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Sylvain Kerspern - dhistoire-et-dart.com
JACQUES STELLA, CATALOGUE
ROME (1622-1634)


Les « camayeux bleus » (1624-1625) : introduction
* Table générale * Table Stella * Catalogue : *Succès romains, 1622-1632 ; *Ensemble
Mise en ligne initiale le 17 avril 2015 - refonte : avril 2017 - retouches : mai, juillet, septembre 2017, mars 2018, octobre 2021
Les camayeux romains : introduction générale.
Ensemble majeur des premières années romaines, les « camayeux » (bleus ou non) gardent encore leurs zones d’ombre. Si je n'ai pas pu encore consulter, notamment, la collection de l'Albertina, ce qui suit doit constituer la synthèse la plus complète sur la question, avec son lot de découvertes et de remises en question.

Notre source principale d'informations vient de Pierre-Jean Mariette (1694-1774), éminent connaisseur d'estampes, qui avait « eu entre les mains » l'oeuvre des Stella réuni par Claudine, selon ses propres dires. Il en a dressé deux catalogues pour des collections destinées au roi du Portugal Jean V (1689-1750) et au prince Eugène de Savoie (1663-1736). Il faut croiser les listes pour en retirer une qui soit la plus complète possible, et au passage, rectifier quelques erreurs.
Les catalogues de Mariette.
La liste publiée par Philippe Rouillard (in Mandroux-França et Préaud, 1996, t. II) catalogue pour le roi du Portugal 81 sujets. Certains sont sans nul doute mal identifiés. Ainsi, Mariette répertorie deux Agnès, l'une, vierge et martyre, ayant auprès d'elle un agneau, simbole de son innocence, l'autre, portant un agneau. La seconde doit, en réalité, correspondre à la Sibylle d'Érythrée, selon la lettre visible sur certains états (ci-contre). Il en va de même pour Dorothée. L'une recevant des fleurs qu'un ange lui présente comme elle va au martyre, lui correspond effectivement. L'autre, tenant un bouquet de roses et de lys, est vraisemblablement la Sibylle de Cumea (état sans lettre ci-contre). Une troisième Sibylle n'est désignée que par son attribut, la couronne d'épines : il s'agit de la Sibylle samienne (ci-dessous).

On ne peut comprendre les méprises ou l'ignorance de Mariette que parce que les exemplaires des images en question qu'il catalogue ne comportaient pas les lettres apparaissant sur certains états. Il en va, selon moi, de même, pour David trônant, dont aucun exemplaire ainsi identifié par la lettre n'a encore été retrouvé alors que Mariette semble ignorer qu'il existe un Salomon en pareille posture; il serait d'ailleurs difficilement compréhensible que David bénéficie d'une double représentation, puisqu'il figure déjà aux prises avec Goliath... qui, il est vrai, a les honneurs de la lettre.

Sans doute l'Image du Bon Secours doit-elle être aussi identifiée à celle que Mariette intitule Notre-Dame du Mont Carmel. Il se peut encore qu'il voit Eulalie, qu'il cite, en Anastasie, qu'il omet; Saint Claude pourrait être Blaise, qu'il ne mentionne pas plus, comme Sainte Bibiane Apollonie ou plus vraisemblablement Suzanne. Pour Saint Bruno, signalons l'exemplaire non reproduit du Boston Museum of Arts dont une annotation propose d'y reconnaître le fondateur des Chartreux mais que je n'ai pas vu; et un autre sur le marché d'art allemand (Galerie Bassenge) en mai 2017.

On peut compléter la liste portugaise à l'aide de l'autre catalogue. Il faut ainsi y ajouter les douze apôtres, neuf sibylles, un Dieu le père (jusqu'ici inédit et dont j'ai retrouvé récemment un exemplaire), Suzanne et les vieillards, Le Christ et la Samaritaine, Les vierges sages et les vierges folles en 3 planches, La Cène en 3 planches, Jésus. Plusieurs sujets, qui figurent notamment dans la collection Beringhen de la BnF, semblent avoir échappé à Mariette : Le Christ à Emmaüs; Saint Paul apôtre; Sainte Apollonie; Saints Côme et Damien; Sainte Suzanne; Saint Dominique.

J'ai pu, à ce jour, dénombrer 16 sujets sur l'Ancien Testament; 17 sujets et 23 figures du Nouveau, 12 sibylles, 20 sujets pour l'Église souffrante, 18 sujets pour l'Église militante, et 10 autres figures de saints ou de dévotion, soit un total montant à 116, et 124 planches puisque 4 sujets en demandent 3. Voici un récapitulatif qui devrait servir, à tout le moins, de bilan d'étape.
Sainte Agnès Sibylle d'Érythrée
Sainte Dorothée Sibylle de Cumea
David et Goliath Salomon trônant
Anastasie, Eulalie selon Mariette? Le Christ à Emmaüs
Compter avec (et sur) Mariette
Le catalogue de l'exposition de 2006, à partir du travail de Céline Caillaux (1996), s'efforce de faire un point sur l'ampleur de cet ensemble. Tâche ardue et qui pâtit apparemment d'une coquille (128 pour 123, p. 70), et laisse à penser qu'un exemplaire de la Fuite en Égypte subsiste alors que jusqu'à présent, il m'a, si jose dire, échappé.

Dans ce qui transparaît du travail de Céline Caillaux, certains points ont déjà été amendés : une des deux Sainte Agnès mentionnées dans la liste pour le roi du Portugal, portant un agneau, est en fait la Sibylle d'Érythrée; une des deux Sainte Dorothée citées dans la liste pour ce monarque, tenant un bouquet de roses et de lys, correspond à la Sibylle de Cumea. Saint Claude serait Blaise, Sainte Eulalie Anastasie, Sainte Bibiane Apollonie ou Suzanne. Je soupçonne que Saint Antoine de « Savoire » trahisse une erreur de lecture de Padoue.

Dans sa liste la plus complète, Mariette propose plusieurs grands ensembles : 41 sujets de l'histoire sainte, 12 sybilles, 12 apôtres (alors qu'il y faut adjoindre saint Paul), et 39 figures de saints (dont les 4 principaux docteurs de l'Église Latine). La confrontation avec ce qui subsiste - sachant que des sujets comme L'annonciation ou La fuite en Égypte, qui me font défaut, ne posent pas les problèmes d'identification à l'origine des confusions déjà constatées - permet la restitution ci-contre.

On y trouve une correspondance plausible pour l'Histoire sainte; pour les saints, plus de numéros. La liste la plus ample monterait à 116, la plus réduite en envisageant les confusions devant des états sans lettre, à 112 (ci-contre, Apollonie et Suzanne, qu'il ignore, sont rapprochées de Bibiane, ce qui ne vaut que pour l'une des deux...).

Puisqu'un exemplaire du Noli me tangere est passé sur Internet, ne manqueraient donc plus que L'annonciation, La fuite en Égypte, Saint Michel combattant contre le démon, L'ange gardien conduisant un jeune enfant dans la voie du ciel et Saint Pierre martyr. Des images cataloguées par Céline Caillaux, j'exclue le David jouant de la harpe, qu'on ne peut confondre avec un David trônant - ce que l'annotation que je crois de Maxime Préaud sur l'exemplaire de la BnF souligne en envisageant comme moi une confusion de Mariette avec Salomon.
Essai de reconstitution d'un catalogue selon Mariette

41 sujets de l'histoire sainte

1. Dieu le père, rehaussé de bistre;
2. La création d’Adam; (Mariette 1996)
3. La création d’Ève (Mariette 1996)
4. Le pêché originel (Mariette 1996);
5. Adam et Ève chassés du paradis (Mariette 1996);
6. Caïn tuant Abel (Mariette 1996);
7. Le sacrifice d’Abraham (Mariette 1996);
8. Samson déchirant le lion (Mariette 1996);
9. Moïse tenant les tables de la loi (Mariette 1996);
10. David et Goliath (Mariette 1996);
11. Salomon trônant (Mariette 1996);
12. Le prophète Daniel (Mariette 1996);
13. Jonas sortant de la baleine (Mariette 1996);
14. Judith tenant la tête d’Holopherne (Mariette 1996);
15 . Suzanne et les vieillards;
16. Job raillé par sa femme (Mariette 1996);
17. L’annonciation (Mariette 1996);
18. La visitation (Mariette 1996);
19. Le massacre des Innocents (Mariette 1996);
20. La fuite en Egypte (Mariette 1996);
21. L’enfant Jésus dans l’atelier de son père (Mariette 1996);
22. Le baptême du Christ (Mariette 1996);
23. Le Christ et la Samaritaine;
24. Lazare et le mauvais riche (Mariette 1996);
25 . Les vierges sages et les vierges folles, en 3 planches;
26. Le Christ et la femme adultère (Mariette 1996);
27. Le repas chez Simon (seulement Mariette 1996);
28. Les noces de Cana, en 3 planches (Mariette 1996);
29. Le lavement des pieds, en 3 planches (Mariette 1996);
30 . La Cène, en 3 planches;
31. La flagellation du Christ (Mariette 1996);
31. Mise au tombeau (seulement Mariette 1996)
32. Noli me tangere (Mariette 1996);
33. La Vierge (glorifiant Dieu dans la gloire) (Mariette 1996);
34 . Le Christ;
35. L’image miraculeuse de Notre-Dame du Mont Carmel, en fait, du Bon-Secours? (Mariette 1996);
36. Saint Michel combattant le démon (Mariette 1996);
37. L’ange gardien (Mariette 1996);
38. Saint Jean, l’évangéliste (Mariette 1996);
39. Saint Luc, l’évangéliste (Mariette 1996);
40. Saint Marc, l’évangéliste (Mariette 1996);
41. Saint Mathieu, l’évangéliste (Mariette 1996).

