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Sylvain Kerspern - dhistoire-et-dart.com

Jacques Stella - Catalogue - Rome, oeuvres datées de 1631-1632

Tables du catalogue : Succès romains, 1622-1632 - Ensemble

Table Stella - Table générale

Frontispice du Sermon de Pentecôte,
gravé par K. Audran, 1631
Frontispice du Sermon de la Saint-Yves,
gravé par K. Audran, 1631
Frontispice Cum festinatio,
gravé par K. Audran, 1631
Un prince oriental,
dessin, 1631 (Oxford, Ashmolean)
Suzanne et les Vieillards/Joseph et la femme de Potiphar,
peintures, 1631 (coll. Rust)
L'annonciation,
peinture, 1631 (Pavie)
L'adoration des bergers,
dessin, 1631 (Louvre)
Illustrations pour le Breviarium Romanum,
gravées par Audran, Greuter, Regnart et Sas, 1631-1632
Frontispice du Sermon de la Saint-Yves,
gravé par K. Audran, 1632
Frontispice de thèse Pallavicino,
gravé par J.F. Greuter, 1632
Mise en ligne le 29 mars 2016 - retouche en novembre 2021
Succès romains : 4. Le temps des interrogations (1631-1632)
Stella, qui délaisse l'Académie de Saint-Luc, continue de produire nombre d'inventions pour l'édition, pour les Jésuites comme pour Urbain VIII, les Barberini appréciant aussi ses peintures sur pierre ou sur cuivre. C'est lui qui donne tous les dessins pour le Breviarium romanum publié en 1632 à l'instigation d'Urbain VIII, ainsi placé sur le terrain de Rubens, compositeur de ceux de la version d'Anvers publiée en 1628. La diversité des burins et les contraintes propres au genre de l'illustration de thèse (qu'il s'agisse de placards pour les annoncer ou des frontispices de leur texte imprimé en un livre) ne rend pas toujours facile l'appréciation de son style, qui connaît alors une nouvelle maturation.

Cependant, malgré son entregent qui lui procure la confiance des Barberini, pour qui il achète des tableaux, il semble que les grandes commandes de retable ou de décor lui échappent toujours. Ses ambitions de créateur sont pourtant bien sensibles dans l'exercice du frontispice, qu'il renouvelle, sublimant leur architecture en de véritables tableaux, dans un style de plus en plus marqué par l'art classique et l'Antique. Bientôt, il envisage de quitter Rome, rappelant son jeune frère pour de nouvelles aventures dans lesquelles la peinture aurait enfin toute sa place.

Le détail des références bibliographiques, en l’absence de lien vers l’ouvrage consultable en ligne, peut se trouver en cliquant sur Bibliographie.
Frontispice pour le sermon de Pentecôte 1631
en la chapelle papale :
MARITALIS/IGNIS


(ORATIO/ DE S. SPIRITUS/ HABITA/ IN SACELLO PONTIFICUM/ QUIRINALI/ AD SANCTISS. D.N./ URBANUM VIII/ PONT. MAX./ AB ALEXANDRO CAESARINO/ Neapolitano. Sem. Rom. Conu.).

Dans le haut, l'Amour divin déploie un tissu où est inscrit MARITALIS IGNIS accompagné d'Hymens enfants tenant les torches du mariage. Des langues de feu pleuvent depuis le ciel. Au-dessous, un autel, orné des armes du cardinal, est allumé pour le rite du mariage. De part et d'autre sont deux femmes : l'Épouse du Christ avec l'anneau marial et les clefs, à gauche; et l'Église avec sceptre et tiare papale, à droite (selon L. Rice).
En bas à gauche : J. Stella In.; à droite : C. Audran fecit

Dessin perdu.
Gravure par Charles Audran. 16,2 x 22,7 cm. Francesco Corbelletti éditeur.
Exemplaires : Rome, Biblioteca Nazionale; Paris, Bibliothèque Mazarine...)
Réemploi :
- Fabio Papazzonio, Conclusiones ex universa sacramentorum materia..., 1639; exemplaire : Paris, Bibliothèque Sainte-Geneviève, 4 D 1229 INV 1260 (P.30).

Bibliographie : Mariette, éd. 1858-1859, p. 265-266; Isabelle de Conhihout in cat. expo. Lyon-Toulouse 2006, p. 40; Louise Rice, «Prints for Pentecost», Mélanges offerts à Maxime Préaud, 2010, p. 235-267.
Le dédicataire, Alessandro Cesarini (1592-1644), dont les armes figurent sur l'autel, était cardinal depuis 1627. Stella poursuit l'affranchissement du frontispice de la page-titre, en illustrant le thème propre au sermon de l'année, dont il donne le titre, en un véritable tableau.

Le thème du mariage mystique est parfaitement mis en scène depuis sa source jusqu'à ses incarnations allégoriques dans l'Église, dans sa dimension spirituelle (avec l'anneau et les clefs) et temporelle (avec tiare et sceptre). La papauté se trouve ainsi placée comme héritière directe, quasi-contemporaine du Christ, à travers le moment fondateur que constitue la Pentecôte comme manifestation de la Nouvelle Alliance entre Dieu et l'humanité.

La maîtrise de la composition rejoint celle de la forme, servie par le burin efficace et sensible de Charles Audran. Par le drapé, le calme de la composition, l'allongement du canon, notre artiste approfondit un style classicisant permettant l'expression claire du discours. L'image donne, de ce point de vue, un repère précieux dans son évolution vers le style qu'il va développer en France. Elle anticipe la mutation qu'il opèrera en France dans l'édition, en particulier dans ses travaux pour l'Imprimerie Royale.


S.K., Melun, février 2016

Frontispice pour le sermon de la Saint-Yves 1631
en l'église romaine dédié au saint :

DE/ SANCTO IVONE/ PAUPERUM PATRONO/ ORATIO HABITA/ Ad S.R.E. Cardd./ a/ Thoma Dado Vrbin/Sem. Rom. Cler.

Zephyr, tenant de la main gauche l'écu du cardinal Ginetto et de la droite un rouleau de papier portant le titre, souffle sur un rosier. Au fond, un jardin palatial. Sur une banderolle enlaçant les rosiers de part et d'autre et de haut en bas, l'inscription : (à gauche) VERIT CALCA QUIDQUID (à droite) HIC ROSA FIAT.
En bas à gauche : J. Stella In.; à droite : C. Audran f. Dans la marge : Romae apud Franc. Caballum Superiorum permisu. 1631

Dessin perdu. Gravure par Charles Audran. In-4°. 16 x 23 cm. Francesco Cavallo éditeur.
Exemplaires : Rome, Biblioteca Nazionale; Paris, Bibliothèque Mazarine; Urbino, Biblioteca dell'Università...)


