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Sylvain Kerspern - dhistoire-et-dart.com

Jacques Stella - Catalogue - Rome, oeuvres datées de 1629-1630

Tables du catalogue : Succès romains, 1622-1632 - Ensemble

Table Stella - Table générale
Mise en ligne le 13 février 2016. Retouches 21 mars 2016; novembre 2017
à retrouver
La Vierge à l'Enfant et saint Jean, peinture, 1629 (Modena) Madona di Foce gravure, 1629 (loc. inconnue) Tentation de saint François peinture, 1629 (USA, coll. part.) Vie de Girolamo Miani, 6 dessins, 1629-1630. Yale University
Vie de Girolamo Miani, 6 dessins, 1629-1630 Frontispice de l'oraison funèbre d'Henri-Antoine de Burgi, gravé par J.F. Greuter, 1630 Frontispice du Sermon de Pentecôte, gravé par K. Audran, 1630 Marie-Madeleine pénitente, peinture, 1630 (Munchen) Hérodiade, peinture, 1630 (Sienna) La Vierge reine du Ciel, peinture, 1630 (loc. inconnue)
Affirmation des ambitions romaines (3)
Vouet parti, comme sans doute François, le jeune frère, Jacques est encore très en vue à l'Académie de Saint-Luc. Il semble s'en éloigner à partir de 1630. À en croire le nombre de signatures, son activité redouble, en particulier auprès de l'édition, que lui-même prend en charge pour diffuser une image objet de vénération pour l'évêque d'Amelia, en août 1629 - dont il reste à retrouver un exemplaire.

Son sens de la narration se développe dans ses premières suites dont la destination originale demeure à circonscrire : il représente notamment plusieurs épisodes de la vie de Girolamo Miani durant l'hiver 1629-1630, sans doute, puisqu'ils portent l'une ou l'autre date. Ceux concernant Philippe de Néri sont supposés tout proches en date, mais en l'absence d'éléments fermes de datation, ils doivent être abordés dans une autre page.

La confiance du milieu Barberini ne faiblit pas, et il devient alors, après la disparition de Pomarancio, l'illustrateur en titre des frontispices des discours imprimés pour les sermons de Pentecôte au Vatican et de la Saint-Yves dans son église, de 1630 à 1632. Mais les succès dans l'édition et les petits formats sur pierre pourraient masquer une frustration dans la peinture d'histoire, le décor ou le retable.

Le détail des références bibliographiques, en l’absence de lien vers l’ouvrage consultable en ligne, peut se trouver en cliquant sur Bibliographie.
La Vierge tenant l'Enfant Jésus, qui caresse le petit saint Jean.
Huile sur toile. 97,5 x 74,3 cm. Signé et daté au dos : Fecit Jacobus Stella / gallus lugdunensis Roma 1629 (laissé apparent par le rentoilage)
Modena, Museo Civico (Inv. 186).

Historique : Coll. Campori, legs de Giuseppe Campori en 1887 à la Galleria Estense; relégué par Giulio Cantalamessa.

Bibliographie : Daniele Benat, Lucia Peruzzi, Musei civici di Modena. I dipinti antichi, Modena, 2005, p. 191-192.

L'état du tableau, apparemment usé, semble lui avoir joué des tours. Pourtant, l'inscription figurant au dos a toute chance d'être une signature tant elle ressemble dans sa formulation à ce qu'il appose sur ces dessins durant cette période et jusqu'à son départ de Rome. Il faut dire aussi que ce qui deviendra en France une de ses spécialités, la représentation de la Vierge avec l'Enfant et saint Jean, éventuellement accompagnés d'autres personnages, demeurait rare pour sa période italienne : c'en est, à ce jour, l'exemple le plus précocément daté.

La Vierge vaguement mélancolique aura sans doute dérouté mais elle s'inscrit dans l'influence assumée des maîtres toscans que sont Artemisia Gentileschi ou Passignano, sinon Matteo Rosselli, sensible dans les camayeux. En revanche, le profil en arabesque du saint Jean Baptiste anticipe les versions qu'il pourra en donner en France. J'en rapprocherai encore une belle estampe de Karl Audran qu'il situe dans sa lettre à Rome, montrant la Sainte parenté et saint Jean l'évangéliste dans un décor monumental (détail ci-contre), datable de cette période - Dieu le père s'inspirant notamment de son image en camayeu. Le drapé, les dispositions de la Vierge et de l'Enfant, le type de ce dernier, suscitent la comparaison.

S'il y a une certaine continuité, donc, il faut tout de même mettre cette Vierge en regard de l'intérêt pour les Bolonais perçu dans l'Assomption. Dans un registre qui fera partie de sa réputation, Stella se cherche encore...

S.K., Melun, janvier 2016

La tentation de saint François d'Assise.
Huile sur pietra paesina octogonale. 22 x 29 cm. Signé et daté au dos, sur la plaque de bois de consolidation : Tentasione de/ S. Franseco de lestimate dasisa/~/ faciebat Jacobus Stella Gallus Lugdunensis 1629.
Galerie Éric Coatalem.

Historique : Marché de l'art américain, 2017 (d'une famille noble venue d'Italie); Galerie Éric Coatalem.

Bibliographie : Inédit.
L'inscription au dos, sur la plaque de bois de consolidation, reprise par un collectionneur ultérieur sur un carton, est du peintre, jusque dans une orthographe assez approximative, sinon dyslexique. La comparaison avec la lettre de 1633 à François Langlois, aujourd’hui à l’Institut Néerlandais (Paris), ne laisse aucune doute à ce sujet. Cela suppose que la planche soit d'origine, par le fait.

Tentation de saint François d'Assise.
Pierre noire, plume et encre brune, lavis d'indigo. 17,8 x 25 cm.
ENSBA, Mas. 2892.

Tentation de saint François d'Assise.
Pierre noire, plume et encre noire, lavis brun. 15,1 x 18,1 cm.
Albertina.

