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Sylvain Kerspern - dhistoire-et-dart.com

Jacques Stella - Catalogue
France, oeuvres datées de 1636-1638


Tables du catalogue : Au temps de Louis XIII (1636-1643) - Ensemble

Table Stella - Table générale
Mise en ligne le 25 mai 2016 - retouches : avril 2018
Semiramis/Béerénice, peinture,
1637 (Lyon)
Sainte famille au Lys, peinture,
1637 (loc. inconnue)
Salomé, peinture,
1637, (Ham House, UK)
Au temps de Louis XIII : l'installation à Paris. Oeuvres datées de 1636-1638.
Nous avons vu que Stella s'était préparé à quitter Rome, et que les circonstances lui avaient sans doute permis d'y réfléchir plus longuement que prévu. De fait, Stella poursuit en France son travail sur la densité et la mesure des formes, non sans rechercher l'émulation avec des artistes moins attendus dans cette orientation, tel Pierre de Cortone pour Semiramis.

On ne s'étonnera pas plus de le voir poursuivre sa pratique de la peinture sur pierre, qui avait fait partie de sa réputation. Néanmoins, si on peut envisager de rattacher certains ouvrages aux contacts quasi-immédiats avec l'archevêque de Paris et le cardinal de Richelieu affirmés par Félibien, rien encore n'a pu l'être formellement pour ces années.
Le détail des références bibliographiques, en l’absence de lien vers l’ouvrage consultable en ligne, peut se trouver en cliquant sur Bibliographie.
Le voeu de Bérénice, dit dans doute à tort Semiramis à sa toilette appelée au combat
Huile (et or?) sur ardoise. 36,1 x 53,5 cm. Lyon, Musée des Beaux-Arts


Historique : coll. Pieter de Klook, vente du 22 avril 1744, Amsterdam n°40 (« mademoiselle Stella »). Coll. Mrs Amos Green, vente Christie's du 15 juin 1822, Londres (Berenice devoting her Lock of Hair when informed of the Success of her Husband Ptolemy Energetes; a truly elegant and highly-finished cabinet specimen on slate). Vente Sotheby's Londres, 12 décembre 1990, n°209. Galerie Michel Descours en 2000; acquis par le Musée des Beaux-Arts de Lyon en 2006.

Bibliographie : en dernier lieu
* cat. expo. Lyon-Toulouse 2006, p. 116-117;
* Jacques Thuillier 2006, p. 92-93.

Pietro da Cortona, Semiramis appelée au combat.
Cuivre, 51,2 x 70,7 cm.
Oxford, Ashmolean Museum.


Jacques Stella Sainte famille au Lys
Cuivre. 29,9 x 42,5 cm. Localisation inconnue
Vente Uppsala, 5 juin 2007 (lot 11) (notamment)
Jacques Stella Mariage de la Vierge
Toile. 364 x 454 cm.
Toulouse, Musée des Augustins
La réapparition récente de cette peinture a contribué à réviser l'image de Stella et la compréhension de son art. La date qu'il porte permet par ailleurs de poser un jalon important pour sa chronologie. C'est donc une grande satisfaction que de l'avoir vu entrer au Musée des Beaux-Arts de Lyon.

Si on peut hésiter un instant avec Rhodogune, il semble bien que le sujet corresponde à l'histoire rapportée par Polyen (Stratagèmes, VIII, 26) et servant d'exemple pour la colère et la haine à Valère Maxime dans ses Actions et paroles mémorables (Facta et dicta memorabilia), tiré de l'histoire de Semiramis (Livre IX, ch. III). Surprise à sa toilette par l'annonce de la révolte de Babylone, elle l'interrompt pour se rendre aussitôt au combat. En la représentant occupée à désigner sa chevelure défaite, Stella semble faire allusion au serment de ne pas terminer sa toilette avant que l'insurrection ne soit domptée.

Jacques Thuillier a souligné la fortune relative du sujet en Italie (Matteo Rosselli, Guercino, Gimignani...), plus rare en France. C'est plus précisément à Pierre de Cortone que Stella semble se référer au travers d'une de ses premières oeuvres, sur cuivre. Les deux ouvrages partagent le format en largeur, l'ouverture latérale, le rideau théâtral, le messager de trois-quarts dos et le sens de la composition. Les dissemblances sont plus importantes pour nous, dans la définition de l'originalité de Stella.

