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Sylvain Kerspern - «D’histoire & d’@rt»



L'étude critique des images appliquée aux
vedute.

Israël Silvestre, regards sur Vaux


Mise en ligne le 16 octobre 2017


Israël Silvestre Vue du parterre des fleurs.
Pierre noire, plume et lavis. 33,8 x 51 cm.
Louvre, Cabinet des dessins, Inv. 33024

“C’était aussi cette maison magnifique, avec ses accompagnements et ses jardins, lesquels Silvestre m’avait montrés, et que ma mémoire conservait avec un grand soin, comme étant les plus précieuses pièces de son trésor.”

La Fontaine, Le songe de Vaux

Jean de la Fontaine attachait un grand prix aux estampes qu’Israël Silvestre avait consacrées à Vaux-le-Vicomte. S’il écrivit à sa femme le 12 septembre 1663 : “je n’ai rien dit de Vaux que sur des mémoires”, cet aveu répondait à l’ignorance en matière d’architecture dont il venait de témoigner pour Richelieu et ne concerne que le château proprement dit. L’usage fait par la suite et jusqu’à ce jour de cette remarquable documentation iconographique a été fort variable. Il est vrai qu’elle pose un certain nombre de questions pouvant mettre en doute sa valeur documentaire. Différentes archives apportent des éléments de réponses afin d’en mieux juger, et de proposer une chronologie fine pour leur réalisation. Le graveur devient alors un guide des jardins... de premier plan * .

*. La première version de cette étude remonte à plus de vingt ans - sa parution est espérée dans l'article sur les termes de Poussin pour Vaux inséré dans les actes de colloque Nicolas Poussin de 1994! Différents projets éditoriaux susceptibles de lui donner le jour ayant fait long feu, l'opportunité récente d'une présentation à Vaux même de sa teneur m'a convaincu de la publier enfin sur ce site.
Dater l’entreprise de Silvestre
Étant donné le caractère inachevé de Vaux, la première interrogation qui vient à l’esprit à propos de l’ouvrage de Silvestre concerne sa situation chronologique par rapport à son modèle : sont-ils contemporains? Les gravures ont-elles plutôt été réalisées après coup? La question, longtemps demeurée en suspens, est en fait résolue par la lecture du journal de voyage de Christian Huyghens à Paris en 1660-1661, dans lequel il écrit, le 16 décembre 1660 : “Vu Israël Silvestre qui me montra ses desseins et planches de Veau”1 . Il avait donc bien entrepris ses dessins et leurs traductions avant la disgrâce de Nicolas Foucquet.
1. Henri Brugmans, Le séjour de Christian Huyghens à Paris, 1935, p. 137.
La mention dans le journal du savant amène à s’interroger sur l’avancée du travail de Silvestre, et ce qu’il pouvait transcrire. L’évocation de “desseins” apparemment distincts des planches implique que l’artiste en est déjà au stade de la gravure, et par conséquent, qu’une grande partie du jardin est, sinon achevée, du moins largement en cours de réalisation à cette date. De fait, l’exceptionnelle ampleur de la couverture de Vaux par les estampes de Silvestre désigne une entreprise cohérente qui n’a guère d’équivalent que dans celle légèrement antérieure du même artiste montrant Liancourt.

L’examen de sa traduction du château donne la mesure de son ambition et de ses enjeux. Si l’on regarde attentivement l’édifice, on s’aperçoit que sa représentation gravée tient compte des modifications intervenues en cours d’érection : l’artiste ne s’est donc pas servi de documents antérieurs à celle-ci, telles les élévations de Le Vau conservées au château, mais s’est bien rendu à Vaux pour faire un relevé de l’architecture achevée. Nous verrons qu’il est même possible de situer précisément quand. Étendre cette analyse à l’ensemble devrait permettre d’évoquer avec exactitude les jardins de Vaux tels qu’ils furent conçus pour Foucquet.

Il faut, pour cela, garder à l’esprit quelques repères donnés par les documents, certains étant inédits. Des « limosins de la Marche » meurent sur le chantier, selon les relevés des actes de catholicité de la paroisse de Moisenay (sous-exploités jusqu’alors), dès 16532 ; des jardiniers en 1653-1654 selon ceux de Maincy 3 ; le 10 septembre 1654, Jean Paccolet, « pauvre homme mmanoeuvre travaillant au chasteau de Vaux-le-Vicomte (... qui) demeuroit depuis quelque temps en ceste paroisse (...) a esté misérablement tué sous une ruine de terre audit chasteau »; le 22 juin, c’est un garçon fontainier « apporté deVaux-le-Vicomte » qui est inhumé à Moisenay4 . Terrassement, installation du réseau des fontaines et jardins sont apparemment menés de front, ainsi que les fondations du château. Le 15 juillet 1655, Jean de Longchamps, présents dans les registres paroissiaux de Maincy et Moisenay dès octobre 1653, passe marché pour Foucquet auprès de Nicolas Hersant, laboureur, et Philippe de La Marre, marchand potier, pour 1000 toises de tuyaux de différents diamètre (600 de 6 pouces, 200 de 4, 200 de 3), à livrer au port Saint-Paul, soit le port parisien desservant Melun, donc Vaux5 .
2. Arch. Dép. 77, 6E 313/1, 20 janvier et 28 décembre.
3. Arch. Dép. 77, 5Mi 2094, 22 mars 1653, 22 juin 1654.
4. Arch. Dép. 77, 6E 313/1.
5. Arch. nat., M.C., LI, 538.
En août 1656 sont passés les marchés pour la construction du château, dont les fondations sont faites. Les archives d’Ormesson6 situent en 1657 la réalisation de la Grande Cascade, et en 1658, « l’avenue, le pont, le desservoir et acqueduc » , la fouille du canal et son « revestement », et les plombs. Le 6 novembre 1656 est fait un arpentage « au-delà de la demie-lune », repris en septembre 16587 . Les archives du château renferment encore dans les pièces de la Justice de Vaux la mention le 4 février 1658 de Claude Robillard, garçon fontainier de 23 ans, dans une information faisant état d’un « fossé proche de la Poesle »; et le 9 août 1658 d’une pièce de « bois taillis et plants en ormeaux et autres bois âgés de 4 ou 5 ans ». En avril 1659 sont passés les premiers marchés pour le décor intérieur du château, en même temps que ceux pour les sculptures de certaines fontaines, notamment la Grille d’eau et la Grotte7 . Les sculptures d’Anguier ornant les deux façades sont installées la même année.
6. Arch. Nat., 156Mi 25.
7. Arch. Vaux-le-Vicomte.
Les jardins de Foucquet et leur évolution vus par Silvestre. Approche du projet de Le Nostre (1652-1657)
Avant tout, il convient de préciser que la présente étude ne s’applique qu’aux gravures dont Silvestre est le véritable responsable. Dès que Pérelle s’empare des relevés de son maître, le résultat devient suspect. Qu'on en juge par le dessin préparatoire pour la Vue du Chasteau de Vaux-le-Vicomte du côté de l’Entrée (au Louvre). Outre la disparition de la basse-cour côté Maincy (apparemment entreprise après celle vers Moisenay), l’illusion escamotant le canal et les grandes cascades du fond du jardin pour faire de l'arpent d'eau le bassin des grottes transforme les allées du fond du jardin, traversant de manière fautive, sans interruption : Pérelle aura travaillé dans l'atelier à partir du matériel de Silvestre sans bien les comprendre. On peut ajouter l’absence des statues d’Anguier posées au fronton de la façade sur cour en 1659, dans sa vue depuis l'entrée, et de celles pour la terrasse côté jardin dans la vue de La maison de Vaux-le-Vicomte, alors qu'elles sont publiées après que madame Foucquet, dédicataire de la lettre, ait repris le domaine aux créanciers, entre 1673 et 1684.

La cohérence de l’entreprise de Silvestre se perçoit encore par la répartition des vues par dimensions : un petit groupe de trois grandes pièces (environ 50 x 75 cm) montrent le château et son jardin globalement, alors que de moyennes (environ 37 x 51) s’attachent à certaines parties privilégiées, aux points de vue particuliers. On peut en dégager des informations importantes sur le degré d’achèvement relatif des diverses parties du jardin, et par le fait, distribuer chronologiquement, grâce aux autres documents dont on dispose à propos de Vaux, les différentes estampes de Silvestre, auxquelles il faut ajouter les dessins préparatoires du Louvre et de Stockholm. Avant d'étudier les variantes significatives de ces derniers avec les gravures correspondantes, il faut aborder le plan des jardins.