Simon Vouet, Tentation de saint François d'Assise, 1623-1624.
Toile. Rome, San Lorenzo in Lucina, chapelle Alaleone.
S'il en était besoin, la réapparition de cette peinture viendrait confirmer l'attribution que j'ai faite d'un dessin entré avec le don Masson à l'Ecole Nationale Supérieure des Beaux-Arts de Paris, comme de l'école italienne du XVIè siècle. La composition est en effet très proche, si ce n'est l'inversion, un pratique courante de l'artiste, et quelques autres menues variantes. Fait remarquable, l'une et l'autre ne sont pas les seules oeuvres de sa main sur le sujet, pourtant rarissime en peinture : il l'a traité également dans une feuille de l'Albertina avec d’autres dispositions, se déployant moins en largeur, et plus raide, les deux personnages étant debout. On a pu douter de son caractère autographe ; le dessin parisien et notre peinture contribuent à balayer les doutes, en éclairant la chronologie de Stella.

La scène montrant saint François convertissant une Sarrazine en se jetant sur des braises pour refuser ses avances a fort peu inspiré les artistes et leurs commanditaires. Pourtant, au moment où Stella est à Rome, un confrère en a donné une version qui dut faire quelque bruit : Simon Vouet l'a représentée dans la chapelle Alaleone de San Lorenzo in Lucina, en 1623. Manifestement, Stella l'a méditée et s'en inspire dans la feuille Masson et la peinture sur pierre, notamment pour les dispositions du saint, jeté au sol, et de la sarazine, jambe avancée vers François alors qu'elle se recule.

Le fait que le dessin de l'Albertina n’en tienne absolument pas compte, installant même le moine d’Assise devant la porte, laisse à penser qu’il fut réalisé avant le chef d'oeuvre de Vouet, et le style confirme une situation dans les premiers mois de l'installation de Stella à Rome, selon des caractéristiques que j'ai relevées notamment en 1994 et en 2008. On pourrait se demander s'il visait à entrer en concurrence pour la commande Alaleone, mais le format plus carré ne correspondant pas, il faut sans doute en écarter l’hypothèse.

Tentation de saint François d'Assise. ENSBA

Quels rapports entretiennent la feuille Masson et notre tableau? Si le lien de composition est franchement plus net qu'avec celle de l’Albertina, la main qui dessine n'a pas l'autorité, la densité des formes de celle qui peint. De fait, je pense qu'il y a, entre les deux, plusieurs mois, voire un à deux ans de distance, à un moment où le style de Stella évolue vite, stimulé par l’actualité romaine qui fait travailler des pinceaux aussi divers que le cavalier d’Arpin, Artemisia Gentileschi, Pierre de Cortone, Valentin, Lanfranco, Dominiquin ou Nicolas Poussin – qu’il a tous connus.

La comparaison avec le dessin Masson, datable vers 1627, montre une évolution décisive, délaissant les modèles " précieux " d'un cavalier d'Arpin pour le classicisme d'un Dominiquin, au diapason d'un sentiment plus intériorisé et monumental. Le geste de saint François est décidément pondéré, et insistant, et la conversion de la jeune femme tout sauf spectaculaire. Ainsi, ce beau morceau de peinture et de pierre, daté de 1629, peut-il servir de point d'ancrage dans l'élaboration par Stella de son classicisme si personnel, mélange de sophistication et de naturel au service d'un langage d’autant plus expressif qu’il est mesuré.

On peut d'ailleurs se demander si Stella préparait par un dessin une peinture sur pierre, car, pour lui, le support a pouvoir de suggestion. Il l'incite à jouer avec les propositions  du matériau – bleu du lapis-lazuli, noir et nuances de gris du marbre ou de l’ardoise, veine et tâches des pierres... La pietra paesina, comme son nom l'indique, lui propose pour cadre les éléments d'un paysage, mais pas toujours, et notre homme en fait ici une démonstration singulière.

En effet, le sujet lui impose de représenter un intérieur, et pour cela, il se sert du précédent du dessin Masson pour mettre en place sa composition. Les lignes et le coloris proposées par la pierre lui ont sans doute suggéré l'inversion pour mettre en place la perspective du lit. Incidemment, elle fournit pour motif du tableau de cheminée... un fond de paysage, que Stella dote de quelques arbres pour en parachever la suggestion. Il y dispose par des traits blancs de quelques milimètres une scène de chasse réunissant notamment un chien, un cavalier suivi d'un piéton. On retrouve là le sens du jeu esthétique, non dénué d’humour, qui lui est propre et qui a fait de lui un artiste recherché, notamment pour ce genre d’ouvrages sur support particulier. Loin de pallier une invention défaillante, elle montre au contraire l’extraordinaire réactivité de l’artiste, dont l’oeil voit le monde comme théâtre de l’art, et de son propre plaisir artistique.

S.K., Melun, octobre 2017

La Madone de Foce d'Amelia.
Gravure. 27,2 x 18,4 cm. Lettre : "RITRATTO DELla MADONna. D. GRAtie DI FOCE. All Illmo. et Rmo. Monsignre. Domenico Pico Viscovo d’Amelia. Dedico a V Sria. Illma et Revma. l’imagine della Beata Virigine di Foce a lai principalmente dovuta come quella chè stata principale promotore di questa divotione, l’ho data alla stampa accio si vegga in effecto qualche segno della mia servitu verso V Sria. Illma. alla quale facendo humile reverenza bacio le mani di Roma questo di 10. Agosto 1629. Di V Sria. Illma et Revma. Devotissmo. servo Jacomo Stella"
Localisation inconnue.

Historique : .