Cortone condense le sujet, montrant l'invitation pressante du messager, le serment, main levée, de la reine de Babylone, et les suivantes s'activant pour la préparer au combat. Stella choisit un moment précis, que commentent les différentes attitudes : la surprise du jeune soldat devant la tenue négligée de Semiramis et son serment, tandis que les autres jeunes femmes semblent prises dans une discussion animée faisant suite à l'irruption masculine. Notre homme développe ici les différentes réactions possibles à un évènement donné. Dès 1637, il met en oeuvre une approche dont Poussin donnera une démonstration à grande échelle dans La manne, qu'il commentera pour son ami dans une lettre restée fameuse, en 1639. Non que l'un ait précédé nécessairement l'autre mais simplement que leur amitié repose sur une compréhension artistique mutuelle.

Le rapprochement avec Cortone conduit à remarquer chez Stella la précision du dessin et des volumes, complétée par une perspective à la distance courte, donnant une grande présence aux personnages. Le schéma perspectif est le même que dans la Sainte famille au Lys vendue en Suède (abordée plus bas), apparemment de la même année, et qui présente une même échappée latérale à l'horizon plongeant. Le procédé confère une forte immédiateté à la scène.

Semblable virtuosité perspective se retrouve à l'échelle monumentale dans le Mariage de la Vierge de Toulouse. Le carton de tapisserie propose des suivantes très comparables, en particulier le motif de la jeune femme avançant, au corps de profil tournant la tête, simplement inversé (dans la comparaison ci-contre, remis dans le même sens), comme je l'ai déjà relevé.

Tous ces éléments témoignent d'une élaboration méthodique de ses ouvrages, mesurée et axée sur l'efficacité psychologique, qui peut amener l'artiste à reprendre, presqu'inchangé, un motif parlant. Elle le conduit, toujours sur la base d'une culture marquée par l'Antique - particulièrement pertinent ici - et la Renaissance classique, à produire un art sobre, puissant, exprimant les passions avec une grande économie, par la mesure et la distance, redoublée ici par le rideau comme s'ouvrant pour nous sur la scène.

Stella en vient ainsi, pour ce sujet, à mettre en valeur non la haine ou la colère de Semiramis, comme le suggèrerait le texte de Valère Maxime, mais sa détermination, au diapason de son oeuvre au service de l'Assyrie. Faut-il s'étonner qu'un artiste s'apesantisse sur cet aspect, concrétisé dans le mécénat? Le personnage aurait pu s'inscrire dans une iconographie des Femmes fortes, fréquente au XVIIè siècle en raison des deux régences. Mais en 1637, Marie de Médicis est en exil, et Louis XIII a encore 6 ans à vivre. C'est donc sans doute un hommage à la protection des arts qui motive notre peinture, et qui donne à Stella l'occasion d'une belle page cultivée et sensible.


S.K., Melun, mai 2016

Détail inversé du Mariage de la Vierge, Toulouse, Musée des Augustins
Post-scriptum valant erratum
On peut, avec beaucoup de vraisemblance, identifier notre peinture avec celle de la collection de Mrs. Amos Green (1751-1822), veuve du paysagiste (1735-1807), vendue chez Christie's à Londres le 15 juillet 1822, avec cette description : Berenice devoting her Lock of Hair when informed of the Success of her Husband Ptolemy Energetes; a truly elegant and highly-finished cabinet specimen on slate. Ce que l'on sait du couple Green fait bien comprendre en quoi il était en mesure d'y voir un tel sujet. Voilà qui conduit à s'interroger sur l'iconographie.

Bérénice II, qui vivait au IIIè siècle avant J.-C., avait épousé Ptolémée III Evergetes. Lorsque ce dernier partit en campagne militaire en Syrie, elle formula le vœu auprès d'Arsinoë Philadelphe (divinisée en Aphrodite Zephiritide) de couper son abondante chevelure s'il revenait sain et sauf. À son retour, la boucle déposée dans le temple de Zephyrium, apparemment dérobée, aurait été l'occasion pour l'astronome Conon de Samos de transformer cette disparition en mythe, l'identifiant dans une constellation appelée depuis chevelure de Bérénice. Callimaque, poète attitré de la reine d'Égypte, mit l'histoire en vers, connus par la traduction de Catulle.

Le geste de la figure principale correspond parfaitement à ce vœu, modèle de fidélité conjugale rarement représenté, il faut bien le dire. Mais le caractère exceptionnel de l'iconographie ne s'arrête, à mon sens, pas là. Sans prétendre être exhaustif, la plupart des versions que j'ai pu rencontrer, à l'image de celles de Bernardo Strozzi (1581-1644) (El Paso Museum of Art, USA; Milan, Castello Sforzesco; Udine, Galleria d'Arte Antica, notamment) ou d'Elisabetta Sirani (1638-1665) (tableau signé et daté de 1664 passé sur le marché de l'art en 2011), isolant plus ou moins la jeune femme dans son intimité, montrent la réalisation de ce voeu, lorsque la reine coupe une boucle de ses cheveux, ou s'apprête à le faire.