Adam Pérelle, Vaux depuis l’entrée
. Plume et encre brune. 18,2 x 27,6 cm. Louvre, cabinet des dessins, Inv. 32312

Adam Pérelle (1640-1695), Vaux depuis le surplomb des grandes cascades
, gravure - Versailles
On connaît un grand plan conservé à l’Institut, probable work in progress ou si l’on préfère, plan prospectif dont les ambitions ne seront jamais atteintes, en particulier pour les parcs : les campagnes d'acquisitions pour y parvenir se poursuivent jusqu'à la disgrâce. Plus encore que les vues, il est clair que celui gravé par Silvestre pouvait souffrir des circonstances qui ont présidées à la réalisation de Vaux : il suppose un recours bien moindre à l’étude sur nature au profit d’un travail sur des documents émanant du jardinier. Les différences avec le plan de l’Institut n’en sont que plus remarquables.
Celles concernant le parc des Jumeaux (au-delà de la route qui passe aujourd’hui devant le château) et les abords du château ne peuvent guère être discutées, le document de l'Institut les laissant en friche. Les variantes de la zone alentour du canal et au-delà sont plus troublantes. Le plan d’arpentage du 8 novembre 1656 (et jours suivants) légèrement rectifié en septembre 1658 vient pourtant confirmer le dessin gravé du Grand parc au-delà de la Grande demie-lune : la forme en pointe et les trois allées se retrouvent nettement de l’un à l’autre. La recherche de vraisemblance est évidente à l’examen rapproché des deux états de la gravure : sous les parties grisées des deux parcs extrêmes, dans le premier, se discernent encore les chemins qui parcouraient autrefois le domaine, en prolongement de ceux qui aboutissent à ses bords. La partie centrale où se déploient Petit parc et jardin proprement dit n’en conserve, elle, plus aucun souvenir. Silvestre paraît ainsi tenir compte des chemins comme repères dans les endroits où les grandes masses restaient à déterminer : l’arpentage indique clairement dans sa légende, par exemple, que rien n’est fait dans la zone qu’il vise. On peut donc en déduire des degrés d’achèvement différents, tout à fait attendus dès lors que le graveur travaille en “temps réel”.

Que penser, dès lors, de la forme du début du grand canal dans le plan gravé, et qui se trouve dans la zone visée par l’arpentage de novembre 1656? Celle finalement réalisée et qui lui a donné le nom de Poële est également représentée sur le plan de l’Institut; mais celui-ci paraît y avoir subi des retouches autorisant, en effet, le passage de l’une à l’autre. Les liasses de la justice de Vaux (conservées au château) font mention, dès février 1658, d’un “fossé près de la Poële”; les archives d’Ormesson en situent la réalisation en 1658, comme le canal, ce qui interdit toute modification de son dessin en cours de travaux : il paraît donc raisonnable de dater le plan gravé de Silvestre entre novembre 1656 et février 1658, soit, sans approximation excessive, de 1657.
André Le Nostre, plan pour les jardins de Vaux.
Crayon noir, plume, lavis et aquarelle.
Paris, Institut.
Israël Silvestre, plan de Vaux.
Gravure (ici datée de 1657)
Jean Pynon, arpenteur, plan d'arpentage des terres acquises pour Vaux au-delà du grand canal, 8 novembre 1656 et jours suivants, rectifié en août 1658.
Crayon noir, plume.
Archives de Vaux.
Israël Silvestre, plan de Vaux.
Gravure, détail de la partie correspondant à l'arpentage de 1656-1658. Le fond du jardin reprend le tracé de 1656.
André Le Nostre, plan pour les jardins de Vaux, détail des abords du canal.
Crayon noir, plume, lavis et aquarelle.
Paris, Institut.
Israël Silvestre, plan de Vaux.
Gravure, détail de la partie correspondant à l'arpentage de 1656-1658.
Le fond du jardin reprend le tracé de 1656.
Confronter, comme ci-dessous, le plan d'arpentage avec celui gravé par Silvestre, en particulier le premier état, montre à quel point l'artiste a voulu rester fidèle au site. On voit dans le détail de son plan concentré sur les Jumeaux, le château et les parterres (en bas à gauche) le réseau sous-jacent des anciens chemins, continués au-delà de l'enceinte. Aidé du plan d'arpentage (en haut à gauche), dont il a pu se servir, on peut ainsi restituer le site primitif de Vaux (à droite). Cela suppose que Silvestre ait bénéficié d'autres plans pour l'ensemble, dont il s'est servi pour établir une trame, avant d'y intégrer les différents aménagements réalisés ou projetés. Cela donne une idée de la vraisemblance recherchée et la mesure de son travail.
Plan d'arpentage par Pynon, 1656


Israël Silvestre, plan de Vaux.
Gravure, détail montrant les chemins sous-jacents, notamment dans la partie des Jumeaux.
Reconstitution de l'ancien site de Vaux d'après le plan gravé de Silvestre et celui de l'arpentage de 1656.
Passant aux vues, il faut d'abord s'interroger sur deux d'entre elles telles que dessinées dans la collection du Louvre, au premier plan déconcertant. L’une, montrant les Près de la Couronne depuis le château (Louvre, Inv. 33023), paraît être restée inédite; elle formait un pendant à la Vue et perspective du parterre des fleurs gravée, préparée par un autre dessin du Louvre (Inv. 33024). La disgrâce de Foucquet n’est probablement pas à l’origine de cette lacune. On voit dans les deux préparations un premier plan insolite : alors que devrait être évoquée la terrasse du château, Silvestre dessine, côté couronne, une balustrade ne respectant pas le plan réalisé et, des deux côtés des masses de terres, particulièrement imposantes vers le parterre de fleurs. Dans la gravure tirée de cette dernière feuille, la motte a évidemment disparu, ainsi que la barque chargée de personnages dans les eaux des fossés.

On ne peut réduire ces détails à la recherche du pittoresque et à l'effet d'écran théatral qui conduit Silvestre à rompre avec l'exactitude de sa restitution du site dans d'autres vues. La masse de terre de la vue vers le parterre des fleurs vient masquer - mais est-ce à dessein? - le pont donnant accès au jardin depuis le château. Dans l'autre, il ne serait pas visible mais pourquoi, pour ce qui semble tenir de la mise en regard de deux gravures, introduire une balustrade ne respectant pas le dessin final? Or il devrait s'agir d'évoquer le site du château. Difficile de ne pas envisager qu'il s'agisse de témoigner d'un état précédant l'érection de l'édifice, qui s'ouvre à partir d'août 1656, selon le marché à Louis Le Vau, en partant des fondations déjà réalisées par Gittard.

Si la vue vers le Parterre des fleurs a seule été publiée, elle le doit à la modestie des modifications à apporter. De l’autre côté, il fallait également réviser le fond de ce premier état, en particulier pour les Petites Cascades, comme nous allons le voir.

Ce travail était d’autant moins utile que Silvestre avait par ailleurs entrepris une grande vue générale couvrant aussi cette partie. Intitulée Vue et perspective du jardin de Vaux-le-Vicomte, elle reprend le dessin inventorié au Louvre sous le numéro 33028 en introduisant des variantes. Certaines différences tiennent encore du pittoresque, comme la multiplication des visiteurs et surtout le traitement des fleurs, à l’image de ce que l’on peut constater pour la Vue et perspective du parterre des fleurs déjà citée (ci-contre). D’autres changements sont à rapprocher de l’évolution du chantier.

Silvestre, Les Prés de la Couronne depuis le château.
Pierre noire, plume et lavis d'encres brune et grise. 28,8 x 50,3 cm
Louvre, Cabinet des dessins, Inv. 33023

Silvestre, Vue et perspective du parterre des fleurs depuis l'emplacement du château.
Pierre noire, plume et lavis d'encres brune et grise. 33,8 x 51 cm
Louvre, Cabinet des dessins, Inv. 33024

Silvestre, Moyenne Vue et perspective du parterre des fleurs depuis le château. Gravure

Silvestre, le parterre des fleurs et la patte d’oie depuis le château dans la Grande Vue et perspective du Jardin de Vaux....

