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Sylvain Kerspern - dhistoire-et-dart.com
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Une nouvelle peinture

par Claude Mellan (1598-1688),

Vénus châtiant l'Amour



Mise en ligne le 6 mai 2023

Iconographie et contexte artistique.

Notre tableau est apparu sur le marché d'art new yorkais en 2017. Le châtiment de Cupidon par Vénus relève du thème de l'éducation de l'Amour par sa mère. Il connaît une certaine fortune en Italie au début du XVIIè siècle, illustré par Carracci ou Valesio (ci-dessous), et se diffuse en Europe : Bijlert en donne sa version (Houston, MFA), et Scalberge grave le sujet en France dans une suite consacrée à l'école d'Amour, par exemple. Il s'agit, le plus souvent, d'une scène d'extérieur mais l'approche domestique peut conduire, comme ici, à l'installer dans un cadre d'architecture. Notre artiste dispose dans son décor une table décorée d'un vase transparent fleuri, et théâtralise sa présentation en peignant un rideau ouvert sur la scène, frappée par la lumière tandis que l'arrière-plan reste dans la pénombre.

Ici attribué à Claude Mellan,
Vénus châtiant l'Amour.
Huile sur toile, 118 x 95 cm. Coll. part.
Giovanni Luigi Valesio (c.1583-1633),
Vénus châtiant l'Amour.
Gravure. 20,4 x 13,7 cm.
British Museum.

Associée aux carnations terreuses, cette approche peut expliquer le sentiment d'une influence flamande. Néanmoins, le souci d'une certaine élégance autant dans l'attitude que dans le goût de la coiffure nous place bien dans l'obédience italienne, au sens large d'un artiste ayant à tout le moins longuement séjourné en Italie. Le sens du clair-obscur, le coloris raffiné et le type féminin conduisent à l'entourage de Vouet, et parmi les membres de celui-ci, le nom de Claude Mellan, grand graveur mais peintre méconnu, m'a paru s'imposer lorsque j'ai été sollicité à son propos, en 2018. Le tableau a depuis été publié par Consuelo Lollobrigida (2022) comme de Virginia da Vezzo (1600-1638), épouse de Simon, dont le cercle est décidément incontournable. L'année de leur mariage, Mellan dessine et grave le portrait de la jeune femme, signe d'une proximité encore sensible par l'estampe qu'il fait d'après la Judith de Virginia aujourd'hui à Nantes.

Virginia da Vezzo, Judith.
Toile. 98 x 74,4 cm.
Nantes, Musée des Beaux-Arts.
Claude Mellan d'après Virginia da Vezzo,
Judith. Gravure. 16,6 x 11,3 cm.
British Museum.

Mellan avait été le parrain de la première enfant du couple, Francesca, née avant la cérémonie. Jacques Thuillier situe son portrait de Virginia avant même le mariage en fonction des détails de l'ornement des cheveux passant, du dessin de Stockholm à sa gravure, des roses aux fleurs d'orangers. Dans sa lettre, il y rend hommage plus encore à son art qu'à ses traits. Le graveur témoigne toujours de sa proximité avec le couple Vouet en traduisant en une petite trilogie, outre la Judith, une Hérodiade de Vouet et Samson et Dalila de sa propre invention. On y ajoute parfois, comme sur la feuille d'Edinburgh (ci-contre), Loth et ses filles, de 1629, mais si le format est tout voisin, le lettrage diffère comme l'iconographie, en sorte qu'il faut, me semble-t-il, l'exclure de ce petit ensemble amical associant les trois créateurs. Cette distinction permet de situer lesdites gravures non datées avant le départ de Simon et Virginia (et Francesca) pour Paris, en 1627. Non loin, en fait, de l'élogieux portrait gravé de l'épouse d'un homme sur le point de devenir Premier peintre du roi de France.

Claude Mellan, Virginia da Vezzo.
Gravure. 11,7 x 8 cm.
British Museum.
C. Mellan d'après :
- lui Lot et ses filles; Samson et Dalila;
- V. da Vezzo, Judith; S. Vouet, Herodiade.
Gravures. Edinburgh, N.G. of Scotland.

Pour autant, l'art de Virginia n'est, à ce jour, indiscutablement soutenu que par la Judith de Nantes. Si elle souligne la haute qualité dont elle était capable et qui justifia sa réputation en Italie comme en France, ce que Consuelo Lollobrigida a réuni dans ses publications donne une image disparate de sa production qui ne laisse pas encore percevoir une personnalité à laquelle rattacher fermement notre Vénus. Puisqu'il y a une telle proximité de Vouet et de son épouse avec Mellan et en parallèle à la mise en ligne de mon étude de la suite de Stella sur l'Histoire de Vénus et Cupidon, qui pourrait avoir compris le sujet, je publie ici ma proposition initiale à peine amendée, en laquelle je crois toujours.

Style et inscription dans l'œuvre de Claude Mellan.

Le canon féminin,  le buste piriforme, aux petits seins écartés, le long cou, et les mains effilées, presque plates en profil, qui diffèrent nettement de celles, terriennes, de la Judith de Virginia, se retrouvent volontiers dans son oeuvre. Les exemples ci-dessous en témoignent.

