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Bossuet, Miroir du Grand Siècle, suite




Claude Vignon (1593-1671)


Saint Mamert au pied de la croix



Notice de 2004.



Mise en ligne 15 mars 2013



Huile sur toile.
1,85 x 1,12.
Orléans, Cathédrale

La présente étude était destinée au catalogue de l’exposition Bossuet, miroir du Grand Siècle, tenue à Meaux en 2004 et qui remporta un grand succès. Le tableau ne fut finalement pas emprunté. Je la reprend ici en relation avec la réattribution d’une peinture exprimant également l’Église souffrante, de Vignon à Brebiette.

Claude Vignon est l’artiste phare de ce courant pictural qui a été rapproché, à l’initiative de Jacques Thuillier, du goût “précieux” en littérature. Ce style est caractérisé par la recherche de l’effet spirituel, de l’inspiration débridée et du mépris de la règle, évident dans le registre romanesque du peintre ou dans les thèmes religieux propices à l’éclat et à la richesse : Vignon est notamment un spécialiste de l’Adoration des mages.

Un autre registre de sa production adopte un ton, partagé avec d’autres peintres rattachés à ce courant, tels Lallemant, Brebiette ou Senelle, beaucoup plus sobre et doloriste, qui évoque l’art espagnol. Les affinités du retable de la cathédrale d’Orléans avec les ouvrages d’un Zurbaran, par exemple, sont fortes. L’artiste suggère une sentimentalité mystique qui doit correspondre à l’état d’esprit du milieu dévot au temps de Richelieu, insistant sur l’imitation du Christ, inscrit dans une tradition qui la distingue de la vision triomphante des Jésuites, notamment. Au demeurant, le commanditaire appartient à une des populations ecclésiastiques laissées pour compte du Concile de Trente, à l’encontre duquel il va en affirmant le culte d’un saint local. Jésus souffrant semble incliner sa tête vers le religieux en prière.

Certes, Bossuet fut un ardent propagateur de la Contre-réforme (ou de la réforme catholique) mais on peut penser que d’autres aspects de sa personnalité, qui l’ont conduit dans le chemin du gallicanisme, par exemple, tenait à une volonté d’être le gardien de la tradition telle qu’elle peut apparaître dans une image comme celle-ci. Au demeurant, l’artiste propose une solution d’une grande sobriété, un peu étrange et fantastique pour une iconographie aux tendances contradictoires : l’exemple du Christ est certes mis en avant, mais le rôle d’intercesseur du patron de la chapelle, et en quelque sorte de son titulaire, s’incarne dans un dialogue muet, une oraison. Les yeux clos du religieux peuvent suggérer que ce que nous voyons est une image mentale qu’il s’est faite et qu’il propose au fidèle.


Historique : peint vers 1636 à la demande du chanoine Simon Le Tellier pour la chapelle Saint-Mamert de la cathédrale d’Orléans; pour la suite de l’historique, cf. Pacht Bassani 2002.
Bibliographie : en dernier lieu, Paola Pacht Bassani in cat. expo. Les Maîtres retrouvés, Orléans, Musée des Beaux-Arts, 2002, p. 77.

Cette association de la piété intérieure, verbalisée par la prière, et de l’image était de nature à séduire notre prélat, plus prompt à rappeler à la pénitence qu’à exalter les triomphes de la religion. Il suffit de relire ce qu’il dit de la gloire dans son panégyrique de Saint François de Paule, fondateur des Minimes :
“La religion chrétienne élève bien plus haut nos pensées : elle nous apprend que Dieu est le seul qui a de la majesté et de la gloire, et par conséquent que c’est à lui seul de la distribuer, ainsi qu’il lui plait, à ses créatures, selon qu’elles s’approchent de lui. Or, encore que Dieu soit très haut, il est néanmoins inaccessible aux âmes qui veulent trop s’élever, et on ne l’approche qu’en s’abaissant; de sorte que la gloire n’est qu’un ombre et un fantôme, si elle n’est soutenue par le fondement de l’humilité, qui attire les louanges en les rejetant.”

De fait, le tableau de Vignon peut aisément être mis en regard d’un des sermons du Carême du Louvre, en 1662 :
“C’est dans le sacrement de la pénitence que nous devons entrer en société des souffrances de Jésus-Christ. Le saint Concile de Trente dit que les satisfactions que l’on nous impose doivent nous rendre conformes à Jésus-Christ crucifié. Mon sauveur, quand je vois votre tête couronnée d’épines, votre corps déchiré de plaies, votre âme percé de tant de douleurs, je dis souvent en moi-même : Quoi donc! une courte prière, ou quelque légère aumône, ou quelque effort médiocre sont-ils capables de me crucifier avec vous? Ne faut-il point d’autres clous pour percer mes pieds, qui tant de fois ont couru aux crimes, et mes mains, qui se sont souillées par tant d’injustices?”

Ce sermon était pour lui une nouvelle occasion de donner un sens précis à pareille image :
“Que si mes paroles n’en sont pas capables, arrêtez les yeux sur Jésus, et laissez-vous attendrir par la vue de ses divines blessures. Je ne vous demande pas pour cela, Messieurs, que vous contempliez attentivement quelque peinture excellente de Jésus-Christ crucifié. J’ai une autre peinture à vous proposer, peinture vivante et parlante, qui porte une expression naturelle de Jésus mourant. Ce sont les pauvres, mes Frères, dans lesquels je vous exhorte de contempler aujourd’hui la Passion de Jésus.”

Là se révèle la profonde unité de la foi de Bossuet, puisqu’il revient en quelque sorte à la charité de Saint-François de Paule. Mais il est remarquable de le voir ainsi lier fondamentalement cette vertu à la pénitence et la méditation sur le corps crucifié du Christ. Tel est l’état d’esprit visible ici comme dans la Descente de croix de Senelle pour un autre chanoine (Meaux, Musée Bossuet), que, je l’ai redit dans le catalogue, l’évêque semble avoir appréciée; et celui aussi de la pensée chrétienne de la Lorraine où il s’est formé.

S.K., 2004-2013

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