Bibliographie : Le Blanc 1854 p. 85, n°208; Isabelle de Conhihout in cat. expo. Lyon-Toulouse 2006, p. 40.

Le dédicataire, le cardinal Ginetti, était déjà visé par le sermon de Pentecôte de 1630. L'inscription sur la banderolle doit vraisemblablement être lue : Quidquid calcaverit hic rosa fiat . Elle reprend Juvénal et Perse dans les Satyres (« Sous chacun de ses pas qu'une rose paraisse », trad. Jules Lacroix). Le sens d'une telle citation peut être éclairé par les commentaires d'un André Dacier (1691). Elle reprend la formulation des voeux d'une nourrice mais son contexte général appelle le destinataire à s'en affranchir pour trouver en lui-même son accomplissement. Montaigne la cite en soulignant pareillement la nécessaire adéquation des voeux à la personne, affirmant : « C'est le jouir, non le posséder qui nous rend heureux ».

Zephyr se veut donc, ici, vent favorable, source des douceurs qu'incarnent les roses. On peut s'étonner du tour profane du discours mis en image; d'autant que la rose est également associée à Vénus. Il ne faut pas oublier que les protagonistes appartiennent au cercle d'Urbain VIII, lui-même poète et promoteur d'une revitalisation des idéaux humanistes dont la vocation était d'associer les grandeurs de l'Antique et du Christianisme. La rose comme le rosier sont par ailleurs, on l'a vu pour la Vierge reine du Ciel, pareillement emblèmes de Marie, et nous allons voir que le vent peut aussi servir à célébrer la Visitation.

La sentence de Juvenal et Perse évoque tout autant la figure tutélaire du saint des pauvres, Yves, son mépris des biens comme sa charité; elle porte les espoirs du dédicataire et délivre une leçon morale, sans parler du thème printanier, contexte de la fête du saint (le 19 mai). L'analyse du texte lui-même permettrait sans doute d'approfondir ou de trancher, mais ma connaissance du latin est bien trop erratique pour en décider. Louise Rice en dira peut-être plus quelque jour. Quoiqu'il en soit, dans une image conçue comme un tableau, Stella illustre le propos de Juvenal et Perse de façon remarquablement efficace et claire, Zephyr incarnant tout autant la bonne fortune, ou plutôt la Divine Providence, que celui qui peut en bénéficier, puisque le rosier part de son pied.


S.K., Melun, février 2016

Illustration pour :
FESTINATIO/ B. VIRGINIS/ ELISABETAM/ INVISENTIS/

Latinè, Graecè, oratoriè ac poeticè/ pertractata, à/ STEPHANO GRADIO RAGUSINO/OCTAVIO CUSANO MEDIOLANENSI/ FRANCISCO MARIA RHO MEDIOLANENSI/ Sem. Rom. Con./ Accesserunt harmonica metra actionibus interjecta/ ROMAE/ Ex Typographia Francisci Corbelletti MDCXXXI/ SUPERIORUM PERMISSV

L'esprit de Dieu, sous la figure du tonnerre, au milieu des nues et de quatre figures qui représentent les quatre vents; en dessous, une banderolle portant l'inscription CUM FESTINATIONE Luc, au-dessus d'un médaillon montrant la Visitation, porté par deux des angelots qui tiennent des moulinets, peuplant l'image.
En bas à gauche : J. Stella In.; à droite : C. Audran sculpsit

Dessin perdu. Gravure par Charles Audran. In-4°. 16 x 23 cm.
Exemplaires : Rome, Biblioteca Nazionale; Paris, Bibliothèque Mazarine; Bibliothèque Nationale de France (Estampes Da20fol.); Perugia comunale Augusta...)


Bibliographie : Le Blanc 1854 p. 85, n°220; Isabelle de Conhihout in cat. expo. Lyon-Toulouse 2006, p. 40.
Cette image sert de frontispice à un petit recueil de textes de trois différentes mains, dédiés à la Visitation, sans doute dans le contexte, une fois de plus, du Seminario Romano. Stella semble avoir illustré le quatrième (Afflatae deo pregrinae virgini...) du Milanais Ottavio Cusani : le texte se retrouve dans un autre recueil publié l'année suivante dans lequel seul son nom, des trois affichés en 1631, reparaît. Un lien éventuel avec le jour de cette fête situerait la gravure et a fortiori le dessin avant le 31 mai 1631.

Ce texte m'amène à corriger l'interprétation de Mariette : la personnification allégorique renvoie non aux parties du monde mais aux quatre vents principaux de l'Antiquité, porteurs de l'inspiration divine et qui expliquent les moulinets. En haut à gauche, Borée, vent du Nord et de l'hiver, porte sous son bras la Grande Ourse; en dessous, le vent du printemps et de l'Ouest, Zéphyr, tient un vase d'où s'échappent des fleurs; à droite, en bas, Notos/Auster, de type africain, incarne le vent d'été et du Sud; et au-dessus, Euros, vent d'Est, personnifie le vent d'automne. Dans leurs actions, ils semblent dissiper les nuages pour révéler l'esprit de Dieu, qui les inspire autant qu'il incite la Vierge à se rendre chez sa cousine Élisabeth cum festinatione, à la hâte ou plutôt avec empressement, selon Luc (I, 39). En effet, cette visite prend place immédiatement après l'Annonciation, l'apparition de l'ange Gabriel à Marie.

Dans cette mise en image de l'esprit qui anime la Vierge alors, Stella introduit une présence enfantine attendue, peut-être prescrite - il s'agit de la rencontre de deux futures mères -, mais qu'il infléchit selon sa propre inspiration en la dotant de ce jouet soumis aux quatre vents. Ce jeu d'enfant reparaîtra dans le volume qu'il leur consacrera une quinzaine d'années plus tard (ci-contre). Il donne au ton allégorique un accent familier, rendant plus accessible un sens assez obscur sans cela. Ces enfants, par leurs attitudes, contribuent à rompre ce qui aurait pu être une symétrie forte, et accompagnent, comme les vents, une mise en acte de l'allégorie telle que l'âge de l'éloquence (Marc Fumaroli) aime à le faire.


S.K., Melun, février 2016

Un prince oriental et ses troupes sur une colline boisée, avec un camp militaire à l'arrière-plan.
Plume et lavis d'encre brune sur préparation à la pierre noire, rehauts de gouache blanche; mis au carreau; signé et daté au bas : J. Stella in/1631. 29,1 x 41,9.
Oxford, Ashmolean Museum, WA1863.48.

Historique : Coll. Marquis de Lagoy; Francis Doulce, legs en 1834.

Bibliographie : en dernier lieu, (Gilles Chomer et) Sylvain Laveissière, cat. expo. Lyon-Toulouse 2006, p. 100; Thuillier 2006, p. 75.