Comme Marco Liberi (1644-1685) (Varsovie, Musée National) et bien avant lui, Stella peint le moment de la formulation du voeu, à l'annonce du départ de son époux. Pour autant, il rompt avec l'approche sensuelle et intime que même Liberi emploie, et réalise une peinture d'histoire contextualisée, inspirée de celle de Cortone sur Semiramis, en introduisant le messager venu annoncer la nouvelle et les soldats au loin, tuant le temps aux dés avant d'embarquer. Le souvenir de la composition du peintre toscan aura-t-il été source de cette transformation, ou bien fut-ce demande expresse du commanditaire? Quoiqu'il en soit, il est certain que Stella peint cette ardoise pour le milieu cultivé parisien. Le sujet rare, non sans résonance personnelle - peindre, en quelque sorte, la naissance d'une constellation -, et le traitement qu'il en fait donne le diapason d'une singularité qu'il cherche à imposer, citant Cortone mais pour s'en démarquer aussitôt.

L'analyse psychologique faite plus haut est peu affectée par le changement d'iconographie, et se trouve même renforcée dans sa pertinence. La surprise du messager à la réaction de la reine est d'autant plus justifiée que le geste de celle-ci signifie le renoncement amoureux définitif à tout autre homme. On comprend également mieux la subtile mise en évidence des peignes, l'un sur la table, l'autre encore dans la main d'une suivante : ils désignent tout autant une activité en cours que le sacrifice dont Bérénice partage l'annonce avec Ptolémée via son émissaire.

En tout état de cause, les personnes présentes ne sont pas, comme chez Cortone, des assistantes accompagnant l'héroïne, mais bien des témoins commentant la décision qu'elle a prise, dans un esprit commun avec Poussin. Au fond, si ce dernier détaille, dans sa lettre à Stella, ce procédé mis à grande échelle dans sa Manne en 1639, ce n'est pas pour instruire son ami, comme on a trop longtemps voulu le croire, mais bien parce qu'il savait que son argumentaire ferait mouche chez un peintre déjà convaincu de la pertinence de la démarche, puisque la pratiquant déjà lui-même...


S.K., Melun, mai 2018

Ci contre :
Elisabetta Sirani (1638-1665)
Le voeu de Bérénice
Toile signée et datée sur la broderie de la chemise Elisabetta Sirani 1664.
55 x 44,5 cm. Marché d'art parisien en 2011
Marco Liberi (1644-1685) Le voeu de Bérénice
Toile. 102 x 138 cm. Varsovie, Musée National

Pietro da Cortona, Semiramis appelée au combat.
Cuivre, 51,2 x 70,7 cm.
Oxford, Ashmolean Museum.
Sainte famille au lys et au berceau, 1637

Cuivre. 29,9 x 42,5 cm. Localisation inconnue

Historique : gravé par Gilles Rousselet chez Alexandre Boudan entre 1639 et 1641 selon le dédicataire, Ranuccio Scotti, nonce du pape Urbain VIII en mission en France alors. ?Vente Paillet, Delaroche, Boileau Paris, 24 juin 1799, lot 17. ?Coll. Prince Fredrik Adolf of Holstein-Goetorp (1705-1803). ?Coll. Comte Fredrik Wilhelm Ridderstolpe (1750-1816). Coll. capitaine Johan Ernst Hagdahl (1836-1906), vente Bukowski's, Stockholm 14 avril 1886 (lot 601); acquis par Alfred Brink (1830-1913). Vente Stockholm, 14-16 décembre 1921, lot 100. Vente Uppsala, 5 juin 2007 (lot 11). Vente Christie's Londres, 8 juillet 2008 (lot 20).


Bibliographie : catalogue Christie's Londres, 8 juillet 2008, lot 20 (pour les mentions de l'historique entre 1799 et 1821); Véronique Meyer, Gilles Rousselet, Paris, 2004, p. 36; Jacques Thuillier 2006, p. 109 (pour la gravure de Rousselet); Kerspern avril 2008.