Bibliographie : Mariette, n. mss., BnF, t. 8; Robert-Dumesnil 1844, t. 7, n° 2; Le Blanc 1856, t. 3, p. 588-589, n° 3); Massimo Moretti, « Le committenze dei Somaschi di S. Biagio a Montecitorio. Jacques Stella, Avanzino Nucci, Tommaso Salini », Storia dell'arte, n°129, 2011, p. 29-56; Sylvain Kerspern, « Jacques Thuillier (1928-2011)» dhistoire-et-dart.com, 5 décembre 2011 (http://www.dhistoire-et-dart.com/varia/Jacques-Thuillier.html).

Ci-dessus, la fresque installée en mai 1629
dans l'église Santa Maria della Grazie de Foce
dont la translation est célébrée par la gravure
commandée par l'évêque d'Amelia à Stella.
Emilio Lucci m'a aimablement signalé le marché du 13 juillet passé avec Jacques Stella pour la réalisation et l'exploitation d'une gravure reproduisant cette fresque, dont la translation depuis une chapelle voisine remontait au mois de mai.

Amelia, 1629 luglio 13 Amelia, Archivio Vescovile, Acta Ecclesiastica, 17 (1629-1633), 1629, luglio 13
Domenico Pico per gratia di Iddio et della Santa Sede Apostolica vescovo di Amelia. Desiderando noi che li ritratti et copie della S.ma Immagine della Glo[riosissi]ma Vergine Maria delle Gratie di Foce nostra diocese si faccino simili et et [sic] naturali et da mano di persona in pittura insigne, acciò da ognuno possano vedersi al possibile simiglianti acciò [sic: anco?] in lontani paesi, il che speriamo; Et essendoci venuto a notitia che alcuni pittori non molto esperti ne fanno; Volendo pertanto noi mandare ad esecutione questo nostro desiderio habiamo fatta eletione per dette copie et ritratti del sig.r Gironi [sic, Giacomo] Stella francese, da noi esperimentato et di gran longa più esperto et celebre delli altri perito, con la presente concediamo licenza a detto sig.r Stella che possa lui solo far detti ritratti e copie di detta S.ma Immagine conforme li parerà et anco integlarli [sic] et stamparli et farli stampare in ramo dove e come li parerà acciò più comodamente haversene da' fedeli et così infervorarsi della devotione et li medemi ritratti possa distribuirli et venderli et farli vendere da Giacomo Geraldi, con proibitione espressa che nesuno altro ne copii, ritraha o stampi, sotto le pene che si conterranno, da publicarsi da noi et la presente duri a nostro beneplacito et in fede habiamo fatta fare la presente dal nostro infrascritto cancelliere quale serà da noi sottoscritta et con il nostro solito sigillo sigillata. Dato in Amelia nel nostro solito palazzo episcopali questo dì 13 luglio 1629 Loco+sigilli D. Pico vescovo di Amelia Matthias Crocolus notarius


J'ai souvenir d'avoir vu (à la fin des années 1980) cette gravure dans la documentation que Jacques Thuillier conservait au Collège de France sur Jacques Stella, sous forme de diapositive. J'espère pouvoir la retrouver. Elle montre en tout cas qu'il n'avait pas encore abandonné la pratique de la gravure, qu'il n'envisagera plus, sans doute, que dans le cadre de l'enseignement des Bouzonnet, une vingtaine d'années plus tard.

S.K., Melun, janvier 2016

Épisodes de la vie de Girolamo Miani, Emiliano, 1629-1630.
Six dessins datés de 1629 et 1630.

Historique :
collection de John Percival, premier compte d'Egmont (1683-1748).
Collection John T. Graves.
Collection du bibliophile américain Robert Hoe (1839-1909); 1912, les six albums de dessins de la collection Hoe sont vendus à New York et acquis par un ami de l'Université de Yale, qui en 1957 les offre à la bibliothèque de l'Université. 1961, transfert au musée.
New Haven, Yale University Art Gallery (Egmont collection).

Bibliographie :
cf. en dernier lieu
Rosenberg 1972, p. 211-212;
cat. expo. Lyon-Toulouse 2006, p. 76;
Thuillier 2006, p. 65-69 (qui reproduit l'ensemble);
Massimo Moretti, « Le committenze dei Somaschi di S. Biagio a Montecitorio. Jacques Stella, Avanzino Nucci, Tommaso Salini », Storia dell'arte, n°129, 2011, p. 29-56
Kerspern mars 2015.
a. G. Miani en prison (septembre 1511).
Crayon noir, plume et lavis.
Signé dans la marge
fecit Jacobus Stella Gallus 1629
Inv.1961.65.77
b. G. Miani vêtant les enfants des rues.
Crayon noir, plume et lavis.
Signé au dos
Jacobus Stella Gallus Lugdunensis 1629 faciebat Roma
Inv.1961.65.79
c. G. Miani instruisant les enfants.
Crayon noir, plume et lavis.
Signé dans la marge
Jacobus Stella inveñ 1629
Inv.1961.65.75
d. Le miracle de la source jaillissant de la roche.
Crayon noir, plume et lavis.
Signé dans la marge
Jacobus Stella Gallus Lugdunensis faciebat 1629
Inv.1961.65.80
e. L'orphelin montrant le siège de G. Miani.
Crayon noir, plume et lavis brun et gris, craie blanche.
Signé dans la marge
Jacobus Stella inventor 1630
Inv.1961.65.76
f. G. Miani pleuré par le peuple.
Crayon noir, plume et lavis.
Signé dans la marge
faciebat Jacobus Stella Gallus 1630
Inv.1961.65.78
Ces feuilles, jusqu'à récemment rapprochées de l'histoire de saint Philippe de Neri, montrent autant d'épisodes de la vie de Girolamo Miani, dit Emiliano (1486-1537), noble vénitien dont la piété manifestée au temps des Guerres d'Italie s'est particulièrement exercée envers les enfants, et les orphelins.

