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Jacob

Bunel



Mise en ligne le 3 juin 2020

Jacob Bunel (1558-1614), peintre d'Henri IV, collaborateur supposé de Toussaint Dubreuil, maître de Claude Vignon qui le disait le plus grand peintre de son temps, auteur de la Pentecôte des Augustins de Paris qu'aurait louée Nicolas Poussin (Pierre Monier, 1698, p. 318), reste un peintre au catalogue fantomatique, dont même certaines œuvres apparemment signées demeurent problématiques. La gravure atteste de sa réputation de portraitiste aussi bien que sa contribution, avec sa femme, au décor de la Petite Galerie du Louvre à partir de 1607. J'ai tout récemment évoqué son cas dans mon étude sur le tableau de Condé-Sainte-Libiaire. Au moment de sa rédaction, une peinture signée, proche d'une autre composition semblable remarquée il y a quelques années, est réapparue. Elle m'incite à y revenir, pour interroger l'image que l'on peut se faire d'un artiste.
En avant la musique!
C'est en 2017 dans une vente à Gênes qu'est apparue la représentation peinte d'une Musique, concert mixte associant un flûtiste et au moins deux chanteuses, qui pourrait avoir des connotations moins élevées à voir la main posée sur l'une d'elles. La qualité est tributaire d'un état moyen mais certains passages - la jeune femme de dos et les deux hommes qui lui font face, notamment - désignent une main aguerrie. Le flûtiste m'a immédiatement fait penser au seul tableau de Bunel alors incontestable, signé, daté de 1591 et localisé à Venise. Autant celui-ci semble pris sur le vif - présomption sans doute trompeuse -, dans un style moelleux évoquant Giorgione et Titien, autant la peinture vendue à Gênes se compose comme une scène de genre, traduit avec fermeté dans un langage qui n'est pas sans rapport avec celui d'un Nicolas Baullery.

Attribué à Jacob Bunel (et atelier?),
Une musique
Toile, 100 x 85 cm.
Vendu à Gênes en 2017
Attribué à Jacob Bunel,
Le flûtiste, 1591. Toile, 46 x 36 cm.
Louvre
Le type physique et la façon de tenir la flûte sont différents mais l'attitude et le chapeau à crevés et plumes, identiques, ne laissent pas de doute sur la citation, faisant de la toile du Louvre autant une figure de fantaisie qu'un élément d'étude dont l'artiste fit son profit. L'état moyen de celui du commerce d'art m'avait incité à une prudence, pour une fois, excessive.
Une nouvelle version du sujet passé en vente est apparue sur le marché d'art à la fin de l'année passée - apparemment publiée dès 2015 par Guillaume Kientz, ce qui m'avait échappé. Le flûtiste est encore plus proche du modèle du Louvre par la rondeur de la joue et surtout, sur la partition déchiffrée par la chanteuse de dos, on lit clairement BUNEL, nom qui s'impose comme une signature. Le tableau vient ainsi confirmer pleinement la situation de l'autre version, avec laquelle il offre des variantes.

La composition respire plus, ce qu'un format à peine plus grand n'explique pas. La différence la plus nette tient à la présence d'un luthiste sur la droite, au point qu'on aurait pu se demander si la peinture vendue en Italie n'aurait pas été coupée, s'il ne manquait aussi l'instrument de musique. S'y ajoutent le dessin de la robe de la femme courtisée, sa coiffure ou les motifs de la nappe. Par-delà l'état, le tableau espagnol est d'une belle qualité et l'autre version ne peut être qu'une réplique, peut-être d'atelier, qui suggère le succès de cette invention.
Jacob Bunel,
Une musique.
Toile, 118 x 93,5 cm.
Vente à Séville, décembre 2019.
Bunel revu et corrigé.
Je ne compte pas, ici, reprendre tout le dossier du catalogue de Jacob Bunel, complexe et qu'une seule étude peinerait à épuiser. Ce texte faisant suite à celle consacrée au tableau de Condé-Sainte-Libiaire, je souhaite d'abord en évaluer au moins en partie ce que j'ai pu y insérer.
Attribué à Jacob Bunel
Henri IV en Mars. Toile, 186 x 135 cm. 1613.
Pau, Musée du château

