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Sylvain Kerspern - dhistoire-et-dart.com
Jacques Stella - Catalogue
De Rome à Lyon, oeuvres datables de 1633-1635


Tables du catalogue : Entre Rome, Madrid, Lyon et Paris - Ensemble
Table Stella - Table générale
Mise en ligne le 16 septembre 2018 - retouches en janvier 2020; janvier 2022; juin 2022
Persée et Andromède,
peinture
Judith dans la tente d'Holopherne Tronchin, peinture Annonciation, peinture La lapidation de saint Étienne, peinture La Vierge, l'Enfant parant l'agneau et saint Jean, peinture (Pitti)
Sainte famille, sainte Elisabeth et saint Jean, peinture Jugement de Salomon, peinture Portement de croix, dessin Bacchanale, peinture Saint Pierre soignant sainte Agate en prison, peinture
La fuite en Égypte, peinture La Sainte famille et saint Jean dans un paysage, gravée chez Poilly La Religion, Louis XIII et les Villeroy, gravé par Karl Audran Frontispice pour In quinque priora praecepta decalogi
de Stephanus Fagundez
Le mariage mystique de sainte Catherine, peinture
(Lyon, St-Paul)
La Visitation, gravé par Karl Audran L'Immacculée Conception, gravé par Karl Audran
Le détail des références bibliographiques, en l’absence de lien vers l’ouvrage consultable en ligne, peut se trouver en cliquant sur Bibliographie.
Persée délivrant Andromède,
peinture
Huile sur onyx (Anne-Laure Collomb) ou albâtre? (Jean-Pierre Cuzin).
44 x 36 cm.

Historique : coll. Jacques Petithory; legs (401) en 1992, dépôt au musée Bonnat-Helleu de Bayonne.



Bibliographie :

* Jean-Pierre Cuzin in La donation Jacques Petithory au musée Bonnat, Bayonne (Pierre Rosenberg, dir.), Paris, 1997, p. 104, n°118.
On peut saluer ici l'intuition de Jean-Pierre Cuzin qui évoque en 1997 Jacques Stella à propos de la figure féminine. Toutefois, il le fait avec réserve, privilégiant au bout du compte l'hypothèse d'une main romaine, après avoir pris le temps d'écarter la piste - la plus immédiate - du cavalier d'Arpin. Je suis, pour ma part, convaincu qu'il s'agit d'un ouvrage de notre artiste : il suffit de confronter le tableau au dessin de l'Olympe abandonnée de 1633 pour retrouver semblable beauté nue. Il est vrai que l'attribution de cette feuille, qui avait perdu sa signature, avait elle-même pu être contestée.

La composition est connue par différentes versions en mains privées ou passées en vente, qui n'ont pas la qualité de la peinture Petithory. Initialement dictée, pour partie, par le support minéral - ce qui n'enlève rien à la capacité d'invention de l'artiste, bien au contraire -, ces reprises sur différents supports témoignent de son succès. Pour Federico Zeri, Domenico Zampieri, dit Domenichino (Dominiquin) devait en être responsable, ce qui souligne son caractère classique, et correspond à l'inflexion que Stella donne avec conviction à son oeuvre dès la fin des années 1620, et qui s'affirme sans ambiguïté au moment de quitter Rome.

Le schéma de composition s'inscrit, lui, dans une tradition maniériste illustrée par l'art nordique, et praguois, d'un Goltzius (gravure de 1583), aussi bien que par celui du cavalier d'Arpin (Saint-Louis Art Museum, ci-contre, des années 1590, entre autres versions). De là vient sans doute le renversement significatif plaçant le nu féminin de la prisonnière au tout premier plan. L'Italien avait atténué le procédé en instaurant une interaction sensible entre les trois protagonistes, et en rapprochant les combattants de la jeune femme. Dans une autre peinture sur lapis-lazuli propice à l'installation d'un décor de ciel et de mer important, passée en vente comme de l'école de Prague sur la base probable des versions de Goltzius et d'autres peintres de cette cour, Jacques Stella, crois-je, avait repris quelques années plus tôt la pose de la jeune femme dans la gravure pour la faire se détourner de la violence dont elle est l'enjeu. Cette version (initiale?) participe du goût pathétique inspiré de Guido Reni auquel notre homme s'essaie quelque temps, autour de 1625-1629.

De ce point de vue, la version Petithory consacre l'orientation vers un art sobre, refusant les trop grandes effusions et s'appuyant sur la gestuelle pour une expression réthorique du sujet. Certes, Andromède n'est pas, comme chez le cavalier d'Arpin tranquille dans sa résignation (version de Saint-Louis ou celle de 1602 au Kunsthistorisches Museum de Vienne) ou dans son espoir (toute première version, apparemment, du même musée autrichien, ci-contre); elle manifeste par son visage l'inquiétude qui la taraude mais ne paraît plus sur le point de s'évanouir. De même la disposition des bras entravés par les chaînes sert à l'économie du sujet par une gestuelle indicatrice - le gauche vers l'affrontement et les spectateurs sur la berge, à l'attitude semblable - et expressive - le droit marquant le retrait du corps qu'il prolonge, qu'il s'agisse de représenter la peur ou de suivre la recommandation de ne pas regarder la Gorgone.

En effet, Stella a choisi ici de mettre dans la main de Persée la tête pétrifiante. Le cavalier d'Arpin en avait fait de même dans sa version initiale (ci-contre à gauche), et il se peut que cela soit dicté par la relation au support : l'Italien peint sur une ardoise qui donne le ton pour le rocher, et le Français donne pareillement le support pour écrin minéral à la beauté convoitée. L'un et l'autre entrent là en résonnance avec le texte d'Ovide, qui souligne qu'elle semblait une statue de marbre, comme pétrifiée sinon confondue dans l'élément environnant. Le poète, qui suggère pour l'envol du héros le recours aux sandales ailées fournies par Mercure plutôt qu'à Pégase - cheval ailé né du sang de la Gorgone - ne parle pas, dans le combat, de la tête de Méduse; mais, et cela motive son insertion dans l'objet de l'ouvrage, Les métamorphoses, il précise que posant cette tête après sa victoire sur un lit de tiges, il provoque la création de coraux. Il devait donc l'avoir sortie du sac qui neutralisait son pouvoir.

De fait, on peut s'interroger sur la pertinence du choix fait par le cavalier d'Arpin dans la peinture sur ardoise : la jeune femme se risque apparemment à regarder Persée, s'exposant au sortilège. Stella donne à sa version un tour raisonné, Andromède s'efforçant, au contraire, d'éviter le spectacle du combat.
Cuivre passé en vente en Allemagne le 17 avril 2007, comme de Domenichino.
45 x 39 cm.
Toile en collection particulière new yorkaise, selon F. Zeri, en 1977, comme de Domenichino. Cuivre en collection particulière milanaise en 1977, rapprochée de Domenichino.
44,5x37,5 cm.
Giuseppe d'Arpino (il Cavaliere), Persée et Andromède .
Huile sur lapis-lazuli.
20 x 15,4 cm. Saint-Louis art museum.
Ici attribué à Jacques Stella, Persée et Andromède.
Huile sur lapis-lazuli.
13 x 9,5 cm. Marché d'art allemand en 2017
Hendrick Goltzius, Persée et Andromède, 1583 .
Gravure.
Londres, British Museum
Giuseppe d'Arpino (il Cavaliere), Persée et Andromède, 1592.
Huile sur ardoise.
70,5 x 54,9 cm. Vienne, Kunsthistorisches museum.
Giuseppe d'Arpino (il Cavaliere), Persée et Andromède.
Huile sur lapis-lazuli.
20 x 15,4 cm. Saint-Louis art museum.
Il se peut qu'il puise (après le cavalier d'Arpin) à une source complémentaire suggérée par l'abbé de Marolles (Tableaux du temple des Muses, Paris, 1656) : les Dyonisiaques de Nonnus ou les Dialogues de Lucien, qui mentionnent explicitement la pétrification du monstre. Pour autant, notre artiste renchérit sur le jeu littéraire de la source la plus prolixe, Ovide, en y mêlant celui avec le support. Le poète met en évidence la sidération qui frappe Persée lorsqu'il découvre la jeune femme, qui le fige au point qu'il oublie de se servir de ses ailes, assimilant l'amour aux pouvoirs de Méduse. Ne peut-on penser que le peintre introduise une mise en abyme, via le regard du spectateur qui se porte sur la frémissante figure de la proie, à laquelle il donne vie et chaleur par le pinceau sur fond de pierre, joignant ainsi le pouvoir de l'amour et celui fascinant du trophée de la Gorgone? L'un et l'autre sont pareillement exhibés dans un théâtre aussi minéral que pétrifiant, et il le fait en peintre savant.

C'est sur l'efficacité du geste que Stella compte pour introduire le sens de l'histoire, à l'exemple de Dominiquin et, par-delà, de la tradition classique héritée de Raphaël. Comment ne pas songer notamment, comme modèle possible, au panneau des Grâces du musée Condé, inventorié dans les collections Borghese en 1633 (ci-dessus)? Cette veine - si j'ose dire pour une peinture sur pierre - pourrait aussi avoir favorisé les accusations d'entretenir quelque amourette, qui le jetèrent en prison cette même année 1633. Les trois copies mentionnées plus haut témoignent, elles, d'un accueil beaucoup plus favorable à cet authentique chef-d'oeuvre.

S.K., Melun, avril 2018

Cuivre passé en vente en Allemagne le 17 avril 2007, comme de Domenichino.
45 x 39 cm.
Toile en collection particulière new yorkaise, selon F. Zeri, en 1977, comme de Domenichino. Cuivre en collection particulière milanaise en 1977, rapprochée de Domenichino.
44,5x37,5 cm.
Judith dans la tente d'Holopherne Tronchin, peinture
Huile sur ardoise (ou marbre noir?). 37 x 51 cm.

Paris, coll. part.

Historique : collection du marécal de Créquy (inventaire après décès, 1638, « un petit tableau sur pierre où est représenté Judicq par Stella prisé ... 30 livres »)? collection du financier François Tronchin (1704-1798), Genève au plus tard en janvier 1785, mentionné par le peintre Pierre-Louis de la Rive dans une lettre à lui adressée; sa vente (Tronchin des Délices), 2 germinal an 9 (23 mars 1801 et jours suivants), n°185 (comme Jacques Stella; lot mis en vente le 25, réservé par Gauthier); resté dans la famille Tronchin au moins jusqu'à la succession d'Henri (1928). Acquis par l'actuel propriéaire dans les années 1970 à Genève.

