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Sylvain Kerspern


À propos du Grand Cabinet de la Reine

du Louvre au temps de Marie de Médicis.



I. Le décor tiré de la Jérusalem délivrée



Mise en ligne le 16 novembre 2021

Progressivement, le partage des mains travaillant pour Henri IV et Marie de Médicis se précise. J'ai contribué, sur ce site, à éclaircir le travail de celles de Nicolas Baullery, de Jacob Bunel, d'Ambroise Dubois, et peut-être de Jacques Quesnel. J'ai, coup sur coup, identifié deux peintures incontestables de Guillaume Dumée passées sur le marché d'art. Ces différents travaux me permettent aujourd'hui de revenir sur les artistes actifs sur l'un des chantiers importants de la régence de Marie de Médicis, l'aménagement du Grand Cabinet de la Reine(-Mère) au Louvre, vers 1613-1614. Un premier volet concerne les ouvrages tirés du roman du Tasse.
L'identification des mains pour les dessins qui sont rattachés à ce décor a bénéficié des travaux de Louis Dimier, Sylvie Béguin, Dominique Cordellier et Cécile Scailliérez. J'ai longtemps trouvé convaincantes les conclusions de cette dernière particularisant les styles de Guillaume Dumée et de Gabriel Honnet. Mes recherches sur Jacob Bunel m'ont amené à reprendre les mentions anciennes, surtout celle de Félibien.

Il n'y a pas lieu de remettre en cause l'identification du dessin donné à Dumée par une annotation ancienne et du tableau correspondant que je lui ai attribué lors de son passage en vente, avec toutes ses variantes (ci-contre). Je reviendrai sur le cas de l'artiste dans un second temps.
Guillaume Dumée,
Olinde et Sophronie délivrés du bûcher, 1613-1614.
Pierre noire, plume, encre brune, lavis brun et d'encre de Chine et rehauts de blanc, 26 x 33,7 cm.
Ensba
Guillaume Dumée,
Olinde et Sophronie délivrés du bûcher, 1613-1614.
Huile sur toile, 114,5 x 99 cm.
Coll. part.
On ne peut pas plus contester la lecture d'un autre dessin de l'École Nationale Supérieure des Beaux-Arts de Paris (ci-dessous), et l'attribution qui en découle à Gabriel Honnet selon le texte de Félibien :
Honnet fit trois tableaux pour estre posez au Louvre dans le grand cabinet de la Reyne, où estoient representez trois sujets tirez de la Jerusalem du Tasse. (...)Dans le troisième Sophronie, qui pour sauver les Chrestiens que ce Roy vouloit faire mourir, s'accuse d'avoir osté l'image du lieu où Aladin l'avoit transportée.
La main posée sur la poitrine de la jeune femme explicite son auto-accusation pour sauver les Chrétiens que le roi voulait faire mourir au prétexte de ce forfait. Face à elle, Aladin est représenté tête appuyée sur son coude, genoux croisés en une attitude exprimant le doute. L'artiste appuie encore sa duplicité en plaçant sa tête dans l'ombre. On ne peut donc que souscrire à la proposition de Cécile Scailliérez rectifiant Louis Dimier (1905) qui avait fait le rapprochement avec le décor pour Marie de Médicis pour un dessin du Louvre qu'il faut maintenant étudier.

On y reconnaît (ci-contre plus bas) Aladin et son turban, commun au dessin dans lequel il reçoit et écoute Sophronie. Sa pose élégante n'en traduit pas moins l'autorité donnant un ordre. La jeune femme devant lui détourne son regard en direction du spectateur et, mains ramenées dans le dos, est saisie par les soldats. Se penchant à ses côtés une jeune personne (nue?) sans casque peut-elle être aussi un homme d'armes? Au tout premier plan à dextre, un homme est appuyé sur son écu, la main sur le pommeau de son épée. La scène peut-elle, finalement, correspondre à la capture de Sophronie alors qu'elle était venue se livrer? Et par le même artiste l'ayant montrée qui se dénonce? Iconographiquement, on ne peut expliquer les différences manifestes de vêtement de la jeune chrétienne, même dépouillée de son manteau, ou du décor. Techniquement, les deux feuilles me semblent finalement différentes.

