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Sylvain Kerspern - «D’histoire & d’@rt»

Défi html#6, juin 2015

En souvenir de Sylvie Béguin



Deux candidats pour la production privée

d'Ambroise Dubois.


Mise en ligne le 15 juin 2015

Le cas d'Ambroise Dubois est assez singulier. En peinture, on ne le connaît que pour sa participation aux décors royaux, dont l'essentiel pour le château de Fontainebleau. Sa contribution à celui du Louvre est documentée, mais rien n'en subsiste. Les dessins laissent croire à d'autres entreprises, romanesques ou renvoyant à la thématique des Femmes fortes, ce qui peut d'ailleurs se rattacher aussi à la couronne de France, au moment de la régence de Marie de Médicis dont il était le peintre favori. Ces témoignages sont tous tardifs, ce qui donne décidément de l'artiste une idée bien partielle. Voici deux exemples que je crois inédits qui ouvrent des perspectives renouvelant au moins la compréhension de sa place dans l'art au temps d'Henri IV et de Marie de Médicis.
1. L'Annonciation du Musée des Arts Décoratifs.
C'est parmi les anonymes italiens qu'a été inventoriée une Annonciation dont le travail à la pierre noire et à l'encre, ainsi que la typologie féminine renvoie sans le moindre doute à Ambroise Dubois.

Aux contours nets du crayon et de la plume s'associent les variations d'intensité du lavis et des rehauts, révélatrices d'une attention à la lumière et à la définition qu'elle donne aux volumes, que son art de peindre laisse éclater. Les ports de tête, profil fin et rond ou visage incliné sur le côté et vers l'arrière, le drapé bouffant autour des jambes de la Vierge, la construction sinueuse du corps de Gabriel, jusqu'au petit vase pansu et à l'assiette étroite, tout cela appartient à ses usages, à son vocabulaire, pleinement maniériste.

Toutefois, il faut noter le calme de la scène, la solennité tranquille de l'avancée de l'ange, à quoi répond le léger recul de la Vierge, un peu surprise par cette irruption mais dont les mains jointes témoignent de sa soumission finale. Ce ton traduit, par-delà les codes de la maniera, une recherche d'équilibre et de monumentalité, particulièrement incarnée par Gabriel, qui tient autant à l'évolution du peintre qu'à sa contribution au goût français.

Attribué ici à Ambroise Dubois
Annonciation.
Pierre noire, plume et encre brune,
rehauts de blanc
37 x 27,3 cm.
Paris, Musée des Arts Décoratifs

Pour être tout à fait honnête, l'évolution d'Ambroise Dubois pose problème. Pour l'heure, on ne connaît rien de sa production avant son travail au service d'Henri IV. Si l'on se fie à la date de naissance qui lui est donnée (1543), il avait alors la cinquantaine. L'autoportrait qu'il laisse autour de 1610 dans le décor bellifontain, visage osseux, cheveux blancs, joues creuses et rides sensibles, tendrait à confirmer cette date, ou peu s'en faut, en lui donnant au moins dix ans de plus. En sorte que ce qui est conservé court sur moins de deux décennies, jusqu'à sa mort en 1614. Tirer une évolution sur des éléments par ailleurs assez approximativement datés demeure donc du domaine de l'hypothèse; il faut tout de même prendre le risque.

Ambroise Dubois,
autoportrait inséré dans
Théagène reçoit le flambeau des mains de Chariclée
vers 1610.
Fontainebleau, Château

Un tableau, Gabrielle d'Estrées en Diane (entre 1594 et 1599), trois chantiers, la galerie de Diane (vers 1600-1605, dont La France ci-contre) et les deux cycles romanesques (épisodes de la Jérusalem délivrée, 1603-1606 ca.; histoire de Théagène et Chariclée, vers 1610) dessinent le passage depuis un style dynamique, élancé, aux compositions éclatées, à un langage basé sur l'arabesque pour régler les dispositions, donnant une plus grande densité aux personnages, au bénéfice d'une narration intériorisée.

Gabrielle en Diane, toile, 139 x 100cm. Fontainebleau

La France, toile, 233 x 153. Fontainebleau


Dans ce processus, l'Annonciation ne peut être rattachée aux ouvrages les plus anciens mais il est sans doute encore trop tôt pour trancher entre les deux autres phases : une situation dans les dix dernières années de sa vie est assurée, préciser plus serait audacieux. On notera des rapprochements plus nets avec La rencontre de Tancrède et Clorinde à la Fontaine (vers 1605) qu'avec les feuilles pour le cycle de Théagène et Chariclée, comme L'embarquement de cette dernière (vers 1610), qui peut suggérer une datation approximative entre 1605 et 1609.