La première image le montre en prison après la prise de Castelnuovo, qu'il défendait, moment décisif de sa vocation. Sa biographie fait de sa libération une intervention de la Vierge Marie. Les deux suivantes illustrent son activité charitable auprès des enfants. Dans la quatrième, sa prière fait surgir de la roche une eau salutaire. La cinquième représente le songe d'un enfant aux portes de la mort voyant le siège réservé à Girolamo, signe annonciateur de sa mort prochaine, quelques jours avant qu'il ne s'alite pour la dernière fois; et la sixième, son corps mort exposé à la vénération des habitants de Somasca, où il s'était établi.

Massimo Moretti a remarqué sur le lit de mort du saint les armes du Collège clémentin, principal collège des Pères somasques, dont le recteur, de 1625 à 1632, est Giovanni Antonio Palino, procureur en faveur de la béatification de Girolamo. C'est dans ce cadre que Stella a pu être sollicité, vraisemblablement par le recteur, et dans la suite immédiate du procès en beatification - laquelle ne sera accordée qu'en 1747. Il note encore que cette commande s'inscrit dans un fonctionnement de réseau qui concerne également la gravure de la Madone de Foce. Je n'en tire pas les mêmes conclusions que lui, qui semble penser que ces dessins ont servi d'appui pour convaincre Domenico Pico.

D'abord, l'exercice était différent : il s'agissait de copier une image de dévotion à restituer avec exactitude, non d'inventer, et selon toute vraisemblance, d'assumer lui-même sa traduction dans le cuivre. Je pense que Stella put montrer la plaque de la Cérémonie du Tribut, qu'il conservait encore en 1633 puisqu'il en parle dans sa lettre à son ami Langlois. Ensuite, on peut croire que l'entreprise consacrée à Girolamo Miani fut ramassée dans le temps; les six dessins portant les dates de 1629-1630 doivent donc se situer après l'été 1629. On notera au passage que le travail de l'artiste semble suivre la chronologie de la vie du saint, les deux sujets finaux datant seuls de 1630. Bref, s'il y a influence d'une commande sur l'autre, celle de la gravure de Foce doit avoir la prééminence.

Christian Sas est un graveur allemand assez mal connu. Il est actif à Rome dans les années 1620, grave notamment d'après Antonio Pomarancio l'image pour le Sermon de Pentecôte du Collegio Romano en 1628. Le contexte suggère qu'il a pu se former dans l'atelier des Greuter, autres sujets de l'Empire installés à Rome. Johann-Friedrich est l'un des principaux traducteurs des inventions de Stella à Rome, ainsi que de Pomarancio. Les deux graveurs font partie de l'équipe qui traduit les dessins de Jacques pour le Breviarium d'Urbain VIII, publié en 1632. De 1632 encore (ou en 1637?), Sas grave un dessin de Nicolas Mignard en Avignon, peut-être sur le chemin du retour dans sa patrie, l'Allemagne. Il est aussi concerné par une autre suite inventée par Stella et consacrée à Philippe de Neri, dont la datation ne peut être précisée mais que l'on considère contemporaine, à la possible exception du frontispice (de 1625?) : il s'agissait de compléter les images de Luca Ciamberlano pour une Vita antérieure à la canonisation et à laquelle Guido Reni avait contribué.

Dans la présente, il existe des variantes entre dessin et cuivre ou gravure de Christian Sas. Certaines, selon ce qui est connu, pourraient ne remonter qu'au XIXè siècle (déployant, par exemple, l'auréole). D'autres semblent constituer des retouches demandées, comme le rajeunissement du saint en prison dont la tête conserve le style de Stella. Il avait, dans un premier temps, établi un type physique pour Girolamo permettant de le reconnaître, visage allongé et fin, front dégarni, barbe en pointe. Il s'est ravisé pour l'épisode initial, qui se produit en 1511, alors que Miani n'a que 25 ans.

Comme Jacques Thuillier l'avait remarqué dès 1960, les contributions de Stella à l'édition l'incitent à poursuivre dans une veine narrative et maniériste apprise en Toscane; les exemples en la matière du cavalier d'Arpin (1568-1640) ou d'Antonio Pomarancio (1570?-1630) l'y encourageaient, et on songe volontiers à ces artistes devant les sujets de la vie de Girolamo Miani. S'étonnera-t-on de le voir le plus à l'aise dans les scènes traitant de l'enfance? La plus réussie est peut-être celle montrant l'instruction des orphelins, par le mélange de naturel dans la composition et les attitudes et le souci du costume.

D'autres estampes, sans dessins préparatoires ni lettres explicites pour l'inventeur comme pour le graveur, complètent apparemment la suite vers le même temps (?), laquelle a été reprise en partie et amplifiée par Giacomo (Dol)Cetta (actif à Venise de 1650 à 1666). Il faut être prudent à leur égard, en particulier pour la scène montrant le saint enterrant les pesteux : la typologie en semble bien lourde et le décor plus proche d'un Marten de Vos que de ce que Stella pouvait produire. La Multiplication des pains serait plus convaincante mais les costumes visibles au fond renvoient encore au fond nordique plus qu'à l'Italie du XVIè siècle, me semble-t-il.

