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Sylvain Kerspern - dhistoire-et-dart.com
Jacques Stella - Catalogue
Paris, oeuvres datables de 1646-1648


Tables du catalogue : Les débuts de la Régence (1644-1648) - Ensemble
Table Stella - Table générale
Début de mise en ligne le 2 mars 2023 - retouche le 1er avril 2023
Au temps de la Régence. Oeuvres datables de 1646-1648.
Le détail des références bibliographiques, en l’absence de lien vers l’ouvrage consultable en ligne, peut se trouver en cliquant sur Bibliographie.
La Vierge à l'Enfant à la pomme, peinture La Vierge lisant, l'Enfant, st Jean et l'agneau, gravure de Landry Diane chasseresse, peinture La Vierge à l'Enfant à la rose, gravure de Regnesson Saint Augustin, dessin (Louvre) L'astronomie et La sculpture, peintures Prométhée/Pygmalion, peinture
La Vierge allaitant, gravure de van Schuppen Sainte Agnès, peinture L'annonciation, dessin Les Pélerins d'Emmaüs, peinture (Nantes) Le Christ, peinture Allégorie en l'honneur de Louis XIV, dessin Sainte Cécile à la harpe, peinture Sainte Madeleine couchée, peinture
Saint Hyacinthe,
gravure de K. Audran
La Vierge à l'Enfant à la grappe,
gravure de K. Audran
Sainte Famille au lys, dessin (Albertina) Ste Famille, ste Élisabeth, st Jean et l'agneau, peinture La charité, peinture Le Christ à la colonne,
dessin
Le mariage d'Hercule, peinture Alexandre au tombeau d'Achille, peinture
Gravure perdue




Chantelou d'après Stella, Le Christ rédempteur et La Vierge à l'Enfant, gravures Chambray d'après Stella, Cul de lampe, gravure Lochon d'après Stella, Le Christ portant sa croix et La Vierge de pitié, gravures Le mariage mystique de sainte Catherine, peinture Le massacre des Innocents, peintures Le Christ servi par les anges,
peinture
Le détail de certaines références bibliographiques, en l’absence de lien vers l’ouvrage consultable en ligne, peut se trouver dans la Bibliographie.
La Vierge à l'Enfant,
qui lui présente une pomme,
peinture
Huile sur toile. 83,5 x 69 cm. Signée et datée sur la base du pilastre à gauche : « j. Stella fec. [?]/ 1646 [?]

Historique : vente Chamalières le 12 décembre 2009, lot 286. Localisation actuelle inconnue.

Bibliographie : inédit.

La Vierge à l'Enfant à la pomme passée sur le marché d'art auvergnat figure parmi les nombreux ouvrages que Stella a pris soin de signer. L'inscription ne fait pas de doute, si ce n'est pour la date, que je ne lis pas 1644 comme le catalogue de la vente mais 1646; si je ne l'ai pas vue directement et n'ai pas disposé de bonnes reproductions, en particulier de ce détail, raison pour laquelle je ne l'ai pas intégrée à la section des ouvrages datés correspondante, le style me semble confirmer cette date un peu plus tardive que la Sainte Cécile à l'orgue de 1644 et plus proche de la version « chorale » du même concert gravée par Daret, étirant selon une courbe la massivité du drapé du corps féminin. La texture des vêtements propose une consistance sculpturale qui est celle visible dans le Baptême du Christ de 1645. Stella ne renonce pas pour autant à un effet pour le foulard ceignant la tête de la Vierge, strié de petits plis, ni au discret cangiante associant vert et violet pour la manche gauche de la jeune femme.

Stella associe ici simplicité et monumentalité. Sur un schéma pyramidal classique, il instaure un dialogue muet et grave. L'enfant Jésus porte une pomme de ses deux mains à l'attention de sa mère, le regard insistant sinon interrogateur. Marie, yeux presque mi-clos, semble le regard perdu, songeuse, la bouche formant une moue qui suggère la prescience de ce qui attend son fils, son sacrifice futur que manifeste le fruit. Il explore une approche psychologique aux antipodes de l'humeur enjouée que l'on attribue volontiers, Mariette compris, à ses ouvrages. La méditation qu'il offre ici appuie plutôt sur les tourments maternels, confrontés à la fermeté d'âme du Christ, attentif à la dimension humaine de son sujet en délaissant élégance ou péripétie.

S.K., Melun, mars 2023

Sainte Cécile, 1644.
Huile sur marbre. 42 x 52 cm.
Loc. inconnue
Sainte Cécile à l'orgue
gravée par Pierre Daret d'après Stella
BnF
La Vierge lisant, l'Enfant, saint Jean et l'agneau, le Baptiste offre des fruits, gravure de Pierre Landry
Peinture (?) perdue.

Gravure de Nicolas Le Clercq chez Pierre Landry (v. 1630-1701). 40,5 x 50 cm. BnF (Da 20, fol., p. 44).
Lettre :
Au bas au centre : I. Stella pinxit et à droite : P. Landry ex. C.P.Regis
Au dessus, on devine derrière la ronce, sur le bloc servant à l'assise de la Vierge, une inscription calligraphiée que la plante aurait recouverte dans un second temps : Nicolas Le Clercq fecit?.


Bibliographie : Roger-Armand Weigert 1973, p. 192 (Landry 23).

La gravure se trouve dans l'œuvre des Stella à la BnF, et à ce titre, mérite à tout le moins d'être étudiée. Elle est cataloguée par Weigert sous le nom de Pierre Landry, qui n'en est que l'éditeur. Celui-ci semble avoir pris soin de masquer par l'ajout d'une ronce la signature du graveur auparavant visible sur le bloc de pierre qui sert de siège à la Vierge. Par recoupement avec une autre gravure éditée par Landry sans ce « repentir », il est possible de la déchiffrer ainsi : « Nicolaus Leclercq * fecit » (voir ci-contre).

Ce graveur reste un nom obscur. Il n'apparaît pas dans les volumes publiées de l'Inventaire du fond français de la BnF, et mes recherches sur d'éventuelles traces d'archives n'ont trouvé, pour le XVIIè siècle, qu'un peintre et un imprimeur. Outre cette gravure et celle de Braunschweig, Nagler (1851) mentionne encore une autre traduction d'après Henri Watelé, artiste sur lequel j'espère pouvoir revenir. Ces estampes et la collaboration avec Landry situent son activité dans la seconde moitié du XVIIè siècle.

Je ne connais pas d'autre exemplaire que celui de la BnF ni d'autre mention que celle par Weigert, alors qu'on peut soupçonner au moins deux états. Mariette n'en dit mot, apparemment, ce qui peut inciter à la prudence. Toutefois, en espérant que le modèle réapparaisse pour en décider, l'attribution à Stella, pas entièrement convaincante si on ne se fie qu'à la typologie, est soutenue par le travail du drapé, massif, les attitudes et notamment la pose en courbe de la Vierge et le ton classique qui situe par une pyramide au loin la scène lors du séjour en Égypte, cohérent avec une situation assez précise dans son œuvre vers le milieu de la décennie 1640. La confrontation (ci-contre) avec la Sainte Cécile de 1644 et la Vierge à l'Enfant qui lui présente une pomme, que je pense de 1646, va dans ce sens.

L'inspiration est, elle aussi, dans l'esprit de Stella, montrant une fois de plus les deux cousins flanqués d'un agneau et jouant avec des fruits annonciateurs de la Passion de Jésus. Cette fois, pourtant, la Vierge ne participe pas à leurs échanges, ne faisant que poser la main gauche sur le petit bras de son fils tout en poursuivant sa lecture. Le ton est badin, les enfants souriant malgré le double sens, qu'incarne l'enchaînement des corps selon une forme triangulaire depuis Marie jusqu'à l'agneau.

S.K., Melun, mars 2023

Signature masquée du graveur.
Nicolas Le Clercq d'après Henri Watelé, Les noces de Cana
Gravure éditée par Pierre Landry, détail des inscriptions au bas à droite.
Braunschweig, Herzog Anton Ulrich-Museum.
Sainte Cécile, 1644.
Huile sur marbre. 42 x 52 cm.
Loc. inconnue
La Vierge à l'Enfant, 1646?
vente Chamalières le 12 décembre 2009
Diane chasseresse, peinture
Huile sur toile. 61,5 x 50,5 cm.

Historique : vente Sotheby's Paris le 25 mars 2014, lot 110 (« suiveur de Jacques Stella »). Localisation actuelle inconnue.

Bibliographie : inédit.

Voilà un tableau récemment réapparu avec une attribution à l'audace inaboutie. Le rattacher à Stella n'avait rien de l'évidence au regard de la réputation de l'artiste, puisqu'il s'agit d'un sujet mythologique teinté d'érotisme. Le coloris peu profond, avec une palette à dominante secondaire (verts, bruns, gris, jaune orangé) bloquant les deux plages de bleu, peut aussi dérouter. Il participe d'une intention comparable à la tout aussi troublante Clélie du Louvre, atténuant toutefois l'harmonie laiteuse par l'effet de lumière du soir approchant. Il poursuit, ce faisant, une forme d'acclimation à la peinture claire parisienne par émulation décidément sensible alors avec un Laurent de La Hyre. On peut à nouveau convoquer son Enlèvement d'Europe de Houston, qui peut aussi avoir incité Stella à expérimenter le canon de notre Diane et choisir une pose détournant la tête.

Non que je pense que Stella se soit fait disciple de La Hyre : sa curiosité ensemence sa propre création des exemples l'environnant. L'émulation dont je soupçonne le contexte royal matérialisé dans la commande capitale de la Clélie, ne pouvait qu'avoir des retombées, de même, dans un autre registre, que la réalisation de L'enfant Jésus retrouvé dans le Temple pour les Jésuites. Ce sont de grands efforts au cours desquels un artiste affirme ses ambitions d'artiste, épure son style, souvent innove, orientant son art dans de nouvelles directions.

