer pour tel. Le peintre-biographe est un témoins précieux, puisqu'il a fréquenté les mêmes lieux quelques années après les deux collaborateurs, mais il ne semble pas fiable en tout.
Jean Martin Stella (et Gillis Coignet?)
Les dieux de l'Olympe, 1568. Fresque.
Terni, Palazzo Giocosi, composition centrale du plafond du Salon de l'Olympe
Quelle part peut-on faire dans leur collaboration? Baldinucci, reprenant van Mander, fait de Stella l'élève de Coignet. En 1568, ce dernier à 26 ans. Je ne sache pas qu'on lui connaisse d'œuvres avant son retour en Flandres au début de la décennie suivante. La mise en regard ci-contre de la gravure de Galle d'après lui avec celle de Wierix d'après Stella montre un style plus gracile de la part du premier, une typologie au menton pointu et suggère des recherches lumineuses plus atmosphériques, à la Titien, quand Stella préfère densifier les volumes, sur l'exemple toscan.

La comparaison entre le retable signé de Stella et l'une des premières œuvres peintes de Coignet vient confirmer cet écart. Le coloris du Saint Georges de Gillis, de 1581, module la lumière dans un esprit velouté bien différent de celui, métallique ou minéral de Jean. Il faut aussi noter la recherche du naturel plus sensible chez celui-ci, jusque dans une certaine franchise des attitudes, alors que Gillis épouse l'emploi paroxystique du contrapposto, pour la princesse, tel qu'il se voit notamment, à la même époque à Prague. Deux facteurs peuvent avoir joué. Le style de Stella semble plus volontiers marqué par l'art de Florence, alors que Coignet doit être passé par Venise au retour d'Italie pour en restituer si sensiblement l'approche atmosphérique. Il est aussi vraisemblable que Jean Martin soit l'aîné, et s'inscrive donc dans des recherches propres à une génération antérieure. S'il faudrait une étude plus directe et fouillée de ces décors, je crois plutôt que Stella était l'entrepreneur, capable de peindre le sujet principal de la salle de l'Olympe, notamment, et que Coignet était son collaborateur. La fermeté de la main et de ses effets dans le retable de 1568, de la part d'un artiste voyageur, ne doit pas désigner un contemporain de Gillis, mais plutôt quelqu'un de la génération d'avant.
Jan Wierix (1549 ? - v. 1620) d'après Jean Martin Stella,
Minerve soutenant la renommée d'un homme vertueux.
Gravure. 49,1 x 36,8 cm.
Anvers, Musée Plantin
(Pieter Balten, 1527-1584 éditeur)
Philippe Galle (1537 - 1612) d'après Gillis Coignet,
Le siècle d'or, 1573.
Gravure. 24,5 x 24,8 cm.
Rijksmuseum
Jean Martin Stella,
Madone en gloire et des saints, 1568.
Panneau peint. Dimensions inconnues.
Terni, Museo diocesano
Signé MAJORI OBTENEBROR LUMINE. I. MART. STELLA BRABANTINUS. BRUXELLENSIS FACIEBAT 1568
Gillis Coignet,
Saint Georges, 1581.
Toile. 193 x 225 cm.
Koninklijk Museum, Antwerpen
Félibien dit que Jean Stella est mort à Anvers à 76 ans, et la date en note de 1601 le ferait naître en 1525 - et, nous précise la signature du retable de Terni, à Bruxelles, non Malines. Il réaliserait donc cette peinture à 43 ans. Quoiqu'il en soit, contrairement aux doutes de Giovanna Sapori et en accord avec Nicole Dacos, on peut difficilement invoquer la coïncidence devant les correspondances entre les propos de van Mander, la signature du retable, la gravure de Wierix et les données stylistiques. Il faut donc bien voir en Stello (une signature mal lue?) l'artiste que Mariette identifie comme le grand'père de Jacques et le père de François.