Crayon noir, plume et lavis, encre brune, aquarelle. 42,6 x 63,5 cm.
Louvre, Cabinet des dessins, Inv. 33028.

Gravure, BNF

Le plus remarquable se voit du côté des Petites Cascades. Le dessin montre ce qui peut être considéré comme un premier projet pour ces dernières : sur chacune des plates-formes latérales du premier niveau de l’escalier est disposée un bassin circulaire à jet central; dans la gravure, les bassins rectangulaires à jets alignés finalement installés sur trois niveaux, et qui donnent le nom au lieu, la Grille d’eau, sont figurés. Dans l’espace qui fait le lien avec la Grotte sèche (appelée plus tard Confessionnal), la lisière du bosquet est d’abord en retrait, en forme d’arc de cercle convexe; l’estampe comble le vide pour rejoindre dans l’angle un alignement d’arbres désormais installé dans le prolongement du mur maçonné en retrait de cette grotte. La vue non gravée vers les Près de la Couronne se conforme également à la première version sur ce point.

Un examen attentif du plan attribué à Le Nostre (Institut) permet de noter, entre autres choses, qu’il donne pour les Petites Cascades la version à bassin (circulaire ou carré) des deux dessins évoqués plus haut (Louvre, inv. 33023 et 33028), rectifiée dans la gravure générale. La version réalisée appelée la Grille d'eau pour faire écho à celle du Potager, à l'autre bout de l'allée traversant le jardin, visée par deux autres images de Silvestre, est entreprise au printemps 1659 et pourrait bien porter la patte de Charles Le Brun.

Quelle conclusion tirer de ces variantes? Si les détails incongrus du premier plan des deux vues particulières vers le Parterre des Fleurs et les Prés de la Couronne incite à supposer la venue du dessinateur sur le site, de même que le fait qu'il a représenté dans d'autres vues le château non selon le projet d'élévation attachée au marché mais tel que réalisé, en 1656-1658, la confection du dessin de la vue générale et, a fortiori, la gravure correspondante peuvent se servir de données fournies par les entrepreneurs, et donc à des rectifications dans l'atelier. Nul ne devrait, dorénavant, contester le fait que Silvestre en ait bel et bien bénéficié, ce qui donne, par le fait, le nom de son commanditaire, le propriétaire des lieux.

Comparaison des grandes vues dessinnées (Louvre) et gravées du jardin depuis le château, côté Couronne et Petites Cascades.

Silvestre, Vue des Petites Cascades (de la Grille d'eau).
Pierre noire, plume et lavis d'encres brune et grise. 31 x 50,6 cm
Louvre, Cabinet des dessins, Inv. 33026.

André Le Nostre, plan prospectif pour les jardins de Vaux, dessin, Paris, Institut
De l’autre côté du jardin, la partie au-delà du petit canal ne manque pas, non plus, d’intérêt : le dessin préparatoire à la « grande » vue générale depuis le château montre la muraille ceignant le jardin, au-delà de laquelle est effectué l’arpentage de 1656; elle est supprimée dans la gravure. On constate aussi une « évolution » depuis la Vue et perspective du parterre des fleurs, qui présentait au fond un alignement de jeunes marronniers (?), étoffé dans la vue générale. Le bosquet dit de la Patte d’oie qui le jouxte, en contrebas, semble, dans un premier temps, informe, mais cela résulte peut-être de l’écrasement de la perspective; notons tout de même que les trois allées parallèles séparées par les arbres alignés, allant respectivement vers le haut des Grandes cascades, descendant vers le canal et, pour la dernière, rejoignant la Patte d’Oie, ne sont pas clairement distinguées dans la « moyenne » vue, dans laquelle ne se voit vraiment qu’un alignement. Plus nettement, partie de la lisière du bois encadrant le Bassin de marbre (au-dessus du Parterre des fleurs) n’est pas encore palissée dans la vue particulière, contrairement à ce que montre la vue générale.
Moyenne Vue du Parterre des Fleures, dessin, Louvre, précisant les différents points remarquables.

Grande Vue générale du Jardin de Vaux, dessin, Louvre

Grande Vue générale du Jardin de Vaux, gravure
Le travail d'atelier de la grande vue dessinée et gravée me semble transparaître dans la balustrade des fossés, trop longue, assurément sur la droite, alors que le dessin de la moyenne vue vers le Parterre des Fleurs est plus juste.

Quoiqu'il en soit, ce sont surtout des questions de détails qui ne remettent pas en cause une connaissance particulièrement poussée des espaces, qui semble décidément impossible sans un séjour sur le site, aussi bien que du secours des entrepreneurs pour certaines rectifications. On pourrait envisager une première visite alors que le château reste à élever (en 1655-1656?), puis au moins une deuxième pour en faire un relevé. À cette occasion, Silvestre pourrait avoir profité d'un point de vue plus élevé, autre différence entre les moyennes vues et la grande montrant la première partie du jardin.

Peut-il, par ailleurs, avoir représenté la Vue en perspective des Cascades de Vaux, dont l'objet principal est réalisé en 1657, sans avoir eu connaissance directe des lieux? Le dessin préparatoire nous manque, et c'est dommage car un détail au moins surprend : un examen attentif ne distingue pas de déviation dans l'alignement des arbres bordant le canal, pour contourner la Poële; il remarque la muraille indiquée sur le plan d'arpentage de 1656, qui rejoint la demie-lune au fond du jardin puis redescend vers Maincy, et que l'on voit alors sur le dessin de la grande Vue et perspective du Jardin de Vaux, mais plus sur la gravure. Silvestre table donc sur la version primitive du début du canal, et la vue doit pareillement figurer parmi les images les plus précoces conçues et gravées par l'artiste. Il se pourrait qu'il ne se soit pas contenté de deux séjours.

Il ne faut sans doute pas tirer de conclusions trop strictes des confrontations des vues entre elles et avec les documents, archives ou plans, sur la réalité du chantier en cours. Les vues montrant le château, édifé d'août 1656 à la fin de 1658, obligent, en effet, à relativiser le souci de vérité pour nous inciter à préférer le vraisemblable.

Moyenne Vue des Grandes Cascades de Vaux, détail. Gravure. Rijksmuseum

Grande Vue générale du Jardin de Vaux, dessin, Louvre

Grande Vue générale du Jardin de Vaux, gravure
La Vue de Vaux-le-Vicomte du côté de l’entrée tient nettement du montage : les architectures datent d’après 1658 (les communs sont entrepris après le château) alors que ce que l’on distingue des jardins au fond paraît relever d’une phase très antérieure. Le vaste premier plan déroute, autant par l’absence des grilles (ornée de termes auxquels Lespagnandel travaille en 1660-1661) pour le visiteur de notre époque, que par le grand vide qu’il installe. Est-ce la volonté d’insister sur l’ampleur de l’entrée? Ou bien la conséquence d’un chantier encore flou, tel qu’il apparaît dans le plan de Le Nostre, de l’Institut, montrant pourtant, par ailleurs, des retouches de 1658-1659? Sans doute un peu des deux.
Silvestre, Grande Vue de Vaux-le-Vicomte du costé de l’entrée, gravure
Malgré une plus grande cohérence et une composition plus convaincante, la Vue et perspective du chasteau de Vaux par le costé (depuis l’ouest) (ci-dessous) relève du même procédé en présentant semblable juxtaposition; on peut s’étonner de voir un premier plan “sauvage” alors que les communs symétriques à ceux que l’on aperçoit au fond devraient s’y trouver. Le plan de l’Institut y mentionne bien la basse-cour. Doit-on tirer argument du fait de la quittance des Girard pour le parfait paiement de la couverture et plomberie “par eux faits tant au château de Vaux-le-Vicomte qu’à l’une des basses-cours du costé de Moisenay suivant le marché fait par Le Vau avec lesdits sieurs Girard le troisième novembre 1657 sous leur seing”8 pour penser que celle du côté de Maincy (à l’ouest) ait été entreprise (ou du moins terminée) après? Le plus curieux est que l’on connaît une étude dessinée suivant un point de vue à peine différent, plus cohérent parce qu’installé au-dessus du parterre latéral. Le tort de cette feuille, conservée au musée d’Ile-de-France de Sceaux, paraît avoir été de ne pas permettre de voir les deux bassins de la cour, montrés dans l’image éditée, par un point de vue plus rasant et leur installation dans l'axe du portail de la basse-cour.
6. Arch. Nat., MC, LI, 550, 28 août 1660.

