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Sommaire de la rubrique Formation

Table générale


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INITIATION À LA LECTURE DES ŒUVRES D’ART
Cycle de cinq cours professés à Melun en 2005-2006

I. Définition de l'histoire de l'art

Mises en ligne 2004-2005; retouches, 2012 et 2015


- II. Reconnaître. - III. Comparer : le concours pour le Baptistère de Florence de 1401. - IV. Lire : l'exemple du retable de Provins par Jacques Stella.

L’art sans spectateur, sans regard sensible et véritable, voit s’accélérer sa tendance «naturelle» à disparaître. Car l’histoire de l’art, comme l’histoire, a quelque chose d’une course contre la montre, contre la mort.
Et propose une leçon de vie.

Ce cycle propose des clés pour la lecture des œuvres d’art - essentiellement, dois-je préciser, l’art occidental. Cela suppose une définition de son objet - l’art - et la mise en œuvre d’une discipline à cerner - l’histoire de l’art. Ce sera l’objet du premier cours introductif.
I. DÉFINIR L’HISTOIRE DE L’ART

Histoire de l’art : l’expression qui caractérise la discipline en jeu dans ces lignes se composent de deux termes qui semblent d’évidence, et pourtant définir l’un et l’autre ne va pas sans mal. Quant à les réunir...

Commençons par l’histoire : étalement dans le temps que la discipline historique scande en grandes périodes caractérisées.
Premier constat : le déroulement chronologique porte en lui-même un sens, du passé vers le présent. Je l’appellerai évolution, dans son sens le plus neutre et pour éviter à tout prix l’idée mal commode de «progrès», très connotée et suggérant un jugement de valeurs : l’art d’aujourd’hui constitue-t-il un progrès par rapport à celui du XIXè siècle, lui-même par rapport à celui du XVIIè siècle, etc.?

Peut-on vraiment comparer Picasso à Degas, la voûte de la Sixtine (ci-contre) aux Heures de Jeanne d’Evreux (ci-dessous à droite, une page), et le tout à Lascaux, de cette façon?



Michel-Ange, voûte de la chapelle Sixtine, vers 1510.
Le regard porté sur l’histoire suit un sens inverse. Autrement dit, le point de vue de l’historien de l’art est nécessairement dans le futur par rapport au moment créateur de l’œuvre d’art. Cette approche rétrospective, pour garder sa neutralité, doit s’efforcer de mettre entre parenthèses son propre présent - qu’il ne doit surtout pas considérer comme un «aboutissement» - ni la Renaissance comme le triomphe sur les «ténèbres médiévales»...

Dès lors, c’est l’œuvre d’art qui commande,
- en tant qu’elle-même, objet isolé,
- en tant qu’elle participe de différents cadres ou contextes (un monument, un lieu, une époque, un style, un thème...).
Elle est au centre de la discipline et elle seule peut valider l’approche qui en est faite.

Nous arrivons donc à l’œuvre d’art, objet de cette discipline que l’on appelle l’histoire de l’art - non histoire des arts (qui comprendrait également la musique, le théatre, par exemple). Art plastique, art du dessin, si l’on veut. Comment la définir?
On peut la caractériser ainsi : c’est un moyen d’expression, porteur de signification(s) produit unique de main d’homme, porteur de valeurs faisant appel à la sensibilité (ou «valeurs esthétiques»). Ces valeurs sont changeantes (affaire de goût) - dans une même époque et au gré de l’histoire.

Le cas des «peintres Précieux» (Vignon, Brebiette, Senelle, Déruet...) prolongeant l’esthétique maniériste dans un mépris de la règle en plein XVIIè siècle est instructif. On voit ainsi (ci-contre) un Senelle proposer un projet sage, au coloris chaud et plutôt clair (coll. part.), pour une Adoration des mages, qu’il transforme dans le retable qu’il en tire, en 1636 (Meaux, cathédrale), au gré de sa fougue et de son goût «lorrain» (ci-contre et ci-dessous).


Jean Senelle, Adoration des mages, 1636.
Meaux, cathédrale
(détail au format du bozzetto).

C’est qu’il fait de sa facture le prix de son art, plus encore que l’idée ou la composition. De même est-il tentant de juger le traitement des anatomies ou du canon imparfait, marqués que nous sommes de plusieurs siècles de préjugés issus de l’Académie. Or, il faut le répéter, la règle n’était rien face à la fantaisie de l’artiste et à sa capacité de faire croire à l’invraisemblable - tel Vignon, employant le langage supposé naturaliste de Caravage pour «martyriser» plastiquement (ci-contre) saint Mathieu...

Annick Notter, alors conservateur au Musée d’Arras, m’a rapporté que le service éducatif du musée avait, idée géniale, conçu une boîte dans laquelle les enfants qui le voulaient devaient essayer de reproduire la pose du saint, évidemment impossible.
Notez aussi la tournure du poignet du bourreau, interdisant toute force dans son geste pourtant brutal...

Jean Senelle, Adoration des mages.
Coll. part.

