Sylvain Kerspern - dhistoire-et-dart.com

*Sommaire concernant les Stella - * Table générale


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Antoine Stella en Tartarie.

Autour d'une feuille

du British Museum






Mise en ligne le 17 décembre 2016

Nous avions laissé Antoine Bouzonnet Stella plus ou moins en Espagne, par approximation avec le nom d'un couvent proche d'Abbeville. Dans l'étude que j'ai consacrée au décor peint qu'il a conçu pour ce lieu, aujourd'hui à Mézerolles (Somme), j'ai publié une gravure dont je lui donnais l'invention sans l'argumenter. L'étourderie me fit attribuer le travail du burin à Françoise Bouzonnet, alors que la reprise des notes de Mariette en donnait la maternité à Claudine (j'ai rectifié depuis...).
Entre-temps, j'ai pu en identifier un dessin préparatoire dans une feuille recto-verso aujourd'hui au British Museum, reprenant l'essentiel des attitudes mais dans un cadre et un décor très différent. Rapprochement comme différences ne laissent pas de doute sur le fait qu'il sert à préparer l'estampe, et non qu'il s'en inspire, en sorte que nous avons bien là le travail de l'inventeur. Il a été acquis des Schidlof Galleries en 1970 et le caractère exotique des costumes semble avoir incité à situer l'artiste dans l'école polonaise. Il s'agit en fait d'une Chine à la sauce Tartare.

Claudine B. Stella
gravure du frontispice pour
l'Histoire de la conqueste de la Chine par les Tartares, 1669. In-8°

Ici attribué à Antoine B. Stella,
dessin pour ce frontispice.
Plume et encre brune, lavis gris. 14 x 9,7 cm. British Museum (1970,0530.4 recto)

Ici attribué à Antoine B. Stella,
reprise du cavalier se penchant de ce frontispice.
Crayon noir. British Museum (1970,0530.4 verso)
Claudine ou Antoine?
Mariette, sans être infaillible, se trompe rarement, en tout cas pour les Stella. Pour cette fois, il manque tout de même un peu de précision puisqu'il ne donne pas le nom de l'inventeur de la gravure : « Un Chinois offre la couronne et l'empire de la Chine à un prince tartare, gravé au burin par Claudine Stella ». Pour l'identification du sujet, il semble bien informé, puisque l'image sert de frontispice à l'Histoire de la conqueste de la Chine par les Tartares de don Juan de Palafox y Mendoza (1600-1659), publiée à Paris en 1670 en espagnol et en français.

L'auteur fut nommé évêque de Puebla de Los Ángeles en 1639; il arrive au Mexique l'année suivante et y reste jusqu'en 1649; les circonstances le font vice-roi de Nouvelle Espagne par interim en 1642. C'est lors de ce séjour qu'il reçoit des missives des Philippines, qui sont aussi espagnoles, l'informant de la conquête de la Chine par les « Tartares », les Mandchous. L'ouvrage qu'il en tire se veut la démonstration de la volonté divine dépassant toutes les précautions que peuvent prendre les hommes dans la préservation d'un empire temporel.

Il faut noter au passage qu'il n'était pas en bons termes avec les Jésuites, et qu'on l'a accusé de ne pas blâmer assez fermement le jansénisme. Claudine a travaillé pour le Missel Voisin (1661), condamné par Rome sur le fait qu'il s'agisse d'une traduction en langue vulgaire (du pays), mais qui peut tenir aussi à des questions pareillement d'inimitiés et de sympathies. Mariette signale qu'un certain nombre de gravures de Claudine d'après des ouvrages de Baugin ou de Champaigne, financée par Loménie de Brienne, préparaient une Vie des Saints Pères du désert d'Arnauld d'Andilly; pour le même auteur, elle a fourni des vignettes destinées à ses Oeuvres de sainte Thérèse, publiées justement en 1670. Si Jacques Stella a pu passer pour « peintre des Jésuites », Claudine pourrait avoir tissé d'autres liens en fonction d'une piété que je crois plus nettement affirmée que celle de son oncle.