Bibliographie :

* René Loche, cat. expo. De Genève à l'Ermitage. Les collections de François Tronchin, Genève, 1974, p.166-167.

* cat. expo. Lyon-Toulouse 2006 (S. Laveissière dir.), p. 96, cat. 42

* Thuillier 2006, p. 300

Le témoignage du peintre suisse Pierre-Louis de la Rive, en 1785, nous est précieux et, en même temps, pose au moins une autre question. Le rapprochement qu'il fait entre notre tableau et celui de la collection Borghese est incontestable, mais comme il le souligne, l'exemplaire romain était alors considéré comme d'Elisabetta Sirani; pourtant, c'est bien comme Stella que celui de Tronchin est proposé à la vente en 1801. La juste attribution provient-elle de l'expert, Guillaume-Jean Constantin, et sur quelle base cela a-t-il pu être fait? À l'époque, la connaissance de l'art du Lyonnais est déjà bien faible.

La bibliographie distingue les deux versions par leurs supports mais les confusions entre marbre noir (parangon) et ardoise, qui sert d'ailleurs souvent pour consolider d'autres pierres, sont fréquentes. Les différences essentielles sont ailleurs et entrent dans le questionnement sur l'antériorité de l'une sur l'autre. Il faut d'abord faire la part du format.

Le support de la version Tronchin est proportionnellement plus étiré en largeur, favorisant un travail en frise plutôt que de s'appuyer sur les diagonales, comme le fait le tableau Borghese. Dans ce dernier, la manifestation divine se situe dans l'angle, et le point de vue laisse plus clairement percevoir les obliques de l'alcôve dans laquelle est installée la couche du géant. En conséquence, la pose de Judith et son port de tête diffèrent : elle semble basculer vers l'arrière, accusant l'éventuel doute qui la conduit, par le geste, à interroger Dieu avant d'agir. Dans l'autre, si la tête fait un effort pour rencontrer la lumière céleste, le corps reste presque droit, et ses mains quasi l'une sur l'autre semblent traduire aussi bien la question que l'acceptation.

Comme je l'ai fait remarqué dans la notice de la peinture Borghese, l'utilisation du jeu des diagonales pour creuser la profondeur en faisant notamment basculer les personnages se retrouvent pleinement dans les pendants également sur pierre mais sur d'autres sujets de l'Ancien Testament datés de 1631, Joseph et la femme de Potiphar et Suzanne et les vieillards, confirmant l'ancrage issu des archives du cardinal. Pourtant leur format est aussi plus nettement en largeur que l'ardoise Borghese. Si donc les proportions du support ont pu jouer, elles ne doivent pas pour autant être considérées comme déterminantes pour la datation, au contraire de la signification sur laquelle je vais revenir.

C'est d'abord par le traitement des figures que l'on peut situer respectivement les deux versions. Le type féminin ne nous sera pas d'un grand secours : si celui de la Judith Borghese est, à nouveau, à rapprocher de la femme de Potiphar, celui de la collection Tronchin se trouverait, dans ce catalogue, aussi bien avant qu'après.

Les angelots, eux, permettent de trancher en allant au-delà de la typologie : en effet, le profil à l'arcade tombante de celui tirant, pour le retenir, le fourreau dans la version Borghese peut faire songer à ... l'Allégorie sur l'agonie du cardinal Borghese dessinée de 1633, mais aussi à l'angelot assistant la repentante de La conversion de la Madeleine, que j'ai située vers 1629-1630. C'est avant tout le traitement du corps, une sorte de lissage classicisant de l'anatomie qui fait de la version en mains privées une répétition avec variantes de celle italienne, contrairement à l'avis exprimé dans le catalogue de l'exposition de 2006 dirigé par Sylvain Laveissière. Elle gagne ainsi en puissance rhétorique, éloquente, ce qu'elle perd en expression naturelle.

Au fond, ces angelots volent un peu la vedette à Judith, déjà dispensée de manifester sa violence héroïque. Dans la version que je crois initiale, les angelots ne sont que trois, deux semblant s'évertuer à dégager l'épée de son fourreau tandis que le troisième les rappelle au silence pour ne pas réveiller le géant qui dort : toutefois, selon l'orientation de la main, on peut se demander si c'est bien lui qu'il indique de sa main gauche, tandis que la droite se pose sur sa bouche, ou Judith, pour préserver son dialogue intérieur. Dans celle qui nous occupe, un quatrième est venu les rejoindre et pour donner encore plus de résonnance - si j'ose dire - aux efforts qu'ils déploient, Stella le peint comme tombé au sol, poussant même, peut-être, de son pied gauche sur le ventre de son congénère lui faisant face pour accroître la force de son geste. La main de l'angelot qui pointe, paume vers le bas, correspond à une indication plus lointaine, et plus franche, vers le fond et Holopherne.

Stella procède, en fait, à une subtile mais profonde transformation de la scène et de ses implications. La version Borghese propose une interprétation synthétique de l'histoire, le choix du moment le plus signifiant dans lequel même l'anecdote de l'épée récalcitrante doit se plier à sa gravité. Celle Tronchin compartimente plus nettement action principale et péripétie, notamment par l'association entre une frise plus marquée et l'installation du candélabre plus à gauche, au tiers de la largeur, presque à l'aplomb de la lumière divine. Cela peut expliquer aussi la modification du geste indicateur de l'angelot, pour suppléer un éloignement significatif d'une plus grande autonomie du groupe d'angelots. L'image se fait plus didactique, plus raisonnée, sens appuyé par l'apparition théâtrale du cordon de rideau, ce qui pourrait avoir conduit l'artiste à rechercher une expression plus pathétique et une sorte d'élan vers Dieu pour Judith.
Peinture sur ardoise, 1631 (?). 30 x 36 cm.
Rome, Galleria Borghese
Ci-dessous : pendant sur marbre, 1631.
25 x 35,5 cm chacunes.Coll. part. USA
Les éléments du classicisme de Stella sont en pleine maturation, plus encore dans le traitement de l'anecdote qui suggère la recherche d'une retenue manifestée par l'imposition du silence et surtout par un canon et des attitudes mesurées. De ce point de vue, la peinture naguère dans la collection Tronchin marque bien un pas franchi, sans guère de possibilité de retour, dans son parcours esthétique, apparenté à ce qui se constate dans les tout derniers mois de sa présence à Rome. On peut dès lors envisager une identification avec le tableau de ce sujet figurant dans l'inventaire du maréchal de Créquy, en 1638.

Le jeu d'ombres et de lumière proposé par le rideau d'or sur support minéral noir fait le prix des deux peintures, son caractère d'objet précieux, assurément. Mais l'intention de Stella ne saurait s'être limitée à cet aspect en quelque sorte mercantile : il faut sans doute y voir un transposition classicisante des solutions caravagesques au service de préoccupations théologiques. Dans ce cadre, le thème de Judith interrogeant Dieu au moment le plus sombre du drame qui se noue introduit la question de l'élection dans l'histoire humaine et son rapport à la Providence. Comment s'étonner, dès lors, de l'estime que Poussin pouvait lui porter? Et comment poursuivre encore plus longtemps la fable de l'imitateur sans génie? Il faut dépasser les réserves de Félibien, sur cette pratique et son invention (« pour quelques curieux », c'est-à-dire des amateurs, collectionneurs), et les appréciations de ses successeurs pour comprendre la complexité d'une personnalité tendue vers la recherche de la simplicité et de la justesse, au service d'une restitution du monde longuement méditée.

S. K., avril 2018

L'annonciation, peinture.
Huile sur ardoise. 18,7 x 14 cm.

Localisation actuelle inconnue.

Historique : collection du maréchal de Créquy, inventaire de 1638 (Salutation angélique sur pierre)? Vente Christie's Londres South Kensington, Old master pictures, 27 février 2004, lot 193 (comme « circle of Alessandro Turchi »); Galerie Ratton-Ladrière (Jacques Stella). Localisation actuelle inconnue.

Bibliographie :

* Jean-Claude Boyer and Isabelle Volf, « Rome à Paris: les tableaux du marechal de Créqui (1638) », Revue de l'Art, 79 (1988), pp. 28, 30-31
La galerie Ratton-Ladrière a fort justement rendu à Stella cette peinture proposée, en Angleterre, au peintre véronais Alessandro Turchi, dit L'Orbetto (1578-1649), également réputé pour sa pratique de la peinture sur pierre. Le type de l'ange est celui de Marthe dans la Conversion de la Madeleine et de la Judith Tronchin ci-dessus, et la Vierge propose l'un des premiers exemples de ces ovales purs que l'on retrouve dans l'Adoration des anges de Lyon (1635) et dans de nombreuses Vierges des premières années en France. La situation chronologique permet d'envisager qu'il s'agisse de l'Annonciation sur pierre que le maréchal de Créquy aura ramenée de son ambassade à Rome (1633-1634), parmi les quelques peintures de Stella, qui l'accompagna sur une partie du chemin du retour, figurant dans son inventaire après décès en 1638.

L'iconographie du tableau a pris une part de mystère par pertes de matière : il manque dans la main gauche de l'ange ce qu'elle présentait à Marie, et que l'autre semblait indiquer. Le secours de la version de Pavie pourrait fournir l'explication, si on considère que couronne et/ou sceptre auraient été peints en or; comme dans tant d'autre exemples, les traces auraient disparu, peut-être grattées par appât du gain.

Le rapprochement supposé s'arrête là, car le traitement du sujet est très différent. Est-ce suggestion du support sombre de l'ardoise? Au grand spectacle de la version de Pavie s'oppose ici une scène intimiste, une rencontre intériorisée évacuant toute interrogration. Gabriel se fait presque timide, la Vierge accepte, le visage serein. L'absence d'éléments de décor souligne encore la volonté de resserrer l'histoire sur la mise en présence des deux personnages. L'artiste semble ainsi insister sur la charge qui pèse sur leurs épaules, singulièrement celles de Marie, qui doit porter Jésus, comme pour souligner plus particulièrement le destin tragique de celui-ci. C'est donc à une méditation originale que nous invite ce petit tableau de dévotion, témoin de la singularité de son auteur.