S.K., Melun, janvier 2016

PS (décembre 2017) : dans mes recherches autour d'illustrations de sermons de Giovanni Luigi Cerchiari, j'ai constaté qu'il avait consacré à Girolamo Miani en 1631 plusieurs opuscules en 1630-1631. Il se peut que les images de Stella et Sas leur aient été primitivement destinées.
Ci-dessus, le dessin de Stella (Yale) pour l'image du saint en prison et le cuivre de Christian Sas (19 x 15,5 cm; Albano Laziale).
Ci-dessus, le dessin de Stella (Yale) pour l'image du saint habillant les enfants des rues et le cuivre de Christian Sas (Albano Laziale).
Ci-dessus, le dessin de Stella (Yale) pour Girolamo gisant et la gravure de Christian Sas (Albano Laziale).
Ci-dessus, du dessin au cuivre, Stella retouche le visage de Girolamo pour le rendre conforme à son âge.
Cuivre anonyme, G. Miani enterrant les pesteux de nuit (Albano Laziale, Italie) Christian Sas d'après Jacques Stella, G. Miani en prison, gravure (Albano Laziale, Italie) Gravure anonyme, G. Miani multipliant les pains (Albano Laziale, Italie)
DE S. SPIRITUS/ ADVENTU/ ORATIO IN SACELLO PONTIFICIO/ QUIRINALI/ HABITA/ A Iacobo Tolomeo Pistoriensi/ Rom. Sem. Con. (Ignea corona), gravure

Illustration pour le sermon de Pentecôte 1630 en la chapelle papale :

Le vent soufflant sur les flammes couronnant un écu portant le titre, de part et d'autre duquel se trouvent un philosophe (?) montrant une feuille ornée d'une mine qui éclate, à gauche; et à droite, un soldat (Mars?) en tenant une autre portant un canon; dans le ciel, comètes et éclairs; au sol, écu portant les armes du dédicataire, Marzio Ginetti.
En bas à gauche : J. Stella Galls In.; à droite : C. Audran fecit

Dessin perdu.
Gravure par Charles Audran. 22,7 x 16,2 cm. Francesco Corbelletti éditeur
Exemplaires : Rome, Biblioteca Nazionale; Paris, Bibliothèque Mazarine...)
Réemplois :
- J. Tolomei, Conclusiones philosophicae quas publice disputandas proponit..., 1632; exemplaire : Paris, Bibliothèque Sainte-Geneviève, 4 D 1229 INV 1260 (P.2).

Bibliographie : Louise Rice, « The Pentecostal Meaning of Francesco Borromini's Sant'Ivo alla Sapienza » in Francesco Borromini. Atti del convegno internazionale. Roma, 13-15 gennaio 2000, Milano, 2000, pp. 261, 263; Isabelle de Conhihout in cat. expo. Lyon-Toulouse 2006, p. 35, 36, 40; Louise Rice, «Prints for Pentecost», Mélanges offerts à Maxime Préaud, 2010, p. 235-267.

Louis Rice a éclairé le contexte de ce genre d'images auquel Stella aura été l'un des principaux contributeurs au début des années 1630, en particulier dans une étude fondamentale offerte à Maxime Préaud. Préparant une fête majeure de l'année chrétienne, pour laquelle l'orateur devait donner son sujet deux mois avant, ces illustrations sont conçues tôt dans l'année. Les noms des inventeurs et des graveurs des sermons précédents peuvent expliquer, par le réseau, que Stella se soit imposé : on y trouve les noms d'Antonio Pomarancio (1623-1624, 1627-1629), pour les premiers, et de Johann-Friedrich Greuter (1623, 1627) Jérôme David (1625), Christian Sas (1628) pour les seconds. Un Dominiquin, associé pour la gravure à Claude Mellan, n'avait pas dédaigné l'exercice en 1626.

Ce frontispice constitue, en quelque sorte, un galop d'essai. Louise Rice a souligné qu'il inaugure, dans la tradition de ces sermons imprimés, le dédoublement d'avec la page-titre. Stella ne profitera véritablement de cette indépendance au titre traditionnel que l'année suivante, en produisant une image affranchie de la trame traditionnelle et compartimentée telle qu'elle apparaît ici, avec son écu occupant le centre de l'image. Isabelle de Conihout a justement noté que ce parti reprenait celui des Prose vulgari de Mascardi (gravure de J. David), de 1625, et de la Vita de Neri, sans date, mais que je pense aussi précoce, et antérieure aux dessins de Yale.

Néanmoins, la relation image-texte mise en lumière par Louise Rice montre que l'iconographie se particularise alors, reléguant au second plan le caractère générique de sermon de Pentecôte. De fait, Stella colle au texte qui sera prononcé, intitulé Ignea corona, en couronnant de feu l'écu portant le titre traditionnel. Le personnage soufflant sur les flammes (personnifiant le vent?) peut aussi passer pour le souffle de l'Esprit-Saint, tel qu'il descendit le jour de la Pentecôte sur les têtes des apôtes et de la Vierge réunis dans le Cénacle. Le philosophe à gauche illustre peut-être l'étude du « champ de la nature » quand le soldat sur la droite pourrait incarner le théâtre de l'art - militaire. Le caractère martial de leur production pourrait aussi faire allusion au cardinal destinataire, prénommé Marzio, et (dans une moindre mesure?) à son titre de cardinal-vicaire obtenu en 1629, qui le faisait délégataire de l'administration papale.

L'image semble loin d'avoir livré tout son sens mais on perçoit nettement la capacité de Stella à développer lisiblement dans la forme un discours complexe. Bien traduit par Charles Audran, son style a encore gagné en densité. Le type longiligne du philosophe rappelle Girolamo Miani dans les dessins de 1629-1630, ce qui n'a rien d'étonnant. Son compagnon s'inscrit lui dans un démarche classicisante qui rapproche Stella d'un Dominiquin, et ouvre une voie qui deviendra bientôt centrale.


S.K., Melun, janvier 2016

Frontispice de l'oraison funèbre d'Henri-Antoine de Burgi, gravé par J.F. Greuter, 4°, 1630.
Gravure. Dimensions précises inconnues.

L'image montre un appareil funèbre, au pied duquel deux squelettes avec pelle et faux dardent un flèche vers un sablier ailé qu'ils tiennent entre eux, au-dessus d'un cuir découpé portant le titre. Sur l'autel encadré de deux grands candélabres et couvert d'un drap orné de deux couple d'os entrecroisés et d'une guirlande, quatre statuettes entourent autant de chandeliers, l'écu du défunt au chapeau ecclésiastique à cordelettes ainsi que deux trophées à tête de mort; elle représentent (de g. à dr.) la Foi, la Prudence, la Charité et l'Espérance. Il apparaît sous un dais aux rideaux ouverts, tenus par deux colonnes.

