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Sylvain Kerspern - «D’histoire & d’@rt»

Défi html#2, février 2015





Une Sainte famille au livre


inédite de


Sébastien Bourdon (1616-1671)





Mise en ligne le 23 février 2015

 Dans un paysage marqué par une colonne en ruine, la Vierge semble interpeler Joseph sur un passage des Saintes écritures, sous le regard amusé de l'Enfant, qui tient un petite croix annonciatrice de son destin.
Le peintre donne ici une version insolite d'un thème déjà peu fréquent : le Christ enfant enseignant ses parents. Il le fait avec un certain humour, autant par l'expression de Jésus que par les attitudes graduées de Marie, capable de comprendre et qui cherche à enseigner à son tour un Joseph apparemment perdu.

Cette graduation humaine est relayée par le décor de fond, aussi discret soit-il. La Sainte famille est apparemment installée au coeur de quelque édifice classique dont la colonne tronquée indique l’état de ruine : ainsi est suggéré le changement d’ère, et le puissant renouveau apporté par le Christ, qui vient renverser l’ordre ancien jusque dans ses édifices. Le recours au livre de Marie peut s’appuyer sur les textes bibliques susceptibles d’annoncer sa venue, référence à la portée de Joseph. La présence de la croix et le sourire de l’Enfant pourrait prolonger cette opposition entre deux époques, deux mondes, entre les écrits de la tradition juive et la parole et les actes, jusqu’au sacrifice, du Christ; il s’agit plutôt, dans la conception humaniste, de relier les uns aux autres pour faire du destin de Jésus un accomplissement, justifiant sa foi aussi bien que la recherche du beau idéal, essentiel au travail du peintre. Cette approche explique encore le contraste appuyé entre le faire lisse, « à la Reni » de Marie et de son fils et celui bosselé, accusant la vieillesse de Joseph.

Huile sur toile. 46 x 37
Gui Rochat, New York

Le style désigne clairement l'art de Sébastien Bourdon : le profil lourd de la Vierge, le visage triangulaire, aux traits aigus, de Joseph, celui poupin et blond, enfin, de Jésus sont caractéristiques de son oeuvre à sa maturité, au moment où il contribue au courant classique en s'inspirant notamment de Nicolas Poussin; la pose de l’Enfant est rigoureusement identique à celle que le peintre lui donne dans la Sainte famille avec saint Jean et sainte Elisabeth du musée Magnin de Dijon, parmi les permières oeuvres dans cette veine. L’amour des diagonales lui fait volontiers, comme ici, pencher ses personnages et, comme le ciel au voile de nuages gris, renvoie sans doute à son admiration pour Venise, et en particulier Veronese.

On peut rapprocher plus directement de notre peinture une gravure de Patigny d'après un tableau perdu de sa main, sur un thème voisin dans lequel le petit saint Jean-Baptiste prend la place de Joseph. Dans notre composition, la tête de ce dernier montre un beau repentir, argument supplémentaire du caractère autographe montrant Bourdon, artiste virtuose, au travail.

Le tableau est-il complet, ou coupé à cet endroit? La gravure, par son cadrage tout à fait comparable coupant le petit saint Jean sur la gauche et laissant un vide à droite, montre que semblable rupture, un tel décalage, sont en fait des procédés chers au peintre, balisant le parcours proposé au regard du spectateur. Ici saint Jean, là saint Joseph font irruption dans le cadre et relaient notre interrogation; Marie et le Christ enfant leur - et nous - répondent. L’estampe accentue la place de la mère, centrale, l’enfant, niché en demi-cercle au creux de ses bras, semblant méditer au spectacle de la petit croix de Jean-Baptiste. Le tableau, en installant les pieds de Jésus au centre des échanges, le remet subtilement au coeur de l’oraison muette proposée; mais son inclinaison suivant l’une des diagonales de l’éventail servant de trame aux personnages nous invite à lire en lui le recul, au propre comme au figuré, par rapport à son destin. Son vague sourire devant le dialogue de ses parents couronne sa fermeté d’âme.

La puissance des formes qui se dégage de notre Sainte famille, le drapé ferme et aux plis raides, géométriques, le coloris soutenu, conduisent à la situer assez tard dans sa carrière, après 1650, et plus précisément autour de 1660, alors qu’il est au sommet de sa gloire. Le style est, par exemple, voisin de la Charité romaine du musée de Bayeux (France). Par sa qualité picturale autant que le charme souriant de l’interprétation, la Sainte famille au Livre vient heureusement compléter l’oeuvre, si diverse, de Bourdon.

Sylvain Kerspern, Melun, le 2 février 2015

Ci-dessus : détail retouché pour retrouver les coloris originaux


Bourdon, Sainte famille avec saint Jean et sainte Elisabeth
Dijon, musée Magnin

Patigny d’après Bourdon, Vierge à l’Enfant et le petit saint Jean, gravure

Bourdon, Charité romaine, Bayeux, Musée
BIBLIOGRAPHIE :
Jacques Thuillier, Sébastien Bourdon, cat. expo. Montpellier-Strasbourg, 2000-2001
David Mandrella, « Quelques nouveautés concernant Sébastien Bourdon », La tribune de l’art, mise en ligne février 2007
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