On peut s'étonner du choix, lors de la vente, de placer notre Diane sous la stricte bannière de Stella, mais seulement dans sa suite. En réalité, elle peut s'inscrire dans une dynamique d'ouvrages capitaux de l'artiste. Elle a quelque chose de l'élégance aristocratique de La libéralité de Titus (Cambridge, Mass.), parangon profane de l'Atticisme qui ne peut avoir été peint après 1642, mais sans doute pas beaucoup avant non plus; déroutant au point que Jacques Thuillier n'y sentait pas «la personnalité ou l'unité de style » de l'artiste. Le sous-bois en camaïeu comme la pose de la jeune femme rappelle Minerve chez les Muses (Louvre), du même moment. La Clélie aura été le catalyseur d'une hybridation de ces différentes voies explorées au même moment par l'artiste, préludant, notamment, à un autre grand chef-d'œuvre, Le jugement de Pâris (1650) d'Hartford. Ce constat m'incite à placer cette Diane dans la suite de la Clélie.

Au demeurant, Stella et La Hyre devaient bien se connaître puisque tous deux appartenaient à l'entourage de François Langlois. J'ignore si Laurent a pu amener à Jacques le produit d'une de ses activités favorites, la chasse, mais on ne peut qu'admirer le talent du Lyonnais dans le domaine de la peinture animalière, rendant vivant ce que l'on a coutume de nommer nature morte. Pour autant, le détail n'est pas qu'accessoire. Il situe l'image de la déesse dans un temps précis, après l'une de ses chasses.

Diane s'est installée près d'un cours d'eau faisant cascade. Elle est accoudée sur ce qui semble un filet de chasse soigneusement replié, tenant haut, de l'autre main, un cor de chasse qu'elle va porter à sa bouche, à moins qu'elle ne vienne de l'en retirer, pour avertir ses nymphes. L'esprit est différent de la Diane au repos passée en vente en 1974-1975, plus générique voire abstraite, par son expression pensive. Or les deux versions sont sans doute proches en date; on comprend par là tout à la fois la difficulté à construire une chronologie de l'artiste et sa capacité à conduire simultanément, au long de sa vie, des recherches de grande amplitude pour répondre à des demandes sans doute aussi diverses, conséquence vraisemblable de ce que Félibien appelait son grand amour pour la peinture.

S.K., Melun, mars 2023

Clélie et ses compagnes.
Toile. 137 x 101 cm.
Louvre.
Laurent de La Hyre (1606-1656),
L'enlèvement d'Europe
Huile sur toile. 118,9 x 150,8 cm.
Houston, Museum of Fine Arts.
La libéralité de Titus
Huile sur toile, détail.
Cambridge, Fogg Art Museum, Harvard University Art Museum, don en partie de Lewis G. Nierman et Charles Nierman, et achat en partie du Alphaeus Hyatt Purchasing Fund 1972.
Minerve chez les Muses.
Huile sur toile, détail.
Louvre
Le jugement de Pâris, 1650
Toile, détail.
Hartford, Wadsworth Atheneum, The Ella Gallup Summer an Mary Catlin Summer Collection
Diane au repos
Huile sur toile. Diamère : 144 cm.
vente Paris, palais Galliera, 31 octobre 1974,
puis 7 mars 1975, comme « école de Vouet ».
Localisation inconnue
La Vierge à l'Enfant à la rose,
gravure de N. Regnesson
Peinture perdue.


Gravure de Nicolas Regnesson (1616?-1670). 37,4 x 31,5 cm (feuille de Philadelphie).
Lettre sur le cadre tressé de feuilles de chêne :
De part et d'autres du blason, à gauche : J. Stella pinx. Regnesson fec. et à droite, Cum priuil Regis
Blason aux armes qui pourraient être celles des Courtin d'Ussy (Ecartelé, aux 1 et 4, d'azur, à trois croissants d'or; aux 2 et 3, d'argent, au chevron d'azur, accompagné en chef de deux glands de sinople, et en pointe d'une hure de sanglier de sable)


Exemplaires : BnF (Da 20, fol.); Philadelphia Museum of Art (The Muriel and Philip Berman Gift, acquired from the John S. Phillips bequest of 1876 to the Pennsylvania Academy of the Fine Arts, with funds contributed by Muriel and Philip Berman, gifts (by exchange) of Lisa Norris Elkins, Bryant W. Langston, Samuel S. White 3rd and Vera White, with additional funds contributed by John Howard McFadden, Jr., Thomas Skelton Harrison, and the Philip H. and A.S.W. Rosenbach Foundation, 1985).

Bibliographie :
* Catalogues de la collection d'estampes de Jean V, roi du Portugal par Pierre-Jean-Mariette, éd. Marie-Thérèse Mandroux-França et Maxime Préaud, Paris, 1996, II, p. 219, n°47.
* Maxime Préaud, « Nicolas Regnesson : fondateur d'un réseau parisien de graveurs rémois », Bulletin du Centre de recherche du château de Versailles, 2015, 9mis en ligne le 28 octobre 2015, consulté le 05 janvier 2023.

La massivité du drapé de la Vierge, son port de tête incliné sur un long cou, la complexité de la coiffure de la Vierge à la rose gravée par Nicolas Regnesson la placent dans la seconde moitié des années 1640, par rapprochement, entre autres, avec le Portrait allégorique d'Henri de Condé et la Vierge à la pomme (1646) vendue en 2009 en Auvergne (ci-contre). Il se peut que cette typologie soit une autre conséquence de l'émulation avec Lubin Baugin, ravivant l'admiration de Stella pour l'école de Parme, notamment Corrège, dont témoigne l'inventaire de sa nièce Claudine. Toutefois, plus que la grâce désormais, c'est la monumentalité qu'il recherche.

Nicolas Regnesson, beau-frère de Robert Nanteuil et Rémois comme lui, s'était formé auprès de Jean Ganière en 1637-1640. Il épouse en 1649 la fille de Jaspar Isaac, marchand graveur auprès de qui Karl Audran, proche parmi les proches de Stella, s'était formé trente ans plus tôt. Le milieu de la gravure aura pu favoriser la rencontre de Nicolas avec notre artiste.

Regnesson a assez peu traduit le Lyonnais et il n'est pas sûr que leurs relations aient été bonnes à moins que ses gravures n'aient été faites après 1657 (et avant 1670). Mariette mentionne trois « collaborations » : cette Madone, un regard d'une Vierge et d'un Christ en pendant (que je ne crois pas avoir retrouvé à ce jour) et un Christ de douleur muet sur l'inventeur, incontestable - un tableau en rapport chez Éric Coatalem en atteste -, mais qui en donne le dessin au graveur... Il faut y ajouter la copie de la composition gravée par Le Doyen et Poilly montrant Sainte Marguerite du Saint-Sacrement, forcément postérieure à 1654/1655, tout aussi discrète sur son créateur.

Dans cette gravure, Regnesson ne fait pas mystère de sa source, précisant qu'il s'agit d'une peinture (« pinxit »). Il renchérit avec la simulation d'un cadre à feuille de chêne, qui pourrait aussi renvoyer aux armes du blason, qui montre en 2 et 3 deux glands en pointe. Sa facture correspond aux propos de Mariette rappelés par Maxime Préaud (2015) :

« Leur travail est extrêmement fondu, une couleur douce et harmonieuse règne dans tout ce qu'ils [Regnesson et Pierre Lombart] ont fait, peu de graveurs ayant su arranger leurs tailles avec autant d'égalité, et le passage des ombres aux lumières est ménagé dans leurs estampes avec tant de conduite qu'il y a peu d'ouvrages de cette espèce qui se fassent regarder avec autant de satisfaction. »
Il dit encore du seul Regnesson :
« Le burin de Regnesson est fort moelleux et d'une couleur douce et fort agréable, mais il est sans goût et d'un froid extrême. Ses tailles sont d'une égalité merveilleuse, mais elles sont roides. »
Un tel métier pouvait restituer l'art tout en distance de Stella, que l'on dit aussi volontiers froid, au moins dans sa technique. Si l'absence de pratique préalable du dessin soulignée par Mariette peut avoir nui à une juste restitution des types physiques, un peu « standardisés », le métier laisse percevoir les enjeux de la composition.

L'ouverture vers le paysage situe la scène en Égypte. Sur son rebord est placé le vase, probable exercice virtuose pour le peintre, d'où la Vierge a retiré une rose pour la présenter à son fils. Leur pose est peu fréquente, suggérant que nos deux personnages s'étaient installés pour regarder par la fenêtre avant de s'intéresser aux fleurs. Stella exprime par ce biais toute la dramaturgie du Dieu caché : l'enfant Jésus vient de voir en perspective l'amplitude de son destin, de la protection de la Divine Providence en terre égyptienne jusqu'au sacrifice qu'incarne la rose.
Karl Audran d'après Stella, illustration pour la thèse Du Guay, vers 1645
Gravure. BnF.
La Vierge à l'Enfant, 1646?
vente Chamalières le 12 décembre 2009
Nicolas Regnesson d'après Stella
Le Christ souffrant
Gravure. Albertina.
Le Christ souffrant
Huile sur bois. 31 x 25 cm.
Galerie Éric Coatalem.

Il a posé la main gauche sur le bras qui tient la fleur et s'est tourné vers le spectateur pour le prendre à témoin de sa prise de conscience, qu'il s'agisse de sa mission ou du regard de celles et ceux qu'il vient ainsi racheter. L'artifice du rideau n'en a que plus de poids, comme outil de mise en scène autant que comme évocation de celui qu'un amateur pouvait mettre devant ses tableaux pour en préserver la découverte, soulignant par là-même ce qui pouvait être la propre mission du peintre qu'était Stella et sa façon de l'accomplir, tout en distance et en méditation.

S. K., mars 2023

Un évêque étudiant les Écritures et des anges, dessin
Crayon noir, plume et encre brune, lavis brun et gris. 17,3 x 19,5 cm.
Monogramme à la plume JS entrelacés en haut à droite, au-dessus de la marque R.F. du Louvre.

Annoté à la plume Stella en bas à droite.
Louvre, CAG, Cabinet des dessins, Inv. 32888
Historique :
Coll. Ch.-P.-J.B. Bourgevin de Vialart de Saint-Morys, saisie révolutionnaire; Louvre, Inv. 32888.


Bibliographie :
* Jacqueline Labbé, Lise Bicart-Sée, La collection Saint-Morys au Cabinet des dessins du Louvre, Paris, 1987, p. 539.
* Sylvain Kerspern, « JACQUES STELLA, CATALOGUE Entre Rome, Madrid, Lyon et Paris (1633-1635) (...)Saint Éloi », site dhistoire-et-dart.com, mise en ligne mai 2016, retouches en 2018 et 2020.