Du moins ces ouvrages permettent-ils de percevoir le travail de la nièce sur ses propres inventions durant ces années. S'y diffuse ce que Mariette croit pouvoir rattacher à Poussin et qui, selon moi, découle essentiellement de l'enseignement de Jacques Stella, cette solidité et cette sagesse dans la composition, les expressions et les volumes, propre au goût « atticiste » parisien. L'invention pour l'ouvrage de Palafox, sous cet aspect, est toute autre : les personnages, plus fins, s'animent franchement dans un jeu expressif plus conforme à l'exemple de Poussin, qui fut le second maître d'Antoine à Rome.
Claudine B. Stella
gravure pour
le Missel Voisin, 1661. In-8°
Claudine B. Stella
gravure pour
Clypeus Theologiae Thomisticae du Père Gonet, 1669.
Un point d'étape dans une carrière brève.
L'oeuvre d'Antoine reste encore largement à redécouvrir. L'étude que je lui ai consacrée il y a bientôt trente ans en esquisse la trajectoire, mais comporte quelques attributions généreuses.

J'en ai corrigé certaines. J'ai rendu les dessins du Louvre montrant Le Christ au jardin des Oliviers et Le Christ à la piscine probatique à l'oncle, en 1994 dans la Gazette des Beaux-Arts pour le premier, et en 2013 sur ce site pour le second; François Marandet a donné en 2005, de façon convaincante, au tout jeune Favanne l'Eliezer et Rebecca de Nancy, que j'avais rapproché d'Antoine.

D'autres restent à faire. J'ai du moins l'occasion ici de revenir sur un manque de rigueur de jeunesse, qui m'a fait envisager le portrait dessiné de profil d'un ecclésiastique comme celui de Pierre Desmoulins, prêtre de Saint-Germain-L'Auxerrois, client et ami du peintre, alors qu'il est évident qu'il prépare la gravure de l'ouvrage du père Gonet (ci-dessus) dans laquelle il offre son livre à sainte Thérèse. Claudine est tout à fait en mesure d'en avoir levé l'effigie, et la facture révèle en effet sa touche attentive et délicate, aux antipodes de celle nerveuse et allusive d'Antoine. Pour ce dernier, j'ai ajouté sur ce site, ici et et encore ici, d'importants compléments. Confronté au texte de la conférence lue par Guillet en 1691 à l'Académie, l'ensemble reste très lacunaire.
Claudine B. Stella,
Portrait duPère Gonet, 1669.
Trois crayons. 19,4 x 15 cm.
Louvre, Inv. 25035.
Malgré cela, on dispose d'un certain nombre déléments de comparaison pour la feuille du British Museum, d'abord parce que Stella le neveu est surtout connu par ses dessins, bien plus nombreux que ses peintures, à ce jour.

Son usage de la plume et de l'encre est, de fait, assez reconnaissable. Il est plutôt relâché voire griffonné, allusif, dans le déploiement d'un réseau de lignes dense, sinueux et segmenté. Un lavis généralement peu contrasté mais souvent abondant, de possibles rehauts de blanc pour la lumière complètent l'aspect pittoresque de ses compositions. Ce langage n'est pas sans rapport avec celui d'un Jean-Baptiste Corneille ou, en Italie, d'un Baciccio, et doit, à nouveau plus à Poussin, dans sa suggestion laborieuse, qu'à l'oncle, sauf exceptions tardives de ce dernier.

Ce que les feuilles de la maturité ci-contre, de 1676 et 1680, déploient avec fluidité et un sens de la lumière abouti apparaît bien dans le dessin anglais, mais de façon plus timide, plus obsessive aussi dans les contours. Le fond décoratif confère à l'ensemble un aspect un peu brouillon que la mise en page finale, dans un paysage sans grand relief, dissipe.