Sylvain Kerspern, avril 2018

L'annonciation, 1631. Huile sur lapis-lazuli.
Pavie, Museo Civico.
La lapidation de saint Étienne, peinture.
Huile sur cuivre. 43,6 x 31,6 cm.

Signé en bas à gauche, sur le chapiteau : Stella f.

Cambridge, Fitzwilliam Museum (PD.387.1995, don des amis du Museum avec les contributions du Cunliffe Fund et des Galleries Commission/Victoria and Albert Purchase Grant Fund).



Historique : vente Drouot Paris, salle 4 (Ader-Tajan, Éric Turquin expert), 20 décembre 1993, lot 222 (« École florentine vers 1620. Suiveur de Cigoli. »). Galerie Francesco Baroni, 1994. Londres, Daniel Katz, acquis par le musée en 1995.



Bibliographie :

* cat. expo. Lyon-Toulouse 2006 (S. Laveissière dir.), p. 115, cat. 53

* Sylvain Kerspern «L’exposition Jacques Stella : enjeux et commentaires», site La tribune de l’art, mis en ligne le 29 décembre 2006 (en regard de la figure 4)
La réapparition de ce cuivre est récente, avec une situation dans la suite de Ludovico Cardi dit Cigoli (1559-1613), peintre florentin, qui n'est pas si aberrante. Le rendre à Stella n'était pas pour autant simple.

Sylvain Laveissière (2006) fait judicieusement le lien entre Saül, jeune homme assis tout à droite au second plan, et Semiramis (ou plutôt Bérénice) et, pour le personnage principal, avec la bonne mère du Jugement de Salomon de Vienne. Il me semble que les rapprochements les plus nets sont à faire avec l'Allégorie sur l'agonie de Scipion Borghese, pour la composition, le rapport de la figure humaine avec le décor architectural, les dispositions et les types physiques. En y ajoutant le jeu dansant des drapés, visibles dans la thèse Pallavicino (1632), on peut placer assez précisément cette peinture à la toute fin du séjour romain.

Le sujet est tiré des Actes des apôtres (7, 51-60). Étienne, choisi comme diacre pour seconder les apôtres dans leur mission d'évangélisation, se retrouve jugé dans le Temple. Ses réponses mêlées de critiques virulentes à l'adresse de ses accusateurs exaspèrent l'assistance au point qu'il est saisi pour être mené hors de la ville et y être lapidé. Sylvain Laveissière a noté que Stella suit scrupuleusement certains détails des sources, notamment le fait que le Christ se tienne debout dans le ciel. Les références avancées par l'historien de l'art sont intéressantes, plus par les écarts que par les affinités, au fond.

S'il ne fait pas de doute que Stella, sur ce thème, s'inscrive dans la tradition classique de Carrache ou du Dominiquin, comme dans l'exemple de Chantilly de ce dernier (ci-contre) clairement débiteur des versions du premier, par le choix d'une gestuelle mesurée et éloquente dans un cadre architectural plus ou moins archéologique, il semble renchérir dans l'érudition et l'étude à partir d'autres compositions de Zampieri, en particulier La flagellation de saint André de San Gregorio Magno, à Rome. Il en reprend le principe d'un fond d'architecture parallèle au plan du tableau devant lequel se détache les personnages, accentuant la ponctuation en frise de la lecture de l'oeuvre. Cette transposition lui permet, au bout du compte, une version profondément originale.

Il faut d'abord noter que sur cette trame, Stella installe un schéma perspectif subtil. L'arche au fronton de laquelle est portée l'empreinte de l'empire romain (S.P.Q.R.) s'appuie sur un pilier formant l'axe vertical de la fuite. De là se déploie sur la gauche une tour semie-circulaire, brouillant la stricte lecture orthogonale et devant laquelle vient encore s'installer la gloire céleste, qui transcende l'espace terrestre. Le secours de l'architecture pourrait ici se vouloir très savant : le lieu régi par la géométrie orthogonale serait celui du monde ancien; celui articulé autour du cercle, le nouveau qu'appelle, après le Christ, son apôtre Étienne. Saül, qui appartient alors encore au premier, est pourtant frappé par la lumière de l'apparition, prélude à son aveuglement sur le chemin de Damas, qui le fera devenir Paul. Des notables juifs au pied de la tour, plongés dans l'ombre, demeurent insensibles à la manifestation divine.

Ceci tient d'une approche quasi mystique, liant géométrie et spiritualité. Sans y renoncer, il faut y adjoindre la logique de l'histoire. Le lieu choisi permet aussi de placer le drame plus nettement que chez Carrache ou Dominiquin au sortir de l'enceinte de la ville : les bourreaux ont fait leur office sans attendre, la porte à peine franchie. Le fait est d'autant plus sensible que son immédiateté s'impose à nous, au tout premier plan, ce qui n'était pas le cas chez les Bolonais. Là se déploie la gestuelle éloquente en un ballet réglé par la divine providence, puisque sa violence ne peut atteindre le martyr, ni sa capacité à pardonner, d'autant plus sensible qu'elle s'appuie sur un schéma spatial élaboré. Dans son rapport aux exemples du Dominiquin, et ses écarts, se perçoit clairement le langage classique que Stella manifeste ici et qu'il va développer avec succès en France.

S.K., Melun, avril 2018

Domenico Zampieri (dit le Dominiquin)
Lapidation de saint Étienne, 1605-1607.
Huile sur cuivre, 55 x 40 cm.
Chantilly, Musée Condé.
Domenico Zampieri (dit le Dominiquin)
Flagellation de saint André, 1608.
Fresque.
Rome, San Gregorio Magno.
La Vierge à l'Enfant, saint Jean et l'agneau,
Jésus pare de fleurs l'agneau présenté par le Baptiste,
peinture.
Huile sur marbre noir octogone. 22,5 x 18,2 cm.

Florence, Palais Pitti, Galleria Palatina.



Historique : collections médicéennes à la villa de Poggio Imperiale (Inventaire de 1881, n°270).



Bibliographie :

* Pierre Rosenberg in cat. expo. Pitture francese nelle collezione publiche fiorentine, Firenze, Palazzo Pitti, 1977, cat. 115

* cat. expo. Lyon-Toulouse 2006 (S. Laveissière dir.), p. 123-124, cat. 59
La redécouverte de cette peinture par Pierre Rosenberg dans les collections de la capitale de la Toscane pouvait laisser penser qu'il s'agissait d'une œuvre remontant au temps de son séjour (1616-1621) mais le style déjà bien affirmé de l'artiste, peu en rapport avec les dessins et gravures de cette époque, en a vite écarté l'idée. Au reste, son inventeur avait proposé en 1977 une situation tardive dans la carrière de Stella, vers 1650. Le canon encore trapu, la souplesse du drapé, la typologie, en particulier le profil de Jean, n'autorisent pas semblable datation, ce que confirme la comparaison avec un sujet proche, la Vierge Beauharnais, datée de 1650 : Stella durcit alors son style sur un mode sculptural, parvenant au monumental. Il restait à préciser entre Rome (1622-1634), Lyon (1635) et Paris (à partir de 1636).

Je me range à l'avis de Gilles Chomer rapporté par Sylvain Laveissière en 2006. La situation à la toute fin du séjour romain, sans écarter le chemin du retour vers Lyon puis Paris, est soutenue par la confrontation avec la Gloire de Vertu (dessin, Louvre, 1633), pour la jeune femme, le drapé, notamment de sa manche, et l'un des enfants proche de Jésus; le profil du Baptiste est, pour sa part, à mettre en relation, entre autres, avec celui de l'un des grands anges de l'Adoration des anges de Lyon (1635).

De fait, le tableau florentin est, à ce jour, le prototype d'une composition que Stella a répétée à plusieurs reprises (Montréal, Musée des Beaux-Arts et naguère Galerie Éric Coatalem pour la version à trois personnages, version plus ample plus bas) : l'enfant Jésus y pare d'une couronne de fleurs l'agneau que lui présente son cousin. Ici, la Vierge n'est que spectatrice, même si elle a pioché dans le panier sur la table ce qu'elle va ensuite donner à son fils. Notre peintre a construit son histoire sur une diagonale alignant les protagonistes et l'animal, docile mais qui semble nous regarder, au sein de laquelle seul Jésus est réellement actif. En couronnant le symbole de son sacrifice, il présage ainsi de son triomphe sur la mort, et par son engagement, manifeste l'acceptation d'un tel destin funeste. Aucune angoisse, au demeurant, même si la Vierge peut sembler songeuse et saint Jean interrogateur : Stella se fait le vecteur d'un foi confiante, que devait agrémenter et souligner un rideau fait d'or.

S.K., Melun, septembre 2020

La gloria di virtu, 1633.
Dessin. 39,5 x 26,5 cm.
Louvre
L'adoration des anges, 1635.
Toile, détail.
Lyon, Musée des Beaux-Arts
Le jugement de Salomon, peinture.
Huile sur toile. 112 x 161 cm.

Vienne, Kunsthistorisches Museum.



Historique : acquis en 1795 comme de Nicolas Poussin et gravé comme tel par Karl Agricola (1779-1852); catalogué en 1837 comme de Jacques Stella; mentionné par Jean-Marie-Vincent Audin dans son Manuel complet du voyageur en Allemagne, Paris, 1850, p. 543 (dans la 7è chambre de la Galerie du Belvédère sous un plafond de P. Veronese).
Bibliographie :

* Sylvain Kerspern, «Jacques Stella ou l’amitié funeste», Gazette des Beaux-Arts, octobre 1994, p. 128 (fig. 21), 129.

* Sylvain Kerspern, «Anniversaires», site dhistoire-et-dart.com, octobre 2005.

* cat. expo. Lyon-Toulouse 2006 (S. Laveissière dir.), p. 112-114, cat. 52

* Thuillier 2006, p. 115-117

* Sylvain Kerspern, «L’exposition Jacques Stella : enjeux et commentaires», site La tribune de l’art, mis en ligne le 29 décembre 2006

* Sylvain Kerspern, Les Stella : suppléments aux catalogues de 2006. Jacques Stella, Portement de croix, site dhistoire-et-dart.com, mise en ligne le 30 avril 2008 (retouches 2012 et 2014).