Gilles Rousselet d'après Stella, gravure dédiée au nonce Scotti publiée chez Boudan, en sens inverse
(cliquez sur l'image pour le sens normal)


François de Poilly d'après Stella, Sainte famille au lys, gravure.
La première remarque, incontournable pour tout catalogue, concerne la date. Je n'ai pas examiné directement la peinture et ne peux donc, sur la foi de la seule photographie, peu claire à cet endroit, affirmer que le dernier chiffre soit bon. Néanmoins, compte tenu des liens déjà constatés avec le dessin de la Gloria di viertu, pour le dessin du drapé de la Vierge, avec la Semiramis (ci-dessus) pour le décor, et du fait de la gravure de Rousselet datable par son dédicataire, Ranuccio Scotti, nonce extraordinaire en France de 1639 à 1641, l'oeuvre s'inscrit assurément entre 1636 et 1641. Le risque est donc faible d'une erreur grossière à ce propos.

Un mot sur le dédicataire de l'estampe : d'un an plus jeune que Stella qui peut l'avoir connu à Rome, il est nommé évêque de Borgo San Doninno en 1627 par Urbain VIII. Le pape le fait ensuite nonce extraordinaire pour la Suisse en 1630, puis pour la France en 1639. Sur le trajet de son voyage pour Paris, il arrive le 14 mai à Lyon, où Stella est mentionné par Poussin dans une lettre à Chantelou du 28 avril, selon laquelle notre peintre doit lui servir d'intermédiaire pour la livraison de La Manne. Scotti semble avoir été accueilli favorablement par Richelieu : autant de facteurs qui ont pu le rapprocher du peintre (Pierre Blet
Correspondance du nonce en France Ranuccio Scotti, Rome, 1965).

Les variantes entre peinture et gravure (canon des personnages, en particulier de la Vierge, place de la corbeille sur la table...) ont déjà été relevées ici. Elles conduisent à penser que l'estampe ait pu faire l'objet d'un nouveau dessin, en sorte que notre tableau ne doive pas nécessairement être rattaché à Scotti, comme ce que j'ai écrit alors pourrait le suggérer : il s'agissait sans doute plus d'une offre de service, en quelque sorte, que du souci de traduire une oeuvre de sa collection.

Au demeurant, dans le cas d'une simple reproduction, le graveur ne rendrait pas justice au peintre : le canon plus imposant des personnages atténue l'effet d'appel induit par la perspective et la sensation de contre-plongée, comme si le spectateur se trouvait au niveau de celui de l'angelot. S'il part d'une nouvelle invention, l'estampe traduit l'évolution de l'artiste durant ces années par le renoncement aux effets tant soit peu spectaculaires et par la monumentalisation des formes.

Dans un cas comme dans l'autre, la poésie propre à l'artiste demeure. Il y a autant de tendresse et d'attention dans l'angelot remettant en place le petit oreiller du berceau que dans le geste de l'Enfant, semblant ouvrir la main de Joseph pour y glisser le lys. Stella a traité le sujet de la Sainte famille au lys à plusieurs reprises. Ci-contre se trouve une seconde version gravée par François de Poilly, dont la lettre, tirée de l'Apocalypse d'Esdras, ou Esdras 4 (III, 24), peut se traduire par : « Parmi toutes les fleurs, tu as choisi le lys ».

La fleur évoque la Vierge et par ce geste, Jésus semble rappeler à Joseph que Dieu la lui a confiée. De son point de vue, elle peut aussi rappeler le miracle du bâton fleuri qui le fit désigner pour son époux parmi ses prétendants. L'enfant semble ainsi apaiser les doutes de son père adoptif, qui vient de refermer un livre - une Bible dans lequel, peut-être, il cherchait il y a quelques instants encore des réponses à ses interrogations.

Contemplant ce geste, il ne voit pas l'expression de Marie, occupée à tenir, voire retenir l'Enfant. Sa main droite est au point de fuite du tableau : là se joue le temps historique, un premier pas vers un destin tragique dont Joseph ne sera pas témoins. Rappel possible du fait que pour la religion chrétienne, Joseph incarnait l'exemple de la bonne mort...


S.K., Melun, mai 2016

Salomé apportant la tête de saint Jean-Baptiste
1637
Huile sur ardoise. 42,5 x 33,5 cm.
Signé sur la plinthe, en bas à gauche : Stella f./1637

Historique : commande ou acquisition de William Murray (c. 1600-1655)? Mentionné dans l'inventaire de Ham House de 1683, puis par descendance jusqu'en 1948; acquis par le Royal Treasury; transferé au National Trust en 2002.

Bibliographie : en dernier lieu cat. expo. Lyon-Toulouse 2006, p. 46; Jacques Thuillier 2006, p. 92 (titre incomplet).


Le jugement de Salomon. Toile, 112 x 161 cm.
Vienne, Kunsthistorisches museum

Rinceau extrait du recueil de Divers ornements d'architecture recueillis et dessinés d'après l'antique par Mr. Stella, gravure de Françoise Bouzonnet Stella, publication de Claudine Bouzonnet Stella en 1658.

