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Les Pastorales : dessin pour une main chaude.

Deux
Pastorales retrouvent des couleurs. - Post-scriptum : ... et de trois!

Table générale

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Les Pastorales :


dessin

pour une

main-chaude.



S. K.
Mis en ligne le 18 décembre 2013;
retouche le 8 juin 2014


Jacques Stella, Le frappe-main ou la main-chaude, Pastorale 4, plume et lavis, 25,3 x 30 cm; détail
Vente Millon, Paris, 17 décembre 2013, n°25

Un dessin “attribué à Jacques Stella” représentant l’un des sujets depuis longtemps connus des Plaisirs champêtres de l’artiste vient de passer en vente à Paris : il s’agit du numéro 4, Le frappe-main ou La main chaude, sujet dont le tableau correspondant figure parmi ceux retrouvés. Sa réapparition vient compléter les trois autres feuilles connues, considérées comme autographes, vendues chez Christie’s le 24 août 1995 (pour les Pastorales 3, 8 et 9). Comme elles, il est dans le même sens que la gravure, qui est aussi celui du tableau resurgi en 2010. Les techniques sont communes (plume et lavis), comme les formats, lesquels sont à l’échelle de 1:2 par rapport aux peintures retrouvées. La reprise au verso, au crayon noir, prépare certainement le transfert sur le cuivre. La maîtrise de la touche confirme le rattachement à Stella, presque audacieux suite aux interrogations posées par les monographies de 2006 et les études de Jaimie Mulherron. Prenons quelque maillet, et enfonçons le clou - mais recourons d’abord au ciseau.

Découper la frise des personnages dans les trois versions connues, peinte, dessinée et gravée devrait éclairer suffisamment leur statut respectif pour clore définitivement le débat. La jeune femme portant la main à sa bouche, face à nous, présente dans le dessin comme dans le tableau, le nez fort, les joues rebondies et la jovialité qui caractérisent l’un des types féminins tardifs de Jacques Stella, présent parmi les épouses de Salomon adorant les idoles ou incarnant la Vierge dans la Sainte famille à la bouillie de Toulouse, la Vierge au chardonneret Piasecka-Johnson ou la Fuite en Egypte dessinée du Metropolitan Museum. Lorsque Claudine la grave, elle amincit son visage en l’allongeant, de même que le nez, et son expression perd de sa fraîcheur, devient presque pincée : il en va de même de son voisin, notamment parce que son sourire est moins franc et le regard moins concentré sur le jeu, pour cause de cernes plus importantes - un des tics de la nièce qui marquent la différence avec son oncle. A l’autre bout de la frise, le jeune homme invitant à participer au jeu en devient presque triste et celui qui le précède, semblant se précipiter, montre un profil caricatural alors qu’il est tout de spontanéité sous le pinceau ou la plume.

Jacques Stella, Vierge Piasecka-Johnson, loc. inconnue - Folie de Salomon, Lyon, Musée des Beaux-Arts, détail.


Jacques Stella

Jacques Stella, coll. part.

Claudine Bouzonnet Stella d’après Jacques Stella

Claudine Bouzonnet Stella, Naissance de la Vierge, Harvard, détail

*

Jacques Stella, dessin

Claudine Bouzonnet d’après Jacques Stella, gravure

Jacques Stella, dessin Millon

Une des questions qui se posent nécessairement est l’ordre dans lequel peintures et dessins ont pu être faits. Manifestement, les seconds sont faits à l’échelle de la gravure, les préparant plus directement. Des remarques ont déjà été faites qui suggèrent, effectivement, que les dessins furent faits spécifiquement pour l’estampe. La publication assez rapide de ce qui était un ensemble peint pourrait participer à la préparation souhaitée par Jacques de sa succession, en lui assurant des revenus par la vente de sa production tardive. C’était, il faut en avoir conscience, la raison d’être de l’ensemble gravé que d’en faire la publicité en vue de la vente, y compris des peintures. J’ai dit ailleurs que les rapprochements beaucoup plus forts entre dessin et gravure qu’entre estampe et peinture pouvaient laisser croire que certains tableaux n’étaient déjà plus en possession des Bouzonnet au moment de leur traduction en gravure. Simple hypothèse, dois-je préciser, à laquelle je ne crois guère même si je ne peux absolument l’exclure au moins pour certains sujets.

Jacques Stella, coll. part.

Le cas du Frappe-main, lui, suggère une situation différente. Certains détails, comme la longueur du ruban de la femme de dos ou l’expression du personnage tout à gauche de la frise, rapprochent le tableau de l’estampe. Le souci de Claudine était de restituer une peinture, travail pour lequel le dessin était un intermédiaire commode mais, si j’ose dire, subalterne; là se plaçait notamment la part d’interprétation de tout graveur. Sur des détails vestimentaires ou du paysage, l’impact est faible. Les expressions, c’est autre chose.

Claudine Bouzonnet Stella d’après Jacques Stella



Jacques Stella


*
Jacques Stella, dessin

Claudine Bouzonnet d’après Jacques Stella, gravure

Jacques Stella, dessin

L’examen des frises tend à démontrer que, consciemment ou non, elle en vient à modifier l’esprit. Son vocabulaire plus ampoulé, plus porté à l’effusion par inclinaison morale, modifie un moment de détente franche, de jeux entre jeunes femmes et jeunes hommes respirant la santé, en amusement conduit sous le sceau de la bienséance, venant retenir ce qui pourrait devenir débridé. Claudine referme la bouche de la jeune femme intimant le silence, plus autorité que participante au jeu, au rebours de ce que Jacques semble avoir voulu, en passant du tableau à la préparation de la gravure.

Cela permet, à la rigueur, d’expliquer qu’on ait pu s’interroger sur le fait que Claudine soit plus impliquée qu’il n’y paraît, du moins en l’absence des dessins et, aujourd’hui, des tableaux. A contrario, la singularité de l’entreprise de l’oncle n’en est que plus évidente, loin de ce que l’on croyait voir en lui jusqu’à encore récemment. Comme Jacques Thuillier l’avait soupçonné dès 1960, Stella doit sa réputation dévote bien plus à ses héritiers qu’à son art même.


Jacques Stella, tableau, coll. part.

Claudine Bouzonnet d’après Jacques Stella, gravure

Sylvain Kerspern, Melun, le jeudi 19 décembre 2013





Retouche, juin 2014.

Le dessin est à la galerie Terrades, à Paris (détail restauré ci-contre).

Son examen direct ne laisse aucun doute sur sa qualité autographe (ni sur le fait que son auteur soit Jacques Stella, soit dit en passant). Au verso, le dessin est repris au crayon, essentiellement pour les personnages : selon toute vraisemblance, Claudine a ainsi pu le reporter pour préparer la gravure en retrouvant le sens de l’invention de son oncle.

Sylvain Kerspern, Melun, le 8 juin 2014


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