42-53. 12 sybilles
54-65. Les 12 Apôtres
39 (en fait 42) saints et saintes

66-69. 4 Docteurs et Pères de l'Église latine (Ambroise, Antoine, Augustin, Grégoire)
70. Saint Antoine de Padoue (seulement Mariette 1996 = possible erreur de lecture de Céline Caillaux pour son n°85 manquant signalé dans le catalogue de l'exposition de 2006)
71. Saint Benoît assis au désert (Mariette 1996);
72. Saint Bernard (seulement Mariette 1996)
73. Saint Bonaventure en cardinal, (Mariette 1996);
74. Saint Bruno « aspirant à la gloire éternelle » (Mariette 1996);
75. Saint Claude « donnant sa bénédiction à des enfants » (Mariette 1996);
76. Saint Crépin et Crépinien (Mariette 1996);
77. Saint Denis tenant sa tête (Mariette 1996);
78. Saint Éloi (Mariette 1996);
79. Saint Étienne (Mariette 1996);
80. Saint François de Paule (seulement Mariette 1996)
81. Saint Gilles abbé (Mariette 1996);
82. Saint Hommebon (seulement Mariette 1996)
83. Saint Jean-Baptiste parant un agneau de fleurs (Mariette 1996), copié par par Claudine (Mariette, n. mss., VIII, p. 237-239 : Weigert 1951, CBS 34 = 33? 35?). B.N., Est. Da 20 fol., p. 61.
84. Saint Laurent tenant l’instrument de son martyre (Mariette 1996);
85. Saint Léonard (seulement Mariette 1996)
86. Saint Louis (Mariette 1996);
87. Saint Nicolas bénissant les trois enfants (Mariette 1996);
88. Saint Pierre martyr de l’ordre des prêcheurs (Mariette 1996);
89. Saint Thomas d'Aquin (seulement Mariette 1996)
90. Sainte Agathe (Mariette 1996);
91. Sainte Agnès caressant l’agneau (Mariette 1996);
92. Sainte Barbe tenant un foudre (Mariette 1996);
93. Sainte Bibiane, vierge et martyre (Mariette 1996);
94. Saint Brigitte (seulement Mariette 1996)
95. Sainte Catherine vierge et martyr (d’Alexandrie) (Mariette 1996);
96. Sainte Catherine de Sienne (Mariette 1996);
97. Sainte Cécile (Mariette 1996);
98. Saint Claire (seulement Mariette 1996)
99. Sainte Dorothée recevant des fleurs d’un ange (Mariette 1996);
100. Sainte Eulalie « représentée dans le lieu de son supplice » (Mariette 1996);
101. Sainte Lucie tenant ses yeux dans un plat (Mariette 1996);
102. Sainte Madeleine (Mariette 1996);
103. Sainte Marguerite terrassant le démon (Mariette 1996);
104. Sainte Marthe terrassant le démon (Mariette 1996);
105. Saint Monique (seulement Mariette 1996)
106. Saint Praxede (seulement Mariette 1996)
107. Sainte Thérèse écrivant (Mariette 1996)

9 sujets apparemment inconnus de Mariette, dont 5 peut-être confondus avec des sujets ci-dessus

108. Le Christ à Emmaüs (inconnu de Mariette?);
109. Saint Côme et Damien (inconnu de Mariette?);
110. Saint Paul apôtre (inconnu de Mariette?);
111. Sainte Hélène (inconnue de Mariette?);

75bis? 112. Saint Blaise (inconnu de Mariette? confondu avec saint Claude « donnant sa bénédiction à des enfants »?);
100 bis? 114?. Sainte Anastasie (Eulalie « représentée dans le lieu de son supplice » chez Mariette 1996?);
93 bis? 115? Saint Apollonie (inconnue de Mariette? confondue avec Bibiane, vierge et martyre??);
93 bis? 116. Sainte Suzanne (inconnue de Mariette? confondue avec Bibiane, vierge et martyre?)

Blaise pris pour Claude donnant sa bénédiction à des enfants par Mariette? Anastasie prise pour Eulalie représentée dans le lieu de son supplice par Mariette? Sainte Agnès portant un agneau selon Mariette, en fait la Sibylle d'Érythrée
Sainte Dorothée tenant un bouquet de roses et de lys selon Mariette, en fait la Sibylle de Cumea (à droite) Apollonie, prise pour Bibiane, vierge et martyre par Mariette?? Suzanne, prise pour Bibiane, vierge et martyre par Mariette (hypothèse la plus vraisemblable)?
Mariette dans tous ses états : une clé chronologique?
Mariette fait plusieurs remarques sur les états qu'il pouvait connaître de cet imposant ensemble. En tête du catalogue pour le roi du Portugal, il précise :
« Recueil de pièces gravées par Paul Maupain sur les desseins de Jacques Stella pendant son séjour à Rome; les quarante-cinq premières sont imprimées sur du papier bleu et rehaussées de blanc au pinceau sur les jours, les autres sont seulement lavées de bistre pour exprimer les demies teintes, dans l'intention d'imiter des desseins. »
La distinction qu'il fait ne doit pas être comprise, ainsi que cela semble avoir été le cas, comme qualifiant des états successifs, mais pour désigner expressément les tirages selon leur agencement dans la collection portugaise que donne la publication de 1996. Ainsi, les sujets allant de La création d'Adam au Noces de Cana, étaient sur papier bleu avec rehauts de gouache, comme le Baptême du Christ (ci-contre à gauche), les 36 autres, sur papier blanc avec rehauts de bistre, comme Dieu le père du Fitzwilliam Museum de Cambridge (ci-contre à droite). Il faut noter qu'il ne mentionne pas d'état qui complète le tirage simple sur papier blanc en posant un lavis d'indigo, dont la collection Beringhen conserve de nombreux exemples, comme ci-contre la Sybille samienne confrontée sur la même page à l'exemplaire sur papier bleu et rehauts blancs.

En revanche, il mentionne d'autres exemplaires des Sibylles, dont une portant l'indication Roma et un Saint Crépin et saint Crépinien « en plus petite forme, gravées en bois et imprimées en clair obscur à deux planches ». Il ajoute : « J'en ai seulement sept (sibylles) que je ne regarde que comme des essais dont on n'a point fait usage, par la difficulté qu'on trouve à les imprimer, et c'est dommage, car ils étaient gravés avec beaucoup plus de goût que celles qui ont suivis ». Johann-David Passavant (Le peintre-graveur, Leipzig, 1856, t. 6, p. 240) en cataloguait 8, avec descriptions et dimensions (7 p. 8 l. x 5 p. 9 l., soit env. 20,7 x 15,5 cm) comme « Clair-obscurs en deux planches ». On peut identifier ses numéros ainsi : 81, Tiburtine (inscrit : ROMA); 82, Européenne; 83, Égyptienne (inscrit : ROMA); 84, Hellespontique; 85, Érythréenne; 86, Samienne; 87, Cumaine; 88, de Cumea. Malheureusement, il n'en localise pas d'exemplaires et je n'en ai pas encore repéré. Peut-être en dort-il dans un des fonds qu'il mentionne, autres que la BnF et ceux en ligne. Le format plus petit et la mention ROMA sur deux sibylles ne semblent pas en tout cas permettre d'identification avec les états simples, sans lettre, comme le site en ligne du British Museum le suggère pour la sibylle delphique.

Stella aurait-il envisagé d'abord des camayeux au sens strict, recourant à au moins deux bois gravés pour imprimer les formes et les lumières en variant les tons colorés pour des sibylles et Saints Crépin et Crépinien? Sur cette technique, on trouvera d'utiles explications chez Jean-Michel Papillon de la Ferté (1766); et ci-contre, un exemple tiré du travail de Büsinck d'après Lallemant.