Voilà donc un dessin qui permet de cerner le style des premières années de Stella après son retour d'Italie. En effet, l'ouvrage porte la date de 1670 sur la page titre, mais l'achevé d'imprimé est du 20 novembre 1669, après un privilège obtenu le 28 mars. L'avis au lecteur précise qu'Antoine Bertier, le libraire, avait obtenu le manuscrit de l'ouvrage du cousin de l'auteur lors d'un séjour à Madrid trois ans plus tôt. On peut donc assigner le dessin d'Antoine aux années 1668-1669, pas plus tard ni sans doute plus tôt.
Antoine B. Stella
Saint Pie V en gloire, 1676.
Plume et encre noire, lavis et rehauts blancs.
31,5 x 22 cm. Coll. part.
Antoine B. Stella
Martyre de saint Pierre dominicain, 1680.
Plume et encre brune, lavis gris.
18,5 x 12,9 cm. Louvre, Inv. 25034.
L'identification du dessin du British Museum me semble utile pour situer la feuille de Besançon montrant Adam et Eve travaillant après la chute, qui marque une distance comparable avec le style de la maturité.

Non pas semblable, car la plume est plus sûre, plus efficace, mais certaines simplifications, pour les visages, ou les mains, ont une rondeur qui semble disparaître ensuite, comme l'aspect figé de la scène jusque dans certains détails : un souffle nouveau rend les compositions de 1676 et 1680 infiniment plus fluides et cohérentes, donc vivantes. Le rapprochement est plus net encore avec un dessin dans les collections de l'Albertina sous le nom de Bourdon mais dont la restitution à Antoine ne peut faire de doute : La persécution des Israélites en Égypte, qui doit faire référence à l'épisode qui conduit Moïse à tuer un contremaître égyptien qui battait ses congénères. Un Moïse sauvé des eaux des mêmes collections, de dimensions comparables, doit relever d'un projet décoratif commun.

Même si le format en largeur diffère, on peut se demander s'il ne faut pas également les associer au dessin de Besançon dans le rapprochement fait avec la mention par Claudine et reprise par Guillet de Saint-Georges d'un décor pour la maison de Pierre-Scevole de Sainte-Marthe (1618-1690) à Issy : huit sujets tirés de la Génèse et de l'Exode pour une salle de 30 pieds de long sur 18 de large, dont il a fourni les dessins et qui ont été exécutés par Porrée (sans doute le maître peintre Jean-Baptiste Porée) et autres. La feuille bisontine pourrait préparer l'un des murs de fond, tandis que les viennoises serviraient pour les travées. Au demeurant, aucune autre mention dans le manuscrit ne pourrait correspondre.

De même faut-il peut-être encore y ajouter deux dessins préparant apparemment une même composition : Le mariage de Tobie et Sara, sujet rare qui ne figure pas dans les deux livres de l'Ancien Testament en question mais pas plus parmi les sujets mentionnés explicitement dans la Vie d'Antoine. Le premier, au Musée des Beaux-Arts d'Orléans (Inv. 1593), à la plume et au lavis et annoté Poussin, est d'un graphisme très semblable au dessin anglais; le second, au Musée d'Alençon sous le nom de Jacques Stella, semble une mise au propre à la pierre noire fort compréhensible si la peinture devait en être déléguée. La facture peut étonner mais se retrouve dans le Portrait allégorique de Mgr de Harlay de 1673 (localisation inconnue).
Antoine B. Stella, Adam et Eve travaillant après la chute.
Plume et encre brune, lavis gris. 26,5 x 33,3 cm.
Besançon, Musée des Beaux-Arts et d'Archéologie.
Antoine B. Stella, Persécution des Israêlites en Égypte.
Plume et encre brune, lavis gris. 28,5 x 29,2 cm.
Albertina, Inv. 11629 (S.Bourdon)
Antoine B. Stella, Moîse sauvé des eaux.
Plume et encre noire, lavis brun. 28,4 x 28,3 cm.
Albertina, Inv. 11627 (S.Bourdon)

Enfin, une feuille anonyme du Louvre pourrait venir compléter cet ensemble : son sujet, rare, Le sacrifice d'Aaron (Lévitique, 9, 15-22), préfigure le sacrifice de la Croix. Les indications sommaires par le trait et l'usage du lavis pour les ombres sont notamment comparables à ce que montre un autre dessin du Louvre, La purification de la Vierge (ci-dessous), que j'ai rendu à Antoine dès 1989 et qui figure parmi les exemples les plus significatifs de son style graphique. Ceci étant, l'homogénéité stylistique d'un tel ensemble sur l'Ancien Testament reste fragile au regard du peu de points de repères d'une si brève carrière.