R. v. Persijn d'après Andrea Camassei
Cyrus dans son jardin de Sardis, gravure. 28 x 38,1 cm. Rijksmuseum.

(À droite) Armes de D. Scaglia sur le frontispice des Philosophicas theses de Jean-Baptiste Micot, de 1638
Le sujet, malgré les remarques de Louise Rice, reste énigmatique. L'aspect héraldique rappelle en effet les illustrations des thèses, aussi bien en Italie qu'en France, et les identifications des armes de la famille Brusati, de Legnano dans le Milanais, sur le bouclier du page, et de celle du cardinal Desiderio Scaglia, composé au centre de l'image par la juxtaposition du chien courant sur un terrain en pente, de l'étendard frappé d'un aigle couronné et du chapeau, sont incontournables. Mais l'exotisme des costumes ne laissent pas d'intriguer.

Cet accent particulier aura sans doute orienté Jean Seznec et Baumgarten vers la piste hongroise, avec ces plumets et ces coiffes, notamment. Il me semble qu'on peut préciser le personnage principal, près du page au bouclier : la couronne désigne un prince plus qu'un guerrier. En recherchant des documents sur le costume noble en Orient, je n'ai pu manquer de relever en Stefan Batory, roi de Pologne d'origine hongroise ayant succédé à Henri de Valois (de 1575 à 1585), des ressemblances avec ce personnage; plus presque par les traits que par le costume, d'ailleurs. Mais au fond, on pourait tout autant invoquer l'image d'Andrea Camassei gravée par Reiner van Persijn en 1636, sur l'histoire de Cyrus, pour une thèse dans le cadre du Seminario Romano.

Au vrai, la probable association entre l'évocation d'une histoire précise et le tour allégorique et héraldique constitue un cahier des charges particulièrement lourd pour l'artiste. De ce point de vue, on pourrait comprendre la remarque de Jon Witheley lorsqu'il catalogue le dessin en 2000, sur son aspect démodé; mais c'est méconnaître le milieu de l'édition de l'époque. D'abord, le résultat n'est pas si différent de la gravure d'après Camassei, de 1636. La comparaison avec les autres travaux en la matière de Stella à cette époque, sur cette page ou ailleurs, oblige à constater, au contraire, un effort particulier et constant de lisibilité et de clarté qui donne à percevoir que nous sommes devant l'image d'un siège associant quelque armée aux ordres d'un roi lointain, épaulé par des alliés italiens.

Il le fait par une véritable mise en scène des armes du dédicataire, qui forment le pivot de la composition. Du moins cela permet-il d'appréhender l'importance du dessin chez Stella, et de la ligne dans la construction d'un discours clair et sensible. Car, une fois encore, il y cherche précisément à s'affranchir d'un cadre formel préétabli - le blason - pour le transcrire en actes, lui donner une consistance narrative. Si le sujet garde sa part de mystère, ce n'est pas faute, de sa part, d'avoir rechercher la clarté.

S.K., Melun, mars 2016

Retouche, novembre 2021.
Louise Rice (2021) a brillamment résolu l'énigme de l'iconographie, tout récemment. Elle met en miroir deux sujets, l'une tirée de l'Antiquité, l'autre d'un passé plus récent, à caractère effectivement plus ou moins oriental ou, pour mieux dire, d'un Orient fantasmé.
C'est, comme souvent, un détail insolite qui ouvre la piste : ici, le curieux casque à tête de cerf, auquel je n'ai pas prêté suffisamment attention. Louise Rice l'a rapproché de celui si particulier de Georges Castriote dit Scanderbeg (1405-1468). Celui-ci est un héros albanais d'abord otage des Ottomans, qui grandit et est élevé à la cour du sultan, puis s'y illustre parmi les officiers par plusieurs victoires militaires qui lui valent son surnom faisant référence à Alexandre le Grand. Le sultan ne lui accordant pas de succéder à son père sur le trône albanais, il se retourne contre eux, et devient le défenseur de son pays et plus généralement de la chrétienté. Dès le XVIè siècle, il fait l'objet de biographies qui l'assimilent à Pyrrhus d'Epire, ancien territoire de l'Albanie, jadis défenseur de la Grande Grèce devant les prétentions expansionnistes de Rome.

Louise Rice publie d'autres gravures que celle ci-contre qui montrent que l'iconographie du personnage pouvait inclure le fameux casque. Elle remarque encore que Pyrrhus, selon Plutarque, s'était déjà affublé d'un casque à cornes de cerf. De fait, elle tend à ne voir dans le personnage principal que le seul héros antique. La gravure d'Amman que j'ai pu trouver par Internet m'incite à nuancer ce propos en remarquant que Stella pourrait s'en être inspiré aussi bien pour le manteau du chef de guerre, les traits de son visage que pour la coiffure de certains de ses acolytes, comme pour confondre l'un et l'autre, d'autant plus que Scandeberg se voulait héritier et descendant de Pyrrhus. À cette date, l'artiste est suffisamment maître de ses choix pour penser que cette référence, quand bien même elle serait soufflée par le commanditaire ou ses conseillers, soit ici clairement appuyée à dessein. Ceci dit, il est certain que le glissement vers le guerrier antique aura permis à l'historienne d'art de résoudre l'énigme du sujet, qui relève de sa légende.
Jacques Stella, Pyrrhus et le chien fidèle. Oxford, Ashmolean Museum, WA1863.48.
Casque-couronne de Georges Castriote dit Skanderbeg (1405-1468).
Vienna, Kunsthistorisches Museum
Jost Amman (1539-1591),
Portrait de Scanderbeg.
Gravure sur bois,
in Marin Barleti et Philipp Lonicer (1578)
Elle identifie ainsi, sans discussion possible, un épisode de l'histoire du chien rencontré par Pyrrhus défendant le corps assassiné de son maître, amadoué par le roi, qui reconnaît les meurtriers lors d'une revue des troupes. Elle transcrit l'extrait d'Ælian (De natura animalium) et Plutarque. Je me permets ici de citer le résumé du passage du premier par Jacques-Vincent Delacroix (1780, p. 239-240) comme exemple de la fidélité du chien. On trouvera la traduction de Plutarque par Jacques Amyot dans l'édition parisienne de 1574 ici.

Telle est donc la scène au premier plan; le campement derrière en constitue la toile de fond. Louise Rice a encore éclairé un élément étrange : la bande oblique peuplée de personnages occupant partie du ciel. Sa forme crénelée est judicieusement rapprochée du motif héraldique - brétessé - des armes de la famille Aldobrandini, celle du pape Clément VIII, et du Collegio Clementino qu'il a fondé, cadre de nombre de thèses de philosophies romaines dont l'historienne d'art est assurément la meilleure spécialiste, et pour les étudiants duquel Stella a travaillé. Que penser du cortège d'hommes et de femmes qui y évoluent?