Quoique peu commenté, ce dessin ne saurait poser question. Il porte ce qui ressemble à un monogramme aux formes variables dans d'autres feuilles. Je l'ai toujours pensé proche du Baptême du Christ peint pour l'église parisienne de Saint-Germain-le-Vieux, aujourd'hui à Saint-Louis-en-l'Île, autant pour la typologie sensible dans le tableau, signé et daté de 1645, que pour les dessins préparatoires, notamment celui du Minneapolis Institute of Art, qui présente une technique graphique très semblable dans l'alliance des tracés et des lavis (ci-contre). Il m'a tout de même fallu repousser la tentation d'un rapprochement avec le Saint Éloi peint pour Lyon en 1635, suivant la description d'André Clapasson (1741), qui le disait assis accompagné de plusieurs petits anges. Un échange avec Benoît Faure-Jarrosson, qui a retrouvé la quittance de Stella pour cette peinture, m'a ramené à la réalité de l'iconographie, me rassurant au passage sur ma chronologie...

Les mentions anciennes depuis son entrée au Louvre ne se hasardent pas à identifier notre saint évêque. Elles évoquent la possibilité d'une comparaison entre Ancien et Nouveau Testament, motivant l'attitude du personnage posant une main sur deux livres tenus, l'un, par un grand ange, l'autre par un angelot. On peut du moins voir en lui un docteur de l'Église par la combinaison du statut désigné par son vêtement et ses attributs et l'importance qu'il accorde à une littérature nécessairement sacrée.

Le besoin de confronter deux textes pourrait suggèrer Jérôme, responsable de la Vulgate, synthèse des différentes versions de la Bible ayant cours à son époque; mais il était cardinal, dignité qui n'est pas affichée ici. Le plus vraisemblable est qu'il s'agisse de saint Augustin, qui est d'ailleurs au cœur de vives querelles théologiques agitées alors, notamment, par le jansénisme. Son activité dans la controverse l'aura amené à consulter les textes sacrés tel que Stella le représente; en particulier contre le pélagianisme, qui affirmait que le seul libre arbitre dans la pratique du bien accordait le salut, s'appuyant sur un écrit de jeunesse d'Augustin. Celui-ci en avait ensuite relativisé l'importance au regard de la grâce accordée par Dieu, point mis en avant précisément par les Jansénistes.

De fait, il peut être intéressant de confronter notre dessin à la représentation contemporaine du saint par Philippe de Champaigne du Los Angeles County Museum of Art. Chez le Bruxellois, point de population angélique mais le placement entre le cœur embrasé, signe de l'amour divin l'ayant touché, et la vision lumineuse de la Veritas, le distrayant de l'étude du livre : ainsi est mise en scène la primauté de la grâce sur la raison, outil du libre-arbitre, ou plutôt de la subordination de la seconde à la première. Stella inverse cette hiérarchie. Si la présence angélique atteste de la fréquentation des sphères divines, elle se manifeste surtout comme une assistance au travail entrepris par Augustin.

Le baptême du Christ, 1644-1645.

Toile, 1645, détails.
Paris, église St-Louis-en-l'Île

Crayon noir, plume et encre brune et noir, lavis brun et gris.
27,3 x 15,1 cm. Minneapolis, Institute of Art (2012.116.1)

Philippe de Champaigne,
Saint Augustin.
Toile. 78,7 x 62,2cm.
Los Angeles County Museum of Art

Celui-ci n'est pas surpris par la manifestation divine dans le lieu de ses études, mais installé devant un arc classique dont la perspective dynamise son attitude. L'image n'est pas tant théologique que réthorique, sinon archéologique. La technique, très picturale, a chance de préparer une peinture sans doute destinée à une toute autre clientèle que celle, conservatrice, des Jansénistes. Si on ne peut parler de dessin très fini, domaine qui faisait sa réputation selon Dezallier d'Argenville (1745), elle témoigne de son grand talent dans la suggestion des volumes et de la lumière par le recours complexe et subtil aux media mis en œuvre, crayon, plume, lavis, encres diverses...

Sylvain Kerspern, mars 2023


L'astronomie
Toile. 100 x 82 cm.
Luxembourg, coll. part.

La sculpture
Toile. 102 x 100 cm.
Luxembourg, coll. part.
L'astronomie et La sculpture,
peintures.
Historique : Galerie Éric Coatalem, 2005; Luxembourg, coll. part.
Bibliographie
* Marius Audin et Eugène Vial, Dictionnaire des artistes et ouvriers d'art du Lyonnais, Paris, II, 1919, p. 242.
* Sylvain Kerspern, notice Stella in cat. expo. Tableaux français du XVIIè siècle, Galerie Éric Coatalem, 16 novembre-17 décembre 2005, p. 112-117
* Sylvain Laveissière in cat. expo. Jacques Stella (1596-1657), Lyon-Toulouse, 2006-2007, p. 164-165, cat. 93-94.
* Sylvain Kerspern, «L’exposition Jacques Stella : enjeux et commentaires», cat. 93 et 94; site La tribune de l’art, mis en ligne le 29 décembre 2006 (consulté le 9 janvier 2023)
Nota :
Je n'ai pas retrouvé la source précise de la mention en 1786 (?) de 6 tableaux représentant les Génies des arts et des sciences mentionnée par Audin et Vial (1919), qui semble renvoyer à une autre mention manuscrite (aux Beaux-Arts?) : la vérification possible sur Internet du journal Affiches, annonces et avis divers pour cette année s'est révélée infructueuse. La mention telle quelle est donc fautive, et doit rester en suspens.

Réapparues ensemble, nos deux peintures proviennent certainement d'un décor démembré, justifiant les soupçons de réduction, minime, sur les côtés. L'artiste a manifestement souhaité que les activités qu'il montre soient incarnées par un même personnage, un vieil homme barbu au bandeau rouge au long nez droit. Je les ai aussitôt rapprochées d'une troisième peinture aujourd'hui à Oldenburg, Pygmalion/Prométhée et sa statue, sans toutefois en faire nécessairement un nouvel élément de cet ensemble, en raison de la typologie. Je reviendrai sur cette possibilité avec les questions d'iconographie dans sa notice, qui suit. Dans la présente ne seront abordées que les questions de chronologie et de composition.

La découverte de nos deux tableaux a renouvelé considérablement l'appréciation que l'on pouvait avoir de Stella. Il s'agit de peintures mythologiques sur des sujets érudits, voire mystérieux, proposant, pour l'une d'elles, un beau nu féminin. Elles donnent un aperçu des conceptions de l'artiste en matière de décor profane, n'étant jusqu'alors connu que pour ses retables, ses peintures de cabinet ou de dévotion. La plénitude monumentale des formes les situent dans les années 1640, rappelant le parti qui éclate dans sa contribution à l'ornementation du Noviciat des Jésuites jusque dans les effets da sotto in su ou le raffinement illusionniste. La gravure de Boullonois pour l'ouvrage de Jean-Baptiste de L'Hermite Souliers (1645) et le tableau perdu montrant Sainte Hélène faisant transporter la croix (1646) donnent un ancrage un peu plus tardif que celui donné en 1645, au début de la seconde moitié de cette décennie, non loin de la Clélie. Tout autant que cette dernière, ces deux tableaux manifestent la singularité de son art. J'y reviens dans la notice suivante.

S. K., Melun, mars 2023

Sainte Hélène faisant transporter la Vraie Croix,
1646
Toile. Détail.
Localisation actuelle inconnue.
Edme Boullonois d'après Stella,
frontispice de Les presidens au mortier du parlement de Paris...
de Jean-Baptiste de L'Hermite Souliers, 1645.
Gravure. BnF
Prométhée et la statue ou Pygmalion et sa statue,
peinture.

Nota : Comme l'a noté Sylvain Laveissière, le tableau a pu être abusivement intitulé Pygmalion et Galatée, puisque le nom donné à la statue est une invention du XVIIIè siècle en relation avec la blancheur de l'ivoire. Néanmoins, il est amusant de voir que cette dénomination a été popularisée par le mélodrame prenant le sculpteur pour héros écrit par Rousseau et composé par Horace Coignet, descendant de Stella...

Toile. 102 x 100 cm. Oldenburg, Landesmuseum für Kunst und Kulturgeschichte.

Historique : acquis par Johann Heinrich Wilhelm Tischbein (1751-1829) pour le compte du grand duc d'Oldenbourg en 1804; Oldenburg, Landesmuseum für Kunst und Kulturgeschichte.

Bibliographie
* Pierre Rosenberg assisté de David Mandrella, Gesamtverzeichnis französische Gemälde des 17. und 18. Jahrhunderts in deutschen Sammlungen, Bonn, 2005, p. 228-229, n°1386 (Frankreich, 17. Jahrhundert)
* Sylvain Kerspern, notice Stella in cat. expo. Tableaux français du XVIIè siècle, Galerie Éric Coatalem, 16 novembre-17 décembre 2005, p. 112-117
* Sylvain Laveissière in cat. expo. Jacques Stella (1596-1657), Lyon-Toulouse, 2006-2007, p. 164-165, cat. 93-94.
* Sylvain Kerspern, «L’exposition Jacques Stella : enjeux et commentaires», cat. 93 et 94; site La tribune de l’art, mis en ligne le 29 décembre 2006 (consulté le 9 janvier 2023)
* Notice « Stella, Jacques 1596 - 1657, de, Pygmalion et Galathée, peinture (17e siècle) », base Agorha, Inha (consulté le 12 janvier 2023)

On peut comprendre que Johann Heinrich Wilhelm Tischbein (1751-1829), peintre allemand partie prenante du néo-classicisme, épris de culture antique, se soit intéressé à ce tableau au point de l'acquérir pour le grand duc d'Oldenbourg en 1804. Il a été attribué à Berthollet Flémalle, nom sous lequel il était encore au moment de ma restitution à Stella.

L'entreprise du catalogue raisonné m'a permis de clarifier et rectifier sa situation chronologique, que j'avais envisagé tard. La confrontation avec deux gravures des années 1645-1647 d'après Stella (ci-contre) me conduit à la remonter un peu pour le canon, les attitudes ou la typologie masculine aux traits énergiques, tel le profil du vieux miraculé agenouillé mains jointes de l'histoire de Notre-Dame de Liesse, si proche du sculpteur réchauffant sa statue. On peut aussi relever la présence du vase au satyre également visible dans Sainte Hélène faisant transporter la Vraie Croix, de 1646.