Ici attribué à Antoine B. Stella,
Aaron offrant le sacrifice du peuple.
Plume et encre noire, lavis brun, sanguine. 17,2 x 20,3 cm.
Louvre, Inv. 34172 (Anonyme/ J.B. Corneille)
Pour une approche dynamique et positive du style
Sur la base de comparaisons avec des oeuvres plus tardivement datées, j'ai fait quelques remarques tendant à caractériser le style des premières années de la carrière parisienne. Il faut évidemment signaler que d'autres oeuvres moins clairement en rapport, par leur facture, avec la feuille du British Museum relèvent de cette phase, au premier chef les dessins ayant préparé son morceau de réception à l'Académie; à quoi j'ajouterai ici un autre frontispice gravé, celui-là, par Guillaume Vallet (1632-1704), pour La morale du sage de Marie-Éléonore de Rohan, publié en 1667 (ci-contre). Tout cela permet de percevoir ce qu'Antoine pouvait proposer après une longue formation auprès de l'oncle (vers 1650-1657), puis de Poussin à Rome (1658-1663), sans parler des étapes du retour en France, notamment à Mantoue et Venise; et surtout, d'envisager de façon dynamique et non nécessairement rétrospective sa personnalité artistique et son évolution.
Le morceau de réception à l'Académie peint par Antoine surgit sans préalable, notamment l'agrément au cours duquel le sujet en est donné, le 26 mars 1666 (P.V. (...), I. 1648-1672, publ. 1875, p. 302). Antoine était rentré de Rome en juillet 1664; dessins et tableau datent donc, ou peu s'en faut, de 1665 ou du tout début de 1666. Il pourrait tenir lieu de carte de visite, et donne en tout cas une idée assez facilement cernable des autorités et des ambitions qu'il revendique.

Le format, tableau en largeur avec personnages de dimensions faibles, sujet d'histoire plus ou moins allégorique, correspond, comme souvent pour les morceaux de réception de l'époque, à celui des peintures de cabinet, pour amateur. Dans ce contexte, il retrouve certainement la veine de son oncle, notamment celle de deux oeuvres qu'Antoine a pu voir peindre dans l'atelier parisien.


Jacques B. Stella,Le jugement de Pâris (1650).
Hartford, Wadsworth Atheneum, The Ella Gallup Summer an Mary Catlin Summer Collection.


Jacques Stella, L'enlèvement des Sabines.
Princeton, The Art Museum, Princeton University

Son tableau sur Les Jeux pythiens paraphrase les dispositions du Jugement de Pâris, reprend la mise en perspective scandée par la barrière du Ravissement des Sabines, et sa véhémence expressive pour certains détails. Cet accent provient sans doute aussi de l'enseignement de Poussin et de l'étude de Giulio Romano à Mantoue.
Antoine B. Stella, Les jeux pythiens (1663-1666).
Pierre noire, lavis, rehauts de gouache sur papier préparé(?). 35,7 x 49,9 cm.
Bayonne, Musée Bonnat-Helleu (Louvre, Inv. RF50986)

Antoine B. Stella, Les jeux pythiens (1663-1666).
Crayon noir, plume et encre brune, lavis brun et rehauts blanc. 39,3 x 52,4 cm.
Louvre, Inv. 30198
Antoine B. Stella, Les jeux pythiens (1663-1666).
Huile sur toile. 145 x 170 cm.
Paris, Ensba
Les projets d'Antoine pour l'édition s'inscrivent aussi dans cet héritage, d'autant qu'il s'agit d'un domaine que l'oncle a particulièrement contribué à renouveler, à Rome comme à Paris. Toutefois, s'il reprend le principe, désormais courant, d'une page unifiée par l'image pour élaborer une histoire faisant discours en rapport avec le contenu du livre, il ne recherche pas autant la clarté et la sobriété. Il s'inspire plus vraisemblablement des péripéties « à la Poussin » en individualisant des attitudes plus nettement véhémentes.