Le recours à une autre image produite dans un contexte semblable et gravée par Mathias Greuter (ci-contre plus bas l'exemplaire de la collection de Marolles) permet à Louise Rice d'en clarifier le recours. Un jeune étudiant s'y voit indiquer par Minerve l'Olympe et Junon pressant ses seins pour donner naissance à la Voie Lactée. Apollon, lance en main pointée vers des Géants vaincus par de lourds blocs de roche, porte un écu au blason du Collège. Ce châtiment est associé au cortège s'élevant pour regagner l'Olympe, qu'accompagne une inscription, Hac iter est superis, traduisible par Voici la voie des Dieux (pour se rendre en la demeure du Tonnant - Jupiter) : l'étudiant, tenant en mains les armes du Collège, se voit révéler par Minerve, figure de la Sagesse, l'assemblée des Dieux au moment de la chute des Géants telle que décrite par Ovide à qui est empruntée cette citation (Les métamorphoses, I, fable 6-7). Pour mythologique qu'elle semble, l'intervention du blason du Collège invite à une transposition dans le registre de la spiritualité chrétienne, sur le mode propre aux Jésuites.

Le sens de l'estampe de Greuter, au fond, est assez limpide, au contraire du dessin de Stella, « saturé d'informations », comme le souligne Louise Rice. Sa complexité met l'artiste au défi d'associer préoccupation héraldique, évocations de personnages historiques ou mythiques jusque dans la représentation d'un sujet, exemple moral tiré de l'histoire de Pyrrhus dont, pas plus que l'historienne d'art, je n'ai trouvé d'autre exemple figuré malgré une certaine fortune littéraire.

L'étudiant commanditaire du dessin de Stella porte un écu aux armes de sa famille, et nous regarde. Il est montré comme témoin, avec Pyrrhus/Scanderbeg, de la fidélité canine venant s'inscrire dans les armes du dédicataire, dans le contexte de l'élévation spirituelle que propose l'enseignement du Collegio Romano, sanctionné par la soutenance de thèse. Par-delà la flatterie, il faut souligner avec quelle efficacité l'artiste historie l'héraldique pour l'actualiser, introduisant une réflexion sur le pouvoir de l'image. Certes, le sujet tient de l'art du blason mais il est suffisamment incarné pour avoir suscité plusieurs études à son propos, dont toutes, jusqu'alors, recherchaient un contenu narratif, lequel aura fini par délivrer, grâce à la perspicacité de Louise Rice, son sens métaphorique. Ici se reconnaît l'indéniable talent de Stella à mettre en forme, sous une apparence simple, une pensée complexe.

S.K., Melun, novembre 2021

Matthaeus Greuter, Minerve montrant le chemin de la Voie lactée.
BnF, Collection de Marolles, vol. 93, R131878.
Bibliographie additionnelle
* Marin Barleti et Philipp Lonicer, Chronicorum Turcicorum..., Frankfurt, 1578
* Jean-Michel Papillon de la Ferté, Traité historique et pratique de la gravure en bois, Paris, 1766, t. 1, p. 237
* Jacques-Vincent Delacroix, Le porte-feuile du physicien, Paris, 1780, p. 239-240
* Louise Rice, « Meaning within Meaning in a Drawing by Jacques Stella », Close Reading. Kunsthistorische Interpretationen vom Mittelalter bis in die Moderne, Berlin/Boston 2021, p. 290-301

Joseph et la femme de Potiphar
Suzanne et les vieillards
Huiles sur marbre jaspé. 25 x 35,5 cm. Signé et daté au dos : Jacobus Stella Lugdunensis faciebat Romae 1631
Coll. David Rust (USA).

Historique : Avant 1957, chez Sestieri en Italie (?); 1967, novembre, chez Hazlitt, Londres. Acquis à New York après 1974.

Bibliographie : en dernier lieu Pierre Rosenberg 1982, n°98-99; (Gilles Chomer et) Sylvain Laveissière, cat. expo. Lyon-Toulouse 2006, p. 98; Thuillier 2006, p. 297; Kerspern, Sylvain 2006-2.



Nicolas Chaperon d'après Raphaël,
Isaac et Rebecca épiés par Abimelech
(des Loges du Vatican. Gravure, 1649
Nos deux peintures forment pendants sur le thème de la vertu bafouée pour des motifs de moeurs, dont le spectateur du temps sait bien que l'innocence finira par triompher. Les sujets sont empruntés à la Bible, la Génèse (39, 1-20) et le livre de Daniel (13, 1-23).

Joseph, fils de Jacob, vendu par ses frères et fait prisonnier, est vendu comme esclave à Potiphar, chef des gardes de Pharaon. Gagnant sa confiance, il en vient à gérer ses biens qui prospèrent. Sa beauté séduit la femme de son maître, qui le harcèle en vain, jusqu'à ce qu'elle en vienne à l'accuser d'avoir voulu abuser d'elle. Il est jeté en prison, disgrâce qui constitue le point de départ de son ascension auprès de Pharaon.

Suzanne est la femme de Joachim, homme riche de Babylone, qui recevait notamment deux vieillards faisant fonction de juge. Ils s'éprirent d'elle et la surprirent un jour se baignant seule dans le jardin, la menaçant si elle se refusait à eux. Condamnée à mort, l'intervention de Daniel la sauve en confondant les vieillards.

Stella s'est visiblement inspiré de la « Bible » de Raphaël, ses peintures ornant les Loges du Vatican. La gravure (dans le même sens) qu'en a tiré Chaperon en 1649 (ci-contre) montre, pour un sujet voisin de la Suzanne, une mise en page comparable, avec une fontaine venant caler la composition sur un côté. Il y a plus. Car le support apporte par ses motifs des suggestions au peintre. C'est à partir d'une coulée claire que Stella en vint à convoquer le modèle du peintre italien pour une citation valant hommage; suggérant peut-être aussi une note humoristique sur l'art et la nature.

Encore n'est-ce qu'un détail car Stella construit en fait cette image sur une autre plage blanche, opposée à d'autres grises, pour établir les ombres et les lumières, sans grandes retouches. À ce titre, cette peinture n'est pas moins remarquable que la Madeleine de Munich (1630) et il est étonnant que Jacques Thuillier n'en ait pas perçu la poésie alors qu'il vantait le tableau allemand.

Le Joseph peut aussi convaincre par l'effet du rideau même si la peinture, plus présente, enlève un peu de cette poésie. L'échappée de la fenêtre montre un souci classique, sinon classicisant, associant ici la Renaissance italienne à l'Antique en une veine qu'il va progressivement imposer et approfondir.

S.K., Melun, février 2016

L'annonciation
Huile sur lapis-lazuli, collé sur ardoise doublée d'un panneau de bois. 12,8 x 11,4 cm. Signé et daté au revers sur le bois Jacobus Stella Lugdunensis / fecit Romae 1631
Pavie, museo civico, castello Visconteo (A. M. 867).