* Sylvain Kerspern, « Jacques Stella par Jacques Thuillier. II. Livre en main : le catalogue des oeuvres, de Rome en France », site dhistoire-et-dart.com, janvier 2009.
Ce tableau figure parmi les ouvrages qui ont pu être donné à tort à Poussin, au cours du XVIIIè siècle. On ne sait qui, au suivant, l'aura rendu à Stella. L'affaire ne fut pas entendue pour autant, et jusqu'à assez récemment encore, le doute fut entretenu parmi les spécialistes de Poussin. Hommage involontaire, peut-être, mais injuste, tant l'investissement de notre artiste est désormais incontestable.

Depuis 1994, j'ai, à plusieurs reprises, souligné l'importance de cette composition par sa place relativement précoce dans son oeuvre. Je l'ai longuement commentée en 2009, pour l'inscrire désormais clairement dans les dernières années du séjour romain. Le voisinage avec la Lapidation de saint Étienne motivé par le rapport au Dominiquin, plus nettement encore avec la Flagellation de saint André de San Gregorio Magno (ci-contre), m'incite à le cataloguer ici.

La disposition en éventail enfermée dans un cercle du groupe des deux mères, commune à l'Allégorie sur la mort de Scipion Borghese (1633) et au Christ au Jardin des oliviers sur pierre (ci-contre), dynamise la composition et ici, participe du dialogue avec le jeune roi, qui donne l'impulsion du drame par son geste. Comme je l'ai précisé en 2009, celui-ci correspond à l'ordre interrompant le geste du bourreau; Salomon a reconnu la bonne mère, inquiète de voir son enfant tué au point d'accepter de voir sa rivale l'emporter. Tous les personnages participent à l'évènement, jusqu'aux spectateurs autour du roi, près des suppliantes ou qui s'approchent depuis le fond, qui tous renvoient le regard du spectateur vers l'action principale et la profonde sagesse qu'elle révèle.

Comme dans la Lapidation de saint Étienne, la dramaturgie s'inscrit dans un cadre architectural monumental : temple, rotonde, obélisque, arcade forment, si j'ose dire, la toile de fond scandant une action déployée dans la largeur. L'exemple de Dominiquin - une admiration partagée alors avec Poussin, et qui pour ce dernier ne fut pas payée de retour dans l'affaire Valguarnera - est ici capital, par le rapport entre les traces imposantes de la civilisation et le déploiement de la condition humaine.

Il ouvre ici une suite de compositions majeures dans sa carrière, notamment Le mariage de la Vierge (Toulouse, Musée des Augustins - ci-contre), carton de tapisserie pour Notre-Dame, Sainte Anne et Saint Louis (Rouen, Musée des Beaux-Arts et Bazas, Cathédrale), pendants pour Saint-Germain et le roi, La libéralité de Titus pour le château de Richelieu, le Christ enfant retrouvé par ses parents dans le Temple pour le Noviciat des Jésuites (Les Andelys, Notre-Dame) et un certain nombre de peintures de cabinet tel que Sainte Hélène faisant transporter la croix (1646), aujourd'hui perdu, ou l'Enlèvement des Sabines (Princeton).

C'est aussi ce qui l'a conduit à pratiquer ce que l'on appelle la peinture d'architecture, genre paysager pour lequel Félibien souligne sa grande pratique et pour lequel il peut figurer parmi les plus illustres représentants en France, dans la suite d'un Antoine Caron et au même titre, parmi ses contemporrains, qu'un Jean Lemaire, un Rémy Vuibert ou un Laurent de La Hyre.

Tout cela participe d'une ambition humaniste désireuse de restituer le monde ancien au bénéfice de méditations modernes. De ce point de vue, le souci historique ne se limite pas aux édifices mais se ressent également dans l'attention au costume et au drapé, dans ce tableau ou dans la Lapidation, peut-être pour la première fois aussi complétement. Plus que le cuivre de Cambridge, sans doute, au statut d'oeuvre pour amateur, le Jugement de Salomon manifeste les ambitions d'un peintre complet, propre aux grandes entreprises, que cela se fasse en Espagne, comme il l'avait projeté, ou en France, comme cela sera, au bout du compte, le cas. Qu'il ait pu être donné à Poussin jusqu'à récemment nous assure du moins de son statut de chef d'oeuvre, incontestable.

S.K., Melun, juin 2018


Christ au Jardin des oliviers.
Marbre. 28 x 23 cm.
Localisation inconnue (voir ici)
Le portement de Croix, dessin.
Plume, encre brune, lavis gris, rehauts de blanc.
Paraphe de Dezallier d'Argenville à la plume et encre noire en bas à gauche à la suite du numéro d'ordre dans sa collection, 1676 (plutôt que 1686?); au milieu, annotation P. Champagne Loncle, puis, à l'encre rouge, esquisse (?); tout à droite, marque de Lise Bicart-Sée.
29 x 19,3 cm.

Louvre, Département des Arts Graphiques, Cabinet des dessins, Inv. RF 54770.

Historique :
Coll. Antoine-Joseph Dezallier d'Argenville (1680-1765) (Lugt 2951); sa vente, Paris 18 janvier 1779 (Rémy expert)? (partie du n° 244? du n°329?) . Vente Christie's Paris, 15 novembre 2006, n°103 (Ecole française, début 17ème siècle); acquis par Lise Bicart-Sée; don au Louvre en 2010.

Bibliographie :

* Sylvain Kerspern, «L’exposition Jacques Stella : enjeux et commentaires», site La tribune de l’art (illustration 10), mis en ligne le 29 décembre 2006.

* Sylvain Kerspern, Les Stella : suppléments aux catalogues de 2006. Jacques Stella, Portement de croix, site dhistoire-et-dart.com, mise en ligne le 30 avril 2008 (retouches 2012 et 2014).

* Dominique Cordellier, notice de l'acquisition du dessin in La Revue des musées de France. Revue du Louvre, 2011-2.

* Sylvain Kerspern, La question de l’influence en art., site dhistoire-et-dart.com, avril 2014.

Ce dessin a un pedigree intéressant, puisqu'il a appartenu à Antoine-Joseph Dezallier d'Argenville, l'un des plus illustres connaisseurs du XVIIIè siècle. Le travail de Lise Bicart-Sée et Jacqueline Labbé (La collection de dessins d'Antoine-Joseph Dezallier d'Argenville, Paris, 1986) mériterait d'être exploité pour évaluer la justesse des attributions portées sur les feuilles de sa collection, qu'il en soit l'auteur ou que ce soit son père. On notera tout de même que ce dessin correspond à la description d'une des techniques qu'il associe au nom de Stella (p. 296-297) : certains, selon lui, « sont arrêtés à la plume, lavés au bistre ou à l'encre de la Chine, & rehaussés très proprement de blanc au pinceau. ».

J'ai publié la feuille dans La tribune de l'art, puis à nouveau sur ce site, par deux fois. Je ne défendrai pas une troisième fois une attribution qui s'impose en regard des ouvrages présentés sur cette page. Je souhaiterai simplement ajouter aux références citées le possible exemple de Cigoli via son Noli me tangere de San Miniato, que Stella pouvait avoir vu lors de son séjour en Toscane, sans doute inspiré de Michel-Ange via Bronzino (Louvre). Voilà qui nous extrait décidément d'une stricte descendance de Caron, et nous ramène à la culture dont Stella pouvait disposer en Italie. Le détail du Jugement de Salomon présenté ci-contre complète le contexte probable de cette feuille. Cette référence pourrait conduire à privilégier la Madeleine dans la jeune femme qui se jette aux pieds du Christ sur le chemin du Golgotha.

Le parti architectural complexe doit découler de l'impératif de la commande, pour un tableau en hauteur. Stella adapte ici, une fois encore, le parti du Dominiquin pour La flagellation de saint André en installant des spectateurs dans une architecture surplomblant la scène, sur une trame voisine quoique simplifiée, au bénéfice d'un effort de clarté et de mesure poursuivi en France dans La libéralité de Titus de Cambridge (USA) (vers 1641-1642). La partie droite, quant à elle, est un prétexte au déploiement érudit du vocabulaire architectural plus Renaissance, me semble-t-il, que véritablement antique, exercice que Stella répétera avec plus de rigueur archéologique dans la Sainte Hélène (1646), en particulier.

Quoiqu'il en soit, il sert aussi à baliser le parcours par lequel le Christ s'apprête à sortir de Jérusalem. Sur ce chemin, il est accompagné par deux enfants qui semblent regarder derrière eux un motif que l'état de la feuille ne rend pas évident de prime abord. Il doit s'agir d'un chien qui s'élance. Pour tout autre que Stella, sans doute, le détail serait incongru, sinon inconvenant. On retrouve semblable interaction dans l'un de ses Jeux et plaisirs de l'enfance, via l'estampe gravée par sa nièce Claudine. Ici, il doit redoubler la fidélité, dont le chien est l'emblème, manifestée dans les heures les plus sombres par la Madeleine.

Par-dessus tout, le motif souhaite inscrire le drame dans un quotidien qui parle aux contemporains. L'insertion d'un thème de l'enfance au moment de la rencontre du cortège de Jésus et de la Vierge, accompagnée de l'évangéliste Jean et de la Madeleine, apporte d'autres résonnances également suggestives d'un état d'esprit de compassion proposé au spectateur. Malgré un état médiocre, cette feuille atteste donc d'ambitions complexes, sans doute à destination d'un commanditaire faisant partie de sa clientèle savante à Rome.

S.K., Melun, juin 2018

Ci-contre : Lodovico Cardi (dit Cigoli)
Noli me tangere, 1605-1607.
Bois. 290 x 156 cm.
San Miniato, chiesa del conservatorio di Santa Chiara.

La libéralité de Titus, Harvard University, Cambridge.

Sainte Hélène, 1646.
Sainte famille, sainte Élisabeth, le petit saint Jean et un agneau, peinture.

Huile sur ardoise (?).