Silvestre, Vue et perspective du château de Vaux par le côté (ouest). Gravure.

Silvestre, Vue et perspective du château de Vaux par le côté (ouest). Plume.
Sceaux, Musée de l’Île-de-France (Inv. 37-2-114)
Reste la Vue du chasteau de Vaux par le costé (depuis l’est), aux caractéristiques voisines de sa quasi-symétrique : rien ne permet de la situer clairement par rapport aux autres vues. On notera simplement que dans ces vues où apparaissent le château, aucune des sculptures réalisées par Anguier (posées en 1659 côté cour et probablement en 1660 pour la terrasse côté jardin) n’est représentée. Dans la mesure où Silvestre a reproduit l’édifice réalisé et non celui projeté, il faudrait situer son relevé architectural vers la fin de 1658 ou au début de 1659.

Ces différentes vues incitent, plus que d'autres, à limiter leur véracité au monument et à son assise dans le paysage. C'est une règle à suivre que de prendre en considération, dans ce genre d'images, principalement l'objet donné dans le titre. Il faut tout de même noter l'attrait pour les points de vue transversaux se répondant d'un bout à l'autre du jardin.

Silvestre, Grande Vue et perspective
du chasteau de Vaux, par le costé
(est), gravure
Les jardins de Foucquet et leur évolution vus par Silvestre. De Le Nôtre à Le Brun
Une telle précision chronologique, il faut le répéter, n’est possible que dans la mesure où Silvestre fait effectivement état d’une solide connaissance des lieux. Cela ne l’a pas empêché, ici ou là, de proposer des solutions pour des parties encore à faire mais on a vu que celles-ci venaient probablement des meilleures sources. C’est avec ce souci d’équilibre et de vraisemblance qu’il faut aborder les vues. Celles évoquées jusqu’alors forment un groupe cohérent jusque dans les différences, qui désignent deux états. L’extrême soin de leurs préparations interdit toute approximation. Ce sera de moins en moins le cas dans celles qui vont être étudiées maintenant. Il n’est pas étonnant de constater à leur propos la raréfaction des dessins préparatoires, d'ailleurs éventuellement traités selon une technique moins méticuleuse.
Ces vues s’attachent aux chantiers parallèles du château, des abords du canal et des Petites Cascades. L’édifice s’élève d’août 1656 à l’hiver 1658, les Grandes Cascades (ou Cascade des coquilles) sont réalisées en 1657 et le canal est creusé en 1658. La campagne de décoration du Bassin de ce dernier, de la Grotte (ou Cascade des animaux) le surplombant au sud, en face de celles des coquilles, et enfin des Petites cascades (ou Grille d’eau) s’ouvre en même temps que celle de la maison, en avril 16599 . Leur inachèvement relatif au moment du travail de Silvestre explique la nécessité pour le vedutiste de pallier aux lacunes, soulignant aussi la volonté de les publier, désormais, au plus vite.
9 . Pour les quittances concernant ces divers décors, voir Jean Cordey, Vaux-le-Vicomte, Paris, 1924.
La Cascade des coquilles est terminée d’abord. Deux vues nous la restituent : la Moyenne Vue en perspective des cascades, et la Grande Vue et perspective de Vaux-le-Vicomte du costé du jardin. La première a été abordée plus haut, avec des détails suggérant une situation vers 1657, avant la Poële. Il faut noter que le caractère strictement ornemental de la fontaine n'impliquait pas l'intervention de Le Brun, et ce n'est d'ailleurs qu'à compter de la fin de 1657 que l'artiste est rémunéré pour contribuer au décor de Vaux, selon les papiers d'Ormesson déjà cités. Le fait qu'il s'agisse d'une vue en perspective (non et perspective, comme les autres) propose une alternative « moyenne » à la grande vue du jardin qui la présente au premier plan.

Celle-ci respecte en de nombreux détails signifiants la gravure de la « grande » Vue et perspective du jardin de Vaux-le-Vicomte. On ne discerne toujours pas d’alignement arboré plaqué contre le mur en retrait de la Grotte sèche, vers les Petites cascades, mais celui entre la Grotte sèche et les Près des Coulettes alterne bien les essences. On aperçoit la Ravine à droite et les rampes gazonnées de part et d’autre de la Cascade des coquilles sont bien visibles. Dans le Bassin du canal, un groupe de triton est installé, avec en son centre, une simple gerbe d’eau. Galatée et un Cyclope pourraient encore les rejoindre, selon mademoiselle de Scudéry : nous entrons là sur un terrain mouvant, celui des dernières entreprises du chantier. Sur le ciel au fond se détache le château. La gravure doit donc être postérieure à la précédente (fin 1658?). Elle pourrait clore la campagne redevable au seul Le Nostre.

Silvestre, Moyenne Vue en perspective des Cascades de Vaux, gravure.

Silvestre, Grande Vue et perspective de Vaux-le-Vicomte du côté du jardin, gravure.
Viennent maintenant les derniers chantiers, apparemment enrichis par Le Brun. Seule la Vue et perspective de la Grotte et d’une partie du canal de Silvestre montre la Grotte, dite aussi Cascade des animaux : ce nom, qui figure dans les liasses de la Justice de Vaux, s’explique par les animaux marins réalisés par le fontainier Robillard qui ornaient les formes rocheuses des niches; ces roches donnaient également leur nom au bassin recevant l’eau de cette cascade (à ne pas confondre avec le Bassin du canal). Son iconographie doit avoir bénéficié des conseils de Le Brun, qui travaille pour Vaux depuis la fin 1657. Le lieu est décoré en 1659-1661 et il faut plus que jamais se demander si l’estampe est un véritable relevé.
Silvestre, Moyenne Vue et perspective de de la Grotte et d'une partie du canal, gravure
Le fond boisé est un peu systématique et diffère en cela des parties arborées des précédentes vues. On doit ici rappeler ce qu’écrit La Fontaine dans l’avertissement du Songe de Vaux : “Comme les jardins de Vaux étaient tout nouveaux plantés, je ne les pouvais décrire en cet état, à moins que je n’en donnasse une idée peu agréable”; Silvestre devait pareillement tenir compte de ce souci d’agrément... L’arpentage montre que le Grand parc n’est toujours pas entrepris en novembre 1656, voire en septembre 1658, en sorte que Silvestre s’est contenté d’un “habillage” de convention. De même, la statue qui s’aperçoit au fond n’est-elle qu’un bouche-trou : grâce à mademoiselle de Scudéry, notamment, on savait qu’un Hercule au repos devait y prendre place, à la manière de l’ouvrage de Puget aujourd’hui au Louvre, non un personnage debout ressemblant à celui Farnese.
Une autre approximation également compréhensible a affecté le groupe du Bassin du canal de cette vue. Dans la Vue et perspective de Vaux-le-Vicomte du costé du jardin, des tritons entouraient une gerbe; Neptune l’y remplace. Mademoiselle de Scudéry parlait, elle, d’Amphitrite et d'un Cyclope, et deux coquilles avaient été sculptées pour ce bassin par Lespagnandel, sans doute pour les accueillir.

On sait, par ailleurs, qu’un groupe sculpté d’un Neptune avec des chevaux marins et la coquille fut bien réalisé. Laissé inachevé au moment de la disgrâce, il fut placé plus tard, suivant les plans du XVIIIè siècle, dans l’Arpent d’eau au bout du jardin, avant les deux cascades bordant le canal.