Lettre :
- sur le cuir découpé : "In Obitu/ R.mi P. Mag. Henrici Ant. Burgi/ Relig.is B. M. Seruorum Gentilis/ EPITAPHIUM/ Adm. R.P.D. Io. Aloysij Cerchiarij Vicentini/ Cl. Reg. Congr. Somasche/ in Coll. Clem.no eloq.a Profess.ris.Romae : Apud Haered. Barth. Zannetti, 1630 "
- au bas à droite : " J. Stella delin. JF. Gr. incid. "
- dans la marge : "ROMAE Supior permiSsu Apud Hæred. Barth. Zannetti MDCXXX "

Exemplaires : Cremona, Biblioteca statale; Firenze, Biblioteca Marucelliana (Mag Misc.97.12).

Bibliographie :
* Boffito, Giuseppe, Frontespizi incisi nel libro italiano del seicento, Firenze, 1922, p. 101
Je n'ai pas pu encore voir d'exemplaire de ce petit opuscule en l'honneur du général des Servites mort en 1630, rédigé par Giovanni Luigi Cerchiari (1603-1636), professeur d'éloquence au Collège Clémentin et membre de la Congrégation de Somasche, ce qui nous situe dans le même milieu que le commanditaire des images sur la vie de Girolamo Miani - s'il ne s'agit pas de lui, on peut penser qu'il aura joué un rôle d'intermédiaire. Les catalogues des bibliothèques qui en ont un exemplaire évoquent des scènes funèbres, que Boffito (1922) qualifie de « bizzara invenzione ».

S.K., Melun, novembre 2017

Mise à jour, août 2022 :
Hazard ou ténacité, en cherchant cette fois au nom du responsable du recueil, Cerchiari, j'ai pu trouver mis en ligne l'exemplaire de Cremona, révélant l'image conçue par Stella et traduite par Greuter. On peut comprendre l'appréciation de Boffito à propos de sa bizarrerie mais qui connaît Stella ne s'en étonnera pas. Il est vrai que dans ce registre lugubre, il s'agit apparemment du premier exemple. Viendront ensuite, entre autres, l'Allégorie sur l'agonie du cardinal Borghese (1633) ou la Mort de Théophraste Renaudot (1648), en sorte que s'il est vraisemblable que le commanditaire de ce frontispice ait guidé le programme de son image, l'artiste y trouvait une inspiration propre aiguisée par sa formation florentine, et les exemples d'un Jacopo Ligozzi (1547-1627), et la fréquentation des cercles érudits des Barberini.

Ceci étant, il s'agit d'illustrer un ensemble d'éloges funèbres à la gloire d'Enrico-Antonio Borgo di Castelnuovo (1574-1630), lecteur public aux universités de Pavie et de Pise, élu en en 1625 Général des Servites (G. Mazzuchelli, Gli scrittori d'Italia..., Brescia, vol. II, part. III, 1762, p. 1758). Le génie de Stella est de savoir en donner une mise en scène éloquente. Si Borgo est mort à Pise, l'opuscule déploie un hommage romain rendu au Général des Servites de Marie. La spiritualité de cet ordre mendiant - faisant vœu de pauvreté et vivant de la charité - s'attache particulièrement aux douleurs de la Vierge au long de la Passion de son fils. Le choix d'un autel, lieu mémoriel du sacrifice pendant la messe en rappel à celui du Christ, s'imposait; celui des vertus, les trois thélogales (Foi, Espérance et Charité), et la Prudence, si utile à la direction d'un ordre, dut faire également partie du programme.
Stella en tire une image vraisemblable par-delà les motifs fantastiques, rompant franchement avec le schéma triomphal qui fournit traditionnellement l'articulation de l'espace en neuf compartiments, encore sensible dans le frontispice pour le Sermon de Pentecôte de l'anné. La dédicace d'Eliseo Mazzonio, vicaire général de l'ordre, et Nicolaus Cæ de Cremona, son procureur auprès de la Curie romaine, date de juin 1630, en sorte que le présent frontispice pose un jalon essentiel dans cet affranchissement, sorte de transposition dans le livre de la mutation opérée en peinture au cours de la Renaissance du polyptique au retable unifié, pour laquelle Stella est un agent essentiel à Rome à cette époque, puis à Lyon et Paris environ dix ans plus tard, en particulier pour l'Imprimerie Royale. Cette transformation passe par la mise en relation signifiante par l'expression des Passions des différents éléments composant l'image.

Ainsi, dans un décor naturel qu'instaurent quelques herbes et un caillou au sol au tout premier plan, au seuil d'une chapelle funéraire, deux squelettes, l'un symbolisant la Mort par la faux au sol, l'autre matérialisant l'inhumation par la pelle à ses pieds, laissent entendre que le Temps symbolisé par un sablier ailé n'affectera pas la mémoire du défunt dont le nom est donné sur le cuir qui les masque en partie. Les statuettes sur l'autel, d'aspect classicisant, livrent les arguments qui les motivent. En premier lieu car mises en lumière, la Foi et l'Espérance, s'imposent au moment de la mort; dans l'ombre, la Prudence et la Charité situent, d'une certaine façon, le défunt dans le cadre de sa principale fonction, qui lui vaut l'hommage, Général des Servites. Par la lumière, par la mise en espace, par l'étude de la gestuelle expressive, en d'autres termes par les moyens propres à son art, Stella délivre clairement le propos du livre qu'il préfigure, jusqu'à la mise en évidence du lion des armoiries du défunt, volontiers repris dans les éloges écrits qui suivent. Au carrefour d'une pensée traditionnaliste appuyant sur la religion souffrante du personnage honoré et de la pensée moderne, complexe, de la rhétorique jésuite du commanditaire de l'image, Stella déploie ainsi une mise en scène d'une grande efficacité, par-delà son apparente étrangeté.