Les personnages ont le canon du morceau de réception, et un rapport au décor comparable, beaucoup moins fonctionnel que chez l'oncle. Proportions et effet de tout-ensemble manquant de maîtrise, il faut mettre le frontispice de 1667 au rang des pièces mineures. Celui pour l'ouvrage de Palafox est bien plus convaincant, et le passage du dessin à la gravure montre un effort conforme aux nécessités de l'exercice, en faveur de la lisibilité. Il est temps d'analyser projet et réalisation.


Guillaume Vallet d'après Antoine B. Stella,
frontispice pour La morale du sage (1667). Gravure.
Le commentaire en ligne de la feuille du British Museum remarque dans le fond d'architectures des dessins qui s'apparentent à des hiéroglyphes. Il se peut qu'Antoine souhaite en fait évoquer les idéogrammes, tels qu'ils apparaissent, par exemple, chez Athanasius Kircher (China monumentis..., 1667). Leur disparition, au final, clarifie la composition et participe d'une mise en scène plus historique qu'allégorique.

En effet, à l'origine, Stella le neveu avait installé au premier plan une personnification de la Fortune, avec pour attributs la roue et le globe, remettant la couronne de Chine au prince tartare. Le décor renvoie à la culture millénaire du pays vaincu par les armes, réunies en trophées dans de petits compartiments au bas, qui devaient sans doute entourer le titre ou les indications de publication dans l'espace laissé en blanc. Il exprimait ainsi le sens global de l'ouvrage, le discours qui le sous-tend en manifestant une volonté divine faisant fi des empires que l'on pouvait croire les plus solides.

La gravure souhaite montrer une évocation plus concrète, documentée, de la capitulation, un notable chinois s'agenouillant pour offrir la couronne de son empire au cavalier mandchou. En toile de fond, une vaste plaine remplie de soldats précise la caractère militaire de cette conquête; et c'est une carte de la Chine qui vient occuper le bas de la page.
Ce glissement, qui motive la reprise au verso de la feuille du cavalier derrière le personnage au bas, désormais sans attribut qui le masque en partie, pourrait correspondre aux réserves de l'Avis introductif :
« Peut-être que le lecteur trouvera à redire que Monsieur de Palafox se soit quelque fois un peu trop arrêté à ces réflexions. Mais il doit prendre garde que c'était là le fruit qu'il se proposait de son ouvrage, de faire bien entendre que la grandeur humaine qui paraît la mieux établie est bien facile à renverser, quand Dieu veut châtier les pêchés des peuples par le changement des Empires. Et pour cela, il ne prétendait pas s'éloigner de son but, s'il arrêtait quelquefois son lecteur pour lui faire envisager de plus près ce que se pouvait être que tout ce faste qui faisait trembler tant de milliers d'hommes. Mais je préviens (de) Monsieur de Palafox, au lieu que je dois avertir seulement des soins qu'il a pris de faire connaître au public une des plus grandes révolutions qui soit arrivée dans le monde. Il sera aisé de juger s'il s'en est bien acquitté par les précautions qu'il a prises pour y garder la plus exacte fidélité de l'Histoire. ».
A-t-il une portée plus générale? Il s'inscrirait volontiers dans le courant de pensée mêlant pouvoir et religion tel que j'ai essayé de le mettre en évidence autour de la personnalité de Bossuet, dans l'exposition qui lui a été consacrée à Meaux en 2004; un courant conservateur, réticent devant le dynamisme jésuite, ce que les publications ornées par les Bouzonnet soutiennent.