Historique : Collection Malaparte, passé au musée fondé par ce collectionneur à Pavie.

Bibliographie : en dernier lieu, (Gilles Chomer et) Sylvain Laveissière, cat. expo. Lyon-Toulouse 2006, p. 92.



Charles Mellin, L'annonciation, 1631-1632, dessin. Louvre
Il pourrait s'agir de l'un des deux quadri in pietra mentionnés dans les inventaires Barberini, payés le 17 juin et le 4 septembre 1632; on peut écarter celui donné à l'ambassadrice d'Espagne en 1634, nettement plus grand. Il se trouve que la composition est reprise, inversée, par une gravure de Johan Friedrich Greuter dans le Breviarium romanum commandé par Urbain VIII, publié en 1632, avec quelques variantes, comme le canon des personnages, la couronne antique de Dieu et la place de la chaise.

Le thème est l'un des plus traités dans l'histoire de la peinture depuis la Renaissance. Les attitudes des personnages inscrivent l'interprétation dans un moment et suivant un sens particuliers. Stella donne une importance inhabituelle à Dieu - plus encore dans la gravure, soit dit en passant - par sa taille, et par le regard tourné vers lui de la Vierge. L'ange, pourtant au premier plan, n'est plus que le témoins de leur dialogue muet, que les mains ramenées par Marie sur sa poitrine accompagnent : Gabriel vient de lui annoncer son prochain enfantement et le fait que son fils hérite du trône de David, justifiant couronne et sceptre qu'il apporte; elle semble s'en étonner, parlant d'elle comme n'ayant pas connu d'homme.

La comparaison, une fois encore, avec la gravure (ci-contre inversée) met en évidence le rôle du support. L'éclat du bleu lapis envahit la pièce et installe, dès ce moment, la Vierge comme reine du ciel. En sorte que le couronnement à venir du Fils passe par celui de sa Mère. Le lapis-lazuli incarne, en quelque sorte, les nuées accompagnant Dieu dans l'estampe, quand bien même il est clair que la peinture en est partie en certains endroits, comme pour le nuage portant l'ange.

Dans la gravure, les variantes supposent un contexte plus historique; le déplacement de la chaise - qui aurait atténué l'impact bleuté du lapis si elle avait été peinte au même endroit -, la table et le pavement restaurent une perspective reliant Marie à Dieu; Gabriel, pour sa part, indique nettement la colombe et le Père, en sorte qu'il est partie prenante des relations entre les personnages. A contrario, son geste dans la peinture l'en met décidément à part, et doit se comprendre comme la prolongation de sa bénédiction initiale. Il se peut encore que l'indication de la pierre, mouchetée par endroits de blanc, ait suggéré la place et le canon de Dieu, puisque de sa main droite part une traîné venant toucher la tête de Marie, redoublant le rayon qui les relie en traversant l'Esprit-Saint.

On ne peut voir cette peinture sans songer à une autre, contemporaine, et qui aura assis la réputation de son auteur : celle de même sujet intégrée au décor de l'église Saint-Louis-des-Français, peinte par Charles Mellin. Le concours qui pose ce dernier en rival de Lanfranco et Nicolas Poussin prend place en 1630 : le 30 juillet, le choix du Lorrain semble arrêté sur l'avis du cavaliere d'Arpino. Un premier paiement, le travail étant en cours, est effectué le 16 janvier 1631. La difficulté tient au fait qu'on ne peut affirmer par quoi l'artiste a commencé mais il semble que ce ne soit pas par l'Annonciation, placée par Jacques Thuillier et Philippe Malgouyres (cat. expo. Charles Mellin, Caen-Nancy, 2007, p. 120-133) à la fin du chantier, en 1631-1632.

L'auteur du catalogue de 2007 y associe une dizaine de feuilles. S'il n'est pas certain qu'elles lui soient toutes préparatoires, un certain nombre d'elles montrent une lente élaboration introduisant en chemin, justement, une importante figure de Dieu le père. Celle-ci fait l'objet d'études particulières, dont deux dans le sens de celui de Stella, qui est inverse à son irruption dans la fresque de Mellin. Plus que d'influence, il faut sans doute invoquer des recherches communes au service d'une clientèle propre au microcosme religieux romain. Notre artiste aura, pour sa part, volontiers revendiqué, plume ou pinceau en main, cette invention : on retrouve la figure planant majestueusement du Père dans la Nativité de Lyon (1635) ou dans l'Annonciation de la suite tardive en 22 sujets de la Vie de la Vierge, ainsi que dans le tableau de la cathédrale de Meaux (ci-dessous). Elle participe d'une volonté de combiner dynamisme et monumentalité qui transcendent le petit format de cette peinture, et augure des recherches qui feront sa réputation en France.


S.K., Melun, mars 2016

L'adoration des bergers
Plume et encre brune, lavis brun sur papier brun; rehauts de craie blanche. 28,5 x 18 cm. Signé et daté au bas Jacob˜. Stella fecit (repassé en faciebat) 1631
Louvre, Département des Arts Graphiques, Cabinet des dessins, Inv. 32892.

Historique : Ancienne collection, inventaire Napoléon.

Bibliographie : en dernier lieu, (Gilles Chomer et) Sylvain Laveissière, cat. expo. Lyon-Toulouse 2006, p. 93-94; Thuillier 2006, p. 77.

Il est étonnant qu'une feuille aussi spectaculaire n'ait pas été repérée avant sa présence au Louvre sous Napoléon. Il semble qu'on ignore même comment elle y est entrée. Le lien avec le Breviarium romanum publié en 1632 est net mais l'importante gloire avec de grands anges, qui sont absents de la gravure, et les dimensions de la feuille nettement plus grande que l'estampe, peuvent laisser penser qu'elle prépare plutôt une composition peinte, comme l'avance Sylvain Laveissière (2006).

Stella développe ici, en effet, une composition adaptée au retable par son double registre : on songe aux exemples bien connus dans le genre peints en France (Christ enfant retrouvé par ses parents dans le Temple, 1642, Les Andelys; Baptême du Christ, 1645, Paris, Saint-Louis-en-l'Île...). Néanmoins, elle ne fait que dynamiser la formule déjà mise au point pour la Sainte Cécile de Rennes (1626), qui tient plus du tableau de dévotion.


Karl Audran d'après Stella, gravure du Breviarium romanum, 1632.

