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INITIATION À LA LECTURE DES ŒUVRES D’ART




Vocabulaire descriptif :

petit lexique pour la peinture des Temps Modernes.



Dess(e)in/coloris


Mise en ligne janvier 2019


J'ai déploré à plusieurs reprises sur ce site les lacunes en matière de vocabulaire descriptif susceptible de faire consensus au point qu'on puisse se faire une idée assez nette d'une peinture par sa seule description. Mon expérience pédagogique en université comme en indépendant m'a conduit à amorcer des outils lexicaux, pour la période moderne (XIVè-XVIIIè s.), destinés notamment à dissiper certains des malentendus les plus fréquents - comme la notion de portrait telle qu'expliquée dans l'un de mes cours d'initiation de lecture des oeuvres en ligne ici. Lesdits cours donnent déjà des notions utiles pour discourir sur une oeuvre mais ce qui manque, me semble-t-il, à ce jour, tient aux éléments évocateurs du travail du peintre et des choix qu'il peut pratiquer quant à sa technique. Dans la mesure où j'ai pu moi-même employer des tournures ambiguës sinon contradictoires d'un article à l'autre, je crois cette mise au point d'abord nécessaire et, je l'espère, plus globalement utile.

Je pars ici du duo inextricablement lié mais que l'on dissocie volontiers dans l'histoire de l'art : dess(e)in et coloris. Leur exemple permettra de comprendre ma méthode, qui souhaite le plus possible reposer sur les écrits des artistes et connaisseurs du temps, mais qui m'amènera aussi, lorsque leur parole fera défaut, à recourir à des formules moins académiques, en quelque sorte, voire à en forger de nouvelles. Fruits de mon expérience, elles ont un caractère expérimental. Toutes les suggestions susceptibles de les améliorer ou de les amender pour une plus grande efficacité sont les bienvenues.

Sylvain Kerspern, janvier 2019

Dessin/dessein.

“Le mot de dessin, par rapport à la Peinture, se prend de trois manières :

(1°) ou il représente la pensée de tout l’ouvrage avec les lumières et les ombres, et quelquefois avec les couleurs mêmes, et pour lors il n’est pas regardé comme une des parties de la Peinture, mais comme l’idée du tableau que le peintre médite;

(2°) ou il représente quelque partie de la figure humaine, ou quelque animal, ou quelque draperie, le tout d’après le naturel, pour être peint dans quelque endroit du tableau, et pour servir au Peintre comme d’un témoin de la vérité, et cela s’appelle une étude;

(3°) ou bien il est pris pour la circonscription des objets, pour les mesures et les proportions des formes extérieures, et c’est dans ce sens qu’il est une des parties de la Peinture.”

(Roger de Piles, Cours de peinture par principes, Paris, 1708; rééd. Gallimard, 1989, p. 76-77)

Les définitions ci-dessus proviennent de l'ouvrage de Roger de Piles (1635-1709), connaisseur et peintre amateur, élève du frère Luc, surtout connu pour la part prise dans le débat qui a agité l'Académie royale de Peinture et de Sculpture entre dessein et coloris, dans lequel il avait pris la tête des partisans du second contre Le Brun, notamment. Les discussions prennent place principalement dans les années 1670, pourraient s'être cristallisées autour de peintures à vendre provenant des Flandres conquises par Louis XIV et s'appuyaient en tout cas, dans l'esprit de Piles, sur les collections du duc de Richelieu qui avait remplacé son remarquable ensemble de Poussin vendus à Louis XIV par un autre consacré à Rubens. Lorsqu'il publie en 1704 son Cours de peinture par principes d'où proviennent ces définitions, ses thèses ont triomphé dans l'institution par l'accession, en 1699, de Charles de la Fosse à sa direction, qui permit à l'amateur d'y entrer comme conseiller honoraire. Sa déclinaison du sens à donner au dess(e)in demande commentaires et illustrations.
(1) la pensée de tout l’ouvrage avec les lumières et les ombres, et quelquefois avec les couleurs mêmes, et pour lors il n’est pas regardé comme une des parties de la Peinture, mais comme l’idée du tableau que le peintre médite.
Jacques Stella, Samson et Dalila, dessin.
Collection particulière.