L'iconographie est singulière. La torche approchée du corps de la statue pour la réchauffer et lui donner la vie relève de celle de Prométhée, voleur de feu et qui procéda de cette façon pour créer l'homme - mais non une femme. Le tableau laisse voir la pâleur rosir au visage, la chevelure a pris texture et teinture. Il pourrait s'agir de Pygmalion, célibataire endurci tombé amoureux de la statue qu'il a confectionnée et qui forme le vœu, lors d'un sacrifice à Aphrodite, que lui soit donnée une femme aussi belle qu'elle. Au retour, sous ses caresses et ses baisers, elle s'éveille - mais sans le secours d'une torche (Ovide, Les métamorphoses, 10, 243-297). Fusion des deux personnages au motif que Prométhée aura conçu la femme après l'homme?

Edme Boullonois d'après Stella,
frontispice de Les presidens au mortier du parlement de Paris...
de Jean-Baptiste de L'Hermite Souliers, 1645.
Gravure. BnF
Jean Couvay d'après Stella,
Miracles de N.D. de Liesse,
illustration de Le vray trésor...
de Jean de Saint-Pérès, 1647.
Gravure. Env. 19,7 x 14 cm.
BnF
Sainte Hélène faisant transporter la Vraie Croix, 1646
Toile. Détail.
Localisation actuelle inconnue.


Montage associant le tableau
avec la représentation du vase au Silène
gravé par Françoise Bouzonnet d'après Jacques Stella.

La mise en relation avec les peintures passées par la Galerie Éric Coatalem ne simplifie pas la situation. L'une des deux propose déjà un sculpteur au type physique un peu différent, de même que sa statue, à qui la présentation en profil donne un menton qui semble plus pointu, comme le nez. La présence de Minerve/Athéna ferait préférer Prométhée à son propos, comme la torche pour le tableau d'Oldenbourg. Il faudrait alors supposer que Stella ait pensé devoir représenter deux épisodes consécutifs d'une même histoire, distincte de ce que montre la troisième peinture malgré le lien incontestable avec celui montrant la déesse par la stricte ressemblance typologique du vieil homme. Celle-ci n'est certainement pas fortuite alors que le sculpteur du musée allemand montre un nez plus fort et un menton plus petit et rond, un crâne plus volumineux. Malgré les éléments de rapprochement, notamment le choix d'un mur appareillé visible dans le sujet avec Athéna, motif que Stella semble particulièrement apprécier alors, je ne suis décidément pas sûr que la peinture allemande fasse partie du même décor.

Le montage ci-contre à son propos se sert du vase gravé par Françoise pour tenter d'une part de restituer un peu de ce qui doit manquer, puisqu'il semble plus nettement coupé sur les côtés, et d'autre part pour une mise à niveau proportionnée avec les tableaux luxembourgeois (restituée ci-dessous). En résulte l'impression d'un canon légèrement moindre, donc à nouveau en rupture. Nous pourrions être en présence d'une composition ayant engendré l'envie d'une répétition avec variante qui n'étonnerait pas dans le milieu des amateurs érudits que Stella devait partager avec son ami Poussin, si même il n'introduisait pas le Normand auprès d'eux.





Quoiqu'il en soit, les trois peintures proposent un même parti, suggérant une installation sur un lambris assez haut, sur un mur pareillement orienté pour la lumière venant de la gauche. Le fond de l'astronomie est plus sombre et le faible éclairage qui rase le dos de l'homme debout ne permet pas de savoir si le mur est appareillé. Celui plus franc qui vient frapper le sculpteur suit un angle plus ouvert avec les horizontales du mur. Dans le tableau allemand, il accuse encore sa verticalité au regard de l'ombre du bras gauche de la jeune femme, noyant un peu l'idée d'une source lumineuse précise. Ces remarques peuvent donner des indices sur leurs places respectives dans un décor, au moins pour les sujets luxembourgeois mais en l'absence de la connaissance du lieu de destination, l'exercice peut sembler vain.

Il est sans doute plus intéressant de percevoir que Stella traite dans les trois peintures de l'art, y compris sous couvert de la science de l'astronomie pour laquelle il représente un jeune homme occupé à tracer quelque(s) ligne(s) au compas sous la conduite du vieux sage (Prométhée, inventeur de tous les arts et sciences?). Dessin et mesure ici, modelage des formes là, possible substitut à la course du pinceau pour un peintre, éveil de la psychologie par la recherche de la gestuelle et de l'expression du visage à Oldenburg, tout cela renvoie aussi bien à la dimension intellectuelle, sinon spirituelle, de l'art qu'à sa pratique et la passion qu'elle peut nourrir, et qui fut clairement sienne. Nous ne sommes pas loin d'un autoportrait en Prométhée, ou Pygmalion, ce célibataire endurci sublimant sa libido dans la pratique artistique; ce qu'il exprime autant par l'iconographie que par leur restitution, tout en mesure, en abstraite et géométrique froideur, appuyant sur la sensualité du pouce modelant le sein au Luxembourg, ou sur le trouble de l'expression du vieil homme éveillant aux sens sa statue. Malgré les mutilations et la difficulté à en retrouver le contexte, ces peintures comptent assurément parmi les ouvrages les plus ambitieux, les plus subtils et les plus singuliers de l'artiste, et parmi ses chefs-d'œuvre.

S. K., Melun, mars 2023

La Vierge allaitant l'Enfant,
tableau perdu,
gravé par Pierre van Schuppen,
estampe éditée par Herman Weyen .
Gravure de Pierre van Schuppen (1627-1702) édité par Herman Weyen (mort en 1672). 37,6 x 30 cm. Albertina, BnF, Rijksmuseum

Lettre :
Dans l'image, de part et d'autre de l'emplacement de l'écu : Stella pinxit Van Schuppen Sculpsit à gauche; Herman Weyen excudit cum priuil Regis à droite.
Nota : Charles Blanc mentionne un 1er état sans les armes; j'ignore s'il en avait rencontré un avec les armes dans l'écu sur le cadre, ce qui n'est pas mon cas.

Bibliographie
* Michael Huber, Notice générale des graveurs divisés par nations et des peintres rangés par écoles..., Dresde-Leipzig, 1787, p. 633.
* M. Bénard, Cabinet de M. Paignon Dijonval:, Paris, 1810, p. 212, n°6135.
* Charles Le Blanc, Manuel de l’amateur d’estampes, 1856, t. III (pour p. 480, van Schuppen n°136).
* Catalogues de la collection d'estampes de Jean V, roi du Portugal par Pierre-Jean-Mariette, éd. Marie-Thérèse Mandroux-França et Maxime Préaud, Paris, 1996, II, p. 219, n°44.
* Jacques Thuillier, Jacques Stella, Metz, 2006, p. 152.

Dans l'élaboration du catalogue de Jacques Stella, comme je l'ai déjà fait remarquer en 2006, le recours à la gravure est important, parce que l'artiste a lui-même pratiqué cet art et qu'il a entretenu de longues relations, sinon des amitiés durables, avec nombre de ses praticiens, depuis Karl Audran jusqu'aux Poilly en passant par Rousselet ou Couvay. Pour autant, j'ai, jusqu'à maintenant, privilégié des traducteurs contemporains, voire d'une ou deux générations plus jeunes afin de limiter les risques quant à la lettre désignant l'inventeur, ou aux informations, si précieuses qu'elles soient, de Mariette. L'exemple de la gravure de Klauber à la fin du XVIIIè siècle, entérinant le flou régnant désormais sur l'art de Stella, justifie cette prudence, comme la restitution au seul Bosse de deux frontispices pour l'Imprimerie Royale.

Pierre van Schuppen, né à Anvers où il se forme à la peinture avant de s'orienter vers la gravure, rejoint Paris vers 1655 et se lie avec Robert Nanteuil, au point de rapidement se consacrer, comme lui, à l'art du portrait. Dans le contexte rémois de son ami, il put rencontrer Nicolas Regnesson, autre traducteur de Stella. La lettre de notre estampe donnant Herman Weyen pour éditeur, on peut situer sa réalisation entre 1657, date la plus ancienne portée sur un travail de son œuvre parisien, et avril 1669, au moment de la vente par le marchand de son fonds à François de Poilly (Marianne Grivel 1986, p. 385-386).

Le type féminin de la Vierge est proche de celui de la statue du tableau d'Oldenbourg et de la représentation de Minerve au frontispice de La perspective pratique, ouvrage de Jean Dubreuil publié en 1649. Les enfants à l'expression marquée de ce travail pour l'édition sont parents du petit Jésus. Une situation du tableau traduit par notre estampe dans la seconde moitié de la décennie 1640 est donc vraisemblable.

Stella a traité le sujet à plusieurs reprises. La version la plus ancienne à ce jour est celle passée par la Galerie Éric Coatalem. Abraham Bosse a gravé d'après lui une version « égyptienne » (avec la coiffure gitane) en une miniature pour Tristan (1645). Trois versions montrent un autre moment, le sein offert mais l'Enfant ne tétant pas : une gravure du compère Regnesson d'après une composition que je crois un peu plus tardive; un tableau en collection particulière que Claudine traduira à l'eau-forte; et un autre montrant l'Enfant repu, ayant sombré dans le sommeil.

Dans la version Coatalem, Jésus n'est pas (plus?) emmailloté comme dans notre estampe. Entre-temps sont nés les neveux et nièces Bouzonnet, ce qui peut expliquer cette différence. Un autre détail distingue notre gravure de toutes les autres : le livre que la Vierge tient à demi ouvert d'une main. Il faut noter aussi son regard porté sur le côté, et celui de son fils vers le spectateur. Stella rompt aussi bien avec l'idée d'un échange silencieux et charnel qu'à la quiétude apparente qu'il peut manifester, ou qui peut s'exprimer, dans l'interprétation à ce jour la plus ancienne, par les yeux de la Vierge droit dans les nôtres. Marie et Jésus semblent sur le qui-vive, réprouvant notre intrusion dans l'intimité du Dieu caché.

Stella s'y révèle presque comme un intercesseur indélicat; du moins ne masque-t-il pas sous le voile d'une scène de bonheur intime apparent la réalité du destin promis à l'enfant. Le livre, signe d'un temps d'absorbtion hors du temps, renvoie aux Écritures saintes, et à nouveau au sacrifice christique qu'elles sont censées annoncer. Plutôt que d'y voir un éventuel écho aux temps d'incertitude de la Régence, l'artiste aura voulu donner à cette maternité un tour actif, tendu, au diapason d'une inflexion sensible alors dans son art, personnalisant décidément son ouvrage.