Plume, lavis et rehauts mettent aussi en valeur l'effet de nocturne, qui justifie le rapprochement fait par Sylvain Laveissière avec l'Adoration des anges de Lyon (1635). On peut déceler dans ce parti l'exemple de Correggio, une des références essentielles de Stella, et sa célèbre Notte aujourd'hui à Dresde. On ne peut que relever, à nouveau, les rapprochements possibles avec Charles Mellin dans l'interaction entre lavis et plume mais la comparaison avec, par exemple, le dessin de l'Annonciation du Louvre, citée plus haut, conduit aussi à relever tout ce qui les sépare.

Charles Mellin, L'annonciation, 1631-1632, dessin. Louvre

Mellin, plus jeune de quelques années, a subi l'ascendant de Simon Vouet et repris à son compte le goût de l'arabesque, au service de poses dynamiques; Stella campe fermement ses personnages dont les relations sont réglées par la gestuelle, observée dans le quotidien. Le style du Lorrain répondait sans doute mieux au goût romain, alors que celui de Stella va bientôt rencontrer un public plus favorable en France, autour de Richelieu et Sublet de Noyers. Il épurera la poésie de cette composition en un choeur antique dans une version française en largeur connue par un dessin et une peinture, autrefois dans la collection de Lucien Bonaparte.

S.K., Melun, mars 2016

Frontispice pour le sermon de la Saint-Yves 1632
en l'église romaine dédié au saint :

DE/ SANCTO IVONE/ PAUPERUM PATRONO/ ORATIO HABITA/ Ad S.R.E. Cardd./ a/ Jacobo Signorino/Fiorentino/ Seminarij Rom./ Cler.

Apollon dieu du jour s’accordant avec Diane déesse de la nuit pour former les armes du cardinal Lorenzo Magalotti sommées d'une banderolle marquée de son motto LIBERTAS; au bas, une femme représentant l’Éloquence et à ses pieds, un foudre et des chaînes et un blason (aux armes de Signorino?).
En bas à gauche : J. Stella In.; à droite : C. Audran fecit

Dessin perdu.
Gravure par Charles Audran. In-4°. 23 x 17,5 cm. Francesco Cavallo éditeur
Exemplaires : Paris, Bibliothèque Mazarine; BnF....
Réemplois :
- Joseph Maria Avila, Theologicae veritates ex magni Thomae Aquinatis..., 1635; exemplaire : Paris, Bibliothèque Sainte-Geneviève, 4 D 1229 INV 1260 (P.36).
- Theses theologicae disputandae a F. Sebastiano de Laurentiis, avec les armes de Michel Mazarin (Conihout 2006)? du cardinal de Ceva (Le Blanc 1854)? 1650? Rome, Gabinetto Nazionale delle Stampe, Inv. F.C. 117884

Bibliographie : Mariette, n. mss., t. VIII; Le Blanc, Manuel 1854, p. 85, n°206, 88, n°311; Conihout, cat. expo. Lyon-Toulouse, 2006, p. 40
(sur Magalotti) Natalia Agapiou, « Un écu insolite dans les appartements du Vatican : les armoiries du cardinal Lorenzo Magalotti », 2007,version en ligne consultée le 10 décembre 2018.
Le dédicataire, Lorenzo Magalotti (1583-1637), était un très proche d'Urbain VIII, et un interlocuteur de Pietro da Cortona. En 1632, il est évêque de Ferrare depuis quatre ans, ville pour laquelle il a aussitôt quitté Rome. C'est sans doute leur commune origine florentine qui incite Jacopo Signorino à lui offrir ce sermon. Je ne connais pas l'état du Gabinetto delle stampe romain mais on peut confondre les armes du cardinal avec celles de son homologue Francesco-Adriano de Ceva (fascé d'or et de sable de six pièces)... qui est aussi le blason des Sève de Lyon, descendants francisés de Leonardo de Ceva.

L'invention est comparable au dessin de l'Ashmolean : le rayonnement solaire d'Apollon produit les bandes de sable et d'or du blason, cerné par les cordons du chapeau dont le couple divin tient les houppes. Elle est à la fois plus évidente et, finalement, moins personnalisée, en sorte que la planche a pu facilement resservir pour d'autres textes, dès 1635. Connaissant le contrôle exercé sur ces images universitaires au sein des collèges religieux, on comprend devant une telle image que la censure ne visait pas nécessairement l'image du corps, y compris féminin. Foudres et chaîne sont peut-être là pour rappeler la profession d'avocat de saint Yves, avec la figure de l'éloquence, bien sûr.

La pose dynamique autant qu'instable d'Apollon, et sa chevelure toute en mêches, tranchent sur la production de Stella : on peut les percevoir comme un tentative sans lendemain dans le goût d'un Lanfranco et qui peut aussi rappeler Vouet. Elles signalent, dans les premiers mois de 1632, un artiste explorant son art pour s'affranchir d'une certaine routine et d'une situation qui tarde à s'établir.

S.K., Melun, mars 2016

Illustrations pour le Breviarium romanum, publié en 1632 à Rome.

BREVIARIUM/ ROMANUM Ex decreto Sacros. Conc. Trid./
Restitutum/
PII V-PONT-MAX-/
iussu editum, &/
CLEMENTIS VIII-/
Primum; nunc denuo/
URBANI PP-VIII/
autoritate recognitum


Neuf gravures.
16,5 x 10 cm, environ.

Un dessin en rapport étroit.

Exemplaires :
Lyon, Bibliothèque municipale; Bibliothèque Vaticane...

Bibliographie :
cf. en dernier lieu
cat. expo. Lyon-Toulouse 2006, p. 35, 37, 40, 92-94;
Thuillier 2006, p. 60, fig. 1 (exemplaire anonyme d'après l'Adoration des bergers attribué à David).

Nota : l'ordre des gravures suit celui du Breviarium, selon celui des fêtes de l'année.
a. Frontispice Saint Pierre et saint Paul de part et d'autre des armes d'Urbain VIII sous un grand drap portant titre, au-dessus duquel plane l'Esprit-Saint.
Gravure au burin signé CAF (Charles Audran) sans nom d'inventeur
ROMAE TYPIS VATICANIS MDCXXXII
b. L'annonciation.
Gravure au burin de Johann-Friedrich Greuter.
En bas, sous la Vierge : I. Stella delin. JF (accolés) Greuter incid.
c. L'adoration des bergers.
Gravure au burin de Karl Audran.
En bas, sur le bâton : C. Audran fecit;
et sur la pierre : I. Stella In.
d. L'adoration des mages.
Gravure anonyme (V. Regnart?) au burin.
En bas, à gauche : Ia. Stella Inventor
e. La résurrection.
Gravure au burin de Johann-Friedrich Greuter.
En bas, à droite : J. Stella delin: Jo. Fed: Greuter incid.
f. La pentecôte.
Gravure au burin de Christian Sas.
En bas, à gauche : J. Stella In.; à droite : C. Sas sculpsit
g. La communion des apôtres.
Gravure anonyme (C. Sas?) au burin.
En bas, à droite : I. Stella Inventor
h. L'assomption.
Gravure anonyme (J.F. Greuter?).
i. La communion des saints.
Gravure au burin de Valerian Regnart.
En bas, à gauche : J. Stella In.; à droite : Val. Regnartius f.
Si son nom n'apparaît pas sur le frontispice et sur L'assomption, c'est bien à Jacques Stella que l'ensemble des dessins a été demandé. Il suffit, pour l'Assomption, de comparer avec la version que l'artiste donnera au soir de sa vie dans sa Vie de la Vierge pour s'en convaincre; dans les deux cas, Stella y fait la synthèse des versions Pastraña (1624) et Arese (1627). De même, l'ensemble doit avoir été conçu dans un temps ramassé : son style est homogène malgré la diversité des graveurs, plus ou moins heureux dans leur travail, et deux compositions en rapport, un dessin et une peinture, sont datés de 1631.

