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Sylvain Kerspern - dhistoire-et-dart.com
Jacques Stella - Catalogue
Paris, oeuvres datables de 1639-1640


Tables du catalogue : À Paris au temps de Louis XIII - Ensemble
Table Stella - Table générale
Début de mise en ligne le 26 mars 2022


La guérison du paralytique et Le Christ et la Samaritaine, dessins et peintures Sainte famille à la ronde d'angelots,
peinture
Sainte famille au mouton et saint Jean, peinture (Cherbourg) Le duc d'Enghien, peinture Sainte Cécile, peinture
La Vierge adorant l'Enfant endormi, peinture gravée par Bosse Judith, sa servante et la tête d'Holopherne, peinture Repos de la Sainte Famille à la poire, peinture (Glasgow) Repos de la Sainte Famille à la poire, peinture perdue gravée par F. Poilly La Vierge à l'Enfant, un oiseau au bout d'un fil, peinture perdue, gravure de Rousselet La Vierge à l'Enfant, saint Jean ornant l'agneau de fleurs Coatalem, peinture Deux anges pleurant la Crucifixion, gravure de Daret pillant Stella
La Vierge adorant l'Enfant endormi, peinture (Épinal)
Le détail de certaines références bibliographiques, en l’absence de lien vers l’ouvrage consultable en ligne, peut se trouver dans la Bibliographie.
Le Christ guérissant le paralytique, dessin (Louvre)
Plume et encre brune, lavis brun. 18 x 26,3 cm.

Historique : P. Crozat? Antoine-Joseph Dezallier d'Argenville, n°2601 et paraphe (L. 2951) en bas à gauche, annotation à la plume et encre noire : Stella; sa vente, 18-28 janvier 1779, partie du lot 338 (ou 368?). Ch.P. de Saint-Morys, annotation à la plume et encre brune sur le montage : Giacomo Stella/ Ecole lombarde, et au verso : J.C. guerissant les estropies/ a la plume lave d'encre de la Chine; saisie des biens des Émigrés en 1793, remise au Museum en 1796-1797; marque du Louvre (L. 1886-a); INV 32894.

Bibliographie :
* Sylvain Kerspern, «Antoine Bouzonnet Stella peintre (1637-1682). Essai de catalogue», Bulletin de la Société de l’histoire de l’art français, 1988, 1989, p. 38-39, fig. 12 (attribution à Antoine Stella).
* Jacqueline Labbé, Lise Bicart-Sée, La collection de dessins d'Antoine-Joseph Dezallier d'Argenville, Paris, 1996, p. 297.
* Sylvain Kerspern, « Jacques Stella, Samson et Dalila, peinture et dessin », site dhistoire-et-dart.com, avril 2008 (retouche août 2012)
Le Christ guérissant le paralytique, dessin (coll. part.)
Crayon noir, plume et encre brune, lavis brun. Annoté en bas à gauche par Stella : il faut ce tableau a contre/sens du dessein; en haut à droite (3); marque de collection non identifiée en bas à droite. 17,5 x 21,5 cm.


Historique : vente Saint-Dié, 14 mars 2010, n°49; coll. part.

Bibliographie : inédit.
Le Christ guérissant le paralytique, peinture (Pontoise)
Huile sur toile. 190 x 343 cm.


Historique : Carmel de Pontoise? transport à la cathédrale Saint-Maclou de la ville. Classement M.H. le 23 mai 1979

Bibliographie :
* Christian Olivereau, notice « École française, vers 1650 », in cat. expo. La grande peinture religieuse des églises du Val-d'Oise, abbaye de Maubuisson; (Pontoise), 1995 p. 64-65.
Le Christ et la Samaritaine, peinture (Pontoise)
Huile sur toile. 190 x 330 cm.


Historique : Carmel de Pontoise? transport à la cathédrale Saint-Maclou de la ville. Classement M.H. le 24 mars 1961

Bibliographie :
* Pierre Pierron, « Jeanne Séguier, en religion Jeanne de Jésus, Carmélite de Pontoise », Mémoires de la Société Historique et Archéologique de Pontoise et du Vexin, t. XXX, 1911 (notamment p. 155)
* Christian Olivereau, notice « École française, vers 1650 », in cat. expo. La grande peinture religieuse des églises du Val-d'Oise, abbaye de Maubuisson; (Pontoise), 1995 p. 64-65.
Les voiles du temps ont marqué de diverses manières ces dessins et ces tableaux. La feuille du Louvre était dans la collection de Dezallier d'Argenville qui avait réuni un ensemble de témoignages de Stella - ou qu'il pensait tels - dont il a contribué à caractériser le style graphique. La préparation du Christ guérissant le paralytique montre un faire allusif, rapidement esquissé et volontiers négligé qui propose une mise en place peu en rapport avec ce pour quoi l'amateur dit ses dessins recommandables : « leur fini ». Il semble que Saint-Morys, qui l'a possédée ensuite et chez qui il a été saisi à la Révolution, ait pensé au Giacomo Stella italien selon l'inscription sur le montage. Jacques Thuillier m'en avait simplement dit y voir un possible témoignage du Stella de Brescia. Je me suis moi-même laissé tenter en 1988 (1989) par une autre attribution, en faveur du neveu Antoine, dont la main ne recherche pas une nette définition des formes et use de la ligne avec un sens de la suggestion très poussé. Plusieurs éléments m'ont convaincu que je me suis trompé et que, pour cette fois, le statut affirmé au milieu du XVIIIè siècle est juste.

C'est d'abord la redécouverte des tableaux de Pontoise qui ont remis le dessin du Louvre dans le giron de Stella. Le lien avec la peinture de même sujet est incontestable mais il faut reconnaître qu'elle peut décevoir. La comparaison avec son compagnon, La Samaritaine, ne peut aboutir qu'à la conclusion qu'il a subi, plus franchement, les ravages du temps et de repeints abondants particulièrement sensibles, hélas! dans les drapés et les visages des principaux personnages, sur lesquels la récente restauration n'a pas osé revenir. La composition est indéniablement de Jacques, d'autant que certains détails des scènes annexes se retrouvent ailleurs dans son œuvre. La baigneuse de dos et la jeune femme sur le bord de la piscine probatique, tenant un enfant, deviennent servantes dans Bethsabée recevant le message de David, signé et présenté dans l'exposition de 2006 mais connu depuis plusieurs décennies. Le vieil homme débouchant entre deux colonnes reparaît dans un contexte comparable dans le Mariage de la Vierge en mains privées, redécouvert en 2007.

La peinture combine les propositions des deux feuilles, dont il est difficile de dire laquelle a précédé l'autre. Celle du Louvre propose un fond architectural proche du décor final; l'autre prépare plus directement le groupe du Christ et de ses apôtres. Il montre l'ange opérant le miracle dotant l'eau de son pouvoir miraculeux, finalement escamoté pour rapporter au seul Jésus l'effet guérisseur; ce d'autant plus que Stella avait d'abord pensé qu'il doive prendre le bras du paralytique comme invitation à se lever. Le geste de Jean indiquant l'un des deux bassins de la piscine sous la baguette de l'être céleste est trouvé mais ne renverra plus finalement qu'aux miracles en cours.

Les deux peintures ont en commun la mise en évidence de la spiritualité que l'eau peut incarner, ce qui participe du sentiment qu'elles ont été conçues en pendants. Stella aura à revenir sur la rencontre du Christ et la Samaritaine en 1652 pour le Carmel parisien du Faubourg Saint-Jacques : le thème semble figurer parmi ceux portés par la théologie carmélitaine. Christian Olivereau (1995) signale le don d'une peinture de ce sujet en 1639 au Carmel de Pontoise, pour le chœur, mentionné par Jeanne Séguier (1596-1675), prieure du couvent de 1637 à 1667. La mention tirée des chroniques tenues par Sœur Anne-Marie de Jésus me semble désigner comme responsable Dominique Séguier, évêque de Meaux, plutôt que le chancelier Pierre, tous deux frères de la supérieure.

Si son pendant n'apparaît pas dans les chroniques, la communauté de commande ne fait pas de doute : le format est voisin et les différences peuvent êtres motivées par le souci de leur installation dans le chœur. Le style renvoie aussi à cette période. On peut ainsi rapprocher la Samaritaine de la jeune femme surprise par l'ombre dans le frontispice pour L'ombre du comte de Gormas gravé par Jean Picart en 1639 , par son canon allongé, sa forme de statue-colonne, sa tenue remontant haut la poitrine et faisant blouser les plis autour du ventre. Le coloris, en particulier l'association bleu profond - rouge vif, l'isocéphalie déployant des visages suivant les différents angles et la ciselure sculpturale de leurs traits, même maltraitée par le temps, du Christ guérissant le paralytique se retrouvent dans deux autres pendants, Saint Anne et Saint Louis pour Saint-Germain. Quoique cela ne puisse être pris comme argument de datation, on notera que le drapé de la robe, l'inclinaison et son enroulement autour de bras du dessin préparatoire en collection particulière, sont repris de celui de la Vierge dans le Retour d'Égypte peint en Italie.