Sans en faire plus qu'un indice parmi d'autres, on peut aussi relever l'effacement de l'allégorie devant l'histoire, que l'on peut constater de la galerie d'Apllon du Louvre à celle des Glaces à Versailles : si les personnifications n'en sont pas absentes, c'est bien Louis XIV en personne qui paraît à la voûte de son nouveau palais.

J'ai montré dans ma thèse (La peinture en Brie au XVIIè siècle, Sorbonne, 1990) que le flamboiement des maisons des champs au temps de la Fronde a favorisé le recours à l'allégorie alors, ce qui s'explique simplement. Ses promoteurs figurent pour la plupart parmi la nouvelle noblesse, élevée à ce rang par des services rendus au roi autres que militaires et par héritage (la robe, la finance); leurs actions ont un aspect beaucoup moins tangible que des exploits sur un champ de bataille. Le sens même du discours ainsi construit, à caractère énigmatique, prenait, de fait, le risque de l'interprétation, sinon de l'erreur de lecture. Nicolas Foucquet en fit les frais.

Là se trouve l'un des paradoxes du temps, à la mesure des contradictions traversant alors la société française. Restaurer un souci historique en politique, suivant le souhait maintes fois exprimé de la noblesse d'épée, avait ses limites en religion, que Bossuet ne cessa de rappeler notamment à propos de tout regard critique sur la Bible. Déjà, le système féodal fermé reposait sur un fantasme moins réel que les allégories dévoilant, à qui savait lire - Louis XIV au premier chef - que le pouvoir changeait de mains.
On pourrait s'étonner de pareils développements à propos d'un frontispice d'ouvrage dont on peine à mesurer la portée. L'Avis montre pourtant bien la nécessité de précautions politiques, ramenant la fragilité de tout empire (ou de tout royaume tel celui de France) à la mise en perspective des évènements. C'est dans cette optique que les transformations du dessin à la gravure prennent sens. Aussi mineur qu'il puisse sembler ici, le travail d'Antoine et Claudine se nourrit donc bien des enjeux du temps. Si stylistiquement, la dette est encore grande à l'égard de l'oncle, ils participent déjà pleinement de leur époque, celle du règne du Roi-Soleil.

Sylvain Kerspern - Melun, le 26 novembre 2016

BIBLIOGRAPHIE :
- Claudine Bouzonnet Stella et Guillet de Saint Georges, « Antoine Bouzonnet Stella » (1691) in Dussieux et al (publ.), Mémoires inédits sur la vie et les ouvrages des membres de l'Académie royale..., Paris, 1854, t. 1, p. 422
- Sylvain Kerspern, «Antoine Bouzonnet Stella peintre (1637-1682). Essai de catalogue», Bulletin de la Société de l’histoire de l’art français, 1988, 1989, p. 33-54.
- Mandroux-França, Marie-Thérèse et Préaud, Maxime 1996, Catalogues de la collection d'estampes de Jean V, roi du Portugal par Pierre-Jean-Mariette, Lisbonne-Paris, 1996 (t. II).
- Sylvain Kerspern, «Jacques Stella ou l’amitié funeste», Gazette des Beaux-Arts, octobre 1994, p. 117-136.
- Sylvain Kerspern (ed al.), catalogue de l'exposition Bossuet, miroir du Grand Siècle, Meaux, 2004.
- François Marandet, « La Revue du Louvre et des musées de France, 2005, 55-5.
- Sylvain Kerspern, Antoine Bouzonnet Stella, une Vierge vendue à Marseille, dhistoire-et-dart.com, mise en ligne en 2008.
- Sylvain Kerspern, «L’Annonciation de la cathédrale de Meaux. Clés pour une restauration attendue», site D’histoire & d’@rt, mise en ligne 9 septembre 2013.
- Sylvain Kerspern, Antoine Stella, deux dessins, un nouveau regard, dhistoire-et-dart.com, mise en ligne en mai 2015.
- Sylvain Kerspern, Le retable des Dames d'Espagne d'Antoine Stella, dhistoire-et-dart.com, mise en ligne en juillet 2015.
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