Que penser, dès lors, de l'assertion de van Mander selon laquelle il serait mort à Rome en 1570? La gravure de Wierix peut-elle reprendre autre chose qu'une composition faite après son retour en Flandres? C'est peu probable. Les circonstances données par van Mander ne manquent pas de piquant : il aurait été frappé par une fusée d'un feu d'artifice tiré du pont du Castel sant'Angelo. Comment ne pas penser au dessin de Jacques en marge de sa lettre à François Langlois, en 1633, par lequel il s'identifie avec le plus fameux de ces feux tiré le jour de la saint Pierre et Paul dudit pont, la Girandole? Le (présumé) petit-fils doublerait ainsi le jeu de mots autour de son nom associant deux lumières dans le ciel d'une référence à une légende familiale... dont il ne pourrait s'amuser que si Jean Martin s'en était sorti.
Jan Wierix (1549 ? - v. 1620) d'après Jean Martin Stella,
Minerve soutenant la renommée d'un homme vertueux.
Gravure. 49,1 x 36,8 cm.
Anvers, Musée Plantin
(Pieter Balten, 1527-1584 éditeur)
Jacques Stella,
lettre à François Langlois,
19 février 1633.
Paris, Institut Néerlandais.
Détail du dessin en marge, allusion à la
Girandole de Rome
On peut s'étonner que van Mander ne l'ai pas rencontré ensuite, puisqu'il s'était installé - sur le tard - à Anvers, mais il faut noter que la manière dont il l'évoque (« qu'on nommait Stello») laisse entendre que ce n'est pas un renseignement de première main, qui plus est introduisant une variante au nom; et il le croyait mort. Il peut n'avoir pas plus fait le rapprochement avec le père de François quand il parle brièvement de celui-ci.

Venons-en maintenant au dessin en collection particulière, annotée Jean Stella de Malines/154(??)2. Il ne semble pas qu'il faille y voir une signature mais une mention apposée très anciennement. Dès sa réapparition, il a été identifié comme la feuille inventoriée par Claudine comme le pénultième du livre dont elle fait le détail, certainement parce qu'il est considéré comme renfermant les témoignages graphiques les plus importants de la collection : « un dessein du père grand de M. Stella : un Christ qu'on met au sépulchre ».
Jean (Martin) Stella,
Mise au tombeau.
Dessin. Collection particulière
La feuille et son inscription mérite une approche critique. Je ne l'ai pas vu directement, en sorte que je n'ai pu bien examiner l'écriture. Sur reproduction, outre la date qui n'est pas clairement lisible, le prénom n'est pas si évident et pourrait correspondre à Frans ou François abrégé. Sans l'identification avec le dessin encore conservé par Claudine, la question demeurerait. Néanmoins, elle est plus que probable. Le seul Stella rattaché expicitement à Malines par les sources est le grand'père, Jean, alors que van Mander ignore où est né son fils. Le style est cohérent avec le romanisme des Flamands visitant l'Italie, tel un Frans Floris, son prédécesseur. Le panneau peint sur le même sujet du musée Bossuet de Meaux propose l'association de références très italiennes, notamment florentines, et du parti de faire des personnages l'architecture de l'image suivant une légère oblique qui atteste d'une culture et d'ambitions voisines.
Frans Floris (1517-1570),
Mise au tombeau.
Huile sur bois. 155 x 214 cm. Meaux, Musée Bossuet
Comment placer cette feuille par rapport aux peintures de Terni et à la gravure de Wierix, qui doit témoigner d'une composition réalisée en Flandres? Certaines différences avec les premières se dissipent dans l'estampe : ainsi du drapé, plus fouillé, analytique; les visages plus fins reviennent sur les faces larges du séjour en Ombrie; conséquence possible de contacts avec d'autres foyers italiens que Rome ou Florence, tels que Bologne, Parme ou Venise - en particulier Tintoret ou Bassano? Il n'est pas impossible, en effet, que notre feuille traduise une phase de transition entre les Flandres et Rome. Plutôt que de la placer dans le cadre du retour, le rapprochement avec le tableau de Floris suggère d'envisager la feuille dans la phase reliant la formation en Brabant et le séjour outre-monts. On comprendrait mieux la différence d'avec Coignet, dont la production flamande se ressent plus nettement de l'impact de Venise.
Je ne peux passer sous silence ici un autre dessin conservé au Kupfertischkabinet de Berlin, annoté à l'encre brune de la main de l'artiste, vraisemblablement, Prima vera, et à l'encre noire d'une autre, Jacomo Stella. Impossible d'y voir une feuille de Jacques Stella, aussi serait-il plus attendu d'envisager, selon le style pleinement maniériste et italien, un témoignage de l'art, rare, de Giacomo Stella, de Brescia, qui travaille au Vatican sous Grégoire XIII comme collaborateur de Cesare Nebbia, en 1586-1587, notamment. Toutefois, je ne peux m'empêcher de souligner le curieux type féminin de l'allégorie du Printemps, au nez retroussé, évoquant invinciblement ceux visibles à Terni.