Selon Mariette, devant la difficulté de la tâche, le Lyonnais n'aurait ensuite gravé qu'un bois pour chaque sujet. Dans un deuxième temps, la gouache ou le lavis auraient disposé l'effet de clair-obscur qui permet de les qualifier de camayeux au sens large, plus pictural que propre à la gravure. Au vrai, tant que nous ne pourrons comparer vrais et faux camayeux, on ne pourra en juger : Stella aurait pu tout autant vouloir, après un ensemble avec un seul bloc de bois à destination d'un large public, s'essayer à en donner une version pour amateurs en de véritables chiaroscuri.

Peut-on pareillement dégager un ordre systématique dans la succession des états qui nous sont parvenus? Pour répondre, il faut examiner les impressions. La gravure sur bois se fait en taille d'épargne, ou en relief, c'est-à-dire que l'artiste creuse pour épargner les lignes et formes de la composition, qui seront seules encrées. Au fur et à mesure des tirages, les traits s'épaississent au gré de l'écrasement des reliefs. C'est ce que fait remarquer Papillon de la Ferté, relevant l'erreur commune des habitués de la taille-douce, dans laquelle ce qui est creusé reçoit l'encre; et ce qui motive Maxime Préaud à considérer que les états simples dont il pouvait avoir connaissance ont précédés ceux sur papier bleu ou blanc rehaussés de gouache ou de bistre. En fait, il n'y a pas de règle.

L'analyse des exemplaires du Massacre des Innocents, notamment les deux versions de la BnF confrontées sur la même page, montre dans la version sur papier bleu des traits plus gras qui désigne un état postérieur à celui sur papier blanc lavé de bleu (et à celui simple de Boston). Il semble d'ailleurs qu'un relief de bois ait entre-temps cédé au niveau de la tête du principal bourreau, dont la chevelure est barrée d'une lacune dans le dernier état. Un même ordre peut être constaté pour Saint André, par exemple.

En revanche, le couple de Sibylles cumaines place vraisemblablement l'état sur papier bleu (ci-contre à droite) avant l'autre (à gauche). Il n'y a donc pas eu d'ensembles successifs techniquement cohérents, mais plutôt le remploi de tirages divers, les uns sur papier bleu pour y placer, ou pas, des rehauts de gouache, les autres sur papier blanc pour les laver, ou non, de bistre ou d'indigo. Certaines impressions tardives remplacent l'encre noire par la sanguine, telles celles du Museo Civico de Milan.

La plupart des sujets seuls mesurent environ 28 cm par 18, inversant hauteur et largeur selon le sens de l'image. De plus grands blocs (imprimés sur environ 25 x 36 cm.) furent employés pour les quatre sujets en trois parties en frise. Dans la variété des tirages, il faut aborder l'ajout des inscriptions, qui augmente d'environ 2 cm dans les deux dimensions : elles donnent le titre, précisent le nom de l'inventeur et éventuellement le lieu de réalisation, Rome. Elles sont toutes en italien, comme le texte des commandements sur les Tables de Moïse, sauf celle pour Saint Louis, en français. L'intégration à l'entreprise initiale ne fait donc aucun doute, même si les états qui ne les présentent pas et surtout les modulations (détaillées dans le catalogue de 2006) supposent qu'elles figurent sur plusieurs petits blocs complémentaires à celui de l'image proprement dite (contrairement à la signature de la Sybille Égyptienne, puisqu'elle figure dans le bloc principal).

Enfin, on pourrait, pour être exhaustif, faire le point sur les encadrements ornés qui peuvent les compléter. Mais cette fois, Stella n'y fut assurément pour rien.
Baptême du Christ,
état sur papier bleu avec rehauts blancs
(passée en vente)
Dieu le père,
état sur papier blanc avec rehauts de bistre.
© The Fitzwilliam Museum, Cambridge
Sibylle samienne,
état sur papier blanc avec lettre et complété de lavis d'indigo.
BnF
Sibylle samienne,
état sur papier bleu sans lettre avec rehauts de gouache blanche.
BnF (les deux éats côte à côte).
Ludolph Büsinck (1599-1669)
d'après Georges Lallemant (vers 1575-1636),
Enée portant Anchise
Chiaroscuro. 34,7 x 21,6 cm.
British Museum.

Un premier bois, encré en noir, place le dessin et les ombres; le second dispose l'éclairage sur les personnages, en blanc.

Massacre des Innocents,
état sur papier blanc.
Boston, MFA
Massacre des Innocents,
état sur papier bleu avec rehauts blancs
(passée en vente)
BnF
Massacre des Innocents,
état sur papier blanc avec compléments bleus.
BnF
Sibylle cumaine,
état sur papier bleu avec rehauts blancs
(passée en vente)
Sibylle cumaine,
état sur papier blanc avec compléments bleus.
BnF
Moïse,
état avec lettre en italien
British Museum
Saint Louis,
état avec lettre en français
BnF
Stella da Tempesta?
Dans l'autre liste, Mariette répertorie des sujets qu'il dit d'après le peintre et graveur Antonio Tempesta (1555-1630). L'artiste est voisin de Stella au début du séjour romain de celui-ci, et le rencontre régulièrement à l'Académie de Saint-Luc alors. L'eau-forte représentant Saint Georges, que le Lyonnais signe et date de 1623, est un hommage à l'Italien d'autant plus évident qu'on le confronte au dessin des Offices, comme je l'ai déjà souligné, l'envol plus frontal du cheval pouvant passer pour un pastiche. Faut-il en déduire une collaboration concrétisée dans ce complément gravé?

L'amateur les mentionne à la suite de l'ensemble de camayeux « non compris Dieu le père lavé de bistre, et 5 sur papier bleu dont les desseins sont de Tempeste ». L'interprétation qui me semble la plus juste est qu'il évoque un ensemble acquis comme un tout, l'essentiel étant de Stella sur papier bleu rehaussé de blanc, à quoi s'ajoutent un sujet du même lavé de bistre, et 5 techniquement semblables aux autres, par le support et les rehauts, mais d'après Tempesta. La collection de Beringhen présente, dans un contexte semblable, trois gravures y correspondant, pour Christophe, Martin et Onuphre. Le style en est bien différent, tant dans l'invention que dans le travail du graveur.

J'ai retrouvé au British Museum une estampe au caractéristiques semblables mais sur papier blanc et sans rehauts, représentant un Saint Georges que ne cite pas Mariette. Selon toute vraisemblance, il s'agit d'une suite, agrégée dans la collection Mariette à celle inventée par Stella et harmonisée par le support et les rehauts. Je ne peux croire que l'amateur envisage que notre artiste en soit le traducteur. En revanche, il fait clairement un lien, qui pourrait passer par cette harmonisation, dont les exemplaires nombreux - certains en double, voire - témoignent de l'aspect concerté. Par l'inventeur?
Saint Christophe
d'après Tempesta. BnF
Saint Martin partageant son manteau
d'après Tempesta. BnF
Saint Onuphre
d'après Tempesta. BnF
Saint Georges
d'après Tempesta. British Museum
« Des figures en bois, d'un dessein tout nouveau, les colorant deux fois... » : le secours de Marolles
« Jacques Stella comprit une belle manière
De faire, comme il fit, des figures en bois
D'un dessein tout nouveau, les colorant deux fois :
Ses Vierges ont un goust digne de la lumière »

Michel de Marolles,
Livre des peintres et graveurs,
Paris, s.d., p. 26

Jacques Thuillier (2006) met cette citation de l'amateur et grand collectionneur d'estampes Michel de Marolles (1600-1681) en exergue de son chapitre sur l'ensemble des camayeux. On peut le comprendre des deux façons que supposent les clairs-obscurs, qu'ils résultent de deux bois pour des encrages de coloris différents, ou d'une simple impression complétée de rehauts ou de lavis.

Dans la seconde hypothèse, cela suppose que l'artiste soit lui-même responsable des compléments. On sait que Marolles, qui avait entrepris une vaste histoire de l'art, avait rencontré les Stella, puisqu'il en fait état dans ses Mémoires, qu'il s'agisse de Sébastien Bouzonnet (mort à 18 ans en 1662) comme il l'écrit ou d'Antoine, avec qui il pourrait le confondre. Dans son catalogue d'estampes de 1666 - acquis par le roi -, il mentionne, parmi les Apostres de divers maistres, ceux de « Jacques Stella en clair-obscur ». On serait donc tenté de penser qu'il livre dans ces trois vers un renseignement puisé à la meilleure source.

Je voudrais apporter un autre argument à cette idée et, de fait, un nouvel éclairage - si j'ose dire - sur la singularité de cet ensemble. On remarque dans les fonds développés par le lavis bleu un goût qui ne semble pas cohérent avec celui des parties imprimées. Ainsi, Sainte Agnès se détache devant un fond d'architecture que Stella n'emploie pas en Italie, depuis le séjour toscan jusqu'à son départ pour la France. Voyez ci-contre pour comparaison l'un des sujets de la Vie de Girolamo Maini de Yale, signé et daté de 1629. Le toit à deux pentes et cheminées, aux fenêtres jumelées derrière la martyre rappelle plutôt la gouache du Paysage au laboureur de 1655, aujourd'hui au musée d'Ottawa, ou Les vendanges de la suite des Pastorales, plus nettement que ce que l'on voit derrière l'Hommebon.