Charles (dit Karl après son retour de Rome) Audran (1594-1674), Johann-Friedrich Greuter (v. 1590-1662) et Christian Sas (actif en 1627-1648) avaient déjà gravé d'après Stella (et aussi d'après Pomarancio); l'Allemand est sans doute son plus fidèle traducteur. S'y ajoute Valerian Regnart (actif en 1610-1650), autre traducteur de Pomarancio également actif pour l'Accademia Parthenia, émanation du Collegio Romano jésuite, et graveur d'un frontispice pour une Vita de beato Felice, capucin.
L'assomption.
Gravure anonyme (J.F. Greuter?)
L'assomption, 1655-1657.
Dessin. Localisation inconnue
Peut-on attribuer les trois gravures anonymes? La plus belle, L'assomption pourrait revenir à Greuter. Le sens des volumes de L'adoration des mages renvoie, des quatre graveurs, à Regnart, me semble-t-il. La communion des apôtres, au métier plus gracile et approximatif, doit revenir au cadet, Sas. Nous aurions ainsi deux estampes pour chaque graveur hormis Greuter, qui pourrait avoir été le responsable sollicité pour la commande. Il faut dire qu'il traduit plus nettement et avec plus de bonheur les recherches plastiques de Stella, comme le montre la confrontation de leur Annonciation avec celle, peinte, de Pavie (ci-dessous).

Un historien connaît la suite. Il peut ici remarquer un motif que l'artiste va utiliser dans certaines de ces plus importantes compositions : dans la Pentecôte, un apôtre assis sur un siège nous tourne le dos, et semble s'adresser à son voisin. Il reparaît dans le Christ retrouvé par ses parents dans le Temple, pour Anne d'Autriche (1645), et dans les versions du sujet qui ont suivi jusqu'au retable de Provins (1654), le tableau de Fos excepté.
La communion des saints.
Gravure au burin de Valerian Regnart.
En bas, à gauche : J. Stella In.; à droite : Val. Regnartius f.
L'adoration des mages.
Gravure anonyme (V. Regnart?) au burin.
En bas, à gauche : Ia. Stella Inventor
La pentecôte.
Gravure au burin de Christian Sas.
En bas, à gauche : J. Stella In.; à droite : C. Sas sculpsit
La communion des apôtres.
Gravure anonyme (C. Sas?) au burin.
En bas, à droite : I. Stella Inventor
Cette remarque comme celle faite à propos de L'assomption montre l'investissement du peintre et l'importance qu'il continuera d'accorder au travail fait à cette occasion. C'est à juste titre que Félibien en fait l'un des principaux ouvrages de son séjour romain. Je souhaite terminer par la comparaison entre ces illustrations et celle que Jérôme David fit d'après Stella pour un projet d'édition comparable qui reste à identifier mais qui a ensuite servi à un autre Breviarium publié à Venise en 1639.
Le rapprochement incite à rappeler qu'une gravure de David est en rapport avec L'assomption Arese, ce qui suggère de situer vers 1627 cet ensemble. Ceci posé, on peut en tirer différents enseignements sur ce genre d'ouvrage comme sur ce qu'en fit Stella.

La question du format (ci-contre proportionné) montre de nettes différences entre les deux séries de gravure : la suite David est non seulement plus grande mais aussi proportionnellement plus large. A contrario, cela tend à faire du dessin du Louvre, malgré sa grandeur, une proposition pour le sujet de notre ouvrage : les proportions étirées vers le haut semblent bien coïncider.

Il faut ensuite souligner la différence d'iconographie. Sur les neuf sujets de la publication de 1632, six sont strictement communs : L'annonciation - en double -, L'adoration des bergers (inventions qui ne sont pas de Stella), L'adoration des mages, La résurrection, La pentecôte et La communion des saints, que la version traduite par David place plus traditionnellement dans le ciel. On peut encore assimiler La communion des apôtres avec La Cène. S'y ajoutent David, La circoncision, L'ascension, La naissance de la Vierge. Si l'on s'en tient aux seules inventions de Stella, on recense 9 sujets. Tant que la publication initiale n'aura pas été retrouvée, on ne pourra décider si cela traduit une volonté éditoriale exclusive, ou si cela constituait un complément demandé à notre homme. On ne peut que constater, en revanche, que cet ensemble est, de ce point de vue, plus proche de l'édition Plantin de 1627-1628.

Par le fait, dans le Bréviaire de 1632, il faut souligner le subtil glissement à partir de la traditionnelle Cène : les conseillers d'Urbain VIII souhaitaient évidemment insister sur l'institution de l'Eucharistie. Comment ne pas faire le rapprochement avec la commande à Nicolas Poussin, presque dix ans plus tard, pour le retable de Saint-Germain, tableau aujourd'hui au Louvre? Non qu'il s'agisse d'inverser le traditionnel jeu des influences en faveur de Stella : on comprend par là une communauté de milieu des commanditaires, de Rome à Paris.

Stylistiquement, Stella a gagné en densité, et la confrontation des Résurrection permet de percevoir le travail sur le modèle antique, conduisant à une monumentalité sculpturale. Pour la Pentecôte, malgré le médiocre burin de Sas, se voit la volonté beaucoup plus franche de diversifier les réactions à la descente de l'Esprit-Saint. Le parcours tracé depuis les débuts florentins montre qu'il s'agit là non pas d'une conversion mais bien d'une évolution partant de ses propres inflexions pour les affermir et clarifier son langage. Malgré les doutes, il est en place pour se déployer, à Madrid ou ailleurs.