La feuille de l'Ensba propose un usage très pittoresque du lavis, instaurant une trouée de lumière focalisée sur le face à face entre le sultan et la jeune femme. Celle du Louvre l'emploie pour simplement moduler les ombres, laissant au papier et aux rehauts blancs le soin d'indiquer l'éclairage. Dans la première, un trait fin et lâche cerne et fouille figures, décor et drapés, notamment au tout premier plan. Il est plus sobre dans la seconde, indiquant principalement le décor et le contour de certains personnages. L'état d'esprit présidant aux compositions tranche pareillement. Le point de vue légèrement da sotto in sù de la Sophronie installe deux obliques depuis le bas au centre, couplées à une forme ovale sur laquelle s'alignent les têtes des personnages les mieux définies. Sur cette trame, les figures se déploient selon des contrapposti accusés dont l'association, pour les deux soldats à dextre, produit un effet hélicoïdal ascensionnel participant de dispositions mouvementées, en contraste avec celle fermement campée de l'héroïne, manifestation de son assurance.
Gabriel Honnet,
Sophronie s'accuse devant Aladin, 1613-1614.
Pierre noire, lavis brun et rehauts de blanc, 24,4 x 31 cm.
Ensba
« Atelier du Grand Cabinet de la Reine(-Mère) »,
Aladin prononçant une condamnation, 1613-1614.
Pierre noire, lavis brun, traits à la plume et encre brune, et rehauts de blanc, 25,9 x 28,9 cm.
Louvre
L'autre dessin nous situe plus ou moins de plain-pied avec la scène. Le choix de dispositions en frise prévaut, favorisant une lecture narrative plutôt que décorative. Soit dit en passant, ce choix nous écarte autant d'Honnet, ou de Fréminet que Cécile Scailliérez rapproche judicieusement de celui-ci, que d'un Ambroise Dubois dont le nom a été brièvement rattaché à notre feuille. Le style graphique de Dumée, sur lequel j'aurais à revenir, est encore différent, ne présentant pas, à ce jour, d'exemple incontestable d'une telle propreté. On pourrait en venir à douter qu'il relève de la commande de la régente. Il peut être utile de reprendre les indications de Félibien, qui n'est pas tout à fait clair, d'ailleurs, et en suivant, comme Cécile Scailliérez, le fil de l'histoire.
Le premier sujet est traité par Honnet, cité d'abord par l'historiographe, Le magicien Ismène persuadant Aladin de voler la statue des Chrétiens (Chant II, 3-6); puis, du même, Aladin volant la statue (II, 7). Viennent ensuite Ismène pratiquant ses enchantements sur la statue (II, 7) et Aladin commandant de faire mourir les Chrétiens (II, 11) (après la disparition de la statue) de Jacob Bunel. Le sujet suivant selon Félibien est Sophronie s'accusant du vol (II, 21) mais il en confie la responsabilité à Honnet, puis à Ambroise Dubois. La très grande vraisemblance de l'identification du dessin de ce sujet dans les collections de l'École des Beaux-Arts conduit à penser qu'il fait erreur à propos de Dubois. Ce dernier pourrait avoir plutôt traité le sujet montrant Sophronie saisie sur ordre du roi et on connaît un dessin plus convaincant que l'historienne d'art situait en 1989 dans une collection particulière britannique (ci-contre). Dubois réalise encore Olinde s'accuse du vol (II, 28). Enfin, Guillaume Dumée est chargé de L'arrivée de Clorinde (II, 38), Clorinde rencontre Aladin (II, 45-51) pour négocier la libération des condamnés et Olinde et Sophronie délivrés du bûcher (II, 52-53). Ainsi présenté l'ordre des sujets, on s'aperçoit qu'à l'exception du troisième Honnet - le sujet connu par ledit dessin de l'Ensba -, il respecte la répartition entre artistes, faisant succéder à celui-ci Bunel, Dubois et Dumée.
Doit-on remettre en cause le lien du dessin du Louvre avec le décor du Grand Cabinet de la Reine(-Mère)? Je ne le crois pas, notamment en raison du format de la feuille et de son iconographie qui semble bien à rattacher au chant II du roman du Tasse. Le geste ordonnateur du roi associé aux réactions qu'il suscite - une jeune femme saisie, un soldat la main sur l'épée - laisse ouverte la possibilité d'une identification avec le sujet montrant Aladin commandant de faire mourir les Chrétiens; et au fond, comment un artiste aurait-il pu représenter ce sujet autrement qu'en confrontant la condamnation et son exécution? Ce qui inviterait à y voir la main de Jacob Bunel au travail, nom déjà pressenti par défaut sur la base du style graphique.
« Atelier du Grand Cabinet de la Reine(-Mère) » - Ici attribué à Jacob Bunel,
Aladin prononçant une condamnation, 1613-1614.
Pierre noire, lavis brun, traits à la plume et encre brune, et rehauts de blanc. 25,9 x 28,9 cm.
Louvre
Jacob Bunel,
Portrait d'Henri IV, vers 1608.
Pierre noire, lavis brun, plume et encre brune et rehauts de blanc. 40,7 x 29,8 cm.
Louvre
Que nous dit la comparaison avec un dessin sûr et d'intention proche, la préparation pour le Portrait d'Henri IV destiné à la Petite Galerie du Louvre? Si la similitude de pose entre les deux rois n'est pas à négliger puisqu'elle participe d'une certaine franchise élégante, elle est moins déterminante que le travail de la main. De ce point de vue, il faut noter le traitement commun du clair-obscur dans le recours au lavis et aux rehauts blancs, et le souci de cerner les formes d'un trait appuyé, deux points qui font le départ du dessin sûr d'Honnet. De même le drapé et la restitution des matières sont-ils attentifs, donnant ici ou là des indications de motifs ou de textures différenciées.