L'embarquement de Chariclée, dessin.
Bibliothèque Nationale de France, vers 1609-1610.



La rencontre de Tancrède et Clorinde à la Fontaine, toile, 161 x 252cm.
Fontainebleau, vers 1603-1606
A ma connaissance, le sujet ne renvoie à aucune commande particulière citée par les sources. On se doute bien que Dubois n'aura pas passé tout son temps, malgré l'ampleur de certains décors, au service du roi ou de Marie de Médicis, pendant ces vingt ans. La protection royale, comme souvent, dût susciter des opportunités privées de grands seigneurs, pour des oratoires, des couvents et autres édifices religieux. Notre Annonciation ouvre apparemment ce chapitre dans le catalogue de son oeuvre. Il faut y ajouter un tableau.
2. Un sujet de dévotion.
Le musée de Cherbourg a reçu de Thomas Henry une Vierge à l'Enfant et des anges qui est cataloguée comme de Hans Rottenhammer (1564-1625). Son style n'a pas la rondeur menue de ce peintre et en la découvrant sur la base du ministère de la Culture, j'ai aussitôt songé à Ambroise Dubois.
Notre tableau partage avec ses oeuvres les plus sûres sa palette, avec ses ombres profondes, un bleu et un vert caractéristiques pour les drapés, l'importance des couleurs secondaires, les carnations, et ses types physiques dont les têtes rondes au nez fort et plongeant, au front important. La disposition rappelle ses nombreuses figures féminines, Allégorie sur le mariage d'Henri IV et Marie de Médicis, Flore, La peinture et la sculpture (Fontainebleau), Psyché...


Allégorie sur le mariage d'Henri IV et Marie de Médicis. Toile, 148 x 140 cm.
Fontainebleau, château. Vers 1601?

Elle plonge aussi dans la tradition propre au château royal et aux collections qu'il renfermait encore : Vierge et autres Sainte famille de Léonard, Raphaël et surtout Andrea del Sarto. Il reprend ici le thème illustré par deux fois par ce dernier pour François 1er de la Vierge aux anges (dont au Louvre le panneau rectangulaire ci-contre). La filiation typologique pour les enfants n'en est que plus flagrante et témoigne du fait que si Ambroise Dubois a des origines flamandes, il avait complètement assimilé la culture bellifontaine.

Attribué ici à Ambroise Dubois, Vierge à l'Enfant et des anges.
Cuivre, 28,8 x 21,8 cm. Cherbourg, musée Thomas Henry.

Andrea del Sarto, Vierge aux anges, 1518. Louvre.
Avec cette peinture de petit format s'ouvre sans doute un pan de sa production, destiné à la dévotion privée. Etant données les références fortes aux modèles de la collection royale, on peut penser que le commanditaire gravitait dans le milieu courtisan d'Henri IV. Il s'agit toutefois de références formelles, car le traitement du thème est tout différent.
En effet, le modèle de Sarto (ci-contre) présentait saint Jean-Baptiste confrontant Jésus à son destin tragique, indiquant sa mission divine par son geste; leurs mères respectives réagissent de manière songeuse, tandis que le peintre cultive le mimétisme entre les anges et les deux enfants dans leurs expressions, au point que les anges en semblent l'incarnation - paradoxale. Le Christ ne semble en rien rassuré...

Dubois fait des anges de simples assistants susceptibles d'allusions à d'autres épisodes les associant traditionnellement au Christ, depuis ceux de l'Enfance jusqu'à la confrontation au Jardin des Oliviers, en passant par leur rôle de serviteur au désert, après la tentation. Ce dernier épisode, en particulier, semble privilégié par le plat de fruits qu'ils tendent à l'Enfant, lequel interpelle le spectateur du regard, marquant sa tranquille assurance devant ce qui l'attend.
Si le jeu des formes (celle dite amphore, par exemple) renvoie encore au maniérisme par le vocabulaire, il s'agit d'un maniérisme assagi, réformé, répondant aux injonctions du Concile de Trente. D'un sujet renvoyant, par la symbolique des fruits annonciateurs de son sacrifice, à la souffrance du Christ sur la croix, Dubois fait son triomphe sur la mort. Ainsi, à nouveau, il apparaît comme un maillon essentiel entre maniérisme et classicisme en France.

S.K., Melun, juin 2015

BIBLIOGRAPHIE :
- Sylvain Kerspern in catalogue d'exposition Marie de Médicis, un gouvernement par les arts, Blois, 2003, p. 140-143, 145-151.
- Catalogue de l'exposition Henri IV à Fontainebleau, un temps de splendeur, Fontainebleau, 2010.
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