42 x 40 cm

Historique :
Vente Namur 11 décembre 2011, lot 578 (« 18è siècle, scène religieuse »); galerie Éric Coatalem; coll. part.
Le passage de l'œuvre en vente en Belgique m'a été signalé par Pierre-Yves Kairis, et je l'en remercie. L'attribution à Stella ne saurait faire de doute. Il suffit de rapprocher, par exemple, la Vierge de celle de l'Adoration des anges (1635) de Lyon, et de tant d'autres Vierges de sa main, ou encore de la Gloire de vertu (Louvre, 1633), pour s'en convaincre. La mention du tableau pour les Cordeliers donne un indice chronologique, que l'on peut compléter d'autres types féminins dans cette page (Judith du tableau Tronchin, ange de l'Annonciation Ladrière, Agathe visitée par saint Pierre...); on peut aussi évoquer, pour les enfants, les amours de la gravure pour l'accademia Parthenia (Arcanis nodis avec Neptune, détail ci-contre, plus bas), et souligner la calvitie de Joseph à laquelle Stella ne semble avoir jamais recouru à Paris, en sorte qu'une situation dans les toutes dernières années à Rome est très vraisemblable, sans exclure un débordement sur les premiers temps en France, notamment à Lyon, puisque le père de Jésus, dans l'ombre de l'Adoration des anges, semble bien dégarni.

Le sujet pourrait passer pour une scène familiale, réunissant Jésus et ses parents, le petit Jean-Baptiste et sa mère Élisabeth, cousine de Marie, autour d'un agneau que Jésus orne de fleurs; c'est évidemment ce dernier qui donne une valeur spirituelle au tableau, incarnation de l'agneau du sacrifice et prélude à la mort et la résurrection du Christ. En ce sens, le fait de l'orner de fleurs suppose une référence au printemps, cadre chronologique tout autant que symbolique de la Passion.

J'aimerais insister ici sur deux détails. Le choix de la fleur dont se saisit la Vierge n'est sans doute pas anodin : il s'agit d'une tulipe, plante qui fait alors l'objet d'une fascination propice aux folies des collectionneurs, sans doute par sa capacité d'hybridation qui permet d'en développer quasi à l'infini les variétés. Son importation d'Asie Mineure et son acclimation en Europe est pourtant encore récente, remontant à la seconde moitié du XVIè siècle. La tulipomanie est signalées partout au suivant, particulièrement en France et aux Pays-Bas, source même d'un krach et d'un effondrement du marché dans ce pays en 1637.

On sait que les fleurs ont volontiers un sens symbolique, mais on peut se demander si c'est le cas ici. Certes, il peut s'agir d'orner l'agneau, symbole du Christ, d'une variété particulièrement recherchée, donc chère, comme d'une couronne précieuse, au même titre que les fameux rideaux d'or dont Stella avait le secret. On peut aussi se demander s'il ne s'agit pas d'une discrète allusion au commanditaire, possible amateur de cette essence. La lecture de l'ouvrage d'Antoine Schnapper (Le géant, la licorne, la tulipe, Paris, 1988) nous éclaire sur les milieux concernés, à Rome, tout en soulignant la réputation qu'avait, en la matière l'érudite personnalité de Nicolas Fabbri de Peiresc.

Le deuxième détail concerne Joseph : sa pose témoigne avec un grand naturel de sa curiosité qui le pousse à regarder par-dessus les épaules de Marie l'activité des enfants, en s'appuyant sur la table. Il relève de la poésie propre à Stella, recherchant la justesse du geste familier au spectateur. Il s'inscrit encore dans la profondeur, comme en d'autres ouvrages de cette période, par une oblique qui contribue à creuser l'espace et à mettre en évidence le fort clair-obscur à partir du support.

La vraisemblance de l'image est telle qu'il est possible de restituer le déroulement de la scène. Élisabeth et son fils ont apporté une corbeille de fleurs et de fruits et un agneau. Pour le présenter à Jésus, Jean a déposé sa petite croix ornée de sa traditionnelle banderolle désignant en son cousin l'agneau de Dieu, que celui-ci a commencé de couronner. Joseph a abandonné son activité en cours pour assister au spectacle, tandis que Marie, songeuse, se saisit d'une tulipe. La mère du Baptiste la regarde, comme Jean regarde Jésus. Ainsi, par un jeu de regards, c'est vers la Vierge et son fils que se concentre l'attention, autour du thème de la Passion future. À nouveau, sous l'apparence d'une charmante scène d'enfance, l'œil averti découvre une méditation spirituelle grave.

S.K., Melun, juin 2018

Johann Friedrich Greuter d'après Stella, gravure, Arcanis nodis, détail. BnF
Bacchanale Magnin, peinture
Huile sur toile. 20,5 x 33 cm.

Dijon, Musée Magnin (Inv. 1938E528).

Historique :

Collection Maurice et Jeanne Magnin, cat. ms. 1938 (anonyme XVIIè s.)

Bibliographie :

* Arnauld Brejon de Lavergnée, Dijon, musée Magnin. Catalogue des tableaux et dessins italiens (XVe-XIXe siècles), Paris, 1980, n°128 (« École Italienne (?), XVIIe siècle »).

* Sylvain Kerspern «L’exposition Jacques Stella : enjeux et commentaires», site La tribune de l’art, mis en ligne le 29 décembre 2006 (après la figure 29)

C'est à juste titre qu'Arnauld Brejon de Lavergnée, en 1980, s'est interrogé sur le caractère italien de cette Bacchanale, penchant plutôt pour une piste française et citant la suggestion de Pierre Rosenberg d'évaluer une piste en faveur de Nicolas Chaperon (1612-1654?). Pour ma part, le détail des petits satyres se disputant un masque (ou plutôt d'un amour en effrayant deux avec), qu'il met en avant dans cette perspective, m'ont conduit à envisager l'attribution à Jacques Stella, proposée dans ma recension de l'exposition de Lyon en 2006.

L'audace alors concédée à cette proposition tenait autant au sujet, peu attendu pour le supposé « peintre des Jésuites », que parce qu'elle me semblait devoir rester prudente. Elle garde une part d'incertitude encore aujourd'hui, à mes yeux, en raison d'une condition médiocre et d'un coloris qui, en l'état, peut dérouter; mais un certain nombre déléments m'incitent à l'intégrer ici, par leur caractère circonstanciel cohérent.

En 2006, j'ai fait le lien avec le dessin allégorique sur l'agonie du cardinal Borghese (Louvre, 1633). J'y ajoute ici (ci-contre) ceux avec La lapidation de saint Étienne pour les mêmes raisons de dispositions et de typologie, en particulier les anatomies masculines plus dansantes qu'athlétiques, comparables à la statue de Bacchus, ou les arcades sourcilières expressives, tombantes, qui laissent aussi filtrer une tension assez passagère chez Stella puisqu'elle ne reviendra que dans ses dernières années. Les nuées présentent le même caractère effilé et évanescent que celles de l'Andromède Petithory (Bayonne, Musée Bonnat-Helleu), cataloguée plus haut.

On peut aussi se demander si l'atmosphère générale ne pourrait pas être mise en relation avec le voyage du retour de Rome. Confronté notamment aux exemples de l'école de Venise, il aurait pu s'essayer à un sujet dont il semble avoir eu moins de pratique qu'un Poussin, recourant ici à un motif qu'il va bientôt transposer à sa veine religieuse, pour des Vierges ou des Saintes familles, un enfant attirant par la nourriture un animal portant un congénère; ou donnant l'embryon d'un de ses jeux de l'enfance, dans la suite du Triomphe d'Ovide. Le thème dans lequel ce dernier détail s'inscrit le captive depuis toujours et apparaît encore dans le dessin d'Orléans mentionné en 2006 (ci-contre plus bas), qui en donne, lui aussi, un version païenne sinon antiquisante.

Le format est modeste, et la facture semble peu travaillée. On peut aussi bien envisager une sorte de pochade d'invention telle que suggérée par le contexte du retour en France, qu'un bozzetto pour une composition de plus grande envergure. Si l'attribution trouvait pleine confirmation, elle élargirait décidément l'horizon passablement borné donné à la création de Jacques Stella.

S. K., juin 2018

Saint Pierre soignant sainte Agathe en prison, peinture
Huile sur ardoise. 24,5 x 31,5 cm.

Localisation actuelle inconnue

Historique : Oberlin (Ohio), coll. part. en 1984 (Rosenberg 1984).



Bibliographie :

* Pierre Rosenberg, « France in the Golden Age : a postcript », Metropolitan Museum Journal, vol. 17 (1982), p. 35, fig. 11
En publiant cette peinture qui lui a été signalée par Richard E. Spear, Pierre Rosenberg l'a fort justement situé vers 1635. Les relations avec la Judith Tronchin, pour la jeune femme, ou L'adoration des anges de Lyon (1635), pour Pierre et son assistant confirment une inscription dans cette période charnière entre Rome, Lyon et Paris. Le thème semble plus spécialement traité par les artistes italiens (Veronese, Turchi, Caracci, Procacini, Vouet en Italie...), ce qui irait dans le sens d'une réalisation à Rome dans les derniers temps de sa présence. Stella pourrait en avoir donné une autre version, un peu plus grande (env. 38 x 54 cm.) et sur toile proposée à la vente Collet le 14 mai 1787, s'il y a bien confusion entre Apolline et Agathe; le tableau est alors acquis par l'expert de la vente, Jean-Baptiste-Pierre Lebrun.

Stella représente l'apparition miraculeuse de saint Pierre venant soigner Agathe dans sa prison, dans la nuit suivant les premières épreuves infligées par ses bourreaux, lors de son martyre intervenu vers 251 en Sicile. Quintien, consul et gouverneur de l'ïle, lui fit arracher les seins, justifiant l'image que notre artiste en avait donnée dans ses camayeux. Le sujet est propice aux effets de clair-obscur, encore renforcé par le support sombre de l'ardoise.

Dans une iconographie assez rare, malgré tout, Stella se distingue notamment des exemples de Lanfranco (vers 1614, Parma, Galleria Nazionale) ou de Turchi (également sur ardoise, vers 1640, Baltimore, Walters Art Museum), et d'autres, par l'intériosiation des personnages les isolant chacun dans leur univers mental; aucun d'eux n'échange de regard et la seule communication entre eux est matérialisée par le geste de l'ange tendant un bol d'eau dans lequel Pierre vient tremper le linge pour soulager Agathe.