Je crois judicieux d'en rapprocher également une peinture réapparue récemment, le Concert signé - et sa réplique avec variantes : on y voit le parti de dispositions jouant des inclinaisons du corps ou de la tête pour instaurer un rythme en frise, sur lequel vient encore jouer l'alternance d'ombre et de lumière. On rapprochera la jeune chanteuse de face et ses deux voisins de la prisonnière et des deux hommes qui l'encadrent.
Jacob Bunel,
Concert galant.
Huile sur toile. 118 x 93,5 cm.
Localisation actuelle inconnue
« Atelier du Grand Cabinet de la Reine(-Mère) » - Ici attribué à Jacob Bunel,
Aladin prononçant une condamnation, 1613-1614.
Pierre noire, lavis brun, traits à la plume et encre brune, et rehauts de blanc.
25,9 x 28,9 cm.
Louvre
Ici attribué à Jacob Bunel,
Chariclée reconnue par ses parents.
Huile sur toile. 110 x 117 cm.
Rennes, Musée des Beaux-Arts
Je propose de leur associer un autre tableau acquis plus récemment encore par le Musée des Beaux-Arts de Rennes, tiré d'un autre roman en vogue à la cour de Marie de Médicis : Chariclée reconnue par ses parents. Il fait en quelque sorte le trait d'union entre le dessin du Louvre, par le traitement du drapé mêlant habits près du corps et volutes, qui a pu faire songer à Ambroise Dubois, ou le parti présentant le jeune homme vu de desssus, penché en avant, et le Concert, pour le même détail, le coloris et ses carnations variées, certaines presque rousses - influence de Rosso commune audit Dubois? -, certains types physiques, le traitement des mains et le goût pour les tissus à motifs.

Tout comme Cécile Scailliérez admettait en 1989 le caractère audacieux de sa proposition d'attribuer la feuille du Louvre à Gabriel Honnet, prudence partagée en 2014 par Dominique Cordellier, j'ai pleine conscience du caractère encore fragile de ces rapprochements, qui demandent à être étayés par d'autres éléments de comparaison. En attendant, et dans l'espoir de susciter d'autres réapparitions telles que celles des peintures de Dumée et du tableau de Rennes, je les crois suffisamment pertinents pour les soumettre dans l'intention de dissiper toujours plus les brumes accumulées sur cette période de fermentation de l'art français. La même intention m'incite à aborder, dans un deuxième temps, le complément de portraits de famille du décor de ce même cabinet.

À suivre

Bibliographie :
- André Félibien, Entretiens sur la vie et les ouvrages des plus excellens peintres ..., Paris, t. III, 1679, p. 136-137
- Louis Dimier, « Les origines de la peinture française », in Les arts, 1905, p. 26
- Sylvie Béguin, « Guillaume Dumée, disciple de Dubreuil », in Studies in Renaissance and Baroque Art presented to Anthony Blunt, Londres-New York 1967, p. 91-97
- Cécile Scailliérez, « Le Grand Cabinet de la Reine au Louvre : la part de Gabriel Honnet et de Guillaume Dumée », in La Revue du Louvre et des Musées de France, n°3, 1989, p. 156-163
- Emmanuelle Brugerolles, Le dessin en France au XVIè siècle. Dessins et miniatures de l’École des Beaux-Arts, catalogue d’exposition Paris-Cambridge-New York, 1994-1995, n°86 et 87, p. 268-273.
- Galerie Jacques Leegenhoek in catalogue Paris-tableau, Paris, 2013, p. 76-77 (dernière consultation du lien, 7 novembre 2021)
- Dominique Cordellier, notice 6 « Attribué à Gabriel Honnet », in Dessins français du XVIIe siècle : Inventaire de la collection de la Réserve du département des Estampes et de la Photographie, Paris, 2014, p. 34
- Didier Rykner, « Un tableau de l'entourage d'Ambroise Dubois pour le Musée des Beaux-Arts de Rennes » , site de La tribune de l'art, mise en ligne 25 avril 2019
- Sylvain Kerspern, « Revoir Jacob Bunel » , Dhistoire-et-dart.com, mise en ligne 3 juin 2020
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