Silvestre, Grande Vue et perspective de Vaux-le-Vicomte du côté du jardin, gravure
Le groupe fut démembré et vendu par le dernier Villars propriétaire de Vaux, au moment où il se défit du domaine : les ventes de son mobilier à Paris en 1875-1876 mentionnent des tritons en bronze qui en faisaient sans doute partie, alors que le dieu marin était en marbre. Malheureusement, les mentions ne précisent pas la destination originelle du groupe et il n’est pas possible de déterminer si l’iconographie en fut changée conformément à ce que suggère Silvestre. Si ce dernier ne fait que se servir d’une sculpture qu’il n’a pas pu voir installée, il fait état d’informations de bonne source sur l’aménagement de cette partie et il faut sans doute situer la constitution de cette image au moment de sa mise au point, voire en cours de réalisation (soit en 1659-1661).
Parce qu’elles témoignent d’une campagne parallèle, les vues montrant les Petites cascades sont sans doute aussi tardives. On a vu que la Grille d’eau qui orne le lieu n’est qu’un second projet adopté en cours de chantier. Elle doit son nom au bassin central tout en haut répondant à la grille du potager qui lui fait face de l’autre côté du jardin. De fait, l’Autre vue du jardin de Vaux, moyenne (gravure et dessin du Louvre, Inv. 33027), prise depuis les hauteurs de la rampe des Sapins qui devrait la surmonter mais ne la montre pas, figure parmi les premières réalisations de Silvestre, avant 1656-1657. Certes, si la grille d’eau fonctionnait, cette vue du jardin en serait parasitée... mais on ne comprendrait pas non plus que soit envisagée une telle vue en occultant un des ornements les plus remarquables du lieu.


Silvestre, Moyenne Vue et perspective des petites cascades de Vaux, dessin, Louvre, Inv. 33026

La vue la plus intéressante et la seule à montrer clairement ce qui lui vaut son appellation est celle de face (Vue et perspective des petites cascades de Vaux, à droite) préparée par un dessin au Louvre (Inv. 33026, ci-dessus). Il est amusant de constater que lors du passage à l’estampe, la statue en pied, à droite, paraît s’être dénudée. La végétation est ici bien caractérisée et la Rampe des sapins qui part au-dessus du dernier bassin apparaît plus âgée que dans les autres images où elle se voit, notamment la précédente, qui montrait une alternance avec des ifs encore très jeunes. Il faut envisager une datation autour de 1658-1659, et noter, décidément, que le premier plan est le lieu d’un contraste pittoresque négligeant la topographie - la vue est faite depuis l’allée conduisant au potager - mais que ce parti-pris repose systématiquement sur des petits personnages de dos, à contre-jour, relais du spectateur.

La vue de côté (Veüe des petites Cascades de Vaux) a été gravée par Pérelle, sur un dessin de Silvestre, lequel en reste l’éditeur. Peut-être le décès d’Israël Henriet en 1661 l’y a-t-il conduit; mais la fièvre qui saisit tout Vaux à partir de 1659, alors que Foucquet en précipite le cours, peut être la véritable explication de ce changement comme de celui concernant l’exactitude des relevés. Le dessin qui la prépare conservé à Stockholm, par sa facture plus sommaire que celles des autres feuilles sur Vaux dues au maître, pourrait désigner une mise au point par Pérelle. S'amorçait peut-être un tournant dans l’entreprise par le recours à un collaborateur, qui plus est pour un nouveau format, le plus petit. Toutefois, le dessin de Stockholm a, ou peu s'en faut, celui des dessins du Louvre, et sa traduction est aussi une réduction de moitié. L'agréger à l'ensemble du seul Silvestre appelle donc décidément des réserves.

Autre vue du jardin de Vaux, dessin Louvre


Silvestre (ou Adam Pérelle?), Moyenne Vue des petites cascades de Vaux. Crayon noir, plume et lavis. 27,9 x 40,1 cm. Stockholm, Nationalmuseum

Adam Pérelle d'après Silvestre, Petite Vue des petites cascades de Vaux. Gravure. 12 x 20,7 cm.
On aurait tort d’utiliser trop strictement les diverses indications données par les vues de Silvestre pour établir une datation formelle. Des réserves s’imposent : les images du château incitent à la prudence pour les détails qui ne sont pas visés directement (voire nommément) par la légende; le travail de montage dont témoignent les vues les plus tardives ne doit pas être oublié. L’examen général conduit à l’impression que le premier plan pittoresque serait un parti pris destiné à renforcer l’effet de précision très réaliste des motifs que Silvestre devait présenter.

Pour autant, le travail de montage se fait dans un souci de vraisemblance et participe de l’effet de cohérence des vues qui les précèdent. Il paraît tout à fait possible de considérer ces dernières comme des documents pris sur le vif ou à peine retouchés, montrant du moins les parties réalisées en premier, avant même le château. De fait, il est indispensable que Silvestre soit venu à Vaux. Les masses informes en lieu et place du château, puis la restitution de celui-ci tel qu’il a été construit mais sans les statues des deux frontons, supposent au moins un séjour autour de 1655, puis un autre vers 1658.

Comparer sa transcription des jardins de Foucquet avec la manière dont d’autres graveurs les ont ensuite représentés, souvent d’après lui comme Pérelle ou Aveline, accentue le sentiment de constance de la part d’Israël Silvestre. Le fait est suffisamment rare pour être souligné, d’autant qu’à l’instar de la plupart de ses contemporains, il est tout à fait capable de fantaisie dans sa traduction10 . Sa démarche pour Vaux vise donc la fidélité, non seulement à ce qui est fait, mais surtout aux hautes ambitions du projet global, via une connaissance manifestement de première main. Ces aspects, l’accès et le suivi du chantier abreuvé à la meilleure source d’information possible, et même la nécessité de recourir au montage, désignent en son entreprise une commande avec les contraintes propres au genre. Elle émane nécessairement du surintendant ou de son cercle le plus étroit. Partant, elle est une source primordiale et incontournable pour l’étude des jardins de Vaux, et plus généralement, sur la création artistique du temps.

On ne négligera pas les titres employés, dans cette optique - si j’ose dire. A plusieurs reprises, ils renferment l’idée de point de vue privilégié, avec insistance : à une exception près, il ne s’agit pas de “vue en perspective” mais de “vue et perspective”, pour témoigner du fait qu’il ne s’agit pas d’un choix opéré par le graveur mais d’une option qui découle du parti du jardinier, ménageant de grandes échappées appelant le visiteur pour mieux le surprendre sur son parcours.

Cet art de la surprise était conçu comme une expérience sensorielle totale. Il faut le secours complémentaire de La Fontaine et surtout de Madeleine de Scudéry, pour comprendre le voyage voulu par Foucquet, Le Nostre, Le Vau, Le Brun. La romancière, responsable de la fameuse carte du Tendre, exprime dans la description de Valterre tous les sentiments suggérés au visiteur, le murmure des coulettes, le tonnerre des Grandes cascades autres sensations, sans parler de ce que l'odorat pouvait aller chercher dans le Parterre des Fleurs ou dans les différentes essences (sapins, ifs, marronniers, lauriers-cerisiers, ormes, orangers, buis...) plantés dans les bois ou pour palisser les allées, que Silvestre détaille avec beaucoup de soin.

Son travail, comme le château et son jardin, garde un goût d'inachevé. Tel quel, on peut tout de même apprécier l'ambition de son entreprise en faisant notamment la part entre grandes et moyennes vues. Les premières réunissent la vue du château et les deux vues générales du jardin. Elles constituent une sorte de point d'orgue, résumé de l'ambition initiale de Le Nostre pour les jardins et amorce de la campagne finale comprenant l'élévation de l'édifice dont ils sont l'écrin. Surtout, elles sont une ligne de partage entre certaines moyennes vues qui montrent ce que le jardinier avait seul envisagé, hydraulique et végétal, et d'autres qui témoignent de l'intervention grandissante de Le Brun, plus minérale par le souci d'historier le jardin.
On me permettra, pour finir, de broder sur l'arrangement que le décorateur aura pu envisager autour du canal, selon un concetto, une idée poétique dont il aurait pu être l'auteur, en résonnance avec la déambulation des sentiments de Le Nostre, pour lequel Silvestre semble se dérober. Il reste une part de mystère sur ce qui devait orner les bassins du fond du jardin. Madeleine de Scudéry parle de Galatée et d'un cyclope; on sait que deux coquilles furent préparées, qu'un Neptune fut sculpté, ce qui suppose un thème marin propre aux vastes étendues d'eau des lieux, bassins des cascades affrontées, du canal ou de l'Arpent d'eau - ce dernier n'ayant guère été mis en évidence par Silvestre autrement que comme bassin illusoire de la Grotte. On imaginerait volontiers que l'histoire de Galatée s'y déploie.