S.K., Melun, mars 2023

Prométhée et la statue
Toile. 102 x 100 cm.
Oldenburg, Landesmuseum für Kunst und Kulturgeschichte.
François de Poilly d'après Stella,
frontispice pour le tome 3 de La perspective pratique, 1649
Gravure. 21,4 x 14,3 cm.
.
BnF...
Huile sur marbre noir. 13,5 x 10,5 cm.
Localisation actuelle inconnue
Abraham Bosse d'après Stella, 1645
Gravure. Env. 4,6 x 3,3 cm.
.
BnF, British Museum...
Nicolas Regnesson d'après Stella,
Gravure. BnF
Huile sur toile. 61 x 52 cm.
Coll. part.
Huile sur toile. 62 x 51 cm.
Galerie Michel Descours en 2018.
Sainte Agnès couronnée par un ange,
peinture
Huile sur toile. 68,5 x 58 cm. Localisation actuelle inconnue.

Historique : naguère Galerie Ratton-Ladrière, Paris.

Bibliographie :
* Inédit.

Jean-Christophe Baudequin m'a obligeamment montré cette peinture lorsqu'elle était à la Galerie Ladrière il y a plusieurs années. L'animation délicate du drapé, le coloris cangiante de la tunique de l'ange, les types physiques comparables à ce qui se voit, entre autres, dans le Baptême du Christ de Saint-Louis-en-l'Île (1645) aussi bien que dans la Vierge à l'Enfant à la pomme auvergnate que je crois de 1646, cataloguée un peu plus haut, ne laissent pas de doute sur l'attribution. L'ovale pur du visage de la martyre est un parti sensible dans ces années, et se retrouve notamment pour la créature façonnée dans La sculpture, peinture étudiée plus haut, ou dans l'ange volant des Pélerins d'Emmaüs (Nantes, Musée des Beaux-Arts), abordés plus loin.

On reconnaît la sainte par la présence de l'agneau à ses côtés. Elle est vêtue de blanc pour signifier sa virginité. L'ange, qui tient une palme de la main droite, s'apprête à poser sur sa tête une couronne de fleurs, qui désigne le statut d'épouse du Christ qu'elle a revendiqué devant ses persécuteurs. Une lourde porte de bois sur la droite situe peut-être la scène dans une prison, que l'apparition du messager emplit d'une nuée lumineuse. Le format modeste du tableau devrait correspondre à une chapelle particulière ou un oratoire privé.

Stella a représenté la sainte dans les « camayeux » gravés environ un quart de siècle plus tôt et pour une vignette de l'Office de la Vierge de Tristan, vers ce temps. Par ailleurs, une confrérie dans l'église parisienne Saint-Eustache lui est dédiée, pour laquelle Grégoire Huret a donné une image aux armes de la Grande Mademoiselle; enfin, une peinture iséroise (Saint-Alban-du-Rhône) propose le curieux montage d'une Vierge à l'Enfant et l'agneau d'après Stella (et une gravure de Rousselet) avec la sainte agnouillée et la (?) donatrice.

Stella apprécie alors les volumes simples, au dallage et murs empierrés posant un réseau orthogonal discret sur laquelle il développe son sujet. D'une base de camaïeux de gris et de bruns, il fait émerger la blancheur immaculée d'Agnès et de son attribut, possible renvoi au propre sacrifice du Christ, et les trois notes de couleurs primaires des vêtements de l'ange, conférant à sa palette chromatique un rôle significatif. Le cheminement oblique depuis la source lumineuse jusqu'à l'animal exprime ainsi l'issue promise à la jeune femme, aux antipodes de l'imposante clôture de la pièce, par un dialogue silencieux, tout intérieur, illustrant à merveille l'expression qui donne à la peinture, et ses moyens, une éloquence muette.

S.K., Melun, mars 2023

Le baptême du Christ, 1645.
Toile, détail.
Paris, église St-Louis-en-l'Île.
La Vierge à l'Enfant, 1646?
Toile. 83,5 x 69 cm.
Vente Chamalières le 12 décembre 2009
La sculpture
Toile. 102 x 100 cm.
Luxembourg, coll. part.
Les pélerins d'Emmaüs. Toile, détail. Nantes, Musée des Beaux-Arts.
L'annonciation, dessin
Pierre noire, lavis gris. 26,7 x 17,5 cm. Annoté Stella en bas à gauche.
Coll. part.

Gravure par Michel de Masso (1654-1731) entre 1698 et 1707. Env. 30 x 19 cm. Exemplaire : Lyon, B.M.

Historique : Fonds Stella; legs de Claudine Bouzonnet à son cousin Simon de Masso (1658-1737), gravé pour un Missel publié à Lyon en 1707 par son frère Michel (1654-1731); Pierre de Masso (1692-1773)? Pierre de Masso (1728-1787)? Vente Drouot, Paris, 6 mars 1950, n°20. Vente Sotheby's New York 9 janvier 1980 (Important Old Masters Paintings & Drawings), lot 174 (repr.); gal. A. Stein, Londres (expo Master drawings presented by A. Stein, Londres, Bury st., juillet 1981). Paris, coll. part.

Bibliographie :
* Gilles Chomer (1989), « Une gravure de Michel Demasso d'après un dessin de Jacques Stella », Travaux de l'histoire de l'art de Lyon, cahier n°12, septembre 1989, p. 67-74
* Gilles Chomer (1989-2), Notice 22, « Jacques Stella, La Présentation au temple », Maîtres français 1550-1800. Dessins de la donation Mathias Polakovits à l'École des Beaux-Arts, ENSBA, 1989, p. 84-85
* Sylvain Kerspern, «Mariette et les Bouzonnet Stella. Notes sur un atelier et sur un peintre-graveur, Claudine Bouzonnet Stella», Bulletin de la Société de l’histoire de l’art français, 1993, 1994, p. 31-42.
* Sylvain Laveissière in cat. expo. Jacques Stella (1596-1657), Lyon-Toulouse, 2006-2007, p. 233-239.
* Jacques Thuillier, Jacques Stella, Metz, 2006, p. 283-285.
* Sylvain Kerspern, « D'une Vie de la Vierge l'autre... », site dhistoire-et-dart.com, mise en ligne le 30 juin 2021.
* Sylvain Kerspern, « Notes sur la famille de Masso. », site dhistoire-et-dart.com, mise en ligne le 27 septembre 2021.

Lorsqu'il publie le dessin en 1989 (p.73) en rapport avec une gravure par de Masso, Gilles Chomer doute de tout rapprochement avec une série. La même année, il contribue au catalogue de la donation Polakovits (Chomer 1989-2) en donnant à Jacques un des dessins de la « petite suite » de la Vierge gravée par Antoinette Bouzonnet Stella, dont la restitution à Claudine de l'invention que j'ai faite dès 1989 et publiée en 1994 est aujourd'hui unanimement suivie. Pour autant, il ne dit mot de l'Annonciation, confirmant ainsi que s'il y voyait la même main, il n'en percevait pas le même esprit, sans doute pour envisager une autre date moins tardive que celle qu'il affectait à la feuille Polakovits.

La gravure de Demasso/de Masso étire légèrement dans la hauteur le dessin, y ajoutant la colombe de l'Esprit-Saint dont la gloire vient occulter partie du rideau du baldaquin du lit. Pour le reste, il s'efforce de respecter le modèle, plus justement pour le détail du drapé que pour les types physiques. Le lien est donc incontestable. Le volume dans lequel elle s'insère propose un pillage de gravures d'éditions précédentes dont le Missale Chigi orné sous la direction de Pietro da Cortona identifié par Gilles Chomer, mais pas seulement. Dans l'exemplaire de 1707 repéré sur Internet, De Masso produit et signe ainsi une Adoration des bergers, l'Ascension d'après Rubens, La Pentecôte et La Cène d'après Cirro Ferri. Sauf erreur dans la lecture du texte de Gilles Chomer (1989), cette édition apporte pour seule innovation à celle de 1703 chez Pierre Valfray qu'il mentionne et qui m'est inconnue l'Annonciation d'après Stella, qui est aussi la seule image inédite du Missel.

Comme lui, j'ai toujours pensé qu'il fallait la dissocier de toute autre série et, d'une certaine façon, la gravure isolée de Michel de Masso à Lyon au plus tard en 1707, suivant un format différent des estampes d'Antoinette, vaut argument; mais cela n'a pas empêché une telle assimilation. Dans l'étude que j'ai consacrée sur ce site à cette suite des Bouzonnet, je suis à nouveau revenu sur ce point pour réaffirmer ma conviction en faveur de Jacques. On peut s'y reporter pour en comprendre les enjeux mais je dois ici en dire encore deux mots selon la place prise dans l'œuvre de l'oncle.

J'ai déjà souligné les rapprochements avec le Baptême du Christ de 1645, pour le profil angélique et la respiration de la composition, ample et monumentale, qui ne se voient pas dans la suite Bouzonnet. Les visages de cette dernière y ont l'un des aspects qui m'ont permis de caractériser la main de Claudine, et les compositions donnent toute leur densité aux personnages dans des dispositions plutôt figées. Le lien de notre dessin avec l'art de l'oncle est encore plus sensible dans la technique graphique, et de ce point de vue, la mise en regard avec le dessin du Louvre pour ledit Baptême doit emporter la conviction. La technique de Jacques montre infiniment plus de subtilité dans la restitution du clair-obscur quand Claudine s'en sert surtout pour clarifier les volumes et manifester des plis organisés de façon un peu systématique et convenue - ainsi du jeu de lignes complémentaires des manteaux de la Vierge et de Joseph dans la Présentation du Jésus au Temple.

Dans l'iconographie, Stella rompt ici avec l'invention romaine incluant Dieu le père, à Amelia ou insérée dans le Bréviaire d'Urbain VIII, et qu'il reprendra dans la Vie de la Vierge des derniers instants, qui forme rétrospective. Pas même de colombe, mais le simple face à face donnant à l'ange un rôle pleinement actif : il met en relation par le geste la destinataire de son message et sa source. Les bras croisés sur la poitrine de la Vierge désignent-ils l'acceptation ou l'interrogation? Les yeux levés vers son interlocuteur feraient plutôt pencher vers la seconde interprétation. La présence divine est incarnée, comme au Noviciat des Jésuites, par la puissance architecturale. La marge laissée au bas désigne une image pour l'édition; elle doit s'inscrire dans un cadre intellectuel raffiné capable d'escamoter tout rapport au merveilleux, reposant sur la seule force d'un style puissant et monumental, qui est bien celui de Jacques.