Si donc on peut envisager, au moins sur certains exemplaires tels ceux de la collection Beringhen, que Stella lui-même soit responsable des compléments, ce n'est pas nécessairement du temps de leur impression, mais peut-être plus tard, à nouveau dans un esprit pédagogique et dans le cadre de l'enseignement des Bouzonnet. On comprendrait d'autant mieux que ceux-ci aient livré l'information dont l'abbé de Marolles fait état. Il faudrait pour cela que l'artiste ait conservé des exemplaires, ce dont on peut être sûr : certaines gravures d'Antoinette et de Claudine Bouzonnet Stella les copient.


Antoinette Stella, vignettes de saintes et saintes d'après Jacques Stella, dont Sainte Catherine de Sienne et Sainte Agnès d'après les camayeux.
Bnf, Da 20 fol.

Saint Mathias,
deux états de la collection Beringhen montrant notamment l'importance
que peut prendre le complément de lavis bleu(à gauche) dans le décor.
BnF
Saint Agnès,
exemplaire Beringhen lavé de bleu.
BnF
Girolama Maini vêtant des enfants des rues,
1629, dessin. Yale University
Paysage au laboureur, gouache, 1655. Ottawa, Musée des Beaux-Arts du Canada.
Stella et Maupin
Depuis Félibien, la responsabilité des gravures sur bois est attribuée à Paul Maupain d'Abbeville, installé à Rome depuis la fin du XVIè siècle, et qui édite justement en 1625 un plan de Rome. Les relations qu'il avait nouées avec Tempesta lui donnent sans doute un fond de vérité, à moins que l'association des sujets de Stella avec ceux de l'Italien n'en ait été en quelque manière à l'origine. Il fallait, de toute façon, le matériel que l'imprimeur et éditeur pouvait fournir.

On sait encore trop peu de choses sur Paul Maupin (Abbeville, vers 1565-1570? - Rome? après 1625). On le trouve dans l'entourage de Tempesta à Rome dès 1591, collaborateur de Mattheus Greuter en 1608 (Ruth Noyes 2015) et détenteur d'un privilège pour les effigies des cardinaux nouvellement élus de 1611, l'année même au cours de laquelle il met à contribution Jacques Callot dans une entreprise commerciale de gravures des églises de Rome, sur les dessins de Giovanni Maggi (1566-1618? ou 1620/1625?). En 1621, il grave dans la même ville deux Gueux de Callot, qui rentre justement de Florence en Lorraine cette année-là (Meaume 1860). C'est encore d'après Maggi qu'il édite en 1625 un vaste plan de Rome, selon Giovanni Baglione (1642), gravé sur bois par ses soins. Sa trace semble se perdre ensuite.
Bibliographie sommaire sur Paul Maupin.

* Giovanni Baglione, Le Vite de' pittori, sculptori ed architetti, Rome, 1642, p. 394.
* André Félibien, Entretiens sur la vie et les ouvrages des plus excellens peintres..., Paris, 1666-1688, Entretien X; éd. Trévoux, 1725, t. IV, p. 407.
* Édouard Meaume, Recherches sur la vie et les ouvrages de Jacques Callot, Paris, 1860, II, p. 596.
* Antonino Bertolotti, Artisti francesi in Roma nei secoli XV, XVI et XVII. Ricerche et studi negli archivi romani, Mantova, 1886, p. 208.
* Edmond Bruwaert, Vie de Jacques Callot, graveur lorrain, 1592-1635, Paris, 1912, p. 45-47.
* Stéphane Loire, « Les tableaux de Rome gravés par Jacques Callot », colloque Jacques Callot, 1992, Paris, 1993, p. 93-136.
* Ruth Noyes in Chapter, Sensuous Suffering: Pain in the Early Modern Visual Art of Europe and the Americas, Leiden, 2015 (en particulier p. 136 et suiv.)
Tempesta, Greuter, Callot : le lien avec Stella se fait sans difficulté. Bruwaert (1912) donne à Maupin l'initiative de l'entreprise requérant la collaboration de Callot, en 1611; il était bien seul, jusqu'à ce que Stéphane Loire (1993) analyse les relations avec d'autres images d'après Maggi, et en conforte l'idée. L'impulsion commerciale de l'entreprise - comme celle de la collaboration avec Greuter en 1608 - peut évidemment faire songer à celle de Stella, suggérant qu'il soit à l'origine des camayeux. On notera, d'ailleurs, que les inscriptions du Plan de Rome sont ponctuées de la même façon.

Tout cela rend la collaboration entre Stella et Maupin très probable mais n'en précise pas la nature. Or elle permettrait d'en déterminer la destination, la fonction. De ce point de vue, il est quand même troublant que deux planches insèrent dans la composition même la mention selon laquelle l'inventeur - largement désigné par ailleurs dans les blocs complémentaires de certains états - avait fait l'image. Si, pour d'autres, il peut y avoir ambiguïté, pour Stella graveur, f(ecit) désigne bien l'action mécanique.

Cette mention est disposée dans une composition pouvant passer pour la plus ambitieuse, parce que la plus composée dans son animation, la plus techniquement fluide, aussi, Le lavement de pieds (ci-contre en haut); et dans un image plus lourde, en compagnie de l'étoile, forme imagée de son nom pour signature, avec la date de 1625, la Sibylle d'Égypte. Comme d'autres avant moi, je pense que cette dernière indication vient clore l'ensemble, mais il faut bien noter, contrairement à ce qui a pu être dit, qu'elle ne se place pas dans les espaces des lettres servant d'accompagnement mais dans la planche de l'image même, comme on le voit ci-contre.

Au bout du compte, il faut en revenir à la technique même et son rapport avec le style de Stella. C'est elle qui fait, depuis longtemps, ma conviction de sa forte implication dans l'ensemble des camayeux.
Planche 3 du Lavement des pieds avec la signature I. Stella f. BnF
Sibylle d'Égypte avec lettre et signature. BnF Sibylle d'Égypte
sans lettre mais avec signature. BnF
Stella, dont la première formation s'est faite à Lyon, l'un de foyers européens de la gravure sur bois avec Petit Bernard et ses disciples, pourrait s'y être initié dès sa prime jeunesse. La gravure sur bois se rapproche de l'eau-forte en ce que l'artiste peut lui-même dessiner sa composition directement sur la matrice. C'est le trait qui peut la révéler. Que Jacques se soit livré à la pratique du procédé me semble donc tout à fait envisageable.

Prenons pour élément de comparaison une composition de Georges Lallemant gravée en clair-obscur par Businck en 1623, dont on connaît un dessin préparatoire au Louvre (ci-contre). Elle prend place dans une collaboration entretenue dans les années 1620 et traduites par une vingtaine d'estampes. En dehors de la variante concernant la pose de l'Enfant, on perçoit bien, malgré cette concertation, l'écriture discontinue, plus lente sinon pesante de la gravure par rapport à l'autorité et la fluidité du dessin, au point, par exemple, d'effacer le relief de la jambe gauche de la Vierge.
Georges Lallemand, Sainte famille, sainte Elisabeth, le petit saint Jean et des anges. Crayon noir, plume et encre brune, lavis.
29 x 21,2 cm.
Louvre (Inv.21768)
Ludolph Büsinck d'après Georges Lallemand, Idem, 1623. Gravure en clair-obscur.
30 x 21,4 cm.
Rennes, Musée des Beaux-Arts (ici inversée pour comparaison avec le dessin)
Si je crois en la forte implication de Stella, c'est justement en raison de l'adéquation entre le trait de ces gravures et le style graphique qui est le sien alors. Le recours aux hachures n'est pas, en soi, décisif puisque c'est un procédé courant en gravure. En revanche, son application pour définir certains pans d'ombres et de lumières, voire la forme de ces traits parallèles reprend à l'identique ce qui se voit dans certains des dessins qu'il a fait depuis le séjour florentin.

Le Joyeux buveur de 1619 donne à cette facture un ancrage chronologique mais l'exemple le plus frappant est peut-être le croquis montrant trois femmes et un enfant du Louvre (ci-contre). On peut le comparer avec la gravure de la Mise au tombeau, où se voit dans le fond des traits se terminant en virgules comme dans la feuille parisienne. Avec Le lavement de pieds, celle-ci partage la façon avec laquelle les hachures sculptent le drapé.

