dhistoire-et-dart.com

Anniversaires

Table générale

Contacts : dhistoire_et_dart@yahoo.fr - sylvainkerspern@hotmail.fr.

Sylvain Kerspern



Anniversaires


“D’histoire & d’@rt”





Mise en ligne initiale 15 janvier 2005, transféré en octobre 2005
Retouche le 9 juin 2012


10 octobre 2005 : “D’histoire & d’@rt” a deux ans...
Octobre 1985, je soutenais ma maîtrise sur Jacques Stella.

Les règles tacites de l’histoire de l’art ont fait que je me suis effacé devant les recherches entreprises par Gilles Chomer sur le peintre lyonnais, tout en publiant à l’occasion sur l’artiste (en 1989, sur le retable de Provins, dans la Gazette des Beaux-Arts, sur quelques jalons importants en 1994 dans la même défunte revue) et sur son neveu et sa nièce (dans le Bulletin de la société de l’histoire de l’art français en 1989 sur Antoine Bouzonnet, et en 1993 sur Claudine).
Ces deux anniversaires m’incitent à poser ici de nouveaux jalons pour cet artiste. Et dans un premier temps, à me servir de la trame déjà existante (soit, quand vous lirez, de la précédente version de cette page...) pour étoffer la compréhension de l’artiste.
Voici le premier épisode...

I. “Une Madeleine sur ardoise passée en vente à Drouot le 22 décembre 2004 (salle 6, n°59).”
Je ne l’ai pas vue mais la qualité semble bonne, et témoigne d’une belle production des années 1630 de Jacques.

En collection particulière après un passage à la galerie Éric Coatalem, je ne l’ai toujours pas vue mais souhaite préciser maintenant la datation avancée. Pour cela, il faut en faire une rapide analyse formelle, et comparer avec des oeuvres servant de repères fermes.
Le style de cette peinture est des plus précieux, d’une élégance et d’une finesse recherchée, s’exprimant aussi bien dans la pose affectée, la perfection de l’ovale du visage ou les mains effilées. Le rendu des fleurs comme des attributs du luxe auquel la jeune femme renonce alors est d’une grande minutie, d’une évidence sage. La mise en espace est assez lâche, jouant d’un affleurement de lignes en surface dans un clair-obscur recherché.
Tous ces aspects désignent ce que l’on pourrait appeler la longue période de formation de l’artiste, les circonstances ayant fait qu’il ne se soit véritablement établi qu’à Paris à partir de 1635. S’y révèlent les sources florentines, élégance raffinée autant que franchise de présentation - et la technique particulière de peinture sur pierre -, et romaines, dans cette sensualité retenue qui évoque l’Albane, Guido Reni ou le Dominiquin. Posons quelques jalons pour préciser encore.

La main posée sur la table pourrait tout aussi bien courir sur un clavier, et l’on pense aux différentes Sainte Cécile connues de l’artiste. Une version datée de 1626, entrée au Musée des Beaux-Arts de Rennes il y a quelques années, donne un élément de comparaison parlant.
Les dispositions et la mise en espace, l’expression pâmée, yeux au ciel, sont voisines, mais l’ovale est plus raide, les pommettes plus fermes, ce qui doit s’expliquer par le séjour en Toscane auprès de Callot, notamment (éventuellement confirmé, à Rome, par la confrontation à l’art du Cavalier d’Arpin, du moins dans les premières années). Le drapé est également plus contraignant, sans effet bouffant, cadrant un corps dont le canon s’effile aux épaules. Le style de la Madeleine s’affirme en suavité alors que la lumière s’est refroidie, mettant plus volontiers l’accent sur les couleurs primaires. L’ampleur de l’Assomption de Nantes (1627) marque une première évolution dans ce sens, mais reste marquée par un même type de coloris, et une certaine raideur des poses. La Vierge envolée et la pose affectée du jeune donateur semble s’associer pour fournir les éléments constitutifs de notre pénitente...

1633 est une des années les mieux documentées de toute la carrière de l’artiste. Deux dessins que l’artiste a clairement situés alors me semblent pouvoir être rapprochés de notre peinture sur pierre.
Le premier est un exemple de l’érotisme pratiqué par Stella, ayant suscité le nom évocateur de Jacques Blanchard : Olympe abandonnée par Birène, de l’Ensba de Paris. Le canon assez trapu, la sensualité du corps déployée avec souplesse, le visage comme les fines mains, bien sûr, et à nouveau ce jeu sur le clair-obscur, sont autant d’éléments de comparaison témoignant d’une maturité du style au sortir du long séjour en Italie.
Le second présente une allégorie complexe en l’honneur de Scipion Borghese intéressante par son style délié, le goût de l’arabesque et de la diagonale, l’inscription dans l’espace proposant une grande respiration. Ce dessin bien connu, conservé au Louvre, montre encore, au second plan, une jeune femme, regard et bras au ciel qu’on ne peut que rapprocher de la Madeleine sur pierre. Le souci du détail s’y affirme égalemnt dans les motifs énigmatiques ornant le drapeau tenue par la mort.