S. K., mars 2023

Michel de Masso, L'annonciation
Gravure, 1707. Lyon, B.M.
Claudine Bouzonnet Stella,
La présentation de Jésus au Temple
Plume et lavis. 26,3 x 16,5 cm.
ENSBA
Jacques Stella, Le baptême du Christ, 1644-1645. Plume et lavis. 27,6 x 14,8 cm.
Louvre (RF 34728).
Les pélerins d'Emmaüs,
peinture.
Huile sur toile. 266 x 174 cm.

Historique : Collection Cacault, acquisition en 1810. Nantes, Musée des Beaux-Arts, Inv. 397

Bibliographie :

* Catalogue des tableaux et statues du Musée de la ville de Nantes, 3e éd., Nantes, 1837, n°381 (Jacques Stella).
* Catalogue des tableaux et statues du Musée de la ville de Nantes, 5e éd., Nantes, 1846, n°122 (Philippe de Champaigne).
* Inventaire Général des Richesses d'art de la France. Province. Monuments civils. Tome deuxième, Paris, 1887, p. 132 (École de Champaigne).
* Bernard Dorival, Philippe de Champaigne 1602-1674, Paris, 1976, II, p. 296, n°1664 (pas de Philippe de Champaigne).
* Claude Souviron, Peintures monumentales du Musée des Beaux-Arts de Nantes, t. 1, Nantes, 1983, p. 48-49 (Stella?).
* Claire Gérin-Pierre, Catalogue des peintures françaises XVI-XVIIIe siècles, Nantes-Paris, 2005, p. 70 n°58 (Stella).

Les catalogues du XIXe siècle du musée donnent des éléments d'information sur la constitution de la collection de François Cacault, dans laquelle notre tableau apparaît. Le sénateur devait apprécier Stella dont il avait sans doute rapporté d'Italie L'assomption Arese parvenue au même musée. Notre peinture, elle, fut sans doute acquise en France, avec l'attribution juste qui lui est donnée dans le premier catalogue qui en fait état (1837). Inexplicablement, le nom de Philippe de Champaigne lui fut substitué, jugé ensuite guère plus satisfaisant puisqu'on en vient rapidement à envisager seulement son École.

Le rapprochement avec le Baptême du Christ de 1645, autre grand format avec figures grandeur nature, ne laisse pourtant pas place au doute : coloris, typologie masculine, drapé sculptural désignent la même main. Il faut dire qu'au cours du XIXè siècle, le tableau de l'église Saint-Louis-en-l'Île n'est plus donné à Jacques mais à son neveu, par rapprochement avec la peinture présentée au salon de 1673. L'apport du type ovale du grand ange, qui permet de regrouper dans la seconde partie des années 1640 un ensemble cohérent d'ouvrages tel que La sculpture, incite à une situation quelques temps après le retable de 1645.

Le titre Les pélerins d'Emmaüs a été plus fréquemment donné, abusivement, me semble-t-il, au moment du repas partagé le soir dans la ville, au cours duquel le partage et la bénédiction du pain par le mystérieux voyageur le dévoile à ses compagnons de route comme Jésus resssuscité. Il serait plus juste de l'intituler La Cène à Emmaüs ou Le souper à Emmaüs. Titien, Véronèse, Rembrandt, Philippe de Champaigne ou Laurent de La Hyre, parmi d'autres, en ont donné des chefs d'œuvre. C'est cet épisode que Stella a choisi d'insérer dans ses camayeux romains. L'interprétation du sujet focalisée sur le cheminement est nettement plus rare, et peut-être plus volontiers reprise dans l'illustration qu'en peinture. L'impulsion donnée par l'Église à l'évocation directe du mystère célébré lors de toute messe aura certainement joué pour l'ornementation des retables, d'autant plus après le Concile de Trente (1545-1563).

Marten de Vos, via la gravure de Sadeler, pourrait avoir fourni le point de départ à Stella pour les dispositions respectives des personnages. Il avait placé ses voyageurs au début de leur chemin vers la ville, que l'un d'eux indique, comme s'il avait capturé le moment de leur rencontre avec le Christ. Jacques reprend l'idée d'un dialogue de ce dernier avec le pélerin à sa gauche mais leur gestuelle suggère un autre moment. Le vieil homme pointe son doigt comme pour interroger ce voyageur qui ne semble pas connaître les derniers événements survenus à Jérusalem; ce qui invite à y reconnaître Cléophas, seul des deux pélerins nommé par l'évangéliste Luc (XXIV, 13-32), disciples surpris en pleine discussion, en prise au désarroi après la crucifixion et la disparition consécutive du corps de Jésus.

La manifestation du Christ est soulignée par son auréole et par les deux angelots et l'ange qui les survolent, redoublant le trio terrestre. Le plus jeune des barbus est plus discrétement auréolé, au contraire de Cléophas, tout à son interpellation et en plein doute. Il y a là, je crois, un écho aux propos échangés par les pélerins après la disparition de Jésus, se remémorant leur cœur embrasé lorsqu'il leur expliquait les Écritures, annonciatrices des événements et de leur signification. Le cheminement est alors proposé comme le lieu d'un processus intérieur imperceptible au seul regard, différencié selon le degré de ce sentiment.

C'est pourtant par un art visuel que Stella exprime l'impact de la foi. Il le fait par un ballet suggestif du mouvement des corps, complété de la scansion de la gestuelle porteuse des dialogues rapportés par l'évangéliste, qui révèle l'embrasement progressif des cœurs. Sa perception est d'autant plus nette qu'il le fait par un langage monumental et, en tout point, mesuré; à nouveau, en une poésie muette.

S.K., Melun, mars 2023

La sculpture
Toile. 102 x 100 cm.
Luxembourg, coll. part.
Le baptême du Christ, 1645.
Toile. 370 x 203 cm.
Paris, église St-Louis-en-l'Île.
Les pélerins à Emmaüs
Gravure.
BnF.
J. Sadeler d'après Martin de Vos
Les pélerins d'Emmaüs.
Gravure. Harvard Art Museums/Fogg Museum, Gift of Belinda L. Randall from the collection of John Witt Randall.
Le Christ,
peinture
Huile sur bois. 43 x 34 cm.

Historique : Vente Piasa Paris, 18 décembre 2013, lot 135 (entourage de Jacques Stella); marché d'art en 2014 (comme Eustache Le Sueur). Localisation actuelle inconnue.

Inédit

Ce panneau peint est passé rapidement sur le marché d'art avec une situation dans l'entourage de Stella, puis une attribution à Eustache Le Sueur peu convaincante. Le rendre à Stella s'impose, ne serait-ce que par le rapprochement avec la têtre du Christ dans le grand tableau de Nantes, Les pélerins d'Emmaüs, qui doit lui être contemporain.

La présentation, de trois-quarts, regard tourné vers le bord du panneau, suggère qu'il y avait un pendant, une mise en regard très vraisemblablement avec sa mère, la Vierge. Stella semble avoir multiplié ce type de confrontation, qui pouvait avoir une certaine résonnance pour lui qui s'est peint avec sa propre mère dans un autoportrait singulier. Ces petits tableaux de dévotion étaient en tout cas l'opportunité d'exercer son faire précieux dans la délicatesse de la barbe ou de la chevelure et la restitution du modelé et des carnations.

S.K., Melun, mars 2023

Les pélerins d'Emmaüs
Toile. 266 x 174 cm.
Nantes, Musée des Beaux-Arts.
Mention de Mariette perdue Le Christ portant sa croix, demie-figure/
La Vierge de pitié, regard.
Gravures par René (v. 1620-1674)
ou Pierre (1651-1725) Lochon

Jesus-Christ l'homme de douleurs chargé de sa croix. La Vierge de pitié, faisant regard avec le Christ precedent. Ces deux demie-figures gravées au burin par Pierre Lochon d'après Jacques Stella » (Mariette)

Peintures perdues

Gravures.
Le Christ Burin. 26 x 18,5 cm.
Lettre :
État vers 1815-1840 : Dans la marge, sous l'image : Peint par M.r Stella (à gauche), Pres.t chez la V.e Pillot rue du Petit Pont (au centre), Dessiné et Gravé par Lochon (à droite); en dessous : Jesus Christ portant sa croix, encore en dessous Quiconque ne porte pas sa croix et ne me suit pas ne peut etre mon disciple, et de nouveau en dessous A Paris Chez Lenoir Pillot R. Saint Jacques n°6 Avec privilege du Roi.

Exemplaire : coll. part.

La Vierge de pitié, aucun exemplaire repéré.

Bibliographie :
* Catalogues de la collection d'estampes de Jean V, roi du Portugal par Pierre-Jean-Mariette, éd. Marie-Thérèse Mandroux-França et Maxime Préaud, Paris, 1996, II, p. 222, sous le n°80.

Bibliographie additionnelle :
- Pol Gosset, « Pierre Lochon Graveur rémois (?-1725) », Travaux de l'Académie nationale de Reims, t. 145, 1930 182-188, consulté le 21 février 2023.
- Alain Mérot, Eustache Le Sueur (1616-1655), Paris, 1987, p. 379.
- Rémi Mathis, « Un marché de Pierre Lochon pour l'image de la confrérie Saint-Joseph des charpentiers (1682) », Nouvelles de l'estampe [Online], 263 | 2020, Mise en ligne le 28 août 2020, consulté le 21 février 2023.
- Rémi Mathis, « Les étapes de la vie du graveur René Lochon (1620-1674) - apprentissage, mariage, inventaire après-décès », Nouvelles de l'estampe [Online], 268 | 2022, Mise en ligne le 15 Novembre 2022, consulté le 21 février 2023.

C'est un peu par hasard, et via Internet, que j'ai pu trouver un exemplaire tardif de la gravure de Lochon que Mariette associe à une Vierge de pitié qui reste, elle, à retrouver. C'est, à ce jour, le seul exemplaire que j'ai pu repérer. La publication prochaine du volume de l'Inventaire du fonds français du Cabinet des Estampes de la Bibliothèque nationale de France dressant un catalogue des Lochon père et fils apportera peut-être de précieux compléments.