Tout d'abord, et c'est sans doute le plus important, le tableau espagnol vient définitivement confirmer l'attribution du Portrait d'Henri IV par Sylvie Béguin voilà plus de trente ans, qu'on peut désormais tenir pour un ouvrage certain de Jacob Bunel. On retrouve dans les deux un traitement des mains, puissantes et veinées, des carnations chaudes et luisantes, du drapé jusque dans ses lisières, un goût pour les tissus à motifs identiques. Le luthiste, par sa physionomie, par l'arrangement des plis et la modulation du ton ou encore la restitution de la pilosité sont particulièrement frappant de ce point de vue. Le jeu du clair-obscur poussé jusqu'à faire surgir certaines parties de la pénombre, l'éclat des chairs, notamment le dos au premier plan, qui rappellent Titien, expliquent ce que son élève Claude Vignon voulait dire en le qualifiant de grand coloriste. Le drapé raide, une certaine simplification des volumes proviendrait plutôt de ses supposées collaborations avec Zuccaro, qui d'ailleurs devaient s'inscrire dans ses entreprises espagnoles dans une tradition du goût impérial en faveur de Venise et de Titien.
Je ne peux que revenir sur le cas du tableau de Condé-Sainte-Libiaire. Le commentaire qui précède recherche les rapprochements du tableau espagnol avec le portrait du Louvre, que j'avais mis en regard du panneau seine-et-marnais. On pourrait penser qu'il s'applique à ce dernier. Je ne le crois pas.
L'adoration des bergers.
Huile sur bois. 140 x 155 cm
Condé-Sainte-Libiaire, église Sainte-Libiaire.
Le premier point concerne la typologie. Les deux Musiques proposent des visages aux nez ronds et puissants, aux carnations moelleuses beaucoup moins contrastées que le panneau de Condé-Sainte-Libiaire. Les mains sont plus puissantes et fuselées, insistant moins sur les articulations. Ce qui me semble décisif tient au travail de la lumière. L'importance des ombres n'est pas, en soi, un critère, puisqu'elle se retrouve chez Ambroise Dubois ou Martin Fréminet, voire chez un Jacques de Bellange. C'est par la modulation de la lumière, enveloppante, soulignant les volumes, que les ouvrages de Bunel se distinguent, alors que l'Adoration des bergers joue sur les contrastes détaillant les muscles ou telle ou telle partie du visage, révélant les silhouettes au loin. Bunel a voyagé en des terres où il a pu étudier le travail des grands Vénitiens, en particulier Titien, qui lui a permis cette approche atmosphérique de l'espace, différente de celle pittoresque, du panneau seine-et-marnais. Ce qui se voit dans ce dernier s'apparente plus volontiers au travail tout en artifice de Baullery représentant le Premier siège de Paris, de Pau.
Attribué à Jacques Quesnel
L'adoration des bergers.
Huile sur bois. 140 x 155 cm
Condé-Sainte-Libiaire, église Sainte-Libiaire.
(Ci-contre)
Nicolas Baullery,
Premier Siège de Paris par Henri IV.
Bois. 41 x 52 cm.
Pau, Château-musée
Il ne s'agit pas, pour autant, de revenir strictement à l'intuition de Jean-Claude Boyer pour le panneau de Condé-Sainte-Libiaire : les types physiques seraient pareillement problématiques en regard de l'ensemble désormais réuni sur son nom. En revanche, cela pourrait apporter un nouvel argument en faveur de son beau-frère, Jacques Quesnel. On peut rappeler que celui-ci a été soutenu par Baullery lors de son accession à la maîtrise en 1593, ce qui pourrait signifier qu'il a été son apprenti. Il n'y aurait alors rien d'étonnant à ce que sa production reflète des préoccupations semblables pour la lumière, que leur compagnonnage pour les commandes des « petits Mays » de 1607 à 1621 au moins souligne tout autant. Par richochet, la proposition en faveur de Jacques Quesnel pour l'Adoration des bergers de Condé-Sainte-Libiaire me semble confortée.
L'histoire de l'art est jalonnée de petits pas aux apports décisifs - que l'on songe au cas le plus célèbre, celui de Georges de la Tour, ressuscité avec deux tableaux seulement par Herman Voss en 1915. Progressivement, Jacob Bunel sort à son tour de l'ombre - et peut-être aussi Jacques Quesnel, après son beau-frère -, et les contours des derniers feux de la Seconde Ecole de Fontainebleau se font plus consistants, malgré les nombreuses destructions.

Dans ce panorama, Bunel n'a certes pas encore trouvé, sans doute, la place qui lui revient. Je réunis ci-contre ce que j'ai publié sur ce site selon une proposition chronologique vraisemblable. Ce qui me semble désormais assuré permet de percevoir l'importance qu'il a pu prendre dans l'évolution de l'art de son époque. Si les recherches entreprises sur Baullery auront pu me servir pour m'en approcher, comment ne pas voir que le souci de volumes fermes restitués par la lumière, aboutissant au style monumental et mesuré de celui-ci visible notamment dans ses ultimes Adoration des bergers est redevable de la fréquentation du peintre de Blois sur le chantier du Louvre? On comprend par là l'importance de l'impulsion donnée, sur une quinzaine d'années, par la politique artistique d'Henri IV, poursuivie par Marie de Médicis, qui aura permis la fermentation d'un goût français solide, mesuré malgré les tentations maniéristes et précieuses, préparant le terrain des Poussin, Champaigne, Blanchard, Stella ou La Hyre.

Sylvain Kerspern, Melun, mai 2020

(Ci-contre) Attribué à Jacob Bunel
Vénus et l'Amour surpris par un satyre. Plume et lavis, 37 x 34 cm.
Localisation actuelle inconnue.
(Ci-dessus) Jacob Bunel
Portrait d'Henri IV, v. 1607?
Dessin, 40,7 x 29,8 cm.
Louvre
Bibliographie :

- Jean Bernier, Histoire de Blois, Blois, 1682, p. 521-524.

- Pierre Monier, Histoire des arts qui ont raport au dessein, Paris, 1698, p. 317-318.

- Jean-Louis Chalmel, Histoire de Touraine, Paris, 1828, p. 85-86.

- Notice Hendryk Oldelandt in Gerson Digital, mise en ligne de Horst Gerson Ausbreitung und Nachwirkung der holländischen Malerei des 17. Jahrhunderts, éd. 1983, Amsterdam, p. 466.

- Sylvie Béguin in cat. expo. Henri IV et la reconstruction du royaume, Paris, 1989, p. 341.

- Sylvie Béguin in Claude Vignon en son temps, actes du colloque de Tours, 1994, Paris, 1998, p. 83-96.

- Paola Bassani Pacht, notices in cat. expo. Maris de Médicis. Un gouvernement par les arts, Blois, 2003, p. 138-139, 154-159.

- Sylvain Kerspern in Objets d'art... Quelle histoire!, Dammarie-lès-Lys-Lyon, 2010, p. 98-99.

- Guillaume Kientz in catalogue d'expostion Velásquez, Madrid, 2015, p.130.

- Sylvain Kerspern, «Oeuvres en quête d’auteur» : L'adoration des bergers de Condé-Sainte-Libiaire, site dhistoire-et-dart.com, mise en ligne en janvier 2020; retouche le 13 avril 2020
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