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Attribuer
Sylvain Kerspern


Une Circoncision

pour François Quesnel



Mise en ligne en mars 2005

Iconographie et traitement.

Cette peinture représente la Circoncision, rite par lequel l’enfant Jésus s’inscrit dans la tradition juive. Il est accompli sur un autel, entre deux chandeliers, et sous un dais, Marie et Joseph, ses parents, étant agenouillés au pied du gradin de pierre dudit autel.

La scène se passe dans un édifice voûté en ogive soutenu par des colonnes de marbre, reliées entre elles par des poutres très ornées dotées de nombreux chandeliers. La perspective, rigoureuse et démonstrative, conduit le regard vers une cour dallée puis un second édifice plus lumineux, dotée d’un autel et de stalles, sanctuaire jumeau qui pourrait suggérer l’Église héritière du Temple judaïque.

La circoncision
Huile sur cuivre, 23,9 X 19,1
Localisation inconnue
(naguère à la galerie Claude Vittet).

Le style.
Cette peinture sur cuivre peut être caractérisée stylistiquement par quatre constats. Le peintre emploie une perspective rigoureuse, secondée par un sens du volume et du relief, aiguisée par la lumière. Son coloris est acide et clair, avec du vert olive, un rose “sale”, un jaune éclatant, du violine, de l’orangé, etc., soit la palette maniériste. Il dispose des personnages au canon allongé et à l’allure aristocratique, au visage également long, front important et mention pointu, à la barbe de même forme pour les hommes qui en sont dotés; leurs mains sont fines et élégantes. Il se sert d’un drapé cohérent, souvent près du corps, révélant les formes et les mouvements.

Ces éléments qui s’imposent d’emblée appellent un certain nombre de nuances. La rigueur géométrique s’accompagne d’un répertoire architectural gothique, qui situe l’oeuvre dans le Nord de l’Europe, de même que l’élégance raffinée des motifs ornementaux qui la parsèment. Le bâtiment a quelque chose d’une fabrique, par son aspect décoratif et le caractère frêle de ce qui le constitue. Malgré la vigueur qui sous-tend les poses des personnages, et l’élan de celui qui s’avance, dans l’angle inférieur droit, en montrant l’autel, une grande solennité, un silence obséquieux semble observé. Enfin le coloris est soigneusement disposé. Deux tâches de vert au premier plan (dont l’une pour la robe de l’homme dont il vient d’être question) font écho au tapis de l’autel et au dais, lieu principal de la scène. Le jaune acide, couleur de la robe de Joseph, n’est par ailleurs utilisé que pour les officiants (celui tenant la corbeille proposant d’ailleurs exactement la même association colorée que celle du père de Jésus, simplement inversée).
Premières conclusions pour une attribution.

L’auteur peut d’ores et déjà être situé dans l’Europe du Nord, au sens large, c’est-à-dire l’espace Franco-Flamand, à l’époque maniériste. Des attributions avaient été faites à Wolf Haveman (Cassel-Hesse fin XVIè siècle), artiste très mal connu, ou à l’École du nord de la France, qui entérinent ce constat tout en avouant à demi-mot un embarras certain.
Il se montre savant tant dans l’art de la perspective que dans la disposition significative du coloris. Celui-ci me semble appartenir à l’art bellifontain, celui des Dubois(Allégorie des arts du dessin, Fontainebleau, château), Bunel (Portrait d’Henri IV en Mars, Pau, château), Baullery (voir sa contribution au décor de Saint-Germain entrepris par Dubreuil, aujourd’hui au Louvre, étudiée ici), entre autres. Le canon, l’élégance architecturale et ornementale conduit à envisager de remonter du temps d’Henri IV à celui d’Henri III, au temps de Caron. Un nom peut-être avancé : François Quesnel.