Les deux gravures en question témoignent aussi de la variété de son inspiration alors, l'une d'elles produisant, même en extérieur, un huis clos étouffant, tandis que l'autre respire d'un grand dynamisme. Si les sujets y invitait, on ne peut contester des différences dans la maîtrise des moyens, tant dans l'agencement des formes que dans le recours au trait. L'ampleur de la tâche favorisait semblable variation, qui peut aussi passer par certaines formes de délégation, que je ne saurai raisonnablement écarter de façon formelle. Cela peut aussi traduire une évolution. De fait, l'emprise de Stella sur l'ensemble des camayeux est telle qu'on peut pressentir une chronologie à l'aune de ses oeuvres autographes.
Trois femmes et un enfant.
Plume et encre brune. 7,9 x 8,1 cm.
Louvre (Inv. 32881)
Dater l'ensemble : 1622/1623-1625, plutôt que 1624-1625
Reprendre chaque élément de cet ensemble pour essayer d'en dégager une chronologie dépasse le cadre de cette publication, et tiendrait, au fond, de la gageure; d'autant que jusqu'ici, on considérait que l'ensemble avait été conduit en moins de deux ans, en 1624-1625, mais achevé tôt pour profiter de l'année jubilaire. Je pense qu'il faut revenir sur cette amplitude chronologique, et l'élargir franchement : la confrontation, par exemple, du Repas chez Simon (ci-contre), aux figurines étriquées, aux physionomies schématiques et taillées à la serpe, au graphisme énergique, avec la souplesse charnelle, le souci d'individualisation des types et le rythme varié des attitudes du Lavement des pieds (ci-dessus) suggère plus que quelques mois d'écarts. Le rapprochement avec d'autres oeuvres datées vient à l'appui de cette révision.

Ainsi, le style un peu gracile et raide du Repas chez Simon est celui que Stella rapporte de Florence et présente notamment dans ce que je considère comme le bozzetto de sa contribution aux décorations pour les fêtes de canonisations de mars 1622 (ci-contre) : on comparera les contours incurvés, les drapés, les visages schématiques, les petites mains, le ton vaguement théâtral. Dès 1623, comme on le voit dans mon catalogue, son Saint Georges montre un langage plus délié, s'il reste toujours sensible à une forme de romanesque naturaliste d'origine toscane. C'est donc très vraisemblablement assez tôt après son arrivée à Rome, à la fin de 1622 ou au début de 1623 que Stella a commencé cet ensemble, auquel il aura consacré au moins deux ans.
Le repas chez Simon. BnF
La rencontre de saint Philippe de Neri et Felix Cantalice, 1622. Toile. 37 x 53 cm. Rome, Galleria Nazionale de Arte Antica, dépôt au Palazzo Barberini.
Orientation iconographique générale et destination(s) de l'ensemble
L'étude critique des mentions de Mariette permet d'ores et déjà de dégager un certain nombre des choix significatifs que cet ensemble porte. Ils conduisent à s'interroger sur ses destinataires et sur le rôle qu'il pouvait tenir pour Stella.

Certaines intentions peuvent avoir prévalu dans le choix des personnages. La plupart des fondateurs d'ordre et autres personnages y étant rattachés sont là; une exception remarquable, l'absence des Jésuites, quelques années après la canonisation d'Ignace de Loyola et de François-Xavier, et alors que Thérèse d'Avila, célébrée avec eux, est là. Deux ordres se distinguent par plusieurs représentants, les dominicains et les franciscains - quoique saint François n'en soit apparemment pas!

S'il y eut impulsion de quelque commanditaire, cette orientation ne le ferait pas appartenir au milieu lettré que Stella fréquentait déjà. L'importance des martyrs, l'accent porté sur l'érémitisme va dans le sens d'une religion plus souffrante et contemplative que triomphante, même si un certain nombre de personnages peuvent souligner l'implication dans le siècle, comme Brigitte, Éloi, Hélène ou Louis IX. Enfin certaines images renvoient clairement aux patronages de tel ou tel saint : ce pouvait être aussi un moyen d'écouler les gravures que de vouloir toucher les corporations.

Est-ce poser une remarque anachronique, la part des femmes me semble plus importante qu'attendu d'un tel ensemble. Les douze sybilles instaurent la parité avec les apôtres, les martyres sont plus nombreuses que leurs homologues masculins, et dans la suite assez improprement réunie sous le vocable des prophètes, deux femmes fortes juives sont invitées, Judith et Suzanne. Le choix de représenter Sainte Monique, mère d'Augustin est peut-être une clé personnelle du programme d'ensemble.

Les différentes remarques faites ici - déjà amorcées par ailleurs - conduisent à faire de cet ensemble un outil de communication sur la capacité inventive de leur auteur. Il y fait un premier bilan, avant 30 ans, des racines comme des apports de son art, révélant le panorama de ce qu'il a vu et étudié en Toscane comme à Rome; s'y croisent des artistes aussi différents que Tempesta, Pomarancio, les Carrache, Lanfranco, Gentileschi, Reni, Vouet, le Cavalier d'Arpin, Cortone, Vignon, et jusqu'à Caravage, sans oublier les grands maîtres de la Renaissance. J'en donnerai des exemples dans les différents chapitres consacrés aux sections de notre ensemble.

On peut donc envisager avec une certaine vraisemblance que sa motivation essentielle ait été de donner une impulsion particulière à sa carrière de peintre d'histoire. Avec quelle profusion! Dès cette date s'exerce le pur effet de son grand amour pour la peinture (Félibien).

Sylvain Kerspern, Melun, le 25 avril 2017
Dialogue d'une carmélite.
BnF
Un des quatre représentants franciscains.
BnF
Lucie, martyre.
BnF
Eloi, conseiller de roi et patron des orfèvres.
BnF
Quelques fonds en ligne :

* Boston Museum of Fine Arts

* British Museum

* Finnish National Gallery (Apôtres)

*Lyon, Bibliothèque Municipale

*Washington, National Gallery of Art (pour les seules Sybilles)

Bibliographie :

- Marolles, avant 1680, p. 10

- Félibien, 1688, p. 408

- Mariette, catalogues éd. 1858-1859, p. 262-263; éd. 1996 in Mandroux-França, Marie-Thérèse et Préaud, Maxime, Catalogues de la collection d'estampes de Jean V, roi du Portugal par Pierre-Jean-Mariette, Lisbonne-Paris, 1996 (t. II).

- Papillon de la Ferté, 1766, p. 408, 425, 67, 70-74

- Cat. expo. Lyon-Toulouse, 2006, p. 66, 67, 70-74

- Jacques Thuillier 2006, p. 50-56

Suzanne, héroïne biblique.
BnF
Post-Scriptum : à propos des copies par Jérôme David
Tout récemment, Francesca Mariano, qui conduit des recherches sur le graveur Jérôme David, a mis en lumière une suite de Saints qu'il a produite à partir de modèles fournis par les camayeux de Stella, conservés au Cabinet des Estampes de la Bibliothèque Nationale (Ed. 21 fol., p. 18, 21 à 25). Un exemplaire du Saint Éloi est passé en vente à Paris le 17 septembre 2011, que je n'avais pas encore eu le temps d'étudier et dont elle fournit ainsi l'une des clés.

Toutefois, cette série soulève d'autres questions. D'abord, il faut relativiser l'affirmation sur l'absence de lettres aux gravures sur bois que David aurait pallié dans sa propre traduction. On trouvera ici-même, et ci-contre, des exemplaires comportant des inscriptions permettant d'identifier les personnages. Au demeurant, il faut bien constater une erreur de la part de David, qui voit Claude quand la lettre italienne initiale nomme Blaise. Cela conforte mon sentiment selon lequel Pierre-Jean Mariette, qui inventorie dans ses listes des camayeux le saint évêque du Jura, doit l'avoir confondu avec Blaise devant un exemplaire sans lettre. Il se trouve que l'éditeur de ces pièces est son grand-père, Pierre (II) le fils (1634-1716), et ce peut être à partir de son fonds qu'il ait fait cette confusion. Voilà qui tend à confirmer que l'omission du nom de l'inventeur soit volontaire, puisque Stella aurait pu donner la juste identification.

Les informations à propos de l'éditeur devraient nous éclairer sur les circonstances de cette suite. Pierre est le fils de Pierre I Mariette et Geneviève Le Noir, et a épousé en 1655 Madeleine Collemont, veuve de François Langlois (1588-1647), ami intime de Stella. Le 14 décembre 1657, son père, qui meurt le 18, lui cède son fonds; le 23 janvier 1658, Catherine du Bray, seconde épouse de son père, lui loue un quart de L'espérance, qui avait été l'adresse de son défunt mari depuis 1637 et qu'elle possède encore, et une autre personne la moitié restant, qu'il achètera le 12 juillet 1663 : à cette date, l'adresse lui appartient totalement. Celle qu'il précise sur nos gravures est aux colonnes d'Hercule, soit celle de Langlois et de sa veuve. Lorsque Nicolas (I) Langlois, fils de ces derniers, prend ses lettres de maîtrise comme libraire le 29 juillet 1655, il est bien stipulé qu'il ne peut s'associer avec son beau-père Pierre Mariette, « ny mesme occuper mesme boutique », ce qui le fait s'installer rue Saint-Jacques à la Victoire. La boutique aux Colonnes d'Hercule, simplement louée jusque là, est rachetée le 23 mars 1658, pour être presque aussitôt louée à un chapelier, le 27 mai. Entre-temps, Catherine du Bray est inhumée le 5 mai 1658.