L'inscription d'une des deux feuilles participe des échanges avec le commanditaire. Je crois y reconnaître l'écriture de Stella lui-même. Curieusement, il n'en a pas été finalement tenu compte, et aucun dessin suivant cette alternative n'a reparu. Malgré l'ampleur des dommages subis, ces deux peintures témoignent des ambitions de l'artiste dans ces premières années à Paris, insistant sur la solennité des architectures, sur la fidélité aux sources (les deux bassins), le contraste entre la mesure des personnages principaux et l'animation, très relative des péripéties (baigneurs ici, apôtres revenant de la ville là). Il se démarque avec force du lyrisme de Vouet en apportant des solutions « classiques » à l'ornement en grand format des sanctuaires.

S.K., Melun, novembre 2021

Bethsabée recevant le message de David.
Huile sur toile. 98,5 x 132 cm.
Coll. part.
Le mariage de la Vierge.
Huile toile. 83,5 x 103 cm.
Coll. part.
Jean Picart d'après Stella,
frontispice pour L'ombre du comte de Gormas, 1639.
Gravure.
BnF.
Saint Louis donnant l'aumône.
Huile toile. 135 x 105 cm.
Bazas, musée de l'apothicairerie.
La Sainte Famille avec une ronde d'angelots, peinture
Huile sur cuivre. 35 x 47 cm. Signé I. STELLA . sur le pied du tabouret.

Historique : galerie Emmanuel Moatti en 1992 (Biennale des antiquaires, cat. n°2). Coll. part.


Réplique (ou copie?) avec voiles de pudeur et visage de la Vierge différent, sur toile; 33 x 47 cm. Vente Drouot salle 7, 7 décembre 2001, lot 53.
Bibliographie :
* S. Laveissière in cat. expo. Lyon-Toulouse 2006, p. 124-125, n°60.
* Thuillier 2006, p. 84-85
Stella installe la Sainte Famille dans un intérieur ouvrant sur une cour carrée orné d'une colonne et, au fond, une tonnelle d'où semblent venir deux angelots portant un panier lourd, peut-être de fruits. L'Enfant, installé sur un coussin posé sur une table, accroché au cou de sa Mère, lui indique six angelots dansant au son d'une harpe jouée par un ange installé dans la pénombre, au second plan. Joseph, assis sur un tabouret son mètre de charpentier dans la main droite, est accoudé à la table au tout premier plan.

La mise en page et sa partition en largeur, ménageant une étroite échappée latérale lumineuse en rupture avec le reste de la peinture, est plus particulièrement employée par l'artiste dans ses premières années en France. Ainsi en témoignent Semiramis/Bérénice et La Sainte famille au berceau, tous deux de 1637, cette dernière ayant vraisemblablement incité Gilles Chomer à dater notre peinture des environs de cette date. Toutefois, Stella atténue la rupture par une perspective au point de distance plus éloigné de celui de fuite. Cela participe du souci grandissant de mesure passant par la neutralisation de l'effet cinétique qu'implique une perspective tant soit peu spectaculaire, à la fuite rapide, telle que celle de ladite Sainte Famille au berceau. Il faut donc situer un peu plus tard notre cuivre, ce que l'assiette plus ferme et intériorisée des personnages soutient aussi. Les traits aiguisés des visages, remarqués plus haut à propos du Christ guérissant le paralytique et rapproché du Saint Louis de Bazas, qui semblent particulièrement expérimentés durant ces années, ne permet guère d'aller trop loin dans l'écart d'avec les deux peintures de 1637 : une situation en 1639 est très vraisemblable.

On ne peut s'empêcher de mettre en regard aussi bien la Danse d'enfants nus au tout début de son œuvre, que la Danse des Jeux d'enfants (ci-contre), qui ouvre les entreprises de la fin de sa vie, deux ouvrages éminemment personnels qui amènent à se demander si l'artiste n'a pas pris une part importante dans le programme iconographique. Si l'image peut sembler correspondre à la réputation de Stella de préférer les sujets « agréables et enjoués » (Mariette), il ne faut pas s'y tromper. Ce qui pourrait constituer un abri pour la Sainte Famille renferme l'ombre d'où émerge l'ange harpiste, matérialisation du thème du Dieu caché associé à l'enfance du Christ. Quant à la cour lumineuse jouxtant une tonnelle, elle incarne le parcours jusqu'au sacrifice de ce dernier un fois sa mission révélée par le fardeau que portent les deux angelots revenant vers la maison; sans oublier le mètre de charpentier que tient Joseph, allusion à la croix. Il ne s'agit donc pas tant d'éviter les sujets difficiles que de leur insuffler le support d'une réflexion associant dans la conduite d'un destin joie et souffrance au prix d'une grande fermeté d'âme. Elle se nourrit du regard bienveillant de l'artiste, attentif aux événements de la vie quotidienne qu'il sut rendre avec un réel bonheur, et dans une veine très différente de celle de ceux que l'on appelle les Peintres de la réalité.

S. K., novembre 2021

Sainte famille au lys et au berceau, 1637.
Huile sur cuivre. 29,9 x 42,5 cm. Localisation inconnue
La Sainte famille au mouton et saint Jean lui donnant des fleurs (pour le faire avancer),
peinture (Cherbourg)
Huile sur ardoise. 51,5 x 40 cm. Signée à droite J. Stella (selon G. Chomer 1980)

Cherbourg-Octeville, Musée d'art Thomas-Henry.



Historique : Acquis en 1977 d'une collection lyonnaise.

Bibliographie (en dernier lieu) :

* Gilles Chomer, «Jacques Stella, Pictor Lugdunensis», La revue de l’art, n°47, p. 89, repr.

* cat. expo. Lyon-Toulouse 2006 (S. Laveissière dir.), p. 122, cat. 58

* Thuillier 2006, p. 110.

* Sylvain Kerspern, notice , Sainte Famille, l'agneau, le petit saint Jean et un ange préparant la bouillie ou L'enfance du Christ; site dhistoire-et-dart.com, mise en ligne le 17 décembre 2016.

Le tableau de Cherbourg est généralement situé dans les premières années parisiennes, au temps de Richelieu. Les deux ouvrages de comparaison ci-contre permettent de préciser autour de 1639-1640, par rapprochement pour le type enfantin ou pour la Vierge. Le saint Joseph, pour sa part, a le type osseux qu'on lui voit dans la Nativité de Barnard Castle (1639) (ci-dessus), format circonscrit à ces années.

Si Stella peut s'être inspiré d'une invention comme la Sainte famille au mouton du Prado de Raphaël, dans laquelle l'Enfant enjambe l'agneau pour le chevaucher, il en a développé l'idée dans un registre très personnel, qui s'affirme une première fois dans une peinture perdue mais connue par la gravure de Gilles Rousselet. Ce n'est plus presque incidemment que Jésus en vient à monter l'agneau, mais dans le cadre d'une activité d'intérieur ludique, brindille en main comme une cravache, bénéficiant du soutien de sa Mère qui le tient, et du petit saint Jean, fleurs en main pour faire avancer l'animal, sous le regard amusé de Joseph.

Le tableau de Cherbourg surenchérit en déplaçant le bâtonnet au phylactère du petit saint Jean afin qu'il le chevauche autant comme exemple à son cousin que comme évocation de l'un des jeux que Stella illustrera dans sa suite de 50 gravures, le Dada. Il dynamise la composition en plaçant plus en arrière la Vierge et en orientant différement Jean, non plus dans le sens de la marche de l'agneau mais vers le spectateur. La troisième version connue (1651, Dijon, musée des Beaux-Arts; ci-dessus) en accentue encore l'effet. La pose de Joseph gagne en naturel, soulignant plus efficacement sa détente que dans la version gravée par Rousselet dans laquelle elle a quelque chose d'affecté. Se perçoit ici le travail perpétuel de Stella règlant son art sur l'alliance entre référence classique, à l'antique ou sur le modèle d'un Raphaël, et recherche de la simplicité dans le familier du quotidien, sans jamais céder à la facilité par un sens certain de la retenue.