Frontispice pour Prolusiones ethicae d'Agostino Mascardi,
gravure de Jean Picart d'après Stella, 1639
(privilège de décembre 1638).
La peinture de Ham House est sans doute l'une des plus méconnues de Jacques Stella : elle n'est que mentionnée par les deux catalogues de 2006, et semble n'avoir été reproduite que dans le cadre de la promotion des collections qui la conservent, à l'exception de l'exposition de Leicester, en 1985, au prix, peut-être, d'un fort malentendu, si l'on doit s'en tenir au titre de la manifestation : Masterpieces of Reality. French 17th Century Painting. C'est pourtant l'une de celles qui illustrent le plus parfaitement la complexité de l'artiste et de ses recherches, par ce qu'elle propose et par les questions qu'elle soulève.

Il faut d'abord noter que c'est un des rares tableaux de cabinet pour lequels on peut remonter l'historique quasi jusqu'à sa création. Avec son cadre d'époque, il peut même servir d'illustration pour comprendre la peinture du temps et son environnement immédiat. La sobriété des formes et le ton sombre du pourtour - qu'on rattacherait aujourd'hui aux encadrements hollandais - résonne pleinement avec le support de l'ardoise, pour exalter les couleurs de l'histoire.

La localisation ancienne en Angleterre, au point que l'on puisse envisager une commande de William Murray, au moment où Charles Ier lui octroie le manoir de Ham, est tout aussi remarquable : elle suppose une renommée qui dépasse de loin les limites des lieux où Stella a exercé son métier. Les séjours de son ami François Langlois outre Manche n'y sont peut-être pas pour rien. On sait ainsi par Mariette, et la lettre que Mellan lui écrit de Rome le 20 juin 1635, qu'il s'y trouve; un autre lettre de Mellan de mardi-gras 1637 montre qu'il y avait des contacts soutenus susceptibles de servir ses amis, pour qu'ils s'y établissent. Il y séjourne apparemment encore en cette année 1637 et en 1641.

Stella semble s'être fait une spécialité des représentations de jeunes héroïnes obtenant la tête d'un homme, entre Judith et Herodiade/Salomé. L'image qu'il donne ici n'en est pas moins d'une grande originalité. Le lieu est saturé de références à une Antiquité pour partie documentée, pour une autre fantasmée. Le soin apporté aux ornements du pilastre ou à la restitution du pavement de pierres mixtes, les savantes coiffures ornées de perles créent une image qui anticipe la profusion archéologique de La folie de Salomon (Lyon, Musée des Beaux-Arts, ci-dessous), des années plus tard, voire une forme d'orientalisme.


Les motifs de rinceaux rappellent aussi bien la frise de bas-reliefs du Jugement de Salomon (ci-contre), les motifs ornementaux qu'il utilisera pour les ouvrages de l'Imprimerie Royale que le recueil d'ornements d'architectures que sa nièce Françoise Bouzonnet gravera et que Claudine publiera peu après sa mort. Le motif des personnages s'apprêtant à franchir le seuil d'une pièce ainsi que leur canon oblige aussi au rapprochement avec le frontispice de l'ouvrage de Mascardi gravé par Jean Picart et publié en 1639, qui propose le même rythme souple et tranquille. La comparaison permet de ressentir la ferme insensibilité de Salomé. Le vif mouvement du jeune garçon ouvrant le rideau témoigne de son empressement à lui obéir, inspiré par la crainte. Son dessin pourrait dénoter le regard sur Vouet.

Le point d'orgue est évidemment constitué par la tête discrètement auréolée de Jean. Elle est posée tout autant sur le plateau tenu par la jeune servante que sur le champ électrique de coloris cangianti, mêlant rose parme, jaune et orangé de son manteau. La virtuosité du pinceau pourrait transcrire la violence du drame qui vient de se dérouler autant que les tourments qui peuvent l'avoir saisis. En peignant un moment particulier, entre la décollation et la présentation à Hérode dans la salle du banquet vivement éclairée, Stella parvient à évoquer l'entièreté du thème, s'appuyant sur la psychologie autant que sur les moyens proprement picturaux, au service d'un parcours physique, pour ses personnages, et intellectuel et sensible, pour le spectateur. L'oeuvre figure assurément parmi les plus belles réussites de l'artiste, et porte haut sa réputation.


S.K., Melun, mai 2016

Table générale - Table Stella - Catalogue Jacques Stella : Ensemble; Au temps de Louis XIII (1636-1643), mosaïque
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