Ce bref rappel suggère que dans l'imbrication amicale des Langlois et des Mariette, le changement de générations a remis en cause les adresses historiques. Dans ce ballet, l'adresse aux colonnes d'Hercule telle qu'associée au nom de Pierre Mariette le fils ne semble pouvoir servir qu'entre le 27 avril 1655, jour de son mariage, et le 27 mai 1658, voire la mort de son père en décembre 1657. Les acquisitions complémentaires faites dès janvier 1658 doivent servir à reprendre l'adresse paternelle à l'Espérance. C'est elle qui apparaît sur certaines gravures de Jean Lepautre de 1659, par exemple.

C'est donc probablement du vivant de Stella que les six gravures copiant ses compositions ont été, à tout le moins, entreprises. Le cas du Saint Yves (ci-dessous) est sans doute différent, et je ne sache pas que cela reprenne quelque composition de Stella que ce soit. Son style pourrait renvoyer à certains illustrateurs de thèmes populaires ou burlesques, tel un Jacques Lagniet mais aussi un Jean Lepautre.

Les copies de David d'après Stella sont dans le même sens, de même hauteur approximative que les versions avec écriture, un peu plus large de quelques centimètres. Cela conduit le copiste à modifier le décor, pas toujours de façon pertinente : ce qui était seuil de la boutique de l'Homme bon est ainsi inexplicablement bloqué par un mur, l'arc dans lequel apparaît Léonard bénissant devient une niche dans le mur du fond devant lequel il se détache, et l'âtre du four d'Éloi disparaît, en particulier. Il y a donc décidément peu de chances que l'inventeur y ait pris part...

J'aurais tendance à souscrire aux propos de Francesca Mariano, assimilant les camayeux de Stella à une inspiration italienne mise en conformité avec le courant classique, inspiré de Raphaël ou des Carraches. Ce qui aurait pu favoriser le fait de ne pas donner le nom de l'inventeur, italien mais porté par un artiste connu comme français, soit dit en passant. D'une certaine façon, David entérine ici le parcours de celui qu'il avait pu fréquenter à Rome vers 1625, au moment de la gravure des « camayeux », un parcours encore hésitant alors mais déjà orienté vers un style exigeant dans la mesure et l'expression, et la simplicité du geste. Que cela soit à l'insu de l'inventeur, pris par ses multiples occupations testamentaires (suites religieuses et décoratives, apprentissage des Bouzonnet), ne met que plus nettement en valeur sa contribution à l'art du temps.

Sylvain Kerspern, Melun, le 25 mars 2018
Saint Claude selon David.
BnF, Ed. 21
Saint Blaise selon Stella.
BnF, Da. 20
Saint Denis
Saint Éloi
Saint Hommebon
Saint Léonard
Saint Nicolas
Bibliographie additionnelle :

- Marianne Grivel, Le commerce de l'estampe à Paris au XVIIè siècle, Paris, 1986, p. 329-331, 333, 349-351.

- Francesca Mariano, « Le séjour en Italie du graveur français Jérôme David (1622-1636) et son rôle dans l'interprétation des modè les italiens à Paris », Art Italies, 23, 2017, p. 49-60.
Addenda : insertion précoce dans un ouvrage de Crispin de Passe - la collection du Museum of Fine Arts de Boston
La diffusion de ces images a conduit à des copies précoces, avant même celle de Jérôme David, et sur bois. Le traité de Crispin de Passe le jeune (1594-1670), publié en 1643-1644, « La Prima [-quinta] parte della luce del dipingere et disegnare... messa in luce diligentemente da Crispino del Passo », en intègre quatre : Saint Benoît, Saint Bruno, Saint Dominique et Sainte Monique, ainsi qu'il apparaît dans l'exemplaire de la BnF (réédition de 1654; respectivement f°148, 151, 149 et 150). Le saint accompagné du chien porte au bas la mention I * F ROMÆ. On en trouve, notamment, un exemplaire de la première édition à la Bibliothèque Nationale des Pays-Bas, au Museum of Fine Art de Boston, dans lesquelles les quatre gravures, également sur papier bleu, sont numérotées de XV à XVIII.

L'ouvrage est une compilation en quatre langues recourant abondamment à la gravure et aux traités des confrères pour éclairer son propre travail : on trouve ainsi pareillement insérées des estampes de Goltzius ou de Guerchin. L'exemplaire néerlandais permet de comprendre que la susdite numérotation intervient dans la partie 4, consacrées aux postures et au drapé dans son rapport au corps, ou au mannequin tout en faisant doublon avec d'autres gravures - dans certains exemplaires seulement, d'ailleurs, semble-t-il. C'est sans doute dans le cadre du marché international de l'art que Crispin le jeune se sera procuré les camayeux sur papier bleu. Les lettres qu'ils portent, différentes de celles originelles, montrent qu'il connaissait l'auteur et le contexte de sa création.

J'en profite pour faire un point sur les camayeux du musée de Boston, qui ne sont pas tous reproduits sur le site. En dehors de ceux correctement identifiés, je crois pouvoir reconnaître parmi ceux non reproduits :
- 68.338 Ste Brigitte (ci-contre, plus bas)
- 68.340 Ste Claire (ci-contre, plus bas)
- 68.341 St Hommebon (ci-dessous)


« A Saint Giving Alms to a One-Legged Beggar
»

Il est possible que le Saint céphalophore (21.10813) soit un exemplaire sans écriture du Saint Denis (68.328). De même la Sainte Julienne de Nicomédie (68.334) pourrait en fait plutôt être Notre-Dame de Bon Secours (ci-dessous), selon les points communs de leurs iconographies.

Sauf grosse erreur de description, la collection renfermerait des images non répertoriées ici : David jouant de la Harpe (68.320); Saint Jean de Dieu (68.333); et La Vierge trônant avec deux saints (68.347). Mon message adressé à l'institution étant resté sans réponse, j'espère que ces indications tomberont sous les yeux de quelque responsable du musée, ou d'un chercheur complaisant, en mesure de procéder aux vérifications et me faire parvenir reproduction de ce qui serait effectivement inédit.

Sylvain Kerspern, Melun, le 23 octobre 2021

Gravure sur bois copiant le Saint Dominique des Camayeux, 1644,
dans l'ouvrage de Crispin de Passe
BnF, Arsenal, EST-1453
Ci-dessous confrontation de l'original (à gauche)
avec la version de Passe (à droite)
Sainte Brigitte, BnF
=?Boston, MFA, « A Female Saint Kneeling Before a Crucifix »
Sainte Claire, BnF
=?Boston, MFA, « A Female Saint Holding a Monstrance Containing a Christogram »
Post-scriptum à propos de la collection de Boston
Est-ce parce que je me suis focalisé sur les dessins des Stella au point de ne pas voir les estampes lors de mes précédentes explorations, ou la conséquence d'une mise en ligne ou d'une organisation différente du site depuis, quoiqu'il en soit, une nouvelle visite de celui de l'Albertina m'a permis d'y trouver de quoi étoffer encore le corpus gravé par et d'après Jacques mais aussi Antoine, à confronter avec ce qui se trouve à Boston. La grande disponibilité de Katherine Harper, Curatorial Fellow au département des estampes et des dessins du musée américain m'a ainsi permis de clarifier les interrogations qui précèdent.

Ainsi, le statut des trois estampes envisagées comme « nouvelles » peut être éclairci. Le numéro d'inventaire 68.333, supposé représenter Jean de Dieu sur la foi de l'inscription à la plume en français (le fondateur de la merci S. Joh. a Deo.), est en fait Saint Léonard selon l'inscription portée sur l'exemplaire avec lettre de la BnF.

La Vierge trônant avec deux saints (68.347), Notre-Dame de la Grâce, propose un faire moins complexe que celui des les gravures de notre ensemble, et une typologie sans grand rapport avec celle de Stella. Le rapprochement avec la Madone du Secours, d'un sujet voisin et même si elle ne constitue pas une des images les plus abouties de l'ensemble, souligne l'écart et confirme qu'il faut l'écarter de l'œuvre de l'artiste.

Le format un peu différent (26,6 x 17,7 cm contre env. 30 x 19 pour les images encadrées de la suite) aurait d'ailleurs pu servir d'argument. Il en va de même pour le David jouant de la harpe, moins large comme le montre le détail de la page de l'album de l'Albertina qui rassemble l'une au-dessus de l'autre la gravure incontestable du Salomon inventée par Stella avec un exemplaire sur papier blanc et sans rehauts et le David (un peu plus bas à droite). Le support de papier bleu et les rehauts de blanc ainsi que l'orthographe française de l'inscription pour le mot prophète pouvaient laisser une impression favorable à l'inclusion dans l'œuvre du Lyonnais. Certains éléments laissaient toutefois planer un doute.