S.K., Melun, août 2022

Hérodiade portant la tête de saint Jean-Baptiste.
Huile sur toile. Signé et daté au dos : J. Stella fecit / [1]630
Siena, Museo Diocesano.

Historique : Coll. Lelio Ugurgeri?.

Bibliographie : Alessandro Bagnoli, « Museo diocesano d'arte sacra di Siena », site internet TOSCANAOggi, mise en ligne 18 février 2002.
Comme la Vierge de Modena, cette Hérodiade semble attester d'un certain rayonnement de la production de Stella dans l'Italie hors de Rome. Hérodiade est le pendant négatif de Judith, puisqu'elle scelle le destin funeste de saint Jean-Baptiste. Le sujet plaide en faveur d'une destination locale, puisqu'on sait qu'aussi bien qu'à Florence, il était vénéré à Sienne.

Il faut s'interroger sur le fait que Stella se soit fait alors, en quelque sorte, une spécialité des personnages féminins fatals à un homme (Judith, Dalila, Hérodiade), à l'instar de celle qui fut peut-être son amie à Florence comme à Rome, Artemisia Gentileschi. Le traitement, il faut le dire, en est tout différent, fort éloigné de la dramaturgie caravagesque de l'Italienne, Stella éludant, la plupart du temps, le supplice. Son succès tiendrait plus en ce qu'il fait passer dans la facture autant que dans la joliesse des traits féminins cette rencontre impensable entre la séduction et la violence de l'acte, sur un mode allusif qui ne peut que renforcer la puissance évocatrice du sujet. Notre artiste insiste sur la réflexion qu'une telle situation suscite plutôt que sur l'émotion brute qui pourrait résulter de son spectacle direct. Il choisit un temps de pause - tout autant que de pose, ici - pour interpeler le spectateur.

Cela se traduit, stylistiquement, par une filiation d'avec le cavalier d'Arpin, plutôt que de Caravage, notamment sensible dans le goût de drapé par triangulations incisives, complexe, bouffant et précieux - comme pour la Vierge apparaissant à Girolamo Miani. Le visage de la jeune femme, vaguement piriforme et au petit menton en pointe, est encore celui des « camayeux », comme la Vierge de Modena, un type qui va progressivement disparaître - ce qui peut d'ailleurs aussi expliquer les réserves pour la peinture de 1629.

S.K., Melun, janvier 2016

Marie-Madeleine en extase, dite aussi pénitente ou méditant.
Huile sur pierre (albâtre?). 28,5 x 21,5 cm. Signé et daté au dos : Faciebat Jacobus Stella Lugdunensis 1630 Romae
Munich, Bayerisches Nationalmuseen.

Historique : Coll. de l'électeur de Bavière Johan Wilhem à Düsseldorf puis Mannheim au XVIIIè siècle; puis à Munich.

Bibliographie : (Gilles Chomer et) Sylvain Laveissière, cat. expo. Lyon-Toulouse 2006, p. 90; Thuillier 2006, p. 70-71; Didier Rykner, « Une collection de dessins exposée au Musée des Beaux-Arts de Montréal », La tribune de l'art, mise en ligne le 19 juin 2013.
Cette peinture plutôt endommagée est, si j'ose dire, une pierre de touche pour comprendre l'évolution de Stella au tournant de 1630. Cela tient au fait qu'elle propose un des exercices les plus parlants du travail d'un peintre sur semblable support, mais aussi à son inscription dans une de ses inventions répétées en de subtiles variations : deux exemplaires sur cuivre, un sur bois, et un dessin. Peut-on en retirer une séquence logique, rien n'est moins sûr à l'heure actuelle - mais je vais quand même essayer.

De ce petit groupe, si la trame pour le buste et la pose est commune, on peut distinguer deux grandes options : un cadrage large, un autre resserré sur le haut du corps. Le dessin opte pour cette dernière et présente une facture qui, sans le tableau de Munich, aurait difficilement pu être rattachée à Stella. En effet, on conserve peu de sanguines de sa main, encore moins dans une technique aussi énergique. De plus, elle nous propose une image très immédiate, presque crue de l'extase de Marie-Madeleine, que les peintures atténuent notamment en insistant moins sur la poitrine et en refermant un peu la bouche tandis que l'abandon que l'expérience suppose y passe par la tunique qui glisse sur le bras.

Le cadrage est celui du petit cuivre passé en vente à Paris en 2014, qui, lui, se distingue par l'expression de la sainte, yeux ouverts tournés vers la lumière divine. L'attitude renvoie aux pâmoisons autant de Guido Reni, pour l'expression que du Cavalier d'Arpin pour l'ovale parfait. Le travail du drapé pour la tunique, dont le tissu s'amollit et s'affaisse alors que dans les autres peintures, il s'affirme géométriquement, tel que Stella le développe dans la vie de Girolamo Miani, conduit à convoquer le retable Arese, de 1627, dans lequel l'artiste explore cette approche, et l'impact de Guido Reni et de sa « morbidezza », charnelle, sensible aussi dans le Massacre des Innocents des « camayeux » de 1624-1625. En sorte que je pense que ce dessin et le cuivre anticipe le tableau de Munich de quelques mois, sinon de quelques années, comme la Sainte Madeleine renonçant aux richesses sur ardoise.