Le rideau que devait soulever les angelots volant au-dessus de la scène, sans doute d'un or trop convoité pour subsister, rappelle que tout épisode de l'enfance du Christ, titre que l'on donne parfois à ce sujet, appartient au thème du Dieu caché. Il introduisait une distance supplémentaire, théâtrale, qui permettait à cette petite comédie de révéler la profondeur de la méditation proposée sur la Passion à venir, suggérée par l'animal. En le domptant, Jésus se prépare ainsi au triomphe sur la mort.

S.K., Melun, février 2022

La Vierge adorant l'Enfant endormi Anne d'Autriche
Huile sur marbre noir. 32 x 28 cm.
Lyon, musée des Beaux-Arts.
Frontispice pour les Œuvres de saint Bernard, 1639
Dessin. 34,5 x 22,8 cm.
Rome, Istituto Nazionale di Archeologia et Storia dell'Arte.
Raphaël, La Sainte famille au mouton. Huile sur bois. 28 cm x 21,5 cm.
Prado.
Gilles Rousselet d'après Stella,
La Sainte famille au mouton et saint Jean lui donnant des fleurs
Gravure. 41,4 (36,6) x 30 (29) cm.
Harvard Art Museums/Fogg Museum,
Gift of Belinda L. Randall
from the collection of John Witt Randall
.
Portrait de Louis II duc d'Enghien, peinture
Toile. 74 x 80 cm.

Historique : collection du dernier prince de Condé, 1830, legs à Henri d'Orléans, duc d'Aumale (1822-1897); donation au musée de Chantilly sous réserve d'usufruit, 1886; Chantilly, INV PE 307.

Gravure par Alphonse François (1814-1888) sous la direction de Louis-Pierre Henriquel-Dupont (1797-1892). 28,6 x 20 cm. Chantilly, musée Condé (états 1 et 2). Marché d'art, état 3 (avec les inscriptions gravées reproduit). La gravure doit reproduire le dessin de Henriquel-Dupont des collections de Chantilly. Les informations du site du musée Condé sont à prendre avec prudence...

Bibliographie :
* Henri d'Orléans, duc d'Aumale, Description sommaire des objets d'art faisant partie des collections du duc d'Aumale, Londres, 1862, p. 26, n°245.
* Henri Chardon, Amateurs d'art et collectionneurs manceaux. Les frères Fréart de Chantelou, Paris, 1867, p. 62, 66, 88-89.
* Henri d'Orléans, duc d'Aumale, Histoire des princes de Condée pendant les XVIe et XVIIe siècles, t. 4, Paris, 1886, gravure en frontispice.
* Jules Lemaître, Les contemporains : études et portraits littéraires, 3e série, Paris, 1887, p. 198-206.
* Charles Jouanny;, Correspondance de Nicolas Poussin, Paris, 1911, p. 3, 22.
* Jacques Thuillier 2006, p. 136-137
* Mathieu Deldicque in cat. expo. Le Grand Condé. Le rival du Roi-Soleil, Chantilly, musée Condé, 2016-2017, p. 43 (non consulté à ce jour)


Ci-contre : Alphonse François et
Louis-Pierre Henriquel-Dupont d'après Stella,
Portrait du duc d'Enghien, gravure, 1886?
Marché d'art

« Or, le portrait gravé qui est dans le quatrième volume {du Grand Condé en tête de l'Histoire des princes de Condée pendant les XVIe et XVIIe siècles du duc d'Aumale} me met déjà en défiance. La tête de Condé est bien connue; mais, par un surcroît de conscience, je suis allé consulter les estampes de la bibliothèque Victor Cousin. Il y a là une trentaine de portraits de Condé, depuis l'enfance jusqu'à l'âge mûr. Deux de ces portraits, l'un de Poilly, l'autre de Nanteuil, sont des merveilles d'exécution et sont aussi, on le sent bien d'une entière fidélité. Car, outre qu'ils se ressemblent entre eux, ils ressemblent au buste anonyme, d'une vérité si brutale, qui se trouve au musée de la Renaissance. Il n'y a pas à dire, le grand Condé était laid, si la laideur consiste dans un éloignement par trop audacieux des proportions moyennes du visages humains. Un nez démesuré, de grands yeux qui devaient être beaux, mais à fleur de tête; pas de joues : deux profils collés, une bouche vilaine, soulevée par les dents obliques; en somme, un nez et deux yeux, et presque rien avec; une laideur puissante, fascinatrice si l'on veut, qui devait s'illuminer et devenir superbe dans les moments de passion ou dans l'ivresse des batailles. (...)
Eh bien! cette tête magnifique, extraordinairement expressive, M. le duc d'Aumale en a eu peur, et cela n'est pas bien pour un amateur et collectionneur de tableaux. Il est allé chercher je ne sais quel portrait officiel peint par Stella, et il en a fait faire, sous la direction et avec la complicité de M. Henriquel Dupont, une gravure adoucie et affadie qui lui arrondit les joues, qui lui donne un menton, qui lui façonne une bouche aimable, qui l'enjolive et l'éteint, qui le passe tout entier à la pierre ponce et qui finalement le fait ressembler ` Mlle Bartet : bref, un portrait flatté, souriant, convenable, à l'usage de la famille. »

Jules Lemaître, Les contemporains, 1884, p. 198-199

Il m'a semblé utile de citer presque in extenso le commentaire par Jules Lemaître de l'interprétation gravée du portrait par Stella du duc d'Enghien, qui pose la question de la vérité en peinture à propos du portrait. On trouvera ci-contre cette traduction du XIXè siècle, l'une au moins des estampes qu'il cite, par Nanteuil (1623-1678), et une autre de Nicolas de Poilly mais d'après un autre portraitiste réputé, Jean Nocret (1617-1672), qui montre que décidément la reconnaissance d'un personnage par ses traits garde une part incompressible de subjectivité : Nocret ne montre pas tout ce que voudrait voir Lemaître.

Au vrai, le tort du critique est de vouloir juger l'effigie d'après Stella sur des représentations à sa maturité, après bien des batailles et des épreuves, quand la gravure commandée par le duc d'Aumale souhaite inaugurer le chapitre sur le premier grand fait d'arme du chef de guerre, Rocroi, qui eut lieu près de vingt ans avant l'estampe de Nanteuil. Si même il avait eu connaissance du modèle de Stella, il aurait peut-être été surpris de constater que finalement, sa traduction avait révisé le modèle en conférant au visage un aspect plus franchement aquilin, des joues plus creusées et un nez plus sec et long, plus ressemblant de son point de vue!

Lemaître évoque des gravures allant de l'enfance à la maturité comme si toutes présentaient les caractéristiques qu'il donne aux traits du personnage. Il néglige nécessairement l'estampe de Michel Lasne, qui souligne son beau visage! Au fond, il aura manqué à Jules Lemaître une analyse critique des images, confrontées aux informations qu'il relève à dans l'ouvrage du duc d'Aumale pour les comprendre. Le recours à la production de Grégoire Huret (1606-1670), notamment, lui aurait été utile.

Au fond, l'image singulière de Lasne, apparemment vers 1630, n'est pas si différente de celle que Huret donne dans l'image qui met le duc d'Enghien en présence de l'allégorie de la Philosophie. Ce n'est plus un enfant mais un étudiant; pourtant, les joues restent pleines, le nez n'est guère aquilin. Aumale et Lemaître situent ses études de sciences et philosophie entre ses onze et treize ans, entre 1632/1633 et 1634/1635. Cette dernière année est celle de la venue à Paris de Grégoire Huret dans les bagages de Karl Audran : l'image est à placer vers 1636, avec beaucoup de vraisemblance.

Peu après, Huret représente l'hommage fait par l'historiographe Pierre Palliot (1608-1698) au prince de Condé et au duc d'Enghien d'un document ayant sans doute quelque rapport avec ses travaux sur l'histoire et la généalogie du duché de Bourgogne, objet de ses principales publications. La gravure doit donc prendre place dans le cadre des séjours à Dijon via les responsabilités assumées par le père, puis par le fils pour le père; soit en 1636 ou en 1638, selon le jeune âge. Le bras d'Henri soutenant celui de Louis laisserait plutôt croire à la seconde hypothèse, appuyant le fait que l'un agit pour l'autre. Curieusement, le visage de l'historiographe, avec son nez plongeant, n'est pas sans rapport avec celui de la toile de Stella.

Une autre image complète le parcours avant Rocroi. Dans le frontispice de l'ouvrage de son maître chez les Jésuites à Bourges Gérard Pelletier, publié sous le nom de l'élève à Paris en 1641, figure un portrait de Louis et de son frère Armand. Privilège et achevé d'imprimé situent la publication fermement dans la deuxième moitié de l'année 1641. Louis a tout juste vingt ans, Armand, douze. Huret avait, l'année précédente, fournit l'image d'une thèse soutenue par René Pichon dédiée à Armand qui conforte cette situation (exemplaire à Chantilly).