Je me garderai bien de toute affirmation, puisque la connaissance de l'art du peintre italien reste fort mal connu, et presque plus fragile que celle de la production de son homologue flamand, elle-même embryonnaire; d'autant que le style, très pictural dans son emploi du lavis (peut-être motivé par la nécessité de préparer un élément de décor à fresque?), est bien différent de celui, fouillé, griffonné analytique, de la Mise au tombeau (préludant plutôt à un tableau de chevalet ou d'autel plus modeste?). Pour autant, il me semblait indispensable de soulever la question en soulignant le traitement plastique singulier du visage et en supposant une erreur - si fréquente - sur le prénom lors de l'apposition de l'inscription. L'avenir fera, espérons-le, la part des choses et des œuvres respectifs.
Jean Stella?
Cérés et l'Amour, ou la Primavera.
Plume et lavis. Berlin, Kupfertischkabinet (?)
Jean, père de François
Le lien entre Jean Martin (ou fils de Martin) et François semble naturel pour Mariette, mais les documents n'en font pas une totale évidence. Le témoignage de van Mander suggére que le supposé père soit mort en 1570 en Italie quelques années après la naissance du fils en 1563, mais, nous l'avons vu, il est contredit par la très forte parenté de style entre le retable de Terni de « Stello » et la gravure de Wierix d'après Jean Stella, qui ne peut traduire qu'une composition faite au retour d'Italie. Pour sa part, Félibien, suivant assurément le témoignage des Bouzonnet Stella voire de Claudine de Masso, dit le père de François s'éteindre très âgé à Anvers.

On peut aussi s'étonner qu'il ait pu prendre le chemin de la Péninsule après la naissance de son fils, en 1563, un évènement qui favorise la sédentarité. Toutefois, il ne faut pas oublier le contexte particulier des Guerres de Religion, qui fait rage alors en France comme en Flandres et qui provoque de telles migrations. Par ailleurs, comme dit plus haut, la plaisanterie faite par celui qui doit être son petit-fils, Jacques, au marchand d'estampes François Langlois, en 1633, autour de la Girandole de Rome évoque une tradition familiale qui entre en résonnance avec les circonstances de la mort supposée de Jean données à van Mander. Rien n'empêche que Jean Stella soit né à Bruxelles, se soit installé à Malines après le séjour en Italie pour finir sa vie à Anvers. Sur ce point, Félibien n'est pas très clair : il mentionne l'installation tardive dans cette ville en donnant pour date, en note, 1601 et n'évoque qu'ensuite sa mort, qui peut donc avoir suivi de quelques mois sinon quelques années; la date de naissance se placerait ainsi vers 1525-1530, son compère en Italie, Gillis Coignet, étant né en 1542.

On imagine Jean, séjournant alors à Malines, confiant à son fils le dessin de la Mise au tombeau comme legs au départ de celui-ci pour l'Italie en 1586, autant comme souvenir de l'art du père que comme laisser-passer incitatif à marcher sur ses traces. Il est probable que l'un et l'autre ne se soient pas revus, puisque François s'arrête à Lyon au retour et y fait souche...
Jean Martin Stella,
Madone en gloire et des saints
1568.
Panneau peint. Dimensions inconnues.
Terni, Museo diocesano
Signé MAJORI OBTENEBROR LUMINE. I. MART. STELLA BRABANTINUS. BRUXELLENSIS FACIEBAT 1568
François Stella,
La descente de croix, 1604.
Toile. 255 x 205 cm.
Six-Fours, église
Vincent, frère de François?
Si les zones d'ombre sont encore fort nombreuses pour Jean, le cas de Vincent, évoqué par Mariette, est encore plus mystérieux. Il n'est guère connu que pour sa participation au fonctionnement de l'Accademia del Disegno, dite di san Luca de Rome, réformée sinon véritablement instituée par Federico Zuccaro. Le 5 juin 1594, le sort y désigne Vincenzo Stella Fiamingo pour traiter de l'esprit et de la vivacité, dans le sens de la capacité à restituer la vie (spirito et vivezza), dans la peinture, et des peintres qui en ont le mieux témoigné; mais indisposé, il ne peut l'assurer et en est excusé (Romano Alberti 1604, p. 55, 66). Le cavalier d'Arpin tient alors le rôle de Prince en l'absence de Zuccaro. Peu auparavant, sans doute, il figure parmi les signataires du document publié par Romano Alberti dans lequel les membres de l'Accademia, à la suite dudit Zuccaro, s'engage à en respecter le fonctionnement et les statuts.