Il est difficile, quoique pas impossible, de prendre Mariette en défaut. Le graveur est-il René (v. 1620-1674/1675) ou, comme il l'écrit, son fils Pierre (1651-1725)? Le père a travaillé pour le cercle des Fréart, d'Errard, et fréquenté ses confrères rémois Nanteuil ou Regnesson, ce dernier ayant gravé d'après Stella, formé par Jean Ganière comme lui et comme Pierre Landry, autre graveur qu'il fréquente. Il a produit de nombreux portraits dans un esprit proche de Nanteuil, affirmant avoir dessiné son modèle, mais le plus remarquable est peut-être l'estampe qu'il a gravée d'après Eustache Le Sueur, montrant Claude Bérenger, Parisien, dont les armes sont sommées d'un casque de chevalier mais dont la personnalité précise reste mystérieuse. Alain Mérot (1987) a publié la copie gravée au XIXè siècle par Challamel, ignorant le précédent de Lochon.

La familiarité de la pose comme de la dédicace doit désigner l'un des amis de Le Sueur dont il a pu tirer le portrait, et incite à situer l'image du temps du peintre, donc avant 1655. C'est une des plus belles gravures de Lochon, jouant avec un certain pittoresque de lignes parallèles ondulantes plus ou moins puissamment tracées. Les estampes suivantes sont d'un métier plus économe et moins subtil, tel le frontispice d'après François Chauveau (1613-1676) pour Les tableaux de la pénitence d'Antoine Godeau (1654), et certaines de ses illustrations intérieures. Notre Christ portant sa croix propose un traitement du drapé proche de celui de ce frontispice et une attention au visage, malgré l'usure de la planche, qui rappelle le portrait de Bérenger.

L'œuvre de son fils Pierre semble moins bien conservée, et moins réputée, d'autant qu'il s'est retiré à Reims à la fin de sa vie. De ses premiers ouvrages, on peut trouver sur Internet sa contribution à l'édition de 1675 du Virgile travesty, qui doit copier les gravures des premières éditions de François Chauveau : il semble reprendre là le flambeau de son père, dans un métier plus sommaire.

En 1682, les menuisiers de la confrérie Saint-Joseph fondée en l'église Saint-Côme-et-Saint-Damien lui commande leur image, qu'il date de 1683. La planche est plus aboutie, montrant une élégance dans le trait, pour les ornements, que le format plus réduit des illustrations pour l'ouvrage de Scarron ne permettait peut-être pas. Pour comparaison avec notre Christ, il faut s'attacher à la figure centrale. Si elle propose un métier et une sensibilité au clair-obscur plus attentifs, la main reste laborieuse et manque de la fermeté dont est capable René et qui se voit dans l'estampe qui nous occupe. Malgré Mariette, je suis donc enclin à restituer au père ce qu'il donne à Pierre.

Il se peut que cette variante sur le prénom soit née de la confrontation avec une autre estampe de même sujet, qu'elle place dans un ovale en travers et que Mariette donne à Stella et la lettre, sans ambiguïté, à René Lochon avec Guillaume Chasteau (1635-1683) pour éditeur. Il faut tout de même se garder, aujourd'hui, de comparer deux exemplaires qui n'ont pas le même statut, celui en hauteur étant un retirage tardif affadissant le clair-obscur. Ce qui importe ici tient au dispositif de l'image. Dans la version ovale, la souffrance du Christ est plus nettement sensible, le visage se fait héroïque et non plus tenu par une grâce impassible. Dans l'évolution stylistique de Stella, le Christ en largeur s'apparente aux productions des années 1650 tandis que celle ici cataloguée témoigne encore d'un goût porté à la retenue élégante de l'expression associée à un drapé abondant, complexe dans son dessin, propres à la précédente décennie.

L'hypothèse faisant de René son auteur favoriserait une situation de son travail de graveur autour de 1650 ou peu après. La peinture traduite doit être franchement antérieure : la peinture sur cuivre de 1643 donne au Christ douloureux des traits marqués pareillement par la grâce. Il se peut que Stella ait voulu précisément souligner son impassibilité dans l'épreuve. Une situation intermédiaire, proche d'un autre Regard daté de 1647, et notamment du Salvator Mundi, pourrait constituer, si j'ose dire, un moyen terme. Difficile d'être plus précis compte tenu de la qualité de l'exemplaire.

(Ci-dessus)
René Lochon d'après Charles Errard,
Illustration du Trattato de Léonard, 1651.
Gravure. Inha.

(Ci-contre) R. Lochon d'après E. Le Sueur, Claude Bérenger. Gravure. 22,5 x 15,5 cm. Westfälisches Landesmuseum für Kunst und Kulturgeschichte.

René Lochon d'après François Chauveau,
Les tableaux de la pénitence d'A. Godeau, frontispice, 1654. Gravure. BnF.
Pierre Lochon d'après (?)
François Chauveau,
illustration du Virgile Travesty de Scarron, 1673 (ou 1675?).
Gravure. BnF.
Pierre Lochon
Saint Joseph, image de confrérie, 1682-1683.
Gravure, détail. BnF.
René Lochon d'après Stella
Le Christ portant sa croix.
Gravure. 43,7 x 39 cm. (au coup de planche)
BnF, Ed 16a fol.
Le Christ mort, 1643.
Cuivre. 17,5 x 11,8 cm.
Coll. part.
Le Christ Salvator Mundi, 1647.
Huile sur bois. 31 x 21 cm.
Coll. part.

L'invention cadrant la figure seule du Christ au calvaire n'est pas rare. L'Italie (Romanino, Solario...), les Flandres (Bloemaert...) ou la France (Guérard, 1533, Louvre) n'ont pas manqué de l'aborder. S'il était peut-être moins fréquent au temps de Stella, l'artiste avait déjà isolé pareillement Jésus souffrant dans le cuivre mentionné plus haut en 1643. Ici, selon Mariette, l'image venait en pendant d'une Vierge redoublant la compassion du fidèle avec les sentiments maternels prêtés à ces circonstances. L'expression calme du Christ traduit une foi confiante donnée en exemple que les années qui suivent vont teinter d'une vigueur d'expression plus dramatique.

S.K., Melun, avril 2023

Allégorie en l'honneur de la valeur de Louis XIV,
dessin.
Plume et lavis de bistre, rehauts de blancs. Diam.: 22,2 cm.

Rouen, Musée des Beaux-Arts, donation Baderou, inv. 975-4-711.


Historique : Paris, collection Suzanne et Henri Baderou; donation au Musée des Beaux-Arts de Rouen.

Bibliographie :
* Daniel Ternois, Marie-Félicie Pérez et coll. [Gilles Chomer] in Etudes de la Revue du Louvre. La donation Baderou au musée de Rouen. Ecole française, Paris, 1980, p. 138.

Bibliographie additionnelle :
* Boris Lossky, « Les œuvres d'art françaises du XVIe au XVIIIe siècle en Tchécoslovaquie, Bulletin de la Société de l'histoire de l'Art français. Année 1936, Paris, 1937, p. 240-241.

Suzanne et Henri Baderou avait déjà vendu L'honneur signé et daté par Stella de 1633 au Louvre en 1951, signe d'un goût favorable au style du Lyonnais. Notre allégorie ne relève cependant pas de la même période : la simple observation du personnage représenté permet, en effet, de reconnaître le jeune Louis XIV par son visage ovale au nez fort et aux joues encore pleines, confirmé grâce aux médailles, comme l'a souligné Gilles Chomer en 1989, mais aussi à d'autres témoignages graphiques. La technique, notamment le lavis tour à tour pittoresque et sculptural, correspond à la maturité - par exemple, ce que montre le dessin du Louvre préparant Le baptême du Christ de 1645.

L'impression visuelle hors tout élément de référence suggère pour le jeune Louis un âge de 8 à 10 ans, soit dans la période qui fait l'objet de cette page. Pour les effigies clairement datées du jeune roi sont présentées ici le portrait publié par Boris Lossky en 1937, portant la date de 1647 avant rentoilage, et alors conservé dans le château de Roudnice, qu'il attribue à Hillaire Pellerin (ou Pélerin) à l'aide d'une gravure d'après lui. Le Service d'Études et de Documentation du Département des Peintures du Louvre renferme des fiches annotées par Boris Lossky après coup, mentionnant la nationalisation du château en 1945, et le fait qu'il n'a pas vu depuis ledit portrait. Quoiqu'il en soit, le visage pré-adolescent est proche de ce que montre Stella dans son dessin.

Les traits encore poupins mais laissant percevoir la conscience naissante de son statut se présentent cette fois dans tout son apparat dans le morceau de réception d'Henri Testelin à l'Académie royale de Peinture et de Sculpture daté de l'année même de la création de l'institution, en 1648. L'attitude trônante apporte peut-être plus d'éléments de comparaison par-delà la transposition allégorique opérée par Stella. L'un et l'autre de ces portraits peints confirment une situation de sa feuille en 1647-1648.

Le sceptre terminé par une fleur de lys, la couronne de laurier et les lions tirant le char sur lequel Louis est installé associent au portrait l'allégorie de la Valeur telle que définie par Cesare Ripa. Le fait que les félins soient soumis aux rênes tenus de la main gauche en donne la maîtrise concrète au monarque en une représentation qui évoque les célèbres alexandrins de Corneille à propos du Cid.

Quelle peut-être la destination d'un tel projet? On songerait évidemment à l'art de la médaille en raison du format strictement circulaire mais l'image semble beaucoup trop fouillée pour préparer le travail d'un médailliste, aussi doué soit-il. Une gravure? Une peinture? Est-ce une commande royale, ou celle d'un courtisan? La période de la Régence est celle de toutes les ambitions qui vont bientôt prendre part à la Fronde. Stella semble avoir eu pour clientèle les disgraciés, les Fréart et leur proches. Quoiqu'il en soit, il se montre une fois de plus très à l'aise dans l'art d'incarner un programme allégorique subtil, en lui donnant un tour héroïque.

S.K., Melun, mars 2023

L'honneur.
Plume et lavis d'encre brune sur préparation à la pierre noire, rehauts de gouache blanche sur papier bleu. 39,5 x 26,5 cm.
Louvre, Inv. RF 29878.
Jacques Stella, Le baptême du Christ, 1644-1645. Plume et lavis. 27,6 x 14,8 cm.
Louvre (RF 34728).
Attribué à Hillaire Pélerin (1603/1604-1658), Louis XIV à neuf ans, 1647
Toile. 63 x 51 cm.
Jadis château de Roudnice (Tchéquie)
Henri Testelin (1616-1695), Louis XIV, 1648.
Toile. 207 x 155 cm.
Versailles, Musée du château.
Sainte Cécile jouant de la harpe,
toile

Huile sur toile. 97,5 x 84 cm.