En 1641, le visage de Louis s'est caractérisé. Le tableau de Stella les montre plus étoffés mais au sortir de l'adolescence. Sans être décisif, on pressent qu'il ne doit pas être trop éloigné en date du frontispice. Quand et où Stella et le duc purent-ils se rencontrer? Paris est le plus probable, il y est en 1636-1637, y rentre de Bourgogne en avril 1640, puis au début de 1641 pour satisfaire au projet de mariage avec la nièce de Richelieu, Claire-Clémence de Maillé, célébré le 9 février. Pourtant, on ne peut écarter Lyon, où se rend Louis en juin-juillet 1639. Dans une lettre du 28 avril à Chantelou, Poussin croit que Jacques y séjourne : le Lyonnais dut écrire son intention de s'y rendre dans une lettre antérieure. Y passa-t-il jusqu'à tout l'été comme on le sait pour 1642 après être parti le 16 avril? Pour le dater, il faut de toute façon revenir aux effigies, au style, sans négliger les considérations sur l'existence du prince.

Stella est un peintre d'histoire, portraitiste occasionnel. Une grande part de sa production connue dans le genre concerne sa propre effigie. Pourtant, son art en la matière était suffisamment réputé pour que Georges de Scudéry le cite pour sa représentation de Julie de Montausier en Pallas sur marbre dans son Cabinet de Mr de Scudéry (1646), qu'elle soit réelle ou invention poétique. Elle suppose la pratique du portrait allégorique recourant au costume de tel ou tel illustre modèle pour lequel le drapé et plus généralement la technique sensibles, par la répétition, dans les sujets d'histoire, peuvent se révéler. Or ici, le costume est de fantaisie, réduisant ces aspects à la portion congrue.

Du moins la confrontation de la peinture de Chantilly aux gravures du duc d'Enghien avant Rocroi (1643) est-elle éclairante pour l'aspect du visage. Si le burin de Huret dans le frontispice de 1641 lui donne encore des traits juvéniles, il affirme le caractère aquilin que les futures effigies lui donneront systématiquement, et que Henriquel-Dupont et Alphonse François plaquent à l'effigie de Stella dans l'illustration de l'ouvrage du duc d'Aumale, vraisemblablement parce qu'elle est en frontispice du tome qui s'ouvre sur Rocroi. En 1641, le duc avait connu ses premières escarmouches voire ses premiers titres de gloire en Picardie au cours de l'été 1640, autour d'Arras. Ces épreuves durent contribuer à sculpter ses traits tels que la postérité les reconnaîtra le plus volontiers.

Je suis donc enclin à situer le tableau de Chantilly avant ses premières armes, et peut-être à Lyon. La biographie du duc d'Aumale et les commentaires de Lemaître montent en épingle les participations du duc au Carnaval de 1639, à Dijon, plaisante éclaircie au sein d'un enfance grise et austère. Le costume de fantaisie visible dans la peinture forme un écho sensible à ce contexte que le duc a pu vouloir sceller par le pinceau de Stella, rencontré à Lyon. La confrontation avec l'un des dessins pour l'Imprimerie Royale de 1639 et l'Enfance du Christ peinte de Cherbourg apporte des arguments selon les maigres éléments de style susceptibles de s'extraire de la caractérisation du portrait et de son aspect travesti, tels que la main délicate, la coiffure, la lumière ou le sentiment de vague mélancolie. La facture n'a pas encore la fermeté du retable pour le Noviciat des Jésuites (Les Andelys, hiver 1641-1642), ce qui ne permet décidément pas de placer notre portrait aussi tard, malgré un contexte favorable par le rapprochement du modèle avec le cardinal de Richelieu, protecteur du peintre, par le mariage avec sa nièce.

Jouanny, dans une note de son ouvrage sur la correspondance de Poussin, remarque que Chantelou fut attaché au service du duc d'Enghien, suggérant que le Normand ait procuré à Stella la commande du portrait de Chantilly. Une telle hypothèse donne une idée de l'a priori tenace concernant les relations entre Poussin et Stella, subordonnant le second au génie du premier; car Chantelou ne vint au service du duc qu'après la disgrâce de son premier protecteur, Sublet de Noyers, en 1645-1647, situation impossible pour notre tableau.

L'image est, comme le souligne Jacques Thuillier (2006), d'apparence seulement conventionnelle. Tout l'appareil du costume, jusqu'aux pierreries désignant un accoutrement de théâtre, pourrait éteindre l'intention du « portrait héroïque », selon l'expression de l'historien d'art. Il sert pourtant à un commentaire subtil, avec le décor et l' expression.
Robert Nanteuil,
Louis II de Bourbon, le Grand Condé
1662. Gravure. 36,1 x 27,3 cm.
Rijksmuseum
Nicolas de Poilly d'après Jean Nocret,
Louis II de Bourbon, le Grand Condé.
Gravure.
Coll. part.
Michel Lasne,
Louis II de Bourbon enfant.
Vers 1630. Gravure. 27,2 x 18,5 cm.
Chantilly, Musée Condé
Grégoire Huret,
Louis II de Bourbon étudiant devant la Philosophie, détail inversé.
1635-1636. Gravure.
British Museum
Grégoire Huret,
Le prince de Condé et le duc d'Enghien recevant un document de Pierre Palliot.
Gravure. 32,2 x 43 cm. Chantilly, Musée Condé
Grégoire Huret,
frontispice de Gérard Pelletier, Palatium Reginæ eloquentiæ, 1641, détail inversé du portrait de Louis.
Gravure. Rijksmuseum
Grégoire Huret,
Louis II de Bourbon étudiant devant la Philosophie, détail inversé.
1635-1636. Gravure. British Museum
Grégoire Huret,
Le prince de Condé et le duc d'Enghien recevant un document de Pierre Palliot, détail du portrait du duc.
1638? Gravure. 32,2 x 43 cm.
British Museum
Sainte famille, saint Jean et l'agneau, dite L'enfance du Christ.
Huile sur ardoise. 51,5 x 40 cm.
Cherbourg-Octeville, Musée d'art Thomas Henry
Frontispice pour les Œuvres de saint Bernard, 1639.
Dessin. 34,5 x 22,8 cm.
Rome, Istituto Nazionale di Archeologia e Storia dell'Arte.
Enghien est installé dans une sorte de grotte ouvrant sur une échappée de nature au soleil à l'horizon, vers laquelle il est tourné. Soleil couchant refermant l'enfance, ou levant des perspectives de l'âge adulte? Dans l'un ou l'autre cas, le détail marque une étape dans la vie du modèle, l'inscrit d'abord dans son hitoire. Dans ce cadre, nature et artifices se combinent pour souligner les aspirations d'une personnalité bridée, qui aspire à une vie d'actions au grand air; l'expression détournée souligne encore la force de ce désir qui tarde à s'assouvir, qui le soustrait à tout dialogue avec qui regarde le tableau, et qui bientôt va se révéler jusqu'à vouloir trahir le roi et le pays. Fausse indolence et apparat de comédie contribuent à manifester cet état d'entre-deux. Tel est ce que Stella a réussi à restituer, qui s'inscrit plus encore dans une conception de l'art de peintre d'histoire attachée à l'expression des Passions qu'au seul genre du portrait, et par les moyens propres à un pinceau qui peut se faire précieux.

S. (et Raphaëlle) K., Melun, mars 2022

La Vierge veillant l'Enfant endormi, peinture perdue, gravée par Abraham Bosse.