En effet, la technique est plus fine, aux hachures resserrées, et en même temps impersonnelle, diffère de celle de notre ensemble que je crois fermement de Stella lui-même, plus souple et plus sommaire, tout en étant très suggestive, ainsi qu'en témoigne, par exemple, le Salomon. Je crois d'ailleurs que cette différence correspond à ce qui sépare un graveur sur bois chevronné d'un amateur reprenant une pratique peut-être apprise dans le foyer lyonnais, et travaillant de son fait. Une rapide recherche m'a permis de voir dans le bois de Boston et de l'Albertina la reprise d'une autre estampe d'après une invention d'Ippolito Andreasi, jusque dans partie du décor, via l'exemplaire du Rijksmuseum.

Au bout du compte, ni l'invention ni la traduction ne semblent donc pouvoir revenir à Stella. Le dispositif associant papier bleu et rehauts blanc est-il propre à l'ensemble tel qu'il pourrait en avoir réalisé plusieurs versions, contrefaisant la technique de la gravure en camaïeu? J'avoue mon ignorance sur ce point. Si tel était le cas, il se pourrait que le bois d'après Andreasi, comme ceux d'après Tempesta, ait servi de point de départ ou de complément circonstanciel à l'entreprise publiée à Rome par Paul Maupin.

La gravure de l'Albertina figure dans un album réunissant les œuvres de Louis Le Nain et Jacques et Antoine Stella. Le frontispice est gravé par Joseph Fischer (Wien 1769 - 1822), situant la constitution en livre au début du XIXè siècle. Y figure d'ailleurs l'estampe de Klauber datée de 1782 du Sauveur du Monde donnée par la lettre à Stella mais qui est en fait d'après Louis de Boullogne, ainsi que je l'ai cataloguée ici. Sa constitution appelle les réserves habituelles quant à la connaissance de l'art des Stella à la fin du XVIIIè siècle et au début du suivant.

Sylvain Kerspern, Melun, le 2 mars 2022

Non Saint Jean de Dieu?
(Boston, MFA, Inv. 68.333) mais...
... Saint Léonard (BnF)
Italie, XVI-XVIIè s.
Notre-Dame des Grâces, Boston, MFA, 68.347
Jacques Stella
Notre-Dame du Bon Secours, British Museum


Italie XVIIè s.? d'après I. Andreasi
David jouant de la Harpe, Boston, MFA, 68.320

(ci dessus de haut en bas) :
détail de la page de l'album de l'Albertina consacré à Le Nain et Jacques Stella sur laquelle sont le « camayeu » de Stella du Salomon, 1625 et la gravure sur bois d'après I. Andreasi
David jouant de la Harpe.
F. Villamena d'après I. Andreasi
David jouant de la Harpe, 1603
Rijksmuseum
Complément : de véritables camaïeux à l'Albertina
« Je ne sais si les douze sybilles dont Jacques Stella a fourni les desseins étant à Rome en 1625 et dont on a des gravures en bois par Paul Maupain, qui se trouvent ordinairement imprimées sur paier bleu et rehaussées de blanc au pinceau, je ne sais, dis-je, si toutes les douzes ont paru en plus petite forme, gravées en bois et imprimées en clair obscur à deux planches. J'en ai seulement sept que je ne regarde que comme des essais dont on n'a point fait usage, par la difficulté qu'on trouve à les imprimer, et c'est dommage, car ils étaient gravés avec beaucoup plus de goût que celles qui ont suivi. On lit sur une de ces planches le mot Roma. -J'ai aussi un clair-obscur de s. Crespin et Crépinien d'après Stella, autre que celui qui fait partie de la suite de Paul Maupain, et qui est encore, suivant toutes les apparences, un premier essai. »

(Mariette p. 266)

Le passage ci-dessus, déjà commenté, laissait présager l'existence d'essais de véritables camaïeux, à savoir des gravures nécessitant plusieurs planches (ou rentrées selon le terme de Papillon), une pour les traits, l'autre ou les autres pour la ou les teintes. Mariette en voit deux pour les sept versions dont il dispose et les signale de plus petites dimensions. Leur découverte dans le fond en ligne de l'Albertina confirme cette légère différence de format, montrant sur une même page les deux versions l'une au-dessus de l'autre de la Sibylle de Lybie, planche des traits du véritable camaïeu en haut, planche unique de l'ensemble en bas (ci-contre à gauche). Ci-contre à droite, elles sont flanquées de celle en deux planches, traits et couleur, de l'Hellespont et en dessous, de sa version la plus connue en une seule.

Le fonds de Vienne figure parmi ceux ayant alimenté les différents tomes de l'ouvrage de Johann-David Passavant également cité à leur propos. Il les évoque dans Le peintre-graveur (Leipzig, 1856, t. 6; p. 240) et on est en droit de se demander s'il n'y a pas identité avec les exemplaires qu'il décrit. Une confrontation s'impose, ce que je n'avais pas illustré plus haut; or la mise en regard avec les exemplaires de l'Albertina apporte un certain nombre d'enseignements d'importance.
En haut, deux versions alternatives des Sybilles de Lybie et de l'Hellespont (Albertina).
En bas, les versions classiques correspondantes
(Albertina à gauche, Washington National Gallery of Art).

Les deux tirages de gauche sont reproduits selon leur présentation sur une même page à l'Albertina.

« 81. Femme vue de face, tournée à droite. De la main droite elle tient une palme, et de la gauche, une tasse. Au bas : ROMA »
(de Tibur)
« 82. La figure vue de face est tournée vers la gauche, tenant de la main droite, un sceptre, de la gauche un livre ouvert. »
(d'Europe)
« 83. Figure de face, tournée à gauche. De la droite elle tient un rameau d'olivier, de la gauche, un livre dans lequel elle paraît lire. À la droite du bas : ROMA. On trouve une gravure sur cuivre du même sujet avec l'inscription : J. Stella inv. 1625. »
(d'Égypte)
« 84. Femme assise vue de face, tournée à gauche, tenant de la droite trois épis, de la gauche, un livre ouvert. »
(de l'Hellespont)
absente
« 85. Figure assise tournée à droite, et tenant sur les genoux un agneau. »
(d'Érythrée)
« 86. La figure est vue presque de dos, tournée à gauche. Elle pose la main droite sur un livre et tient de la gauche une couronne d'épines. »
(de Samia)
« 87. Femme assise tournée à gauche et lisant dans un livre, tandis qu'elle tient de la main gauche un petit étendard. »
(de Cumes)
« 88. Figure assise tournée à gauche, et tenant des deux mains des lys et des roses qu'elle presse contre sa poitrine. »
(de Cimmer)
Non mentionnée par Passavant, la collection de l'Albertina propose un état de la seule planche avec les traits de la Sibylle de Lybie (confrontée ici avec la version avec lavis bleu - d'indigo, ou d'inde - et inscription de la BnF)
Il me faut rappeler que je n'ai pas vu ces gravures directement, et je dois donc me fier aux reproductions en ligne sans savoir si le sens de l'image est bien respecté. Toutefois, les descriptions de Passavant pour les sept qui sont dans le fonds de l'Albertina viennent les confirmer. Je suis tenté de croire que ce sont ces exemplaires qu'il décrit exactement, à quelques infimes détails près. La huitième aura depuis disparu, et il n'aura pas voulu cataloguer la Sibylle Lybique qui ne témoigne que d'une planche, celle des traits. Je reste dubitatif sur le rapprochement par l'historien d'art de la version de la Sibylle d'Égypte avec une gravure sur cuivre inscrite J. Stella inv. 1625. Je n'en ai encore rencontré aucun exemplaire et on peut se demander s'il n'y a pas confusion avec la version en une planche, malgré une formulation un peu différente de l'inscription, que je crois signature (voir ci-contre).

La gravure sur bois diffère de celle sur cuivre en ce que ce qui vient imprimer le papier, comme un caractère d'imprimerie, est ce qui est laissé en relief en creusant la matrice. Ces sept camaïeux proposent des essais associant une planche de traits et une rentrée de couleur brune ou rouge (vermillon) ménageant, par les tailles en creux, les rehauts de lumière en autant de plages blanches. L'Albertina conserve deux tirages, l'une avec les seuls traits et l'autre en deux planches pour La Sibylle d'Érythrée (ci-contre à gauche). La confrontation avec deux états de la version en une planche (à droite) permet de comprendre ce qui motive tant d'exemplaires des camayeux en une planche, avec rehauts blanc, recherchant l'effet d'un vrai camaïeu.