Il faut toujours rappeler que le développement d'un style est rarement linéaire - d'abord parce qu'il faudrait pouvoir définir une ligne claire, incontestable, ce qui demeure utopique - et particulièrement avant la maturité, qui varie selon les contextes. Stella, vers 1630 à Rome, n'est pas plus arrêté dans son style que Poussin, de deux ans son aîné lorsqu'il peint le Martytre de saint Erasme (1628-1629), fort différent des choix artistiques qui le feront, quelques années plus tard, recherché au point de pouvoir ne plus peindre sur commande, avec toutes les contraintes ordinaires que cela supposait. En l'état, pour ce qui concerne notre artiste et les peintures qui nous intéressent, je suis enclin à penser que le dessin de Montréal, partant d'une composition semblable au cuivre vendu en 2014, pose la recherche sur l'expression d'une extase allant plus loin dans le sens de Reni, mais aussi contre lui. Il renonce au regard extatique pour des yeux clos, gonflés des larmes du repentir, signant son invention ensuite répétée dans les autres peintures.

Sans certitude mais suivant une certaine logique, le format proposé par la pierre de Munich aura contribué à élargir le champ pour une figure en pied, tel qu'il se voit dans l'autre cuivre et le panneau. Le support fournit dans ses indications naturelles de couleurs la gloire lumineuse installée dans l'angle supérieur gauche, et l'aspect général de la grotte, les accidents de relief de son intérieur comme l'échappée vers la mer. Là réside la poésie particulière du genre, et la réussite du peintre. Si les manques, aujourd'hui, existent (dans la chevelure, dans le bas de la robe...), la qualité du sentiment subsiste par le jeu de la lumière « naturelle », issue de la pierre, autant que divine, et celle conférée par le pinceau, qui suggère l'atmosphère blafarde, ou plutôt romantique, selon le qualificatif de Jacques Thuillier, englobant le tout. Cette version n'est guère plus tranquille que le dessin canadien, ce qui est rare chez Stella. Il se peut que cette oeuvre ait été exécutée rapidement, laissant ainsi filtrer une sensibilité d'ordinaire plus maîtrisée. Quoiqu'il en soit, elle demandait une expérience et une science consommées de l'art de peindre, aptes aux plus hautes ambitions.

S.K., Melun, janvier 2016

Dessin.
Montréal, coll. part.
Cuivre
Vente 2014
Bois
Paris, coll. part.
Cuivre
New York, coll. part.

La Madeleine repentante
Vente Brest, 9 décembre 2014
(« Suiveur de Jacques de Bellange »)
Cuivre, 13,5 x 9,5 cm.
Marché de l'art parisien
L'Assomption Arese, 1627
Toile, 270 x 173 cm.
Nantes, Musée des Beaux-Arts.

(Ci-contre)
La Madeleine renonçant aux richesses
Ardoise. 22 x 21 cm.
Naguère chez Éric Coatalem, Bernard Steinitz...


Exemplaire sur cuivre (Feigen)

Exemplaire sur bois
La Vierge reine du Ciel avec un concert d'anges
dit aussi L'Immaculée Conception
.
Huile sur lapis-lazuli et ardoise. 17,8 x 5,1 cm. Apparemment signé et daté au dos de 1630
Localisation inconnue.

Historique : Vente Sotheby's Paris 4 juin 1999, lot 1436.

Bibliographie : inédit.
Cataloguer cette oeuvre ici appelle les réserves d'usage : je ne l'ai pas vu et n'ai donc pu vérifier les inscriptions. Néanmoins, elles sont cohérentes avec ce qui est présenté dans cette page, et l'attribution ne fait pas l'ombre d'un doute.

Stella semble avoir particulièrement exploité le support du lapis-lazuli, associé à l'ardoise pour sa consolidation, en Italie, en tout cas à Rome. Depuis 2006, plusieurs redécouvertes en la matière permettent de percevoir son évolution sur la trame d'un sujet commun, La fuite en Égypte. Notre peinture pose a priori un jalon qui confirme le départ entre le Repos au sol et celui entrant dans le sous-bois.

Le premier emploie certes des putti proches - certains de ceux également visibles dans la Sainte Cécile de 1626 (ci-dessous) - mais aussi de grands anges dont la raideur continue le style florentin. Le second montre un sens des volumes approfondi, dont l'Immaculée conception témoigne également, notamment pour les mêmes grands anges qui proposent un traitement des carnations bien plus subtils.

Le rapprochement avec le cuivre de Rennes passe aussi par la présence du concert angélique accompagnant l'image de la Vierge, reine du ciel - restitué par la pierre à nu -, trônant sur le croissant de lune. On la résume ordinairement en Immaculée Conception, titre qui renvoie, il faut le rappeler, à sa propre naissance sans tâche, non à celle de Jésus.

Stella avait fourni en 1624-1625 une figure analogue, mise en pendant d'un Christ roi (Salvatore), intitulée S. Maria, avec le croissant de lune sous les pieds, soulignant sa chasteté. Karl Audran est l'auteur d'une gravure d'après lui montrant pareillement la Vierge mais avec Jésus enfant bénissant dans ses bras; la lettre commente sa maternité et Mariette, qui la croit faite à Rome, l'interprète comme La Vierge reine du Ciel, ce que la couronne comme le sceptre confirment. Nous nous rapprochons nettement de notre peinture.

La présence de roses et, plus insolite, de rosiers dans celle-ci renvoie précisément à la virginité autant qu'au péché que la venue de son fils vient racheter, et auquel elle a échappé. L'accompagnement musical est moins convenu, et rappelle des précédents parmi ses grandes réussites : outre la Sainte Cécile Médicis, on peut rappeler L'assomption de Pastraña, de 1624. Il faut encore évoquer la Danse d'enfants nus gravée et le Duo dessiné, qui convoquent encore les musiciens. Et lorsqu'il ornera sa lettre à son ami Langlois, en 1633, c'est en faisant allusion à sa pratique de la cornemuse. Il semble donc avoir été sensible à cet art.

S.K., Melun, janvier-février 2016

À gauche :
version en camayeu,
1624-1625


K. Audran
d'après J. Stella
Gravure, BnF
Table générale - Table Stella - Catalogue Jacques Stella : Ensemble - Succès romains, 1622-1632, mosaïque
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