Gravure d'Abraham Bosse : .
Burin. 38,8 x 29 cm.
Lettre :
Si vigiles versas oculos, incendia misces :/ Si claudis, pectus lumina clausa dolet// Te cupiam vigilem, vel semper, Pupe, soporum,/ Angor si dormis : ardeo, si vigiles; au dessous, de gauche à droite : Stella pinxit. A. Bosse Sculpsit - Cum privilegio Regis - Typis Petri Mariette via Iacobea ad insigne Spei


Bibliographie :
* Georges Duplessis, «Abraham Bosse. Catalogue de son œuvre», Revue universelle des arts, 1857, p. 51, n°15 . 17.
* Roger-Armand Weigert, Bibliothèque Nationale. Cabinet des Estampes. Inventaire du fonds français. XVIIè siècle., t. I, 1939, p. 476, n°15.
* Marie-Thérèse Mandroux-França et Maxime Préaud, Catalogues de la collection d'estampes de Jean V, roi du Portugal par Pierre-Jean-Mariette, Lisbonne-Paris, 1996, t. II p. 219.
* Catalogue d'exposition Abraham Bosse savant graveur, BnF/Tours, Musée des Beaux-Arts, 2004, p. 82-83, n°10 (notice de Maxime Préaud) (voir ici ).
* Sylvain Kerspern, La Vierge à l’Enfant endormi. Autographie, datation, signification. site dhistoire-et-dart.com, mise en ligne le 30 octobre 2008.
Mariette (éd. 1996) catalogue un deuxième état réduisant l'image en un ovale, que je n'ai pas retrouvé. Celle reproduite ici est, elle-même, rare. Sur le marché d'art en ligne est passé un autre état sans les armes. La lettre insiste sur la vigilance exercée par la Vierge lors de l'enfance du Christ. Elle n'est sans doute pas originale puisqu'elle se trouve au bas d'une autre estampe de même sujet de Cornelis Galle d'après Francesco Vanni (1576-1650) éditée par Matteo Florimi entre 1599 et 1610 (par exemple au British Museum). L'estampe de Bosse témoigne d'une pratique exceptionnelle du burin mais l'assurance de la main me paraît contredire l'idée envisagée lors de l'exposition de 2004 qu'elle puisse se situer au début de la carrière de l'aquafortiste. Il me semble plutôt qu'il s'agit d'un essai sans lendemain fait dans le cadre de la collaboration avec Stella pour les ouvrages de l'Imprimerie Royale, entre 1639 et 1644.

Le style de l'invention confirme une situation durant ces années, peut-être plus précisément vers 1639. J'en rapproche ici la Nativité du Bowes Museum et le dessin préparant les Œuvres de Bernard de Clairvaux pour l'Imprimerie Royale, de cette année, pour le travail du drapé, le type physique de la Vierge et la typologie du corps entier du Christ enfant, à l'articulation marquée.

Stella a traité le sujet à plusieurs reprises. La première version semble être celle aujourd'hui au Musée des Beaux-Arts de Lyon, qui a pour particularités d'associer des angelots et de renvoyer, par l'inscription apposée sur l'oreiller, à la reine Anne d'Autriche. Les autres se resserrent autour de la Vierge et de l'Enfant. La plus étroitement rattachée à la gravure de Bosse, en sens inverse, est passée sur le marché d'art troyen et je l'ai déjà étudiée sur ce site. Quelques variantes dans le drapé ou le rideau, le visage plus rond et fort ainsi que le modelé lisse, vaporeux, qui situent le tableau dans les années 1650, ne permettent pas d'en faire le modèle de l'estampe, à retrouver.

La version d'Anne d'Autriche et son cortège d'angelots donne à la scène un caractère que je qualifierais de jocond, qui procure de la joie, ce qui est probablement liée aux circonstances de la naissance du dauphin Louis ainsi célébrée. Tous ces enfants papillonnant autour du couple mère-fils et jusqu'à l'expression tranquille de Marie tendent à dissiper le sentiment d'inquiétude propre au thème et le commentaire qui en est fait par la lettre de la gravure de Bosse. L'estampe, à la différente de celle de Galle d'après Vanni mais comme dans toutes les versions repérées du thème par Stella (y compris celles dans lesquelles l'Enfant allongé ne dort pas, comme au musée de Dieppe), présente la scène sous un rideau qui a été tiré pour la révéler : ce qui peut sembler artifice, tout en renvoyant à la pratique des cabinets d'amateur qui voilaient leurs peintures les plus précieuses pour préserver leur effet au moment de les montrer, s'inscrit dans la thématique du Dieu caché propre à l'enfance du Christ.

L'intitulé du thème tient au fait qu'elle soit peu traitée par les Évangiles canoniques mais plus encore qu'il s'agissait de préserver le Messie de son état de fragilité, révélé par le Massacre des Innocents. La particularité de la version traduite par Bosse - et celle de la réplique de Troyes - tient au travail sculpté de la couche de l'Enfant. Le souci de l'ornement plus ou moins archéologique vient peut-être du travail commencé pour l'Imprimerie Royale et peut aussi rappeler le thème humaniste du christianisme venant transcender plus qu'abolir le monde antique. Je suis tenté d'y voir surtout le souci d'appuyer le rapprochement que tout croyant tant soit peu érudit du temps pouvait faire entre entre le berceau et la literie, d'une part, et le tombeau et le linceul, de l'autre. La pose même de l'Enfant, une main posée sur la hanche, l'autre crispée sur le drap, n'évoque pas tant l'abandon du sommeil que l'apparence de la mort.

C'est sans doute tout le paradoxe d'une telle scène dans l'esprit du chrétien alors. Certes, la Vierge veille son Enfant, mais pour le préserver jusqu'au temps où il se dévoile au monde et lui livre sa mission, jusqu'au sacrifice. Plus que le choix des mains jointes, cela explique la moue solennelle, digne, de Marie, son expression intériorisée qui résonne particulièrement avec la lettre, puisque les paupières semblent bien lourdes : elle invite le spectateur à se joindre à elle dans la méditation spirituelle sur la fragilité de la vie terrestre au regard de la promesse délivrée plus tard par le Christ.

Sylvain Kerspern, novembre 2021

État de la gravure de Bosse sans les armes. Cornelis Galle d'après Francesco Vanni
La Vierge veillant l'Enfant endormi, entre 1599 et 1610. Gravure.
British Museum.
La Nativité.
Huile sur cuivre. 65,4 x 80,6 cm.
Barnard Castle, The Bowes Museum (U.K.).
Frontispice pour les Œuvres de saint Bernard de Clairvaux. 34,5 x 22,8 cm.
Rome, Istituto Nazionale di Archeologia et Storia dell'Arte.
La Vierge veillant l'Enfant endormi et des angelots Anne d'Autriche.
Huile sur marbre parangon. 32 x 28 cm.
Lyon, Musée des Beaux-Arts.
La Vierge veillant l'Enfant endormi. Huile sur bois. 39 x 29 cm.
Localisation inconnue (vente le 28 septembre 2008 à Troyes).
Judith et Holopherne, peinture.
Huile sur ardoise. 26,6 x 22 cm. Signé au dos au stylet J. Stella fecit



Localisation actuelle inconnue



Historique : vente Ivoire Angers, 5 février 2018.

Bibliographie :

Inédit (hors catalogue de vente)
Apparue en 2018 et présentée comme découvert dans une collection d'Angers, cette Judith constitue toujours, me semble-t-il, le record mondial de prix pour l'artiste. Sa qualité et la particularité que constitue une signature au stylet au dos, en plus du support minéral - quoique le cas ne soit pas rare chez Stella - doivent expliquer que plusieurs acquéreurs potentiels se la soient disputée.

La typologie des visages, l'articulation du corps comme le drapé ou le coloris situent ce tableau à la fin des années 1630, auprès de la Nativité de Barnard Castle (1639) ou la Samaritaine Séguier vraisemblablement de la même année cataloguée plus haut. Le double rapprochement avec deux compositions semblables, Salomé portant la tête de saint Jean-Baptiste de Ham House (1637) et le frontispice de l'ouvrage de Mascardi (publié en 1639), qui rend sensible la densification du style de l'artiste au contact de l'actualité parisienne des Vouet, Champaigne ou Blanchard, incite à placer vers la date la plus tardive l'ardoise vendue à Angers.

Le thème n'est pas non plus une rareté dans l'œuvre de Stella. Néanmoins, à l'épisode moins fréquent qui montrent l'héroïne juive en prière avant d'exécuter le géant, il préfére ici celui plus conventionnel déjà représenté dans les « camayeux », que j'ai pu rapprocher d'une autre peinture sur pierre, mais en largeur.

Point d'échanges entre les deux protagonistes autre que la gestuelle autour de la tête du géant Holpherne. La servante s'assure que le sac reçoive bien cette dernière; Judith regarde derrière elle, vaguement inquiète, tout en terminant son action, une épée fermement tenue dans une main, l'autre agrippant la chevelure. Un sentiment d'urgence absent de la version gravée à Rome et, d'une façon générale, des interprétations que Stella donne au sujet vient en contrepoint d'un discret érotisme, pareillement évacué jusque là, magnifié par les transparences d'un voile couvrant à grand peine la poitrine de Judith. L'œuvre témoigne de recherches mêlant expression des Passions et raffinement sensible aussi bien dans l'arrangement de la coiffure que dans les dispositions ou le drapé. Plus que la Semiramis/Bérénice de Lyon (1637) et à la suite de la Salomé déjà citée, elle participe d'une veine à l'érotisme froid longtemps méconnue de l'artiste qui culminera avec le Jugement de Pâris d'Hartford (1650).