Michel II Corneille Funérailles de saint Ambroise, esquisse.
Paris, coll. part.
Cette première définition est la plus théorique. Elle s'apparente à l'idée platonicienne, qui se forme dans l'esprit du peintre, en correspondance avec le double sens de « dessein » de l'orthographe du temps. Elle se matérialise dans un dessin d'ordonnance (ci-contre, de Jacques Stella) voire dans une esquisse préparatoire (ci-contre, par Michel II Corneille pour les Invalides) susceptible, l'un comme l'autre, de présentation au commanditaire.
Ce qu'il dit là du dessin pourrait ne sembler guère contestable, parce qu'exempt de jugement - alors que son approche du coloris est plus immédiatement partisane. Toutefois, il faut noter qu'en refusant d'y voir une partie de la peinture, il le cantonne à son aspect technique, ce qui lui permettra ensuite de le subordonner au coloris.
(2) quelque partie de la figure humaine, ou quelque animal, ou quelque draperie, le tout d’après le naturel, pour être peint dans quelque endroit du tableau, et pour servir au Peintre comme d’un témoin de la vérité, et cela s’appelle une étude.
Charles Errard,
étude pour La Fraude
pour le Parlement de Rennes, dessin.
Rennes, Musée des Beaux-Arts.

Noël Coypel,
étude pour La Fraude
pour le Parlement de Rennes, dessin.
Rennes, Musée des Beaux-Arts.
Dans son approche des principes de l'art, de Piles donne ici le sens le plus particulier et le plus attaché à la pratique des peintres, comme un élément par ailleurs essentiel à un artiste pour éviter de tomber dans la routine et la manière : l'étude sur nature pour préparer le détail d'une composition. Ci-contre, une étude pour la disposition par Errard (selon moi), reprise pour le drapé par son collaborateur Coypel.
(3) la circonscription des objets, (...) les mesures et les proportions des formes extérieures, et c’est dans ce sens qu’il est une des parties de la Peinture.
Illustration de Piero della Francesca
pour son De prospectiva pingendi,
1482, Milano, BibliotecaAmbrosiana