La peinture est aujourd’hui à la galerie Steinitz (Paris) où j’ai pu enfin l’examiner, et confirmer mon impression. Son analyse doit figurer dans le prochain catalogue de la galerie.

S.K., juin 2012


C’est de cette époque que date une grande peinture conservée à Vienne dont il fait de moins en moins de doute qu’il s’agisse bien d’une création de notre homme : Le jugement de Salomon donné jadis à Poussin et naguère à Vuibert. Il propose un équivalent pictural à l’univers de l’allégorie du Louvre, et montre ce style élégant, qui doit ici plus à Dominiquin, et une science du drapé qui, si elle joue encore volontiers d’un traitement proche du corps, peut s’en affranchir au bénéfice d’effets délicats ou sculpturaux, à l’antique. Nul doute que le sujet n’ait favorisé encore ces dernières options, moins pertinentes pour la Madeleine dont il fallait souligner la charge érotique. Mais la gracilité du langage, les canons menus, le balancement des poses dénotent cette phase particulière de l’art de Stella avant son retour en France. Toutes choses qui se retrouvent également dans la Sainte famille avec saint Jean-Baptiste présentant l’agneau acquise il y a quelques années par le musée Fabre de Montpellier, également datée de 1633.

Un dernier point de comparaison, l’un des premiers chefs-d’oeuvre français, permettra de cerner un peu mieux la chronologie : la Sainte Anne de Rouen, peint à l’origine pour le château de Saint-Germain. Le visage de la Vierge, les doigts encore effilés sont des points de contact certains mais l’ensemble a gagné en lourdeur et en gravité. Stella y renonce à sa veine précieuse pour une monumentalité à l’antique, franche et sculpturale, pas tout à fait affirmée encore ici : elle éclatera vraiment dans le retable pour les Jésuites de 1641-1642 aujourd’hui aux Andelys. Ce qui, à mon avis, justifie de mettre en doute la date de 1640 qui semble avoir fugitivement été lue sur l’oeuvre, qui ne la porte plus...

De 1639, le tableau de Barnard Castle représentant La nativité présente déjà, pour une commande de moindre importance et un sujet plus intime, cette ampleur de style, sensible dans le déploiement des deux corps penchés sur l’Enfant, qui caractérise le goût de l’artiste en France mis en place dès les premières années de son installation. Le langage s’éloigne franchement de la mollesse sensuelle de la Madeleine, qui doit donc être située plus tôt, et avec vraisemblance dans les dernières années de la période italienne.

Voici posé un parcours d’une dizaine d’années, des lendemains de Florence au retour en France qui peut donner une idée du style propre à l’artiste et de son évolution au moment où il doit s’affirmer. La permanence de l’alliance entre franchise de ton et délicatesse d’expression, qui s’épanouit dans une mesure toujours grandissante dans les dispositions, porte la trame des recherches que Stella a mené au cours de son existence. Ces dix ou quinze ans évoqués ici forment le champ d’expérimentation et de maturation d’un langage monumental, minéral, allant s’affirmant, recherches d’une maîtrise impassible de l’histoire aussi bien que de la permanence de l’être manifestée par la raison.




Quelques petites notes en passant.
L’exposition récente dont Pierre Rosenberg a eu la responsabilité au Grand Palais, présentant la peinture française des XVIIè et XVIIIè siècle dans les collections allemandes, montrait un tableau de Stella, La déploration du Christ mort. À la lecture du catalogue, la gravure en rapport, par Françoise Bouzonnet Stella semble avoir échappé à l’historien d’art. On la trouvera dans l’étude que j’ai proposée à la Tribune de l’art en écho à l’exposition Bossuet, à Meaux en 2004.

En questionnant encore le net, voici ce que l’on peut trouver : un tableau présenté chez Dobiaschofsky (vente du 15 novembre 2004) comme de Stella (qui aurait pu, à une époque, être donné au neveu Antoine Bouzonnet) mais qui est (du moins pour l’invention, le caractère autographe ne pouvant se vérifier que devant la toile) de ... Charles Alphonse-Dufresnoy (ci-contre). Il correspond à un dessin conservé au Louvre.



Détail d’un dessin préparatoire à un important retable lyonnais dont Gilles Chomer avait clairement établi l’historique dans son article de la Revue de l’art de 1980; la date portée reste à lire correctement (le catalogue de la vente à venir dit 1654, ce qui semble impossible - soit 1644, soit 1645; vente Christie’s Rockfeller Plaza, New York, 25 janvier 2005, n°119).


Enfin, en flânant sur le net, les découvertes sont aussi possibles. Ainsi de ce Massacre des Innocents (Birlinghoven schloss, Allemagne) rattaché à ... Poussin, et à mettre en rapport avec le tableau en grisaille inachevé du Musée des Beaux-Arts de Rouen (la date doit être voisine du dessin précédent voire plus tardive).

Sylvain Kerspern, 2005-2012

Courriel : dhistoire_et_dart@yahoo.fr; sylvainkerspern@gmail.com.