S.K., Melun, janvier 2022

La Nativité.
Huile sur cuivre. 65,4 x 80,6 cm.
Barnard Castle, The Bowes Museum (U.K.).
Salomé apportant la tête de saint Jean
Huile sur ardoise. 42,5 x 33,5 cm.
Ham House.
Frontispice de Ethicae Prolusiones.
Gravure de Jean Picart, 1639. BnF
Judith
Gravure sur bois.
BnF.
Le Repos de la Sainte Famille, saint Joseph offre une poire, peinture.
Huile sur ardoise (selon le musée; marbre noir selon Sylvain Laveissière en 2006). 39,4 x 52 cm.


Glasgow, Hunterian Art Gallery.


Historique : collection Robert Strange, sa vente Londres Christie's, 20 février 1772, n°48, acquis par le Dr William Hunter; légué en 1783.


Bibliographie :

* Anthony Blunt, «Colloque Nicolas Poussin », rewiew, The Burlington Magazine, vol. 102, n°688, juillet 1960, p. 331, note 18.

* Sylvain Laveissière in cat. expo. Lyon-Toulouse 2006, p. 121, fig. V.2 (in cat. 57)

Nota : La gravure et le tableau sont absents de la monographie de Jacques Thuillier en 2006, signe parmi d'autres du fait qu'il n'ait pu y mettre toute son attention.
Si la gravure publiée par Jacques Thuillier dans le colloque Nicolas Poussin en 1960 de François de Poilly (ci-contre) a permis à Anthony Blunt d'attribuer à Stella le tableau de Glasgow (et non Edimbourg, comme je l'ai écrit par étourderie en 1994, n.17), elle ne le reproduit pas, proposant un certain nombre de variantes, principalement une présence angélique plus importante. Ce qui peut ainsi passer pour une surenchère doit désigner une version ultérieure reprenant la proposition du tableau écossais. Par ailleurs, la gravure ne peut guère prendre place avant le milieu des années 1640, et la dédicace à Michel Le Tellier, remplaçant Sublet de Noyers en 1643 au ministère de la guerre, doit correspondre à l'envie de s'attirer la protection d'un personnage important dans le contexte délicat des débuts de la Régence.

Comme Jacques Thuillier (1960) et Sylvain Laveissière (2006), je crois le tableau des années 1630 en France. Le type osseux et aigu du saint Joseph est celui de la Nativité du Bowes Museum (1639), du carton du Mariage de la Vierge de Toulouse, entre autres. Le drapé peu fouillé, ferme sinon sculptural, ménageant des plages lisses séparées par des plis ciselés renvoie aussi au marbre du Bowes Museum, et ce que transcrit la gravure d'Abraham Bosse étudiée plus haut, et dans une moindre mesure, ledit Mariage de la Vierge. Une situation en 1639-1640 paraît donc plausible. On notera au passage la modulation de la palette qui abandonne le rouge pour le manteau de la Vierge au profit du rose, consacré notamment au Noviciat des Jésuites, que Stella emploiera plus volontiers pendant plusieurs années.

Stella met ici au point une composition qu'il déclinera en différentes versions. Outre celle gravée par Poilly, une des dernières grandes commandes, probablement royale, parvenue au Prado et datée de 1652, y puise l'essentiel de son inspiration, en revenant au plus conventionnel rouge orangé pour la Vierge : l'importance du lourd rideau violine y est peut-être pour quelque chose. La gravure de Poilly en montre également un alors que notre peinture sur pierre en semble dépourvu, supposant un décor de grotte naturel. On ne peut exclure un rideau d'or totalement effacé.

L'image célèbre le rôle de père nourricier et protecteur de Joseph, secondé par un angelot qui puise de l'eau et un autre qui dépose un pain à côté d'une corbeille de fruits. Je ne pense pas qu'il faille chercher une symbolique autre que celle traditionnellement donnée à la pomme. On peut trouver pour l'une comme pour l'autre des rapprochements aussi bien avec Vénus - qui serait ici incongru - qu'avec Eve, indissolublement liée dans l'histoire du Salut avec Marie. Joseph propose donc à l'enfant l'accomplissement de sa mission, et celui-ci semble s'empresser d'y répondre, sous le regard résigné de sa mère. Quand bien même la Sainte famille fuirait les foudres d'Hérode, cet épisode invite le spectateur à méditer sur les rôles respectifs des protagonistes, et sur le poids assumé dès l'enfance par Jésus. Par le style, la retenue, Stella lui donne une grandeur « classique » raffinant la minéralité du support, dissipant progressivement les notes de naturalisme encore sensibles dans les premières années en France.

S.K., Melun, janvier 2022

François de Poilly (1623-1693) d'après Stella,
Le Repos de la Sainte Famille, saint Joseph offre une poire, gravure.
BnF
Le Repos de la Sainte Famille, saint Joseph offre une grappe de raisin, 1652.
Toile. 74 x 99 cm. Prado
Le Repos de la Sainte Famille, saint Joseph offre une poire, gravure de François de Poilly
Tableau (ou dessin?) perdu.

Gravé par François de Poilly(1623-1693). Deux états connus signalés par José Lothe (1994, n°315) :
1. édité par Alexandre Boudan avec la lettre suivante :
- dans l'image, sous les angelots tirant une gourde du sac en bas à gauche, Stella in. et F. poilly Sc.; sur le rocher sur lequel la Vierge appuie ses jambes, Cum privilegio Regis;
- dans la marge : (de part et d'autre des armes de Le Tellier) ILLUSTRISSIMO DOMINO. D. MICHAELI LE TELLIER TOPARCHÆ DE CHAVILLE REGI À SANCTIORIB.s CONSILIIS ET MANDATIS,/Puerum Iesum, Mariam Matrem, Josephum Nutritium, & Angelos jnstruendæ jllorum mensæ necessaria comparantes,/Perpetuæ, quam hîc ex animo vovet, seruitutis futuros æternùm obsides Offert, Dicat, Consecrat./ (à droite des armes) Oblatus jam ipsi pridem Dicatus et Consecratus Cliens Alexander Boudan ;
2. second état signalé au Musée d'Abbeville par Lothe (1996) édité par Étienne (plutôt qu'un Pierre graveur ou éditeur inconnu par ailleurs) Gantrel (1640-1706), qui avait repris le fond Boudan en épousant sa fille Marguerite, veuve de Jean Lenfant en 1674; Gantrel remplace le rideau par un paysage avec architectures.

Exemplaires repérés : BnF, Da20 fol, Ed 49b rés; Albertina.
Bibliographie
* (Pierre-Jean Mariette), Abecedario de P.J. Mariette et autres notes publié par Philippe de Chennevières et A. de Montaiglon, t. 4, Paris, 1857-1858, p. 188-189.

* Auguste Jal, Dictionnaire critique de biographie et d’histoire, Paris, 1867, 2è éd. révisée, 1871, p. 630-631, 771.

* Jacques Thuillier, «Poussin et ses premiers compagnons français à Rome» in Colloque Nicolas Poussin. Actes publiés sous la direction d’André Chastel, 1960, t. 2, p. 96-116.

* Roger-Armand Weigert, Bibliothèque Nationale. Cabinet des Estampes. Inventaire du fonds français. XVIIè siècle., t. IV, 1961, p. 342-344.

* José Lothe, L'œuvre gravé de François et de Nicolas Poilly d'Abbeville graveurs parisiens du XVIIè siècle, Paris, 1994, cat. FdP 315.

* Catalogues de la collection d'estampes de Jean V, roi du Portugal par Pierre-Jean-Mariette, éd. Marie-Thérèse Mandroux-França et Maxime Préaud, Paris, 1996, II, p. 216.

* Sylvain Laveissière in cat. expo. Lyon-Toulouse, 2006, p. 106.
On peut situer assez précisément la réalisation de cette estampe en fonction du graveur, de son éditeur et du dédicataire. François de Poilly, né à Abbeville en 1623, est mis en apprentissage pour trois ans en novembre 1638 chez Pierre Daret (v. 1604-1678), l'un des principaux graveurs et éditeurs parisiens du temps. Ce ne peut être qu'à partir de 1642 et probablement avant son départ pour Rome en 1648-1649, où il reste jusqu'en 1655 selon José Lothe, qu'il soit en mesure de travailler pour l'éditeur Alexandre Boudan (1600-1671), commanditaire de l'image selon la lettre. Le choix du dédicataire, Michel Le Tellier (1603-1685), argumente en faveur de la situation dans les années 1640, au moment où Mazarin lui octroie le secrétariat à la Guerre en lieu et place de Sublet de Noyers, en disgrâce. Il est honoré dans une autre grande estampe allégorique (ci-contre) montrant la France en Minerve, doté d'un bouclier à son effigie, qui franchit les montagnes, allusion aux titres d'intendant de justice dans l'armée du Piémont en 1639 puis, en 1640, en Dauphiné; il se trouve qu'elle est de Pierre Daret, maître de Poilly, d'après Stella. Enfin, Mariette (1857-1858) disait l'estampe « des premières manières de Fr. Poilly, d'après J. Stella. Cette pièce est tout à fait dans la manière de Daret son maître. ».