Cette dernière, le regard dans le vague, la main tendue, semble même ignorer la présence physique des personnages et témoigner d'une apparition, qu'elle nous invite à partager. Aussi, plutôt que d'y voir une forme d'incommunicabilité entre les êtres, il faut tout au contraire y lire l'incitation faite au spectateur à pareillement intérioriser l'histoire, et à méditer sur le secours face au drame plus qu'à céder aux émotions. L'alliance de ce jeu sur le visible et de l'attention à la gestuelle familière qui guérit ici la martyre signe sans ambiguïté l'invention de Stella.

S. K., juin 2018

Giovanni Lanfranco. Toile, 100 x 132 cm. Vers 1614. Parma, Galleria Nazionale Alessandro Turchi. Ardoise, 35 x 50 cm. Vers 1640. Baltimore, Walters Art Museum
Sainte Famille et saint Jean-Baptiste dans un paysage, gravure anonyme publiée par François de Poilly
Dessin ou tableau perdu.

Gravure chez François de Poilly. 30 x 35,5 cm.
Au bas à droite : F. Poilly ex. Cum.Priv.Reg.
Exemplaires : BnF (Da 20 fol., Ed 49b...)

Bibliographie :
* Robert Hecquet, Catalogue de l'œuvre de F. de Poilly, graveur ordinaire du roi, Paris, 1752, p. 21 (sans nom de peintre)
* Pietro Zani, Enciclopedia metodica critico-ragionata delle belle arti, Parma, 1817-1824; Partie II, Vol. 6, p. 91 (Giacomo Stella / scuola del Poilly)
* Pierre-Jean Mariette, Abecedario pittorico de P.-A. Orlandi et autres notes manuscrites, partiellement publiées par Montaiglon et Chennevières en 1853-1862; t. V, 1858-1859, p. 261-262.
* José Lothe, L'œuvre gravé de François et Nicolas de Poilly, Paris, 1994, n°201 p. 130-131 (sans nom d'auteur)
* Marie-Thérèse Mandroux-França et Maxime Préaud, Catalogues de la collection d'estampes de Jean V, roi du Portugal par Pierre-Jean-Mariette, Lisbonne-Paris, 1996, t. II, p. 220.
On peut reconnaître cette gravure dans la description faite dès le XVIIIè siècle par Hecquet, dans son ouvrage consacré à l'œuvre du graveur Poilly mais il avoue son ignorance du peintre. Zani, au début du suivant, est plus succinct mais non moins explicite et donne cette fois pour inventeur Stella. Il se peut qu'il s'appuie sur l'autorité de Mariette, qui pourrait décrire l'image, malgré l'omission de Joseph menant l'âne, il est vrai peu visible au lointain : « La Ste Vierge assise sur une colonne renversée, ayant sur ses genoux l'enfant Jesus, qui pose sa main sur la teste du jeune St Jean, qui approche de lui avec respect. Cette piece, beaucoup mieux dessinée qu'elle n'est gravée, a eté executée au burin par un anonyme d'après Jacques Stella, elle est singuliere ».
La publication au XIXè siècle de ses notes, qui met en regard les deux catalogues de gravures constitués pour le Portugal et l'Autriche, en donne un curieux et passionnant commentaire. Mariette semble d'abord renseigné à son sujet par Antoine Bourlat (vers 1700?-1777), amateur d'art et en particulier de gravures, qu'il a notamment collectées en Italie. Celui-ci a rapporté un exemplaire de cette estampe de Gênes où, dit-il, il passe pour une œuvre de Bernardo Strozzi. Dans un deuxième temps, Mariette le rectifie en signalant que l'image figure dans le recueil de l'œuvre des Stella assemblé par Claudine qu'il a eu entre les mains; il rend donc l'invention à Jacques, en Italie.
Toutefois, un doute subsiste sur l'identification avec l'estampe commentée par l'amateur. Outre une certaine approximation dans la description, Mariette peut-il avoir occulté l'inscription faisant de Poilly l'éditeur avec privilège du roi, donc en France, à partir de 1657? Existe-t-il un état dans lequel elle ne figure pas, ce qui expliquerait ses interrogations initiales, et le fait qu'il envisage que le dessin ait été gravé en Italie? D'autant qu'il estime l'estampe mieux dessinée que gravée, ce qui semble sévère.

Au demeurant, dans son catalogue de Poilly, il cite clairement, cette fois, notre gravure comme « des premières manières du dit sieur; elle ne me paraît pas entièrement gravée de lui et tient un peu de la manière de Nicolas son frère », sans doute en raison d'une impression de « couleur un peu plus douce et plus harmonieuse ».

Pour autant, la gravure que François se charge d'éditer est indiscutablement d'après Stella : le type physique de la Vierge, fin ovale au nez long et droit, figure parmi ceux qui lui sont propres, de même que l'arrangement de sa pose sinon du drapé. Pour ancrage, notamment, on peut citer le dessin de la Gloria di virtú, fait à Rome en 1633, et la Sainte famille signée et datée de 1637.

Le goût pittoresque du paysage et le parti de montrer un Joseph au lointain en proie à une certaine agitation auprès de l'âne - sa chevelure au vent en témoigne - laisse croire, en effet, que la composition soit encore marquée par l'expérience italienne, suivant un esprit qui se perçoit aussi dans la Nativité de Lyon (1635). La peinture la plus proche est peut-être Saint Pierre soignant sainte Agathe cataloguée ci-dessus, en particulier pour son drapé. Le parti d'associer structure pyramidale à une échappée latérale vers un horizon lointain se retrouve dans la susdite Sainte famille de 1637 mais aussi dans la Bérénice/Semiramis de la même année, de Lyon. Situer l'invention durant cette phase de transition entre Rome et Paris semble donc s'imposer, en attendant que le dessin ou le tableau reparaisse et permette éventuellement d'être plus précis.

Cet ascendant italien se retrouve dans un tableau reprenant l'essentiel de notre composition dans le même sens, avec d'infimes variantes (bandeau, manteau, amorce d'une pyramide sur la gauche...), attribué à Reynaud Levieux (1613-1699) (marché d'art), dans un coloris effectivement plus sourd et proche de sa palette que de celle de Stella.

S. K., janvier 2020

Nativité, 1635 Saint Pierre soignant sainte Agathe
Bérénice, 1637 Sainte familly au Lys, 1637
Attribué à Reynaud Levieux.
Toile, 94,5 x 125 cm.
Marché de l'art
(Halte pendant) La fuite en Égypte, peinture
Huile sur lapis-lazuli et ardoise. 11 x 9,5 cm.
Signé et daté au dos : Jac. (...)/Stella/Lugdunensis/(...?)1636 (?)
Collection particulière.

Historique : Marché de l'art italien en 2013.



Bibliographie :

* Catalogue de la galerie Alessandra di Castro, Lapis-Lazuli - Alberto e Alessandra di Castro, 2013, p. 32-33.

* Sylvain Kerspern, De pierre et d'art III : Jacques Stella, tradition et innovation, répétition et variation en points de Fuite, site dhistoire-et-dart.com, mise en ligne le 10 janvier 2016


Dernière en date des versions italiennes sur lapis-lazuli du Repos pendant la fuite en Égypte réapparues depuis 2012, la peinture de la galerie Castro est aussi certainement la plus tardive. Le modelé beaucoup plus velouté des putti désigne en effet un stade avancé dans le développement de son style, qui incite à la placer à la toute fin du séjour romain, sans exclure tout à fait les premiers temps en France. Il se peut que l'attribution à Stella par la galerie Castro soit consécutive à la publication, en décembre 2012, de la première version, en mains privées.

Dans une autre étude qui lui a été consacrée en 2016, j'ai donné les enjeux constitutifs de sa création, et je me permets d'y renvoyer ici. On y trouvera l'argumentaire selon lequel Stella cherche à y montrer la tension historique propre au sujet, plutôt que de répéter une approche insistant sur la Divine Providence. La remarque peut aussi avoir valeur chronologique, selon ce qui se voit dans cette page du travail à partir de l'exemple d'un Dominiquin et, par-delà Raphaël. Stella envisageant alors de quitter Rome, cela se doublait peut-être de résonnances personnelles, d'autant plus si la peinture fut faite après son emprisonnement. Malgré un état fatigué, cette Fuite en Égypte est un nouveau témoignage précieux pour la compréhension de l'artiste et son évolution, autant que par la méditation qu'il propose.

S. K., juin 2018

Huile sur lapis-lazuli et ardoise. 18 x 12 cm.
Vers 1622-1623
Huile sur lapis-lazuli et ardoise. 12,4 x 9,8 cm.
Vers 1629-1630
Retouche, janvier 2020:
Par l'obligeance de Judith Mann, qui m'a également permis de présenter une reproduction couleurs du Saint Pierre soignant sainte Agathe sur cette page, j'ai appris que le tableau était signé et daté au dos. Malheureusement, l'inscription n'est pas totalement préservée, notamment pour ses chiffres. Je serais tenté de lire 1636, ce qui nous apporterait enfin une œuvre ferme pour cette année. Ce serait déplacer de quelques mois sa place actuelle...

S.K.

Louis XIII présente les Villeroy à l'Église
gravure de Karl Audran d'après Jacques Stella

Dessin perdu.

Gravure par Karl Audran. 32,5 x 41,6 cm.
Au bas au centre, dans un cartouche : Una domus Regi Servit/ Et Uno Deo. De part et d'autre : I. Stella In (à gauche); K. Audran F. (&aagrave; droite)

Exemplaires : BnF (Da 20 fol. p. 107; Ed 26 fol., p. 54; N2)...