Je suis volontiers Mariette lorsqu'il remarque que les véritables camaïeux sont gravés « avec beaucoup plus de goût » que les estampes en une planche. Il me semble moins pertinent lorsqu'il envisage que les premiers aient précédé les secondes. Puisque la Sibylle d'Égypte est datée de 1625, il faudrait envisager que l'ensemble soit réalisée dans l'année, ce qui est impossible. Au contraire, les discussions précédentes font de cette année celle de son achèvement, ce que corroborre au moins la date de 1624 apposée à la plume sur l'exemplaire Beringhem de La création d'Adam (BnF). L'ambition d'associer cette entreprise de grande ampleur avec le jubilé pontifical de 1625, suggérée par Gilles Chomer, qui correspond à un étalement justifié par le style sur les années 1622-1625, appuie encore une telle situation. Faut-il ajouter que Jérôme David pourrait bien avoir obtenu les sujets qu'il copie, étudiés plus haut, lors de son séjour à Rome qui semble s'achever cette même année ou la suivante? En conséquence, l'alternative des véritables camaïeux doit intervenir en fin de campagne, non au début.

Il faut ainsi prendre la différence de qualité comme la conséquence du passage de la conclusion d'un imposant ensemble dans une technique éprouvée n'évitant pas une certaine facilité à une expérimentation dans une autre plus complexe, aux effets picturaux stimulants, selon un procédé plus contraignant pour la justesse des traits afin que coïncident le produit des deux planches.
Les deux versions de La Sibylle d'Égypte, source possible de la remarque approximative (?) de Passavant.
La Sibylle d'Érythrée, planche des traits. Albertina. La Sibylle d'Érythrée en une planche. National Gallery of Art, Washington.
La Sibylle d'Érythrée, camaïeu en deux planches. Albertina. La Sibylle d'Érythrée, en une planche sur papier bleu avec rehauts blancs. BnF.
Mariette, reprenant l'indication de Félibien, attribue la réalisation des gravures sur bois à Paul Maupain (ou Maupin). Il faudrait mieux connaître la production personnelle de Maupain graveur. La petite biographie proposée plus haut n'en proposerait que deux exemples d'après Callot, encore la signature (Paulus Maupinus Romæ 1621) n'indique-t-elle pas clairement la nature de son intervention et Bruwaert (1912, p. 87) écrit pour sa part qu'il les fit graver; les autres ensembles le voient associé à un graveur chevronné Mattheus Greuter, qui pourrait avoir assumé seul le travail de gravure. Les documents le présentent plus comme papetier (cartaro) que comme graveur, sinon éditeur, ce qui irait dans le sens de mon hypothèse selon laquelle il se serait contenté de fournir à Stella les conditions matérielles pour la réalisation de gravures sur bois, comme accompagnement de son Plan de Rome et des Dieci Basiliche gravée par Greuter dans la perspective de l'afflux de pélerins pour l'Année Sainte 1625.

Si les camaïeux de l'Albertina correspondent aux descriptions de Passavant, deux d'entre elles sont dans le même sens que les versions en une planche, les cinq autres en sens inverse; fait remarquable mais qui n'étonne pas chez Stella, coutumier du fait de se servir du sens horizontal dans l'élaboration d'une composition. J'y vois un argument supplémentaire pour faire de lui non seulement l'inventeur mais aussi le graveur de ces xylographies. Il n'y aurait rien d'étonnant à ce qu'après avoir achevé l'impressionnant ensemble des « camayeux » en une planche, sa curiosité et son « grand amour » pour l'art l'ait poussé à reprendre, pour un essai, certaines de ces images dans une version en chiaroscuro. Le procédé, jouant de la réserve, s'apparentait à la pratique de la peinture sur pierre par Stella, qui intègre quasi systématiquement le support, sa tonalité ou ce que propose le minéral, dans son image. Sa complexité, ou quelque autre circonstance - on perd la trace de Maupin après 1625 -, l'en aura finalement dissuadé.

Sylvain Kerspern, Melun, le 4 mars 2022

CHAPITRES PARTICULIERS
Ancien testament Nouveau Testament Église souffrante Église militante Figures diverses Sybilles
CATALOGUE SOMMAIRE ILLUSTRÉ DE L'ENSEMBLE
ANCIEN ET NOUVEAU TESTAMENT - 46 sujets et 54 planches
Ancien Testament - 16 sujets
Dieu le père,
© The Fitzwilliam Museum, Cambridge
La création d’Adam, BnF La création d’Ève, BnF
Le pêché originel, BnF Adam et Ève chassés du paradis, BnF Adam et Ève chassés du paradis, British Museum Caïn tuant Abel, BnF
Le sacrifice d’Abraham, BnF Moïse tenant les tables de la loi, British Museum Samson déchirant le lion, BnF David et Goliath, BnF Salomon trônant, BnF
Judith tenant la tête d’Holopherne, BnF Job raillé par sa femme, BnF Le prophète Daniel, BnF Suzanne et les vieillards, BnF Jonas sortant de la baleine, BnF
Nouveau Testament - 30 compositions : 16 (ou 17) sujets, 10 (ou 9) figures, 4 évangélistes
Perdu
L’annonciation La visitation, BnF Le massacre des Innocents, Boston, MFA Le massacre des Innocents, 2 états BnF
Perdu
La fuite en Egypte Le baptême du Christ, 2 états BnF Le Christ et la Samaritaine, 2 états BnF
La femme adultère La Madeleine aux pieds du Christ chez Simon, 2 états BnF Lazare et le mauvais riche
Les vierges sages et les vierges folles, en 3 planches
Les noces de Cana, en 3 planches
Le lavement des pieds, en 3 planches
La Cène, en 3 planches
La flagellation du Christ Mise au tombeau Noli me tangere La Cène à Emmaüs L’enfant Jésus dans l’atelier de son père
Le Christ La Vierge Saint Jean-Baptiste Sainte Madeleine Sainte Marthe
Perdu Perdu
L’image miraculeuse de
Notre-Dame de Bon-Secours
Saint Michel combattant le démon L’ange gardien montrant à un enfant la voie du ciel Saint Jean évangéliste Saint Mathieu évangéliste
Saint Luc évangéliste Saint Marc évangéliste Saint Paul apôtre
Apôtres - 12 sujets
Saint Pierre Saint André Saint Jean apôtre et évangéliste
Saint Jacques le Majeur Saint Thomas Saint Jacques le Mineur Saint Philippe
Saint Mathieu Saint Barthélémy Saint Mathias
Saint Simon Saint Thaddée
SAINTS ET SAINTES - 46 sujets
L'Église souffrante : Saints et saintes martyrs - 20 sujets
Sainte Agathe Sainte Agnès Sainte Anastasie Sainte Apollonie Sainte Barbe
Confondue par Mariette avec Suzanne?
Sainte Bibiane Saint Blaise Sainte Catherine d’Alexandrie Sainte Cécile Saints Côme et Damien
Confondue par Mariette avec Anastasie?
Saint Crépin et Crépinien Saint Denis tenant sa tête Sainte Dorothée Saint Étienne Sainte Eulalie
Saint Laurent Sainte Lucie Sainte Marguerite Sainte Praxède Sainte Suzanne
L'Église militante : docteurs et figures des différents ordres religieux - 18 sujets
Saint Grégoire, docteur et Père Saint Augustin, docteur et Père Saint Ambroise, docteur et Père Saint Jérome, docteur et Père Sainte Monique, mère de saint Augustin
Saint Antoine de Padoue (franciscain) Saint Benoît assis au désert (bénédictin) Saint Bernard (cistercien) Saint Bonaventure en cardinal (franciscain)
Et exemplaire non reproduit du Boston Museum of Arts?
Sainte Brigitte (brigittine) Saint Bruno « aspirant à la gloire éternelle » (chartreux) Sainte Catherine de Sienne (dominicaine)
Perdu
Sainte Claire (franciscaine) Saint Dominique (dominicain) Saint François de Paule (minime) Saint Pierre martyr (dominicain)
Sainte Thérèse (carmélite) Saint Thomas d’Aquin (dominicain)
Figures diverses - 8 planches
Confondue par Mariette avec Blaise?
Saint Claude Saint Éloi Saint Gilles Sainte Hélène Saint Hommebon
Saint Léonard Saint Louis Saint Nicolas
LES SYBILLES - 12 sujets
La Sibylle persique La Sibylle lybique La Sibylle delphique La Sibylle de Cumea
La Sibylle d’Erythrée La Sibylle samienne
La Sibylle cumaine La Sibylle hellespontique
La Sibylle phrygienne La Sibylle tiburtine
La Sibylle d’Europe La Sibylle égyptienne
Gravures d'après Tempesta (non par Stella, mais par Maupin?) - 4 sujets cités par Mariette
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Saint Christophe Saint Martin Saint Onuphre Saint Paul ermite
Catalogue Stella - Sommaire de la rubrique Stella - Table générale
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