La confection de notre estampe semble donc pouvoir être assignée aux années 1642-1643. Pour autant, la typologie comme le drapé sont très semblables à ce que montre la peinture de Glasgow et la principale modification tient au supplément d'angelots, sans rupture de canon. Il doit donc s'agir d'une répétition de peu postérieure au tableau écossais. On ne peut exclure que l'invention soit en fait un dessin.

S. K., janvier 2022

Pierre Daret d'après Jacques Stella
La France franchissant les montagnes armées d'un écu à l'effigie de Michel Le Tellier donné par la main de Dieu et la protégeant des flèches de l'Envie.
Gravure. 29,2 x 48,7 cm au coup de planche. BnF (Da 20 fol., p. 104)
prochainement? Le Repos de la Sainte Famille, saint Joseph offre une poire, peinture.
Huile sur toile. 52 x 61 cm.


Avignon, Musée Calvet.


Historique : donation Marcel Puech.


Bibliographie :

* Sylvain Laveissière in cat. expo. Lyon-Toulouse 2006, p. 121, fig. V.2 (in cat. 57)

Nota : Je ne connais pas ce tableau, qui ajoute à la composition gravée trois angelots arrangeant le rideau du fond. Sylvain Laveissière rapporte que Gilles Chomer situait cette toile plus tard, en 1650-1652. Pour mémoire, et en attendant d'en obtenir une reproduction, je la catalogue ici.
La Vierge à l'Enfant qui tient un oiseau au bout d'un fil,
peinture perdue.
Gravure par Gilles Rousselet (1610-1686).
Peinture perdue.
Historique : ?coll. John Crewe, 2nd Baron, vente Philipps Londres le 19 mars 1806 (« Virgin and Child [holding a Bird in her Left hand] »), acquis par J. Collins(Getty Provenance Index). Localisation actuelle inconnue.

Gravure de Gilles Rousselet. 30,2 x 22,2 cm.

Trois états signalés par Véronique Meyer (2004, n°15) :
1. dans la marge, MULTIS PASSERIBUS PLURIS ESTIS VOS. Luc. 12 sans nom de peintre ni de graveur (Ed.40, p.23);
2. second état signalé par Véronique Meyer à l'Albertina et ainsi décrit : « sous le titre, I. Stella pinxit Ægid. Rousselet sculp. et excud. C. Priu. Regis (Vienne, t. I, n° 26) ».
3. sans lettre dans la marge; dans l'angle inférieur droit de l'image : I. Stella pinx./Æg. Rousselet Sculp./ Cum privil Regis; sous l'image à gauche : Apud Steph. Gantrel Sub Signo S.ti Mauri C.P.R. (Albertina).
4. l'état 3 mais Apud Steph. Gantrel Sub Signo S.ti Mauri C.P.R. remplacé par AParis chez FF. Cars rue S. Jacques (repr. in Thuillier 2006).


Bibliographie :
* Adam Bartsch, Le peintre-graveur, t. 19, Vienne, 1819, p. 214.
* (Pierre-Jean Mariette), Abecedario de P.J. Mariette et autres notes publié par Philippe de Chennevières et A. de Montaiglon, t. 5, Paris, 1859-1860, p. 55.
* Catalogues de la collection d'estampes de Jean V, roi du Portugal par Pierre-Jean-Mariette, éd. Marie-Thérèse Mandroux-França et Maxime Préaud, Paris, 1996, II, p. 219, n° 40.
* Véronique Meyer, Gilles Rousselet, Paris, 2004, n°15.
* Christophe Castandet, « L'oeuvre gravé de Gilles Rousselet, graveur parisien du XVIIe siècle », recension de la monographie de Véronique Meyer, La Tribune de l'art, 4 avril 2005, fig. 10.
* Thuillier 2006, p. 134-135.
Que l'actuel catalogue de Jacques Stella comporte si peu de Vierge pour la période romaine laisse deviner l'étendue des découvertes encore à faire. Il suffit de rappeler l'anecdote de celle faite au charbon dans sa prison en 1633 pour témoigner de sa pratique dès l'Italie. Quoiqu'il en soit, le genre fut assurément l'une des spécialités de l'artiste en France, soulignée entre autres par l'abbé de Marolles.

Jacques Thuillier (2006, p. 134), en publiant la gravure de Rousselet, mentionne sur la page lui faisant face, de façon très elliptique à propos d'une gravure allégorique de Pierre Daret, ses Vierge à l'Enfant « inspirées par Jacques Blanchard ». La mise en regard ci-contre de deux gravures du même Rousselet interprétant les deux Jacques ne peut qu'aller dans son sens. Elle fait sentir la sensualité des étoffes et du jeu de clair-obscur chez le Parisien et le souci d'un drapé « classique » sculptural et plus proche du corps et une lumière plus abstraite chez le Lyonnais. L'estampe d'après Blanchard doit appartenir aux débuts du graveur, peut-être même du vivant du peintre, avant 1638; sa traduction de Stella, plus délicate, serait plus tardive, des années 1650, selon Véronique Meyer. Pour autant, la typologie, les dispositions comme le drapé situent bien l'invention plus tôt, vers 1640, non loin du Repos pendant la fuite en Égypte de Glasgow catalogué plus haut et reproduit ci-contre.

Véronique Meyer signale, à juste titre, le succès du thème avec l'oiseau au bout d'un fil dont témoignent les deux mentions de l'inventaire de Claudine en 1697, l'une sur marbre noir de 12 pouces de haut sur 8 par Jacques Stella (n°31), l'autre, sur cuivre de la grandeur d'une paume de la main (n°74) vraisemblablement par son neveu Antoine. L'identification de la première avec la gravure de Rousselet est possible, même s'il semble que ce que conservait Claudine relevait plutôt de la fin de la production de son oncle.

Le motif de l'oiseau tenu au bout d'un fil figure parmi les jeux d'enfants. Si Stella ne l'a pas représenté, il ne devait pas l'ignorer. Comme d'autres artistes tel Flaminio Torri en 1639, de ce thème apparemment enjoué Stella tire une méditation toute chrétienne. La lettre du premier état de la gravure renvoie au chapitre 12 de l'Évangile de Luc, et un passage d'un sermon du Christ évoquant le faible prix des passereaux, que pourtant Dieu n'oublie pas, ajoutant : « Vous valez plus que beaucoup de passereaux ». L'intention de Stella n'était peut-être pas aussi strictement rattachée à cet extrait. Comme je l'ai écrit à propos d'une autre peinture de l'artiste citée dans le Testament de Claudine et naguère donnée à Michel II Corneille (1642-1708), l'oiseau peut être le symbole de l'âme. La Vierge, qui serre une boucle du fil pour maintenir le volatile sur sa main, le présente à l'Enfant qui a attrapé l'autre bout. Cela semble suggérer que l'accomplissement par Jésus de sa mission doive donner l'occasion à l'âme de se libérer, ou du moins qu'il tient cette délivrance entre ses mains. De même l'artiste souligne-t-il ainsi l'acceptation implicite de la Vierge du funeste destin de son Fils.
Gilles Rousselet d'après Jacques Blanchard (1600-1638)
La Vierge à l'Enfant.
Gravure.
Albertina
Gilles Rousselet d'après Jacques Stella (1596-1657)
La Vierge à l'Enfant.
Gravure.
Albertina
Le Repos de la Sainte Famille, saint Joseph offre une poire.
Huile sur ardoise. 39,4 x 52 cm.
Glasgow, Hunterian Art Gallery.
La Vierge à l'Enfant, un chardonneret sur une cerise
(la « Vierge Piasecka »).
Toile. 82,5 x 65,5 cm.
Localisation actuelle inconnue.
S.K., Melun, février 2022
La Vierge à l'Enfant, saint Jean ornant l'agneau de fleurs

Coatalem, peinture
Huile sur marbre ovale. 30,5 x 22,8 cm.

Localisation actuelle inconnue.