Le visiteur rencontrerait d'abord, au bout des parterres, la représentation d'un robuste et colérique personnage dans l'ample carré d'eau installé après les coulettes, fontaines murmurant de rumeurs; puis, en découvrant le canal, comprendrait qu'il s'agit du cyclope Polyphème - qu'il aurait, un temps, pris pour Neptune - tonnant à la découverte, partagée par le badaud, des amours de la nymphe et d'Acis dans le bassin du canal. Je ne prétends pas avoir, par là, résolu l'énigme iconographique de son aménagement, mais simplement cédé aux invitations de La Fontaine à faire de Vaux un lieu de songe poétique...

Sylvain Kerspern, Melun, octobre 2017

Détail de la Veue et perspective du jardin de Vaux. Gravure. Rijksmuseum

Veue et perspective de la Grotte et d'une partie du canal. Gravure.
10 . Cf. par exemple Jean-Pierre Samoyault, “Les jardins de Fontainebleau dans la peinture, le dessin et la gravure”, catalogue d’exposition Le temps des Jardins, Fontainebleau, 1992, p. 76-78.

BIBLIOGRAPHIE GÉNÉRALE

* Madeleine de Scudéry, Clélie, 5è partie, Paris, 1661, p. 1099 et suiv (description de Valterre, avec notamment Cléonime/Foucquet et Méléandre/Le Brun); et pour le jardin, à partir de la page 1127.
* Jean de La Fontaine, Le songe de Vaux, par exemple l'édition des Oeuvres complètes de Jean de La Fontaine par Charles Marty-Laveaux (1857-1877), t. III, p. 184 et suiv.
* Louis-Étienne Faucheux, Catalogue raisonné de toutes les estampes qui forment l'oeuvre d'Israel Silvestre, Paris 1857, p. 292-293
* Jean Cordey, Vaux-le-Vicomte, Paris, 1958.
* Sylvain Kerspern, « De Vaux-le-Vicomte à Versailles : les termes de Poussin », colloque Nicolas Poussin (Alain Mérot, publ.), Paris, 1996, I, p. 271-284 (se fier au texte plus qu'aux légendes des illustrations...).
Essai de catalogue chronologique des vues de Vaux-le-Vicomte par Israël Silvestre.
1-d. Vue des Prés de la Couronne depuis l’emplacement du château.

Crayon noir, plume et lavis. 28,8 x 50,3 cm.
Paris, Louvre, Cabinet des Arts Graphiques, Inv. 33023.
Non gravé (la gravure mise en rapport dans la notice en ligne correspond au n°5 ici).
Avant 1656.

L’emplacement du château est marqué par une balustrade sans rapport avec celle réalisée, renfermant une motte de terre. La version des Petites cascades est indéterminée mais le bassin central qui leur vaut à terme le nom de Grille d’eau n’apparaît pas au pied de la rampe des sapins. Dans l'angle entre elle et la Grotte sèche s’étend un parterre gazonné bordant un bois en demi-cercle.
2-d. Vue et perspective du Parterre des fleurs
Crayon noir, plume et lavis. 28,8 x 50,3 cm.
Paris, Louvre, Cabinet des Arts Graphiques, Inv. 33024.

2-g. Veue et perspective du Parterre des fleurs.
Eau-forte. 37 x 50,4 cm.
Israel Silvestre delineavit et sculpsit Cum Privilegio Regis.
BnF, Est. Ve8, fol; Vaux-le-Vicomte...
L.-E. Faucheux, Catalogue raisonné de toutes les estampes qui forment l'oeuvre d'Israel Silvestre, Paris 1857, p. 293, n°8
Avant 1656.

L’emplacement du château, qui en est le point de vue, est d’abord (dessin) matérialisé par une motte importante et associé au motif pittoresque de personnes en barque, incongru pour les fossés, puis (gravure) nié par l’artifice d’un bassin rempli d’eau, laquelle n’apparaît pas dans la vue symétrique précédente.

Le premier bois à droite n’est palissé que jusqu’au bassin de marbre qu’il cerne. Le second plan des jardins est très schématique, voire informe, en ce qui concerne la Patte d’oie, second bois sur la droite. Tout au fond, la nature environnante apparaît telle qu’elle était avant que Foucquet et Le Nôtre ne l’organisent, et apparemment telle que la décrit encore l'arpentage de 1656 (terre, prés, vignes), en dehors de la mise en place de trois allées en patte d'oie à partir de la demie-lune.

3-d. Vue de la fontaine de la Couronne de Vaux
Crayon noir, plume et lavis. 32,7 x 50,9 cm.
Paris, Louvre, Cabinet des Arts Graphiques, Inv. 33025.

3-g. Veue de la fontaine de la Couronne de Vaux.
Eau-forte. 36,8 x 50,8 cm.
avec privilege du Roy
BnF, Est. Ve8, fol; Vaux-le-Vicomte...
Faucheux 1857, p. 293, n°10
Avant 1656.

Le point de vue adopté (depuis l’allée centrale du jardin?) est à nouveau pittoresquement transformé. A moins que la perspective soit très raccourcie par une vue plongeante depuis le bois au-dessus du Bassin de marbre, occultant ainsi le Parterre des fleurs et l’allée centrale.

A gauche apparaît une construction énigmatique (à vocation hydraulique?). Pour le reste, en particulier les Petites cascades, la vue paraît se conformer au numéro 1, ici, avant la Grille d'eau. Le passage à la gravure n’est l’objet que de transformations minimes, contrairement aux précédentes

4-d. Autre vue du jardin de Vaux (depuis le haut de la rampe des sapins)
Crayon noir, plume et lavis. 33,4 x 50,4 cm.
Paris, Louvre, Cabinet des Arts Graphiques, Inv. 33027.
Avant 1656?

4-g. Autre veue du jardin
Eau-forte. 36,8 x 50,8 cm.
Israel Silvestre delineavit et sculpsit Cum Privilegio Regis.
BnF, Est. Ve8, fol; Vaux-le-Vicomte...
Faucheux 1857, p. 292, n°7
1656-1658?.

L’artiste fait son relevé depuis l’une des allées longeant le jardin à l’est, qui passe au-dessus de la toute jeune Rampe des sapins. La Grille d’eau n’y apparaît pas, au contraire de son répondant, celle du potager. Le caractère “autre” de cette vue du jardin tient à l’alternative transversale qu’elle propose à celle depuis le château (numéro 7). Le passage à la gravure ne paraît se limiter, pour l’arrangement des végétaux et des eaux, qu’au palissage plus complet du bois du Bassin de marbre. A droite, on ne discerne pas le début des Coulettes bordant l’allée centrale.
Le rapprochement avec la vue inversée plus tardive (avec version définitive des cascades, n°12) oblige à remarquer que les personnages de la présente Autre vue ont subi une diminution du canon, du dessin à la gravure; peut-être est-ce pour harmoniser les proportions entre hommes et végétation en fonction d’époques différentes. Il est d’ailleurs à noter que l’on évoque le nom de Le Pautre pour ces personnages, très différents en effet de ceux de Silvestre. On pourrait donc envisager un temps certain entre dessin et traduction.

5-g. Veue et perspective de la fontaine de la Couronne et du Parterre de Vaux.
Eau-forte. 36,8 x 50,8 cm.
Israel Silvestre delineavit et sculpsit cum Privil. Regis
BnF, Est. Ve8, fol; Vaux-le-Vicomte...
Faucheux 1857, p. 293, n°9
Vers 1656 (-1657?)
Le titre à rallonge propose une vue depuis la perspective qui s’offre de la balustrade au-dessus de la Couronne vers les Parterres de broderie et des fleurs. Le bois du Bassin de marbre est entièrement palissé. L’espace qui le jouxte et borde le château est orné d’un parterre de broderie fantaisiste, niant le relief que l’on peut y voir encore aujourd’hui et qui apparaît dans d’autres vues à venir (n° 8, 11). Silvestre s'y conforme peut-être aux informations qui apparaissent dans le plan qu'il a gravée. Comme en d'autres cas (Vue générale, Petites Cascades), à l'instigation possible de Le Nostre, il propose une alternative renversant le point de vue, ici sur la fontaine de la Couronne, pour suggérer les circulations et leurs lots de surprises devant la variété des panoramas.
6-g. Veue et perspective des Cascades de Vaux. Eau-forte. 37,4 x 51,6 cm.
Israel Silvestre delineavit et sculpsit Cum Privilegio Regis.
BnF., Cabinet des Estampes, Ed 45a fol.; Ve 8 fol.; Rijksmuseum (état sans la lettre); Vaux-le-Vicomte...
Faucheux 1857, p. 293, n°11
1657 (ou début 1658?).