Essai de reconstitution de la première « démonstration»
de la perspective centrale de Brunelleschi à partir du traité
de Piero della Francesca De prospectiva pingendi
(S.K.).
Cette définition est à mi-chemin entre la théorie et la pratique, en sorte que l'illustration en semble difficile. Elle envisage d'un point de vue quasi-mathématique l'univers des formes, à la manière d'un Piero della Francesca dans son traité De prospectiva pingendi, qui fournit, ci-contre, un exemple utile à sa compréhension.
Il faut comprendre cette définition du dess(e)in comme partie de la peinture selon le but que de Piles assigne à la peinture : surprendre et tromper la vue. C'était précisément ce que Brunelleschi avait recherché avec son dispositif démonstratif de la perspective de son invention.
Quelques notions liées au dessin.
Arabesque : appliqué à la composition, ce terme désigne les différentes lignes sinueuses, en courbe et contre-courbe, qui scande l'espace pictural pour relier entre elles ses différentes parties et en pointer les principales, qu'elles irriguent.
Simon Vouet,
Saint Eustache refusant de sacrifier aux idoles
Toile. Paris, Saint-Eustache.
Contrapposto : pose suivant un déhanchement, un basculement des axes des épaules et des hanches rapprochant les membres supérieurs et inférieurs opposés (jambe gauche/bras droit, jambe droite/bras gauche).
Martin Fréminet,
Saint Jean l'évangéliste,
toile.
Orléans, Musée des Beaux-Arts.
Elle est particulièrement utile dans le domaine décoratif, et induit une lecture en surface de l'oeuvre s'opposant aux effets de profondeur. L'exemple de Vouet ci-contre montre qu'il est possible de pallier cet inconvénient par le recours aux ombres et lumières. Elle figure parmi les éléments du vocabulaire expressif pour le corps inspiré de l'Antique et remis à l'honneur à la Renaissance. Son utilisation classique permet de suggérer un état de pause dynamique. Ci-contre, rapprochement du bras droit et de la jambe gauche chez Fréminet.
Figure amphore : figure évoquant l’amphore par le jeu de courbe/contre courbe, la courbe inférieure correspondant à un renflement plus important.
Parmigianino (Le Parmesan),
Madone au long cou
Bois.
Offices.
Ligne serpentine : ligne associant courbe/contre-courbe, en forme de S, de serpent s’enroulant autour d’un bâton ou de flamme dansant; l’association de plusieurs lignes de ce type permet de construire la figure serpentine.
Martin Fréminet,
Saint Jean l'évangéliste,
toile.
Orléans, Musée des Beaux-Arts.
Elle traduit un emploi particulier, en miroir, de deux lignes serpentines (définies ci-après). Ci-contre, le célèbre tableau de Parmigianino confronte le corps de la Vierge avec une amphore de façon significative en relation avec une conception alchimique de l'art appliquée au destin du Christ. Elle affecte aussi l'évangéliste peint par Fréminet, pour suggérer son inspiration, qui s'en trouve inversée sur le mode maniériste : non manifestation de la transcendance s'imposant au personnage mais élévation spirituelle.
Couleur/coloris.

“La couleur est ce qui rend les objets sensibles à la vue. Et le coloris est une des parties essentielles de la Peinture, par laquelle le Peintre fait imiter les apparences des couleurs de tous les objets naturels, et distribuer aux objets artificiels la couleur qui leur est la plus avantageuse pour tromper la vue. Cette partie comprend la connaissance des couleurs particulières, la sympathie et l’antipathie qui se trouvent entre elles, la manière de les employer, et l’intelligence du clair-obscur.” (Roger de Piles, Cours de peinture par principes, Paris, 1708; rééd. Gallimard, 1989, p. 148).

“Par le mort de clair-obscur, l’on entend l’art de distribuer avantageusement les lumières et les ombres qui doivent se trouver dans un tableau, tant pour le repos et pour la satisfaction des yeux que pour l’effet du tout-ensemble.” (Roger de Piles, Cours de peinture par principes, Paris, 1708, p. 302 et suiv.; rééd. Gallimard, 1989, p. 176)
Notre guide, Roger de Piles (1635-1709), fait du coloris la pierre de touche de l'art de peindre, prenant pour exemples les Vénitiens (Giorgione et Titien par-dessus tout) et Rubens. C'est l'alliance de la connaissance des couleurs et de l'impact de la lumière qui constitue la science du coloris, et garantit ce que l'amateur appelle l'harmonie du Tout-ensemble. Le clair-obscur est un élément central au point que dans sa « balance des peintres », le Caravage obtient pour le coloris la très haute note de 16. Seuls Giorgione, Titien, Bassano, Pordenone, Rubens, Van Dyck et Rembrandt obtiennent une note supérieure.

De fait, je pense nécessaire de prendre ici ses distances avec notre guide et son tour polémique, sinon mauvais gagnant, si l'on veut disposer d'un vocabulaire pertinent. Il faut alors convoquer aussi la notion de couleur locale, propre à un objet, une surface, et le ton local, qui correspond à la valeur de cette couleur, en fonction de sa situation dans le tableau.

Martin Fréminet,
Saint Jean l'évangéliste,
toile.
Orléans, Musée des Beaux-Arts.
Sylvain Kerspern, Melun, 2019
À suivre
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