Claude Mellan, Femme au buste nu.
Sanguine 14 x 10 cm. Stockholm, Nationalmuseum
Claude Mellan, Andromède.
Gravure avant 1635. 18,5 x 22,8 cm.
British Museum
Claude Mellan, Mort d'Adonis, 1635.
Pierre noire, plume et encre brune. 21,4 x 31,4 cm.
Louvre, Inv. 30955

Le "réalisme" anatomique se traduit notamment dans le détail des muscles, comparable à celui des anges assistant l'extase de la Madeleine (gravure ci-contre faite à Rome), et dans une forme d'outrance expressive rappelant les masques du théâtre que montre l'enfant, comme dans la gravure de Loth de 1629 pour une de ses filles (gravure ci-dessous), et qui affecte d'ailleurs l'interprétation qu'il donne de la Judith de Virginia. Mellan affectionne les visages vus da sotto in su, les yeux à demi-révulsés comme le sien, ainsi que les chevelures savamment désordonnées. L'arrangement de celle de Vénus sert, en contrepoint, à la désigner sans ambiguïté et la rapproche des filles de Lycomède (toile de Turin, plus bas).

Claude Mellan, L'extase de la Madeleine, 1627.
Gravure. 38,7 x 26,5 cm.

Claude Mellan, Loth et ses filles, 1629.
Gravure. 16,8 x 11,6 cm.
Attribué à Claude Mellan, Achille parmi les filles de Lycomèdes.
Toile, 107 x 162 cm. Turin, Accademia.

C'est encore une sorte de réalisme qui conduit Mellan à des drapés compliqués, tortueux, retournant les bords des vêtements, multipliant les petits plis en virgule aux dépens d'une ordonnance globale évidente, à l'effet local « baroque ». Cela se ressent particulièrement durant la période italienne; le travail sur l'antique et la confrontation avec l'art « atticiste » de Stella, voire Poussin, l'amenant ensuite à une facture plus minérale et disciplinée en la matière. Notre tableau se rapproche ainsi de L'extase de la Madeleine (gravure reproduite plus haut, 1627) ou de Sainte Marie du Secours (ci-contre), de date voisine, notamment. Toutes ces oeuvres partagent encore la typologie féminine au menton effacé.

Claude Mellan,
Sainte Marie du Secours (1627?).
Gravure. 26,7 x 19,2 cm.

La question du coloris est problématique pour un artiste dont la peinture assurée est encore si peu abondante. Pour autant, les deux toiles que je lui ai attribuées sont caractérisées par l'association d'ombres profondes et d'une gamme chromatique franche jouant volontiers de teintes raffinées (orangé, rose, mauves, bleus...) compatible avec notre Vénus, de même que le Calvaire de Lyon.

Attribué à Claude Mellan, Le Christ chez Marthe et Marie.
Toile, 107 x 162 cm. Coll. part.
Attribué à Claude Mellan, Le Christ au Calvaire., vers 1659?
Toile, 102 x 80 cm. Lyon, Musée des Beaux-Arts.

Ces remarques concourent donc à faire de ce tableau un élément de plus du petit catalogue de l'oeuvre peint de Claude Mellan, mais quand? Les indices formels, et notamment le travail du drapé, désignent la période romaine, plus proche du tableau de Turin que du Christ chez Marthe et Marie, parisien (vers 1640-1645?), et plus éloigné encore du tardif Calvaire de Lyon. En revanche, le coloris plus laiteux, un certain raffinement sculptural plus minutieux que dans l'Achille parmi les filles de Lycomèdes, qui peut traduire le regard sur l'art d'un Stella, à Rome jusqu'en 1634, pourrait conduire à une place un peu plus tardive, autour de 1630 voire dans les années qui suivent. Nous manquons encore trop d'œuvres peintes pour être plus précis.

L'interprétation du thème est très particulière. Rares sont les artistes qui situent la scène dans un intérieur. Le rideau, artifice redoublant une pratique de collectionneur qui pourrait suggérer une commande de quelque « curieux », nous dévoile en même temps une scène toute domestique. Sur une table, un vase à la subtile transparence renferme une rose, attribut de Vénus qui lui aurait conféré sa couleur en s'y piquant. À défaut de branchages ou de feuillages que la Nature lui aurait fournis en extérieur, la déesse se sert de sa main pour punir son fils, les fesses déjà rougies par de précédentes frappes. L'originalité de notre peinture tient plus particulièrement, peut-être, au ton donné, portée à la caricature ou la satire, voisine du libertinage et renvoyant aux amitiés intellectuelles de l'artiste. Style, thématique et inspiration concourent à en faire un témoignage précieux, plus personnel, et malicieux, du pinceau de Claude Mellan.

Sylvain Kerspern, Melun, 2018-2023

BIBLIOGRAPHIE :
- Jacques Thuillier, « Poussin et ses premiers compagnons français à Rome : (...) III. Claude Mellan, ’peintre français’. », Actes du colloque Poussin, 1958, Paris, 1960, I, p. 86-96.

- Maxime Préaud, Bibliothèque Nationale. Cabinet des Estampes. Inventaire du Fonds Français, XVIIè siècle. Tome 17, Claude Mellan, Paris, 1987.

- Maxime Préaud, Claude Mellan, L’oeil d’or, catalogue d’exposition, Paris, B.N.F., 1988.

- Catalogue d’exposition Parcours d’un collectionneur. L’histoire, la fable et le portrait, Sceaux, Arras, Bayonne, 2007-2008; cat. 16, p. 93-94.

- Sylvain Laveissière, « Un tableau retrouvé de Claude Mellan. Le Christ conduit au Calvaire du Musée des Beaux-Arts de Lyon », L’estampe au Grand Siècle. Mélanges offerts à Maxime Préaud, Paris, 2010, p. 269-275.

- Sylvain Kerspern, « Deux propositions pour : Claude Mellan peintre », dhistoire-et-dart.com, mise en ligne le 15 décembre 2011.

- Consuelo Lollobrigida, « Virginia da Vezzo tra Roma e Parigi. Verso un primo catalogo ragionato », Scritti di donne, 2, 2022, p. 245-254.

Courriels : sylvainkerspern@gmail.com.

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