Qui est François Quesnel?
Fils de Pierre, également peintre, né à Edimbourg en 1543 parce que son père travaillait pour la cour royale d’Écosse, François fait tout sa carrière en France, où il est mentionné dans les Comptes royaux à compter de 1571. Il est principalement connu comme portraitiste, dans la tradition des crayons des Clouet et en parallèle à une autre dynastie française, les Dumonstier (B.N.F.), et par quelques peintures attribuées sans certitude (ex.: Portrait d’un couple, Louvre). Toutefois, des documents en font un peintre d’histoire recherché.
Artiste très apprécié d’Henri III selon l’abbé de Marolles, il a fourni des cartons sur des sujets religieux pour la tapisserie (marchés de 1585 et 1586 conservés aux Archives Nationales publiés par Catherine Grodecki). Sa faveur ne semble pas s’éteindre sous Henri IV, qu’il représente avec sa famille en 1602, par exemple. En 1610 encore, il représente trois scènes du sacre de Louis XIII qui eut lieu le 17 octobre à Reims, gravées par Firens (cf. exemplaire de la BnF) et Thomas de Leu (ci-contre). Maître de Pierre Brebiette vers ce temps, il meurt quelques années plus tard, en 1616.
Insertion de la Circoncision dans l’œuvre de François Quesnel.

Les gravures du sacre de 1610 montrent à la fois la maîtrise de la perspective architectural et un repertoire de types physiologiques sensibles dans notre Circoncision. Les personnages, élancés, les attitudes élégantes et posées, les visages longs aux traits fin et plutôt anguleux, le drapé discret et naturel sont autant de points communs.
Les traits sont plus marqués en 1610, et les formes ont pris de la densité, mais le style demeure d’une élégance toute aristocratique. La gravure de Thomas de Leu a également été mise en rapport par Emmanuelle Brugerolles avec un dessin de l’École Nationale Supérieure des Beaux-Arts de Paris représentant trois épisodes de l’enfance d’un saint (détail ci-contre). Mis au carreau, il pourrait avoir préparé une tapisserie. Sur le plan du style, il présente le même type de rapport avec les estampes de 1610, et de fait, les rapprochements avec la Circoncision sont nets.

On y retrouve, outre le dais, l’attention à l’ornement, le goût des foules soigneusement groupées, les personnages aux formes allongées, les types physiques tel celui de l’homme d’âge mûr ou avancé à la barbe pointue, les traits fins, des indications de coiffures différenciées, et notamment la houpette (ci-contre, le personnage accoudé à la base de la colonne à droite dans la feuille, celui s’avançant à droite dans la Circoncision, celui à l’avant-plan au centre dans l’estampe de Thomas de Leu), etc.




Comme l'écrit Emmanuelle Brugerolles, les différences qui apparaissent avec les gravures de 1610 incitent à une datation nettement antérieure du dessin, corroboré par les détails de vêtement qu’elle souligne, incitant à remonter à l’époque d’Henri III. Ce qu’il faut certainement faire pour notre petit cuivre, beaucoup plus proche de la feuille de l’École des Beaux-Arts que des susdites gravures.
Une remarque en passant : la feuille de l’Ensba a porté une attribution à Pierre Quesnel, lequel est représenté dans le même catalogue d’Emmanuelle Brugerolles (au n° précédent) par une composition architecturale. On saisit là l’origine de l’attention à cette technique, et du sens qu’il peut ainsi donner à sa production. De même peut-on percevoir le parcours de Quesnel, depuis Jean Cousin jusqu’à Dubois, Bunel ou Baullery et en parallèle avec les Dumonstier ou Caron.
Quoiqu’il en soit, il y a suffisamment d’arguments pour attribuer la Circoncision à François Quesnel, et ce avec fermeté. Ainsi est retrouvée une première peinture religieuse (et même d’histoire) de l’artiste, dont l’intérêt tient aussi à ce qu’elle témoigne non de la période la mieux documentée de l’artiste, mais vraisemblablement, de celle de sa première gloire, au temps d’Henri III. Et parce qu’il s’agit d’une peinture d’histoire, elle lui redonne, pour ainsi dire, de la couleur...

Sylvain Kerspern, 2005

Bibliographie.

Emmanuelle Brugerolles, Le dessin en France au XVIè siècle. Dessins et miniatures de l’École des Beaux-Arts, catalogue d’exposition Paris-Cambridge-New York, 1994-1995, n°68 et 69, p. 210-215.
Courriel : sylvainkerspern@gmail.fr.
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