L’objet principal de cette vue est constitué par la Cascade des coquilles élevées en 1657, bordant au nord le canal. Si elle peut s’appuyer sur un travail d’atelier, il est, me semble-t-il, indispensable que Silvestre se soit déplacé pour percevoir ses détails et son intégration dans le décor. On ne distingue pas la Ravine, dont la maçonnerie s'adosse au mur en décrochement de la Grotte séche (l'édifice à trois ouvertures et deux rampes visibles à gauche) et l’alignement d’arbres au sud du canal semble contredire l’idée appliquée à son point de départ et désignée sous le nom de Poële (attestée dès février 1658). L’étendue plane apparaissant derrière est d’ailleurs toute virtuelle et ne peut découler d’un examen direct. Une intervention d’atelier est donc possible pour ce détail très secondaire : ce qui renverrait à un état de la réflexion sur ces lieux dont témoigne le plan gravé par Silvestre lui-même, qui s’appuie sur le plan d’arpentage de 1656-1658. Quoiqu’il en soit, tout s’accorde à situer la constitution de cette vue à la fin de 1657 ou en 1658 - au tout début de cette année en tenant compte des susdites difficultés. L’alignement d’arbre d’une seule essence devant la Grotte sèche la différencie et de la gravure du n° 7 et du n° suivant en la rapprochant des dessins pour les numéros 1 et 7, d’où sa place dans le catalogue

7-d. Vue et perspective du jardin de Vaux-le-Vicomte (depuis le château).
Crayon noir, plume et lavis, encre brune, aquarelle. 42,6 x 63,5 cm.
Paris, Louvre, Cabinet des Arts Graphiques, Inv. 33028.
1656-1658?

7-g. Grande Veue et perspective du jardin de Vaux-le-Vicomte. Eau-forte. 51 x 774 cm.
Cum Privilegio Regis Irael (sic) Silvestre delineavit et sculpsit (ex. du Rijksmuseum)
BnF., Cabinet des Estampes, Ed 45a fol.; Ve 8 fol.; Rijksmuseum; Vaux-le-Vicomte...
Faucheux 1857, p. 292, n°4
Vers 1658.

Silvestre représente tout le jardin proprement dit : de gauche à droite, Prés de la Couronne, Parterre des broderies, Parterre des fleurs et bois du Bassin de marbre au premier plan; rupture transversale des Petites Cascades à la Grille du potager en passant par les Petits canaux, bassins rectangulaires à jets, et le Rondeau central, gazonné; Grotte sèche, Près des Coulettes et Bois de la Patte d’oie au second plan; le bassin de l’Arpent d’eau y semble celui au bord duquel se déploie l’imposante mise en scène du fond matérialisée par la Grotte de Vaux, surmontée de la Demie-lune. Ce trompe-l’oeil abusera Pérelle lorsqu’il reprendra les gravures de son maître pour de nouvelles vues.

Le dessin présente l’état premier des Petites Cascades et l’espace qui les sépare de la Grotte sèche est conforme à la vue n°1, ici. La gravure en comble l’espace d’un complément boisé et camoufle le mur en retrait de cette construction derrière un rang arboré, tandis que la Grille d’eau y trouve son état final. Il est donc envisageable de situer vers 1658 l’élaboration de l'estampe. La feuille du Louvre présente un fond montrant un état avancé pour l’architecture de la Grotte mais dans un cadre encore en friches conforme en plan à ce qui se voit sur l’arpentage de 1656-1658; on y voit le mur formant le côté inférieur de l’arpentage. La gravure s’efforce de l’occulter.

La comparaison avec les premiers dessins détaillant en deux pendants le jardin jusqu'au canal conduit à remarquer un point de vue moins rasant. On pourrait croire que la vue soit prise du lanternon du château, ce qui serait possible, selon les documents, à partir de l’été 1658; mais il peut simplement s'agir de donner vue sur le fond du jardin et sur l'illusion qui fait de l'arpent d'eau le bassin de la Grotte, suivant un procédé que tout bon vedutiste, rompu aux difficultés de la perspective, pouvait résoudre en atelier. Il faut d'ailleurs rappeler que Le Nostre avait, selon Félibien, fréquenté l'atelier de Vouet, vraisemblablement pour travailler le dessin et y prendre des leçons en la matière. On peut aussi penser qu’il entre dans la vue gravée une part de travail d’atelier à partir des vues particulières : le passage du dessin à la gravure pour la Grille d’eau, pour ses environs ou ailleurs (végétation plus fournie ou complément en palissade ici ou là) ne nécessitait guère de nouveau déplacement.
8-g. Veue et perspective deVaux-le-Vicomte du costé du jardin.
Eau-forte. 47,3 x 72,7 cm.
Israel Silvestre delineavit et sculpsit Cum Privilegio Regis.
BnF., Cabinet des Estampes, Ed 45a fol.; Ve 8 fol.; Vaux-le-Vicomte...
Faucheux 1857, p. 292, n°3
1658.

Si l'on s'en tient au titre, cette vue vient en pendant à la vue du château du costé de l'entrée; elle montre, en effet, l'édifice tel que réalisé, encadré par les communs (dont une basse-cour, côté Maincy, peut-être anticipée), point culminant de la montagne de nature arrangée par la main humaine. Pour représenter celle-ci, Silvestre inverse le point de vue de la vue n°7 comme s’il se trouvait à l’emplacement de la Grotte, occultée.
Au premier plan, la Cascade des coquilles (ou Grandes Cascades) se déploie devant le canal dont le bassin est orné d’une gerbe au pied de laquelle sont disposés des tritons. Les différentes caractéristiques significatives (essentiellement le bois de la Patte d’oie, peut-être aussi les abords de la Grotte sèche) associent cette vue à la gravure du n° 7, avec en plus : la présence du château, des communs, du Bassin du canal et de ladite cascade, de la Ravine, dont la maçonnerie apparaît tout à droite, élaborés en 1657-1658.
9-g. Veue deVaux-le-Vicomte du costé de l’entrée.
Eau-forte. 46,9 x 73,3 cm.
Israel Silvestre delineavit et excudit Parisiis Cum Privilegio Regis.
BnF., Cabinet des Estampes, Ed 45a fol.; Ve 8 fol.; Vaux-le-Vicomte...
Faucheux 1857, p. 292, n°2
1658-1659.


La gravure est assurément un montage simplement destiné à montrer la scénographie monumentale de l’entrée. Il faut d'ailleurs noter que la lettre porte l'excudit de Silvestre mais pas l'indication de son implication dans le travail de gravure. La grille ornée de termes durant les dernières années du chantier en aurait masqué en partie la perception mais l'importance du vide au premier plan a quelque chose de troublant et peut désigner au bout du compte le caractère encore indécis de son arrangement.
Le fond semble bien reprendre les toutes premières vues (à voir le traitement de la Patte d’oie, toujours en devenir - mais doit-on être si pointilleux?). Seul élément déterminant, finalement, parce que le château réalisé vu sous cet aspect en est l’ornement principal, les statues posées à partir de l’été 1659 par Anguier sur les rampants du fronton n’y figurent pas. Dans la mesure où il semble s'agir d'une recomposition presque intégrale en atelier, on restera prudent sur la datation, qui peut aller du moment de la construction du château aux derniers mois de l'enteprise - un moment où la précipitation fait intervenir Pérelle et nuit au souci initial de vraisemblable. Quoiqu'il en soit, aucun indice ne vient situer son objet après 1659.
10-d. Vue et perspective du chasteau de Vaux par le costé (ouest, depuis Maincy)
Plume. Sceaux, musée d’Ile-de-France, inv. 37-2-114.
Vers 1659.

10-g. Veue et perspective du chasteau de Vaux, par le costé.
Eau-forte. 36,9 x 51,3 cm.
Israel Silvestre del. et sculp. Cum privilegio Regis.
Lyon, B.M.; BnF., Cabinet des Estampes, Ed 45a fol.; Ve 8 fol.; Vaux-le-Vicomte...
Faucheux 1857, p. 292, n°5
Vers 1659.