Mariette en rapprochait une mention de Giovanni Baglione (1642) dans la vie de Domenico Cresti Passignano, évoquant une Descente du Saint-Esprit par Vicenzo Fiammingo, conçue pour l'église des Oratoriens Santa Maria in Vallicella (ou Chiesa Nuova). La recherche récente (de Mieri 2012) l'identifie avec Wenzel (ou Venceslas) Coebergher, autre Flamand attiré par la Ville Éternelle. On peut d'autant plus comprendre l'erreur de l'amateur que sur le chantier se retrouvent Durante Alberti, Passignano, Cristoforo Roncalli Pomarancio ou le sculpteur Vacca, artistes que Vincent Stella fréquentait à l'Accademia di San Luca.
La piste aux étoiles
Quel lien Vincent pouvait-il avoir avec Jean ou François ? À propos du premier, Félibien ne nomme que le second pour fils, en sorte qu’il ne peut s’agir d’un oncle de Jacques. Mariette conjecture donc qu’il fut le frère de Jean (p. 259 et 256, avec une probable coquille d’édition le disant père de Jean plutôt que frère), supposant que ce soit lui qui aurait attiré son neveu François à Rome vers 1586. On ne peut exclure pour autant qu’il s’agisse plutôt d’un cousin, ni au bout du compte, qu’il appartienne à une autre famille ; mais dans la première hypothèse ou celle de l’oncle, on imagine que le vieux Cavalier d’Arpin comme Pomarancio durent recevoir le jeune Jacques Stella lors de son entrée à l’Académie de Saint-Luc, en 1623 au plus tard, avec une brassée de souvenirs…

Développer les informations données par Félibien et Mariette rend, de fait, plus sensible l'insistance que l'un et l'autre mettent sur la transmission familiale. C'est un phénomène lié au fonctionnement dynastique de la société d'Ancien Régime, certes. Mais force est de constater que sur près d'un siècle et demi, quatre générations de Stella s'illustrent au firmament des artistes en Italie, en Flandres, à Lyon ou à Paris. Elles retrouvent ici un lustre, sinon un éclat après une bien longue éclipse, comme dissipée par les apports de la Toile...

Sylvain Kerspern - Melun, le 29 juin 2021

BIBLIOGRAPHIE :
* Romano Alberti, Origine et progresso dell'Academia del dissegno de Pittori, Scultori, & Architetti di Roma, Pavia, 1604; p. p. 55, 66, (85).
* Carel van Mander, Le livre des peintres (Het schilder boeck), Haarlem; p. f°262r, f°295v; traduction, notes et commentaires par Henri Hymans, 1884-1885, t. II, p. 70, 301.
* Giovanni Baglione, Le vite de' pittori scultori et architetti dal Pontificato di Gregorio XIII des 1572 in fino a tempi di Papa Urbano Ottavo nel 1642, Roma, 1642; p. p. 332.
* André Félibien, Entretiens sur la vie et les ouvrages des plus excellens peintres..., Paris, 1666-1688, Entretien X; éd. Trévoux, 1725, t. IV, p. 406.
* (Claudine Bouzonnet Stella) «Testament et inventaire (...) de Claudine Bouzonnet Stella», publiés par J-J. Guiffrey, Nouvelles archives de l’Art Français, 1877, 1-118
* Filippo Baldinucci, Notizie de' professori del disegno da Cimabue in qua, Florence, 1681-1728; t. 5, 1702, p. 238).
* Pierre-Jean Mariette, Abecedario pittorico de P.-A. Orlandi et autres notes manuscrites, partiellement publiées par Montaiglon et Chennevières en 1852-1862 in Archives de l'art Français (pour Stella, t. V, 1858-1859, p. 255, 256, 259-260).
* Giovanna Sapori, « Van Mander e compagni in Umbria », Paragone, mai 1990, p. 10-98, notamment p. 28-34.
* Nicole Dacos, notice Congnet in cat. expo. Fiamminghi a Roma 1508-1608, Rome, 1995, p. 157.
* Giovanna Sapori, « Pittori Fiamminghi da Roma in Umbria », Bolletino d'arte, 1997, p. 77-92.
* Stefano de Mieri, « Wenzel Cobergher tra Napoli e Roma », Prospettiva, aprile 2012, p. 68-87.
Courriel : sylvainkerspern@gmail.com. - Sommaire concernant Stella - Table générale
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