Sylvain Kerspern - dhistoire-et-dart.com
Varia

L’histoire de l’art à l’école :
comprendre l’initiative de Nicolas Sarkozy

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L’histoire de l’art à l’école :
comprendre l’initiative
de Nicolas Sarkozy

Mis en ligne le 5 octobre 2007- Retouches les 12 octobre 2009 et 14 août 2012
Dans une lettre de mission de juillet 2007 adressée à Madame Christine Albanel, ministre de la culture et de la communication, le président de la République Nicolas Sarkzoy lui donne pour première tâche la démocratisation culturelle, appuyée sur une éducation culturelle et artistique dont il souhaite qu’elle soit considérée comme une priorité par le ministère et celui de l’Éducation nationale. “Nous pensons que la création d’un enseignement obligatoire d’histoire de l’art peut constituer le support de cette éducation culturelle qui fait défaut aujourd’hui”.

L’annonce réjouit, évidemment, mais demande tout de même à être étudiée attentivement, en analysant dans toute sa profondeur le texte. Ainsi, Didier Rykner, de latribunedelart.com, a d’abord signalé la lettre de mission, avant de s’inquiéter de ses suites : voici pourquoi.

Tout d’abord, l’histoire de l’art est présentée comme pourvoyeuse de la matière de l’éducation culturelle envisagée.

“L'école doit transmettre à tous les élèves les bases culturelles fondamentales leur permettant de connaître et d'aimer l'histoire, la langue et le patrimoine littéraire et artistique de notre pays - condition pour se sentir membres d'une même Nation -, de vivre en homme ou en femme libre, et d'apprécier, tout au long de leur vie l'art, le spectacle, la littérature, et toutes les autres formes de pratiques culturelles.”

Négligeons l’aspect politique et relevons une contradiction : l’enseignement culturel que doit embrasser l’histoire de l’art déborde largement la définition de l’art même. Il rompt avec la répartition des matières dans les cursus actuels. La musique et la littérature sont évidemment enseignées à tous les niveaux, dans des cours propres où leurs histoires ont leurs places. L’histoire de l’art est également une discipline constituée que d’éminentes personnalités tels qu’André Chastel, Bernard Dorival ou Jacques Thuillier ont fait entrer aussi bien à l’université qu’au Collège de France (sans parler de Pierre Rosenberg à l’Académie française). Où l’histoire de la littérature ou de la musique font l’objet de chaires et d’enseignements séparés.

Ce dont parle la lettre de mission présidentielle, ce n’est pas de l’histoire de l’art mais d’une histoire des arts ou d’une histoire culturelle (sous-entendue ici : de la France), qui serait à créer. En se privant ainsi des compétences de nombre de diplômés de la discpline existante, une fois de plus discréditée. L’Institut National d’Histoire de l’Art atteint sa vitesse de croisière au moment où ce qu’il doit promouvoir fait l’objet, à nouveau, d’un amalgame et d’une incompréhension au plus haut niveau politique français...

Je ne prétends pas défendre ici une conception élitiste de l’art, mais simplement celle qui a traditionnellement cours dans le cadre scientifique, sur laquelle il paraît évidemment souhaitable de s’appuyer. On n’aborde pas de la même façon musique et peinture; regardez les sens donnés ici et là au “classicisme” et au “baroque”, et vous commencerez à comprendre la différence. De même, pour un même sens concerné, la vue, ne traite-t-on pas communément de l’histoire de la littérature et de celle de l’art. Le monde des formes n’est pas celui des signes, quand bien même ils peuvent coexister à l’occasion.


Ceci dit, que faire?
1. Répéter que certains des champ visés par la lettre de mission font déjà l’objet d’une éducation dispensée à l’école, ainsi pour la musique ou la littérature (et d’une certaine façon, les arts du spectacle).
2. Rappeler que des expériences d’enseignement d’histoire de l’art au niveau du lycée ont été faites - mais la discipline est enseignée par des professeurs de lettres, d’histoire ou d’arts plastiques. Pourquoi? La licence d’histoire de l’art n’est pas une “licence d’enseignement”.
3. En conséquence, souhaiter que lui soit conférée cette capacité - et éventuellement créé un capes ou une agrégation d’histoire de l’art.
Ainsi, cette ambition louable trouverait rapidement un champ et les moyens de son application.

Soyons lucides, pour finir, sur l’aspect politique de la démarche.
Alors qu'il n'est question que de diminuer le nombre des fonctionnaires, on peut penser que la sollicitation de compétences déjà en activité soit adoptée sur le mode de ce qui a déjà été expérimenté dans l’enseignement secondaire...
D’autre part, la discipline qui me passionne (et qui attire de plus en plus d’étudiants en quête - voire en mal - de sens) pourrait bien se trouver, dans cette affaire, prise en otage à des fins purement politiques - au même titre que le Louvre et d’autres institutions culturelles peuvent servir la diplomatie -, puisque finalement le trait commun inédit de cette “histoire de l’art” que le président appelle de ses voeux est son rapport à la Nation. Il s’agit de faire “connaître et aimer l’histoire, la langue et le patrimoine littéraire et artistique de notre pays - condition pour se sentir membres d’une même Nation”.
On peut discuter le propos : pour une époque finalement aussi tardive que le XVIIè siècle, on rattache à cette Nation, Nicolas Poussin, né en Normandie mais qui a peint presque toute sa vie en Italie; Claude Gellée, son ami, dit le Lorrain, né en Lorraine, donc, alors qu’elle n’était pas française, et qui a pareillement choisi l’Italie pour l’épanouissement de son art; Philippe de Champaigne, né à Bruxelles... Surtout, il me paraît souhaitable que la politique se mette au service de la culture, non l’inverse : il appartient aux enseignants de décider du contenu de leur cours.

Oui, à l’histoire de l’art comme enseignement obligatoire, mais une véritable histoire de l’art, enseignée par des gens dont les compétences ont été reconnues par un diplôme d’histoire de l’art, et que par voie de conséquence, on laisse libres d’organiser leurs cours dans un souci purement éducatif.

S.K.


P.S. (12 octobre 2009)
: La mise en application se fait cette année, sur la base de nos pires craintes. Voyez ce qu’en disent Didier Rykner et Pierre Rosenberg sur le site de La tribune de l’art.

Retouche, août 2012 : Pour un point plus récent, s’appuyant notamment sur le parallèle avec la situation italienne, voyez mon compte-rendu de la conférence-débat du Festival d’histoire de l’art de 2011.
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