Historique : Galerie Éric Coatalem en 2012

Bibliographie :

* Sylvain Kerspern, notice de La Vierge à l'Enfant et saint Jean ornant l'agneau de fleurs de Montréal, dhistoire-et-dart.com, mise en ligne janvier 2021.
Une des nombreuses découvertes d'Éric Coatalem à propos d'un artiste qu'il aime, cette Vierge reprend un motif déjà employé dans d'autres peintures sur pierre aujourd'hui aux Offices et à Montréal, dont Stella s'est fait une spécialité dès l'Italie. Si le thème est identique, on perçoit une évolution donnant à sa composition toujours plus de puissance par la disposition comme par la continence de la gestuelle. Le drapé plus ferme et structuré, moins traversés de petits plis, le visage de la Vierge évoquant un masque à l'antique ou la subtilité du modelé des carnations résonnent avec ce que montre la peinture de Glasgow et la composition gravée par Rousselet, qui précèdent; à quoi on peut ajouter l'invention gravée par Picart pour le frontispice de l'ouvrage de Mascardi publié en 1639.

La Vierge domine cette fois nettement la scène, incarnant d'autant plus son rôle protecteur qu'elle englobe l'échange entre les deux enfants. Celui-ci ne s'inscrit plus sur un côté de la forme pyramidale du groupe mais en son sein. La dynamique descendante de l'oblique, qui mettait en vedette Jésus, se dilue dans une arabesque qui peut traduire le regard sur le travail des décorateurs que sont Vouet et Blanchard. Le Christ reste le centre de l'attention, mais les regards de Jean et de Marie, qui la focalisent, appuient encore la symbolique de son action renvoyant à son futur sacrifice. Ce qu'il pouvait encore y avoir d'anecdotique dans les précédentes versions, la Vierge décorative, saint Jean admiratif, aux Offices, la double action peu vraisemblable de l'Enfant prenant des fleurs d'une main, en posant sur la tête de l'agneau sur l'autre à Montréal, s'efface derrière une invitation à la méditation selon le point de vue, non plus sentimental mais intériorisé, du Baptiste ou de Marie. Stella raffine ainsi, avec toujours plus d'élégance, son éloquence muette.

S.K., Melun, janvier 2022

La Vierge, l'Enfant, saint Jean et l'agneau
Huile sur ardoise. 22,5 x 18,2 cm.
Offices.
La Vierge, l'Enfant, saint Jean et l'agneau
Huile sur ardoise. 30,5 x 23 cm.
Montréal, Musée des Beaux-Arts.
Jean Picart d'après Stella, frontispice de Prolusiones eticæ
Gravure.
La Vierge adorant l'Enfant endormi, dit aussi Le sommeil de l'Enfant Jésus Salm; peinture (Épinal)
Huile sur marbre. 30 x 22 cm.

Épinal, Musée départemental des Vosges.


Historique : Collection des Princes de Salm, Louis Charles Othon, mention dans son inventaire après décès en 1778 (dans la chambre à coucher) et 1793 (Constantin Alexandre, inventaire révolutionnaire au moment du rattachement à la France; dans la chambre après la salle au nord); entré au musée le 17 février 1829.



Bibliographie :

* Sylvain Laveissière in cat. expo. Lyon-Toulouse 2006 , p. 133, cat. 69

* Jacques Thuillier, Jacques Stella, Metz, 2006, p. 152.

* Sylvain Kerspern, La Vierge à l’Enfant endormi. Autographie, datation, signification. site dhistoire-et-dart.com, mise en ligne le 30 octobre 2008.
L'historique donné dans le catalogue de l'exposition de 2006 doit se tromper sur la collection la plus ancienne ayant détenue notre peinture : en dehors du fait que la vente de celle du duc de Tallard ne remonte pas à 1746 mais 1756, le n°171 est une Sainte famille dont les dimensions diffèrent (12 pouces sur 10, soit en 32,5 x 27 cm). On ignore donc sa provenance lorqu'il entre dans les collections de Louis Charles Othon de Salm-Salm (1721-1778), souverain (1770-1778) de l'éphémère résurrection de la principauté du même nom au XVIIIè siècle.

En quelques années, sinon quelques mois, Stella donne trois versions du même thème, la Vierge veillant sur le sommeil de l'Enfant Jésus, et il y reviendra plus tard à nouveau, signe d'un succès qui tient peut-être au fonctionnement courtisan : la première version semble bien celle associée à Anne d'Autriche, qui peut avoir suscité des répliques. Sylvain Laveissière (2006) et Jacques Thuillier (2006) soulignent le dépouillement de la scène, ce qui vaut pour sa réduction à deux personnages. En revanche, à la différence de ladite version de Lyon et de celle gravée par Bosse, point de fond en réserve, laissant apparaître le marbre dans la première : Stella a peint dans la version d'Epinal un lourd rideau rouge rehaussé d'or - comme souvent pour partie disparu ou usé. Autrement dit, le marbre est entièrement peint, ce qui est plutôt rare pour Stella, qui aime jouer avec la proposition graphique ou tonale du support minéral.

La simplicité est ailleurs. Plus de petits assistants, ni fleurs répandus, non plus que d'oreiller orné, simplement une pomme que l'enfant semble avoir lâché. Autre différence qui, à ce jour, fait la particularité de cette version du thème, la Vierge n'a pas les mains jointes mais croisées sur la poitrine. L'attitude n'est pas celle de l'adoration mais de l'humilité, telle que se manifeste volontiers dans les Annonciation. Si l'interprétation pour Anne d'Autriche a quelque chose de maternel, celle traduite par Bosse se veut solenelle, sinon grave, réunissant Marie et Jésus dans la vénération offerte. À Épinal, la moue de l'Enfant n'est plus souriante, et l'abandon de son corps ne peut qu'évoquer sa mort future explicitée par la pomme, qui renvoie au Péché originel, qu'il est venu racheter. Ce spectacle qui devrait susciter l'angoisse d'une mère ne provoque aucune inquiétude lisible sur le visage de Marie, discrètement souriante, humblement soumise au destin de son Fils. La délicatesse et l'élégance du dispositif concourt à l'affirmation de cette approche confiante de la méditation, sans escamoter tout le poids douloureux qu'elle peut porter.

S. K., février 2022

Le sommeil de l'Enfant-Jésus Anne d'Autriche
Huile sur marbre noir. 32,1 x 28,2 cm.
Lyon, musée des Beaux-Arts
Abraham Bosse d'après Stella
Le sommeil de l'Enfant-Jésus
Gravure. 38,8 x 29 cm.
BnF
Deux anges pleurant la Crucifixion, gravure de Daret pillant Stella
« Jesus-Christ en croix, au milieu de la Ste Vierge et de st Jean, gravé au burin par Pierre Daret, d'après Jac. Stella » (Mariette, 1996)
ou « Jesus-Christ en croix représenté dans une bordure aux côtés de laquelle sont les instruments de la Passion, d'après Jacques Stella » (Mariette cité par Weigert 1954)
Lettre : sous l'ange à la colonne, Cu. priuil. Reg.; sous celui à la lance et aux clous, I.Stella In. Daret In; dans la marge sous le même ange : Herman Weyen excudit. Burin. BnF, Est. Da20 fol.

Bibliographie :

* Roger-Armand Weigert, Bibliothèque Nationale. Cabinet des Estampes. Inventaire du fonds français. XVIIè siècle., t. III, 1954, p. 296, n°365.

* Catalogues de la collection d'estampes de Jean V, roi du Portugal par Pierre-Jean-Mariette, éd. Marie-Thérèse Mandroux-França et Maxime Préaud, Paris, 1996, II, p. 218, 31.

L'invention de cette image est formellement donnée par Mariette à Stella mais il faut remarquer que Pierre Daret signale qu'il y prit part, à moins qu'il n'ait par erreur inscrit In. en lieu et place de Sc.. De fait, cette gravure, d'une exécution loin de ses meilleures productions, n'est pas aisée à juger. Les anges portent bien le style de l'artiste et peuvent être rapprochés notamment de la figure du bon chrétien soutenu par l'ange du frontispice de De imitatione christi, gravé par Mellan, ou de l'ange symbole de saint Jean dans la vignette faite par le même Daret pour l'Imprimerie Royale, ce qui m'incite à placer l'image ici, sans exclure une fourchette plus large de quelques années, a priori plus tard. Le sujet principal, par la banalité de sa composition, pourrait être du seul Daret et il pourrait donc s'agir d'un montage qui n'est pas rare dans le milieu de la gravure alors.

S.K., Melun, février 2022

L'ange soutenant le bon chrétien, 1639-1640.
Dessin.
Coll. part.
Daret d'après Stella,
L'ange symbole de l'évangéliste Jean, 1640
Vignette pour le Novi Testamenti de l'Imprimerie Royale.
Gravure.
Catalogue Jacques Stella : Ensemble ; À Paris au temps de Louis XIII, mosaïque - Table Stella - Table générale
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