Bibliographie :
* Roger-Armand Weigert, Bibliothèque Nationale. Département des Estampes. Inventaire du Fond Français. Graveurs du XVIIè siècle, I, p. 192-193
* Gilles Chomer, «Jacques Stella, Pictor Lugdunensis», La revue de l’art, n°47, p. 87 (fig. 6)
* Yann Lignereux, Lyon et le roi : de la bonne ville à l'absolutisme municipal, 1594-1654, Lyon, 2003, p. 348-351.
* Jacques Thuillier, Jacques Stella, Metz, 2006, p. 122.
Yann Lignereux a identifé les différents protagonistes de cette allégorie. Louis XIII présente à l'Église, trônant sur la gauche entre deux colonnes drapées, Charles de Neufville d'Halincourt et de Villeroy (1566-1642), la main portée sur sa poitrine, accompagné de ses fils en armure Nicolas de Neufville (1598-1685), qui tient la main de son propre fils Charles (1626-1645), et Lyon-François, reconnaissable à la croix de Malte, sur la droite; et leur faisant face et portant habits ecclésiastiques, Camille, abbé d'Ainay (1606-1693), qui deviendra archevêque de Lyon, et son cadet Ferdinand (1608-1690), abbé de Saint-Vandrille. L'âge présumé de Charles, né de l'union avec Madeleine de Créquy, fille du duc de Lesdiguières qu'avait accompagné Stella à son retour d'ambassade, situe la gravure lors du séjour à Lyon en 1635.

On n'aurait sans doute tort de s'appuyer sur cette gravure pour juger du talent de portraitiste de Stella. On peut d'abord identifier la famille Villeroy par les armes figurant sur le bouclier du jeune garçon; ensuite, la ressemblance avec d'autres portraits peut aussi s'expliquer par le fait que Charles (dit Karl) Audran avait déjà traduit le visage de Charles de Neufville dans une gravure publiée dans le Breviarium chronologicum... de Francesco Longo édité à Lyon en 1623; Yann Lignereux publie encore une autre estampe allégorique d'Audran avec les portraits de trois Villeroy, dont Nicolas le fils, qui pouvait pareillement venir en appui pour celle qui nous occupe. Au demeurant, dans celle-ci se trouve encore le profil de Louis XIII, que Stella n'avait sans doute encore pas rencontré. Quoiqu'il en soit, le choix de l'inventeur et du graveur pour les Villeroy semble couler de source. L'estampe est, à ce jour, la plus précoce parmi celles datables qui entérine le changement d'initiale au prénom d'Audran, du C au K : cela confirme le désir de distinguer son travail de celui de son frère cadet Claude, actif dans la ville depuis plusieurs années.

C'est donc la composition d'ensemble qui doit nous occuper. Les soldats du fond sont ceux de la thèse Bagni gravée par Greuter ou ceux derrière le roi dans le Jugement de Salomon. La pose de l'Église et son drapé reprennent la Gloria di Virtù de 1633 (Louvre), qui servira encore en 1637 pour la Sainte famille au berceau vendue en Suède. Ces deux motifs servant d'ancrages marquent aussi l'alliance, soulignée par l'inscription dans le cartouche, entre le service du roi - avec les Villeroy en armure sur la droite - et celui de Dieu - avec les membres de la famille destinée aux charges ecclésiastiques à gauche.

Stella traduit la double nature de cette servitude par les attitudes. Les hommes d'épée s'avancent fièrement derrière Louis XIII, tandis que les religieux sont humblement agenouillés. Un seul des Villeroy ne nous regarde pas, c'est apparemment l'abbé de Saint-Vandrille Ferdinand. Cette exception désigne peut-être le commanditaire, d'autant qu'il s'agit tout de même d'honorer l'Église. Il se peut aussi que cette image ne soit que la partie supérieure d'une page accompagnant une soutenance, ce qui supposerait un autre responsable encore.

Le cadre semble plus palatial que sacré, plaçant la scène hors du temps, ou pour mieux dire, par-delà le temps : le souci de représenter trois générations de Villeroy souligne la pérennité dynastique au service du roi et de Dieu. À ce titre, on peut considérer cette image comme une ébauche de l'allégorie que Stella consacrera à Sublet de Noyers dans une gravure de Rousselet de 1643, par l'intention et les recherches formelles. La comparaison montre l'importance de son évolution sur quelques années, tout en témoignant, dès 1635, d'une forte volonté de mesure et de solennité dans son expression.

S.K., Melun, juillet 2018


Frontispice pour In quinque priora praecepta decalogi
de Stephanus Fagundez, 1635-1640,
publié chez Laurent Anisson à Lyon

Moïse et Aaron gardant les troupeaux reçoivent d'un ange, l'un le caractère de législateur (un rouleau), l'autre celui de grand prêtre (une tiare), selon Mariette.

Dessin perdu.

Gravure par Karl Audran. 33,3 x 22,1 (remploi pour De justitia du même auteur chez le même éditeur en 1641)
Exemplaires : Munich, Bayerisches Staatsbibliothek; Paris, Bibliothèque Sainte-Geneviève; Bibliothèque Mazarine; BnF...

Bibliographie :
* Roger-Armand Weigert, Bibliothèque Nationale. Département des Estampes. Inventaire du Fond Français. Graveurs du XVIIè siècle, I, p. 204-205
* cat. expo. Lyon-Toulouse, 2006, p. 40.
* Sylvain Kerspern, Biographie de Jacques Stella, site dhistoire-et-dart.com, anno 1639.
Weigert est loin d'être clair sur cette gravure. Il y voit le frontispice d'une nouvelle édition d'un ouvrage publié chez Jacques Cardon à Lyon dès 1626, avec une autre estampe en titre déjà réalisé par Karl Audran (IFF n°275) - plutôt que Claude (1597-1675), son frère. Il donne pour date 1631, en le rattachant à un autre traité du père Fagundez, Apologeticus Tractatus, publié alors à Lyon chez Jacques Cardon, mais apparemment par erreur, car le frontispice de ce dernier est purement architectural. Le sujet de l'ouvrage qui nous occupe est un commentaire des cinq premiers commandements du Décalogue, le second tome, des cinq derniers.

Le frontispice d'Audran, qui depuis son retour en France use du K pour initiale à son prénom, sans doute pour se distinguer de son jeune frère Claude, porte la date de 1640, mais l'éditeur donne pour achevé d'imprimer le 24 décembre 1639. De plus la cession du privilège pour l'édition de l'ouvrage par Cardon, qui se retire alors du métier, à Gabriel Boissat remonte au 17 janvier 1635, soit quelques jours après la signature de Stella au mariage de sa soeur. Il se peut que ce transport signale un projet d'édition le sollicitant dès cette année, mais qui n'aurait pris forme qu'en 1640, sans doute perturbé par la disparition, dans l'intervalle, de Boissat (après le 20 septembre 1637). Au demeurant, Karl Audran pourrait avoir accompagné Stella à Paris (comme Grégoire Huret?), où il grave dès 1637 d'après Simon Vouet (Saint François de Paule).

La gravure, qui serait donc datable de 1635 à Lyon, semble avoir souffert de la précipitation de son auteur. Si elle est lisible, elle ne figure pas parmi ses chefs-d'oeuvre, et on peine à percevoir le style de l'inventeur, surtout en la confrontant aux autres ouvrages des années 1639-1640 (ci-contre en bas le frontispice pour les Oeuvres de saint Bernard, gravé par Claude Mellan en 1640), venant conforter l'idée d'une réalisation plus précoce, vers le temps de l'estampe en l'honneur des Villeroy (ci-contre), au style pareillement un peu raide et encore porté à l'extériorisation dans ses expressions.

Malgré cela, l'envol majestueux de l'ange, le naturel des moutons, le souci archéologique dans certains détails renvoient bien à son art solide, mesuré et éloquent. La comparaison avec les exemples lyonnais en la matière montrent que, comme ailleurs, Stella s'efforce de s'affranchir du schéma traditionnel quadrillant la page en neuf compartiments à partir du modèle de l'arc de triomphe. Il parvient ainsi à produire une image unifiée dans l'espace comme par la narration, efficace et pertinente dans son rapport au livre, encore vulgarisée par la description de Mariette qui y lit : Moïse et Aaron gardant les troupeaux reçoivent d'un ange, l'un le caractère de législateur (un rouleau), l'autre celui de grand prêtre (une tiare).

S.K., Melun, mai 2016 - juin 2018

Charles Audran, frontispice pour Esteban Fagundez, Tractatus in quinque ecclesiæ preceptæ, Lyon, 1626 (remploi de celui de l'ouvrage de Gaspar Sanchez In librum Job..., Lyon, 1625, IFF n°271, encore repris dans la réédition de celui de Fagundez de 1632)
Charles Audran, Louis XIII présente les Villeroy à la Religion, gravure, 1635
Le mariage mystique de sainte Catherine,
peinture (Lyon, église Saint-Paul)

Huile sur toile. 61 x 48,5 cm.

Historique : mentionné dans la sacristie de l'église par Daniel Ternois en 1975. Lyon, église Saint-Paul

Bibliographie :
* Daniel Ternois, « Les tableaux des églises et couvents de Lyon », Actes du colloque L'art baroque à Lyon, Lyon, 1975, p. 236
* Gilles Chomer, «Jacques Stella, Pictor Lugdunensis», La revue de l’art, n°47, p. 89, n.10, repr.
* Jacques Thuillier, Jacques Stella (1596-1657), Metz, 2006, p. 126 (repr.)
J'ai longtemps hésité à propos de cette peinture que je n'ai pas vue, et longtemps suivi l'impression restituée aussi bien par Daniel Ternois que Gilles Chomer en soupçonnant la copie. Certains détails, sur photographie, me laissait pressentir une raideur sinon une pesanteur dans les poses ou les drapés inhabituels. L'entreprise du catalogue raisonné me permet aujourd'hui d'y voir des éléments propres à une période assez brève, entre Rome, Lyon et Paris, qu'éclairent les rapprochements proposés ci-contre; réévaluation qui appelle les réserves d'usage d'un ouvrage connu par cette seule photographie en noir et blanc.

Ainsi, on retrouve l'angelot descendant dans la gravure d'Audran traduisant La Visitation ou L'adoration des anges de 1635 de Lyon, qui montre en sa Vierge une typologie et un air de tête comparables à la sainte Catherine, qui peuvent encore être rapprochées de la bonne mère du Jugement de Salomon de Vienne, lequel, à son tour, propose en la mauvaise un type similaire, leonardesque ou corrégesque, affectée dans le tableau de Lyon à Marie. Le drapé lourd aux plis épais comme le canon robuste en petit format oblige à citer la Sainte famille, sainte Élisabeth, saint Jean et l'agneau des Augustins de Toulouse, que j'ai toujours considérée comme des premières années en France. Tout ceci concourt à placer cette peinture de dévotion durant cette phase particulière de transition, et avec une certaine vraisemblance selon la localisation actuelle, plus précisément en 1635.