S.K., Melun, mars 2016

L'adoration des mages.
Gravure de Jérôme David au burin.
En bas : J. Stella Inv. H. David Sculp.
23 x 16 cm
L'adoration des mages.
Gravure anonyme (V. Regnart?) au burin.
En bas, à gauche : Ia. Stella Inventor.
16,5 x 10 cm
La résurrection.
Gravure au burin de Jérôme David.
Sur la hampe de la lance au sol : J Stella In.; sur la lame de l'épée au sol H. David F.
23 x 16 cm
La résurrection.
Gravure au burin de Johann-Friedrich Greuter.
En bas, à droite : J. Stella delin: Jo. Fed: Greuter incid.
16,5 x 10
La pentecôte.
Gravure au burin de Jérôme David.
En bas, à droite : J Stella In.; à gauche : H. David F.
23 x 16 cm
La pentecôte.
Gravure au burin de Christian Sas.
En bas, à gauche : J. Stella In.; à droite : C. Sas sculpsit
16,5 x 10
Frontispice pour la thèse de philosophie soutenue
par Alfonso Pallavicino :

EFFATA/ PERIPATI CHRISTIANI/ AUSPICE EMINENTISS. PRINCIPE/ FRANC. CARD. BARBERINO/ PROPUGNATA/ AB ALPHONOS MARCH. PALLAVICINO/ ACAD. PARTHENIAE PRINCIPE/PRO PHILOSOPHICA LAUREA/ IN COLL. ROM. SOC. IESU

Sur un podium flanqué de deux écus avec les inscription TRIA POTIORA (à gauche) et HIC DOMUS (à droite), les Grâces soutiennent le blason des armes du cardinal Francesco Barberini, sommé d'un chapeau dont deux angelots tiennent des cordons ainsi que le lourd rideau ouvrant sur un paysage; s'y voient au fond, sur la gauche, les trois parques éplorées; et sur la droite, l'astronomie (?) tenant sphère et la philosophie, un pied sur un globe et portant couronne, qui pose des lauriers sur un blason aux armes des Pallavicini tenu par Minerve.
En bas à gauche : J. Stella delin.; à droite : JF(monogrammé). Greuter incid.

Dessin perdu.
Gravure par Johann Friedrich Greuter.
Exemplaires : Bibliothèque Vaticane (Barberini L V.57); Rome, Bibl. Alessandrina (C.h.12) et autres collections italiennes.
Réemploi : - Histoire ecclésiastique de Lyon..., avec les armes des Neuville de Villeroy, Lyon, 1666; exemplaire : Lyon, B. M. (24682)

Bibliographie : en dernier lieu Caterina Scaffa, « Frontespizi incisi per le tesi di laurea durante il XVII secolo », Biblioteca e società, 2002, vol. XLVI, n°4, 10-16; Conihout, cat. expo. Lyon-Toulouse, 2006, p. 35, 36, 40.
La gravure sert de frontispice à un copieux ouvrage de démonstration pour une thèse autour de la philosophie artistotélicienne. L'étudiant, Alfonso Pallavicino, doit la soutenir au sein de l'Accademia Parthenia, émanation du Collegio Romano jésuite. En réalité, l'usage faisait que le texte relevait de la responsabilité du professeur, en l'occurrence Alessandro Gottifredi.

Identifier les personnages autour du blason Pallavicini n'est pas évident. La proposition de Caterina Scaffa (2002) qui voit en la femme tenant une sphère armillaire la Science me paraît vraisemblable par extension de la personnification, par exemple, de l'astronomie. Je suis moins convaincu par la Gloire, qui me semble réductrice : la sphère sur laquelle la femme pose son pied peut aussi bien évoquer la Philosophie, pertinente ici, couronne en tête, et dont la pratique peut apporter la gloire au jeune Pallavicini; c'est toute la force d'un artiste que de mettre en jeu, ainsi, un discours subtil et complexe. L'historienne ne se risque pas à identifier la troisième personne, en quoi je ne la suivrais pas : il me semble que le casque sommé d'un oiseau qui doit pouvoir être une chouette désigne Minerve comme personnification de la Sagesse. La triade pourrait correspondre aux trois temps de la démonstration (Philosophie-Logique, Science-Physique, Métaphysique-Sagesse).

L'ensemble de l'image suit un schéma ternaire, écho de la structure tripartite de la démonstration (Logique, Physique, Métaphysique) : trois Grâces, trois Parques, trois allégories renvoyant aux sciences, servant à glorifier les trois abeilles des armes des Barberini, également visés par les inscriptions sur les écus de part et d'autre. Si Stella, de cette façon, joue avec la partition traditionnelle d'un frontispice, inspirée de l'arc de triomphe, il transfère son enjeu sur le terrain de l'art, dont il convoque certaines productions.

Les Grâces, posés sur un piedestal, incarnent, au sens fort du terme, la sculpture : elles lui donnent vie dans leurs visages « au naturel », et minéralité intemporelle dans les envolées sculpturales de leur drapé. C'est aussi la danse qu'elles esquissent autant que leur nombre qui les fait identifier. Le Paragone - comparaison entre les arts porteuse de rivalité - fut sans doute un moteur pour notre artiste, dans sa quête d'une Antiquité revivifiée. Les angelots, pour leur part, écartent un lourd rideau dont les bordures portent des abeilles, possible allusion à la tapisserie que l'on sait particulièrement appréciée par les Barberini.

Que penser de ce que l'on voit au-delà? Est-ce l'ouverture de quelque portique, vers un paysage servant de cadre aux deux scènes latérales? L'examen de la lumière, qui vient de l'avant-plan, à droite, ne permet pas de trancher mais on pourrait tout autant envisager une fresque couvrant un mur. Au vrai, il s'agit de montrer le travail de l'art donnant vie aux concepts, restitution néo-platonicienne d'un discours artistotélicien. Peut-on d'ailleurs expliquer autrement le choix de Parques éplorées, sinon comme la résultante d'une promesse de gloire immortelle soustrayant son bénéficiaire aux contraintes de la vie?

Caterina Scaffa souligne la simplicité de l'image, ce qui est pertinent dans son immédiateté, dans l'efficacité à représenter autant de personnifications, que ce soit par leurs attitudes ou par les attributs. En revanche, une lecture attentive des enjeux plastiques montrent que la complexité du discours sert une réflexion sur l'art d'une grande subtilité. Il parvient, au travers d'une gravure, à manifester des ambitions de peintre encore insuffisamment exploitées selon lui, via la glorification du disegno, du dessein au sens double qui était alors le sien. Celui-ci apparaît ici source des différents arts, et moyen de rivaliser avec la nature.

C'est dans cette économie de l'art, efficace dans la retenue, la franchise de la présentation, le naturel des actions, que Stella a trouvé sa voie. Il en fait ici une éclatante démonstration. La reprise, en 1666, de cette image dans un ouvrage consacré à l'histoire de sa ville natale apparaît, de fait, comme un hommage pertinent à l'un de ces enfants, mort neuf ans plus tôt.

S.K., Melun, mars 2016

Table générale - Table Stella - Catalogue Jacques Stella : Ensemble - Succès romains, 1622-1632, mosaïque
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