Il s’agit pour Silvestre de montrer le château dans son cadre le plus immédiat à partir du lieu supposé des communs du côté de Maincy. Les derniers éléments de réflexion avant l’achèvement devraient s’y retrouver. Le statut de la feuille est difficile à préciser. Elle offre un point de vue voisin de la gravure à suivre, mais depuis un point situé au-dessus du parterre latéral ouest. Le style graphique privilégiant le trait de plume s’écarte résolument de la technique très picturale mêlant les techniques et les couleurs des dessins du Louvre pour les précédents numéros, mais l'attribution à Silvestre, au vu des personnages, est sans doute justifiée.

Dans la gravure apparaissent des solutions pour les parterres latéraux, tandis que le traitement du jardin proprement dit est négligé. Comme pour la vue n°9, l’édifice est celui achevé, non son état projeté par Le Vau, auquel ne manquent que les statues d’Anguier. Comme en d’autres cas, il serait hasardeux de déduire du pittoresque avant-plan où devrait prendre place les communs symétriques à ceux que l’on aperçoit au fond, et qui furent en effet apparemment entrepris après eux, un élément de chronologie ferme. Au demeurant, cela ne contredirait pas nécessairement celle que proposent les autres éléments.

11-g. Veue du chasteau de Vaux par le costé.
Eau-forte. 37,1 x 51,6 cm.
Israel Silvestre delineavit et sculpsit Cum Privil. Regis.
BnF., Cabinet des Estampes, Ed 45a fol.; Ve 8 fol.; Vaux-le-Vicomte...
Faucheux 1857, p. 292, n°6
Vers 1659.

Point de vue inversé (suivant l’axe du château) de celui de la vue n°10, probablement conçue en pendant. L’artiste se place dans une allée longitudinale surplombant peut-être la construction énigmatique fermant à l’est l’axe de celle, transversale, qui passe au pied de l’escalier de la terrasse du château. La solution proposée pour le relief au-dessus du parterre latéral ouest, au fond, est plus vraisemblable que celle visible dans le numéro 5. Les statues installées par Anguier sur la terrasse en 1660 n’apparaissent pas.
12-d. Vue et perspective des Petites cascades de Vaux.
Crayon noir, plume et lavis. 31 x 50,6 cm.
Paris, Louvre, Cabinet des Arts Graphiques, Inv. 33026.
1659-1660?

12-g. Veue et perspective des Petites cascades de Vaux.
Eau-forte. 36,5 x 50,8 cm.
Israel Silvestre delineavit et excudit Parisiis Cum Privilegio Regis.
Rijksmuseum; Lyon, B.M.; BnF., Cabinet des Estampes, Ed 45a fol.; Ve 8 fol.; Vaux-le-Vicomte...
Faucheux 1857, p. 292, n°12
Vers 1659-1660.

L’image représente un aménagement hydraulique dont on connaît l’évolution : d’abord orné de bassin latéraux circulaires à jet central, il s’est ensuite organisé en gradins à consoles ornées de mascarons et coquilles distribués de part et d’autre d’un escalier à trois niveaux aboutissant à un septième bassin, central, dont les jets alignés répondaient à la Grille du potager, en vis-à-vis mais à l’autre bout de l’axe transversal du jardin. Le dessin comme la gravure adoptent la deuxième solution, mise en chantier à partir d’avril 1659. De fait, la végétation du fond, notamment de la Rampe des sapins, a crue depuis la vue inversée intitulée Autre vue du jardin (n°4)... Le traitement minutieux et pictural, en revanche, se rapproche de son dessin.

13-g. Veue et perspective de la Grotte et d’une partie du canal.
Eau-forte. 38 x 51 cm.
Israel Silvestre delineavit et sculpsit Cum Privil. Regis.
BnF., Cabinet des Estampes, Ed 45a fol.; Ve 8 fol.; Vaux-le-Vicomte...
Faucheux 1857, p. 292, n°13 Vers 1659-61.

L’image restitue le point d’orgue du jardin, complexe par son articulation des niveaux et des circulations. Elle seule donne une idée du fond du jardin conçu par Le Nôtre, en collaboration avec Le Brun pour les éléments figurés. Encore y entre-t-il assurément une part de prospective voire de schématisme dans la représentation du cadre boisé, puisque les vues précédentes où cette partie apparaît montrent une campagne dégagée. De même la statue qui forme le point de fuite paraît difficilement compatible avec un Hercule au repos dont l’iconographie pertinente (Vaux est le lieu de villégiature de Foucquet-Hercule) nous est donnée par mademoiselle de Scudéry, source fiable.
“Depuis” la vue n°8 (d’angle de vue opposé), Neptune s’est installé sur le monticule dotée de tritons au centre du bassin du canal. On sait qu’une sculpture remisée de ce sujet restait à installer l’heure de la disgrâce. Pour le reste, les documents conduisent à dater la gravure d’après 1658 (année du creusement du canal et de son bassin), voire après avril 1659, alors qu’est lancée la campagne visant à décorer la Grotte (ou Cascade des animaux) et le Bassin du canal. Peut-on, dans ce contexte, faire du Neptune un élément désignant en effet l’insertion de Le Brun dans la réalisation du décor? C'est en tout cas ce qu'affirme Madeleine de Scudéry, mais pour Galatée et un cyclope. A noter encore le premier plan décidément pittoresque, où devrait être présenté l’Arpent d’eau.
14-d. Vue transversale des Petites cascades de Vaux.
Crayon noir, plume et lavis. 27,9 x 40,1 cm.
Stockholm. Nationalmuseum.
1659-1661?
14-g. Veue des Petites cascades de Vaux.
Eau-forte. 12,0 x 20,7 cm.
Israel Silvestre delin. et ex. Perelle sculp.
BnF., Cabinet des Estampes, Ed 45a fol.; Vaux-le-Vicomte...
Faucheux 1857, p. 292, n°14.
Vers 1659-61.

Le dessinateur souhaitait présenter les Petites Cascades sous un autre angle que celui de la vue n°12. Il permet sans doute de montrer les allées longitudinales donnant accès aux différents points de vue transveraux, restitués par ailleurs, ainsi, à nouveau, que la complexité des niveaux et des circulations dans l’organisation du jardin. Si la lettre atteste d’un dessin préparatoire du maître, sa gravure, qu’il édite également, est due au travail de Pérelle.

De fait, on peut se demander si le dessin conservé en Suède revient à Silvestre ou à son collaborateur : le schématisme du traitement s’écarte résolument des autres dessins concernant Vaux au Louvre; mais par ailleurs, la plume s’allie au lavis et l’auteur, quelqu’il soit, s’attache à des effets de volumes et d’ombres dont Silvestre fait volontiers montre, un peu affadis par l’estampe de Pérelle.

La gravure “rectifie” d’ailleurs plusieurs détails : le cadrage est resserré et occulte ainsi l’interruption brutale et inopportune des communs, tout à gauche, et la répartition des personnages rend plus compréhensible leur trajet, en fonction de ce que le jardin pouvait effectivement permettre. Peut-être cela permettait-il aussi de contourner, tout à droite, la difficulté d’emplacement du bassin éponyme de la Grille d’eau. Dans ce cas, cela désignerait sans doute un travail d’atelier, tout à fait possible dans la mesure où Silvestre bénéficiait d’assez d’éléments avec les autres vues réalisées, simplement complétées de quelques informations, par exemple pour la zone entre les Petites cascades et la Couronne, qui apparaît entre les palissades à gauche, et où figurait La Géométrie d'Anguier, allégorie tutélaire du jardin selon Le Nostre.
Plan gravé.
Eau-forte. 38 x 51 cm.
Israel Silvestre delineavit et sculpsit Cum Privil. Regis.
BnF., Cabinet des Estampes, Ve 8 fol.; Vaux-le-Vicomte...
Faucheux 1857, p. 292, n°1.
1657.

Cette gravure a été mise en relation avec l’arpentage de 1656/1658 qui fait l’état des possessions de Foucquet au-delà de la grande demie-lune, après le canal, dont le dessin en amphithéatre apparaît clairement dans la gravure. Le document d'archives présente dans sa partie inférieure un tracé qui montre que le cadre de la Grotte est déjà déterminé; tout à côté, on voit que les terres concernées recouvraient notamment la zone où prendra place la Poële, dont il est question dès février 1658. Puisqu’elle n’apparaît pas dans l’estampe, il est possible de dater précisément celle-ci entre le 8 novembre 1656 et février 1658. Elle montre donc l’état prospectif du jardin durant l’année 1657.
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