Stella choisit de placer cette scène toute doctrinale, le mariage mystique de Catherine d'Alexandrie avec l'enfant Jésus, dans un intérieur monumental doté d'un lourd rideau théâtral, donnant au petit format du tableau un air de grand retable. Pour seules allusions au martyre, conséquence de cette union toute spirituelle avec la parole du Christ, la roue brisée et la couronne de fleurs que vient apporter un angelot peut-être rhabillé par un restaurateur pudibond. À la puissance de la composition, toute latérale, répond un langage expressif encore chargé de sentiment, sensible dans l'humble soumission de Catherine ou le sourire de Marie. Jésus, lui, est tout entier investi dans le passage de l'anneau. Cette réunion, en tout petit comité, sans Joseph ni concert d'anges selon les options des versions ultérieures, mêle ainsi l'intime, encore accusé par l'intériorité des personnages, et le solennel, invitant le spectateur à s'inspirer du comportement de gratitude de la sainte.

S.K., Melun, janvier 2022

Karl Audran d'après Stella, La Visitation, gravure. BnF L'adoration des anges, 1635. Toile, détail. Lyon, Musée des Beaux-Arts.
Sainte Famille, sainte Élisabeth, saint Jean et l'agneau.
Huile sur toile. 90 x 79,5 cm.
Toulouse, Musée des Augustins.
Le jugement de Salomon.
Toile. 112 x 161 cm.
Vienne, Kunsthistorisches Museum
La visitation,
gravure de Karl Audran d'après Jacques Stella

Dessin perdu.

Gravure par Karl Audran. x cm.

Exemplaire : BnF (Da 20 fol. p. 22).
Au bas à gauche, sur la contremarche du seuil : I. Stela Inve.
Dans la marge à droite : K. Audran Fe.


Bibliographie :
* Jean de Bombourg, Recherche curieuse de la vie de Raphael Sansio..., Lyon, 1675, p. 94
* André Clapasson, Description de la ville de Lyon, Lyon, 1741, p. 203-204
* Charles Le Blanc, Manuel de l'amateur d'estampes, Paris, 1854, I, p. 80, n°12 (d'après Mariette)
* Marius Audin et Eugène Vial, Dictionnaire des artistes et ouvriers d'art du Lyonnais, Paris, I, 1918, p. 126-127; II, 1919, p. 239-247.
* Roger-Armand Weigert, Bibliothèque Nationale. Département des Estampes. Inventaire du Fond Français. Graveurs du XVIIè siècle, Paris, 1939, I, p. 171 (citation d'Audin et Vial d'après Mariette, ce qui suppose qu'il n'a pas repéré d'exemplaire)
* Gilles Chomer, «Jacques Stella, Pictor Lugdunensis», La revue de l’art, n°47, p. 86
L'estampe figure parmi les ouvrages d'Audran d'après Stella qu'il signe avec pour initiale du prénom un K. Si j'ai, par le passé, pu envisager de situer la composition dans les dernières années du séjour romain, je suis désormais convaincu qu'une telle signature relève de la carrière française du graveur, en particulier à Lyon où son frère cadet Claude exerce alors aussi.

Ces indications matérielles sont confortées par l'analyse du style de l'inventeur. Des comparaisons s'imposent avec deux ouvrages de cette période charnière. Le premier est le dessin en l'honneur de Scipion Borghese, de la fin de l'année 1633, autant pour les dispositions s'appuyant sur les obliques faisant basculer les personnages y compris par rapport au plan de l'image, que pour la représentation du vieillard à longue barbe, motif qui disparaît lors de la carrière parisienne alors qu'il est encore employé pour Dieu le père dans L'adoration des anges des Cordeliers de Lyon (1635). Cette même peinture offre une gloire d'angelots très proche d'esprit, dans les attitudes et les poses, de celle qui surplombe la rencontre de Marie et de sa cousine Élisabeth, et de leurs époux, futurs parents respectifs de Jésus et de Jean-Baptiste.

Audin et Vial (1919) ont mis la gravure en rapport avec une peinture ornant le couvent de la Visitation de l'Antiquaille de Lyon au XVIIè siècle. Gilles Chomer n'était pas convaincu, soulignant que la lettre ne parle que d'une invention, ce qui désigne plus volontiers un dessin qu'une peinture, et que l'église n'a été consacrée qu'en octobre 1639 (dans l'article de 1980 dans la Revue de l'art, une coquille lui fait écrire 1635). Seul le tableau, apparemment disparu avant même la Révolution, permettrait de trancher. Le format est en tout cas celui d'un retable, au point que la composition a servi pour une peinture dans l'église normande de Grentheville (en sens inverse de la gravure, ci-contre), sans la gloire d'angelots et dans un ensemble sur la vie de la Vierge.

Stella développe ici le médaillon au bas du frontispice du sermon de Cusani, en 1631, lui même inversant la composition des camayeux, mais à trois personnages puisque Zaccharie est absent. Le cadre est identique. Joseph est plus en retrait et surtout, Élisabeth défaille au moment de l'embrassade. Deux servantes dans l'ombre apparaissent derrière le futur père du Baptiste. Le jeu des attitudes et des regards croise les sentiments : Zaccharie baisse les yeux comme la Vierge, tandis que l'empressement attentif gagne Joseph et Élisabeth. Stella mêle ainsi intériorisation et dynamique héroïque, insufflant les éléments du classicisme qu'il va développer et affermir en France.

S.K., Melun, juillet 2018

Allégorie sur l'agonie du Cardinal Borghese, dessin, 1633. Louvre Adoration des anges, toile, 1635. Lyon, Musée des Beaux Arts
K. Audran d'aprés J. Stella, Cum festinatione, gravure, 1631. BnF
La Vierge reine du ciel portant l'Enfant bénissant, dit aussi La conception de la Vierge ou L'immaculée conception
gravure de Karl Audran d'après Jacques Stella

Dessin perdu.

Gravure par Karl Audran. 32,6 x 22,3 cm.

Exemplaire : BnF (Da 20 fol. p. 3); Ed 26 fol. (p.2); Albertina.
Au bas à gauche : J. Stella In.
En bas à droite : K. Audran. Fe.

Dans la marge : Amat Hanc Sapientia Matrem

Bibliographie :
* Karl-Heinrich Heineken, Dictionnaire des artistes dont nous avons des estampes, Leipzig, I, 1778, p. 539
* Giovanni Gori Gandellini, Notizie degli intagliatori con osservazione critiche, Siena, 5, 1809, p. 238
* Charles Le Blanc, Manuel de l'amateur d'estampes, Paris, 1854, I, p. 81, n°74
* Roger-Armand Weigert, Bibliothèque Nationale. Département des Estampes. Inventaire du Fond Français. Graveurs du XVIIè siècle, Paris, 1939, I, p. 172
L'estampe figure parmi les ouvrages d'Audran d'après Stella qu'il signe avec pour initiale du prénom un K. La remarque faite ci-dessus à propos de La visitation, à partir de ce constat, vaut aussi pour cette image. Au demeurant, il suffit de la confronter notamment à L'honore du Louvre (1633), pour le drapé, en particulier et le mode de présentation, Le Jugement de Salomon de Vienne (notice plus haut), pour la typologie féminine à rapprocher de la mauvaise mère sans doute un peu alourdie par le burin, et L'adoration des anges de Lyon (1635), pour celle enfantine, pour cerner aussi précisément la création du modèle traduit par Audran.

Heineken et Gandellini y voient La conception de la Vierge, ce qu'il faut comprendre comme l'image de son Immaculée Conception. S'il ne devient dogme qu'au XIXè siècle, le thème d'origine orientale est encouragé par les papes successifs et ce, d'autant plus, dans le cadre la Contre-Réforme (ou Réforme Catholique) issue du Concile de Trente (1545-1563) qu'il met en valeur Marie, dont le Protestantisme avait limité l'importance. Son iconographie, enveloppe solaire, lune sous les pieds et couronne d'étoiles, est tirée de l'Apocalypse de Jean (12, 1-4).

Stella avait donné quelques années auparavant une version symphonique, si j'ose dire, l'apparition céleste étant accompagnée par un concert d'anges et d'angelots, le tout peint sur lapis-lazuli. Jésus enfant, bénissant, proposait déjà une variante notable au thème traditionnel qui ne montre que Marie, par ailleurs doté d'un sceptre; ce qui peut expliquer le titre particulier donné par Mariette. Il resserre ici le sujet sur la mère et son fils, que soutiennent quelques chérubins mêlés aux nuées, affichant le style mesuré, sculptural qu'il souhaite imposer en France.

S.K., Melun, juillet 2018

Adoration des anges, toile, 1635. Lyon, Musée des Beaux Arts Allégorie de l'honneur, dessin, 1633. Louvre
L'immaculée conception, peinture, 1630.
Passé en vente Paris en 1999
Retouche, juin 2022.
L'église Saint-Martin d'Aillant-sur-Tholon (aujoourd'hui partie de Montholon, Yonne) conserve une peinture manifestement inspirée de la gravure de Karl Audran dont elle respecte le sens, ajoutant dans la partie basse deux angelots tenant un cartel avec une inscription appelant à la protection d'Aillant par la mère de Dieu (CUM.TUUM.PRAESIDIUM - / CONFUGIMUS - / SANCTA.DEI.GENITRIX - / 1642). Compte tenu de l'adoption du K par le graveur pour son prénom dans l'estampe, elle confirme qu'il faut placer son travail entre 1635 et 1642. Je n'exclue pas pour autant une situation au tout début de la production parisienne, ce que ne laisse pas forcément percevoir le texte ci-dessus. La commune, entre Joigny et Auxerre est sur la route de Bourgogne, reliant les deux capitales, celle du royaume de France et celle des Gaules. Elle témoigne en tout cas de la rapide circulation des images alors.

S.K., Melun, 2 juin 2022

(Ci-contre)
D'après Stella et Audran,
La Vierge et l'Enfant protégeant Aillant, 1642.
Toile. 185 x 126 cm.
Aillant-sur-Tholon, église
Catalogue Jacques Stella : Ensemble ; Succès romains, 1622-1632, mosaïque - Table Stella - Table générale
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