Claude Vignon,
Martyre de saint Mathieu, 1617.
Arras, Musée des Beaux-Arts.
On peut donc présenter l’histoire de l’art comme évaluation des œuvres d’art suivant l’époque - ce qui suppose une connaissance certaine de l’époque, un bagage historique sûr, et aussi une approche spécifique de l’œuvre d’art.

Car l’œuvre d’art, si elle «reflète» d’une certaine façon les caractéristiques d’une époque, est avant tout une production précise que l’histoire de l’art s’efforce de rapporter à quelqu’un, personne réelle - un artiste -, ou «morale» - un style, une époque, un lieu.

Que veut dire alors «évaluation»? Pas nécessairement le développement d’une hiérarchie dans laquelle l’œuvre étudiée prendrait place - et qui serait sans cesse bousculée ...

- il n’est que de rappeler la longue éclipse de fortune
de Georges de La Tour, aujourd’hui au pinacle
(ci-contre, son Jésus enfant dans l'atelier Joseph du Louvre) -

... mais plutôt en dégager l’intérêt.

En fonction de la terminologie de la discipline, on peut en supposer deux aspects :
- l’un historique, élément d’une culture dont il est typique;
- l’autre artistique, comme porteur d’une originalité, qui la caractérise.
Prenons le cas de Nicolas de Staël. Ses peintures, abstraites ou non, peuvent être considérées comme :
- les reflets d’une culture qui s’interroge sur l’homme et ses motivations conscientes ou non (à l’époque du développement de la psychanalyse, de l’ethnologie, devant l’effroi des camps de concentration ou de la bombe atomique...);
- les éléments d’un parcours personnel, d’une réflexion et d’une action propre autour de la notion de création - autant dire une véritable réflexion sur son art.

L’un et l’autre sont constitutifs de son style. Dans son évolution de la figuration à l’abstraction et retour :

- sa phase abstraite apparaît comme le laboratoire nécessaire de sa sensibilité, une quête de sa maîtrise;

Calme, 1949, toile, 96,5 x 162,5 cm.
Collection particulière, New York.
- et la résurgence du monde sensible comme le moyen de lui donner corps en la communiquant, en se servant de référents. Voire en se confrontant à l’histoire de l’art, ses différents genres.

Footballeurs, Paysage - ici de Sicile -, Nature morte, Nu...


Paysage de Sicile, 1954. Toile, 114 x 146 cm.
Grenoble, Musée des Beaux-Arts.

Nu couché bleu, 1955. Toile, 114 x 162 cm.
Grenoble, Musée des Beaux-Arts.


Footballeurs, 1952, toile, 19 x 27 cm.
Dijon, Musée des Beaux-Arts (donation Granville).

Table à palette, 1954, fusain sur papier, 145 x 104 cm.
Paris, Centre Georges-Pompidou

Produit unique : le fait est important et peut éclairer l’évaluation à faire, plus comme une classification que comme une distinction hierarchisée. Ainsi la création humaine peut-elle être envisagée selon l’angle unique-multiple.
Le dessin en semble en effet le tronc commun, reflet de l’ «idée» originelle. La peinture en découle directement, mais n’empêche pas la répétition (réplique autographe, ricordo...). La sculpture s’en éloigne un peu, puisqu’elle peut entraîner la fonte en bronze. La gravure suppose déjà le multiple, dans le tirage, et dans sa fonction reproductive; mais garde le lien direct avec le dessin dans le travail du cuivre à transcrire une invention (celle d’un «peintre-graveur»). Ce qui le distingue fondamentalement de la photographie, d’où le geste, élément central de la création artistique, est quasi-absent...
Il ne s’agit pas, je le répète, de proposer une hiérarchie des différentes disciplines de la création humaine mais de suivre avec rigueur une tentative de définition de l’art, propre à l'expression « histoire de l'art ». Il semble naturel de considérer l’art comme une création, un acte déterminé, un processus dans lequel le temps a son rôle à jouer plus que comme une chambre d’enregistrement.

Cette unicité fait la valeur de l’œuvre d’art (voire son prix...), son originalité - et la difficulté éventuelle d’en restituer toute la signification originelle : programme à suivre, expérience plastique du créateur face à une demande précise (ou non), processus de réalisation, place dans le cheminement de l’artiste... D’autant que le premier cercle constitué de ce dernier et de son destinataire immédiat laisse rapidement place à une audience plus vaste, aux intérêts et au(x) goût(s) plus ou moins différents. C’est l’ambition de l’histoire de l’art que de chercher à désigner toute la portée d’une œuvre d’art. Aussi bien peut-on laisser passer une part de notre sensibilité contemporaine, dès lors qu’elle est un chemin vers l’œuvre. C’est en vertu de cette «communicabilité» des œuvres, foncière dès lors qu’on se donne la peine de les contempler, que ces cours sont proposés, et avec eux le principe d’une analyse directe, hors de tout discours préétabli.

S.K., Melun, 2005-2015

Suite : II. RECONNAÎTRE : la question du sujet
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