Historique : peint pour le petit Collège des Jésuites de Lyon, cité par Dezallier d'Argenville comme en ovale, vraisemblablement associé dans un retable avec au centre, Le Christ au désert servi par les anges et, sur l'autre aile, Sainte Madeleine? Vente Sotheby's, Monaco, 21 juin 1987, lot 640. Vente Drouot, Paris, 22 novembre 2013, lot 201. Vente Artemisia Paris 16 juin 2014, lot 46. Coll. part.

Bibliographie :

* Jean-Aymar Piganiol de La Force, Nouveau voyage de France, Paris, 1724, p. 194

* André Clapasson, Description de la ville de Lyon, Lyon, 1741, p. 195

* Antoine-Joseph Dezallier d’Argenville, Abrégé de la vie des plus fameux peintres, Paris, éd. 1762, t. 4, p. 44-45.

Dans les échanges que nous avons pu avoir, Gilles Chomer m'avait dit voir dans le format ovale du tableau qui venait de passer en vente à Monaco l'argument d'une identification avec le tableau mentionné par Antoine Dézallier d'Argenville (1762) au Petit Collège des Jésuites de Lyon, l'année même de l'expulsion de France de l'ordre. La forme originale se laisse percevoir en lumière rasante et demande à ne pas trop tenir compte de ce que montrent les angles.

Le rapprochement stylistique avec l'art de Stella, notamment le frontispice de la pièce de Tristan, La mort de Chrispe (1645), pour la figure de l'impératrice, ou Sainte Hélène faisant transporter la croix, peinture perdue de 1646, est incontestable. Il vient valider l'information du biographe alors qu'il peut être fautif sur Stella.

Il mentionne dans le même lieu une autre peinture en ovale, une Sainte Madeleine. L'une et l'autre viendraient compléter un Christ au désert servi par les anges signalé également par Piganiol de La Force et Clapasson, que le premier dit grand. Cela semble interdire tout rapprochement avec les deux versions connues à ce jour, l'une aux Offices, l'autre à Portland (catalogué plus bas), tous deux tableaux de chevalet et qui seraient en rupture d'échelle en cas d'insertion dans un retable avec les deux ovales dans les volets. La lumière et l'orientation des regards qu'elle accompagne paraissent bien désigner un complément sur la gauche des personnages. Si un tel décor a existé, la mise en avant du thème angélique pourrait en avoir été le ciment.

La patronne des musiciens a été représentée à de nombreuses reprises par Stella mais il opte ici pour une nouvelle instrumentation, la harpe venant remplacer l'orgue portatif. Cette rareté, qu'un Pierre Mignard illustrera à son tour en 1691 (Louvre), pourrait être une demande expresse des Jésuites, qui enseignait dans ce collège les trois classes basses et dont l'intérêt éducatif pour les arts du spectacles embrassait la musique, enseignée dans leurs établissements.

Dans sa Sainte Cécile chorale gravée par Daret, Stella avait doté un ange accompagnateur d'un tel instrument, Cécile restant au clavier. Le rapprochement avec l'antique figure de David peut aussi suggérer un souci archéologique, que souligne l'ornementation de l'instrument et la colonne sur piédestal. Un angelot jouant de la viole de gambe et un autre de la flûte viennent compléter le petit orchestre, un luth apparaissant à proximité.

Pierre Daret d'après Stella,
frontispice de La mort de Chrispe, 1645. Gravure. BnF
Sainte Hélène faisant transporter la croix, 1646. Toile, détail. Loc. inconnue.

Quoiqu'il soit de l'éventuel dispositif décoratif dans lequel notre tableau pourrait s'intégrer, son interprétation du sujet, pour l'heure sa dernière, vient couronner une évolution qui est celle de l'art même de Stella. Depuis Rome et ses versions d'esprit baroque, dans son rapport au réel comme au merveilleux, il a constamment raffiné son approche dans le sens d'une épure à l'antique sensible dans le drapé, l'idéalisation des traits ou l'attention au décor, et jusque dans un coloris perdant en profondeur pour se faire laiteux, scintillement participant à l'abstraction recherchée de l'image. À la veille de la Fronde, elle marque un aboutissement de l'art de Stella dont l'impact véritable reste pourtant diminué ici par la disparition, à ce jour, du reste du décor du Petit Collège des Jésuites.

S. K., février 2023

Sainte Madeleine couchée sur sa natte, peinture.
Huile sur toile.33 x 39 cm.
Gui Rochat French Old Masters, New York

Historique : Richard Feigen Gallery (French School, circa 1700). Marché d'art, New York. Gui Rochat French Old Masters, New York, novembre 2019.

Bibliographie :
* Inédit.

La Madeleine couchée a été située dans l'École française vers 1700, soulignant son aspect classique autant par le paysage d'inspiration bolonaise que par la figure à l'élégance raffinée, tant dans la pose que dans le coloris. Il faut en fait se tourner vers Jacques Stella, l'un des inspirateurs de l'«atticisme», et par voie de conséquence, de tout un pan de la création au temps de Louis XIV, de Le Brun et ses élèves - dont Verdier - à Louis de Boullogne, pour qui j'ai pu déjà signaler les dettes à l'égard de notre artiste. Le profil pur et charnu, à l'antique, se retrouve, entre autres, pour Erato dans Minerve chez les Muses (Louvre), ou les anges du Baptême du Christ de 1645. L'agencement des plis entérine l'évolution sculpturale de ce grand retable, de même que le coloris laiteux, l'un et l'autre incitant à une situation durant cette période.

Gui Rochat (comm. écrite) a fait le lien avec la gravure de Claude Mellan et par-delà, la composition d'Orazio Gentileschi connue par plusieurs exemplaires dont celui de Vienne. Le graveur a manifestement fait hommage à cette composition à Rome par une peinture traduite par lui-même en estampe, que Claude Goyrand copiera en sens inverse (Albertina). Mellan a obtenu en 1642 un logement au Louvre, devenant ainsi voisin de Stella, dont il venait de traduire les inventions pour l'Imprimerie Royale. Le petit format peut laisser croire à une sorte de défi amical de la part des deux Français, qui ont pu connaître l'Italien lorsqu'ils étaient tous trois à Rome - d'autant que Stella y vécut les premières années dans le voisinage d'Artemisia, sa fille.

Stella reprend l'attitude donnée à la sainte par Gentileschi, tête de profil vers le ciel appuyée sur le coude, la crâne calé sous l'aisselle, l'autre main le long du corps. De Mellan, il adopte la natte enroulé en traversin pour reposer la nuque, et le dessin du drapé. En revanche, il rompt nettement avec le décor minéral de ses collègues qui avaient situé Madeleine dans la grotte. L'Italien laissait filtrer un rai de lumière descendant d'une brêche, instaurant un dialogue spirituel source de l'extase de la sainte. Mellan, tout autant attaché à manifester l'abandon de celle-ci, fait légèrement basculer la tête vers l'arrière, et un angle de la composition d'où rien n'émerge. Chez Stella, l'attitude de la sainte est plus volontaire, regard tourné vers le soleil perçant les nuages dont l'impact se perçoit à la cîme d'un bois visible au loin, au-delà d'un plan d'eau. Ce n'est pas tant l'image d'une reddition à Dieu qu'une méditation sur sa manifestation au sein de la Nature.

Minerve chez les Muses.
Toile. Détail.
Louvre
Le baptême du Christ.
Huile sur toile. Détail.
Paris, église Saint-Louis-en-l'Île
Orazio Gentileschi (1563-1639).
La Madeleine pénitente. Toile. 163 x 208 cm.
Vienne, Kunsthistorisches Museum
Claude Mellan (1598-1688).
La Madeleine pénitente.
Gravure. 18 x 22,7 cm. BnF

Cette ouverture sur la nature pourrait interroger. Son contour épouse pour partie celui du corps de la sainte, jusqu'à sa main, et pourrait se souvenir de certaines Vénus vénitiennes de Giorgione ou de Titien, que l'on interprète comme la mise en regard d'un corps féminin et de la vision qui le saisit, qu'il dorme ou non. Cette lecture se comprend dans le contexte de la pensée néo-platonicienne, nourrissant ainsi la conception du paysage. De même l'attitude de la sainte transcrit-elle un éveil bien différent, par exemple, de l'extase de Sainte Thérèse du Bernin, soulignant l'inflexion classique, mesurée parce que maîtrisée, opposé au souffle spectaculaire, sinon théâtral, du baroque. Au travers de ce qui pourrait sembler un exercice de style, un amusement, et en petit format, Stella affirme encore un style et une réflexion toute personnelle, préludant, dans le registre religieux, à la lecture panthéiste que l'on peut faire de ses Pastorales, auxquelles il doit commencer alors à songer.

Ainsi, Stella déploie un écrin pour sa figure féminine en camaïeu de bruns, de gris et de verts dont les tons les plus profonds servent de frontière d'avec l'azur ennuagé, pareillement illuminé, auquel le petit lac forme écho. Les couleurs primaires - rose et bleu - portent l'évènement qui traverse la sainte, dont l'attitude suggère une sage acceptation, non le désordre des sens que certains artistes peuvent aller jusqu'à représenter, faisant de leur Madeleine pénitente une Madeleine provocante. Stella ne renonce pas à un discret érotisme mais refuse tout excès dans l'expression extatique : le bandeau restant dans la coiffure n'en suggère que le début, tout en donnant à l'interprétation une couleur locale, sinon une note archéologique.

S.K., Melun, février 2023

Saint Hyacinthe sauvant d'un embrasement
le saint sacrement de l'autel et l'image de la Vierge

(Mariette),
dessin perdu
Gravure par Karl Audran.
Dessin perdu.

Gravure par Karl Audran. Burin. 10 x 6,5 cm. BnF, Da20 fol., 94 (Microfilm E73599)
Lettre :
- dans la marge, Deuot Honneur de Cracovie/ Admirable en sa Sainteté,/ Fay que nous ayons de ta Vie,/ Et le Zele, & la Pureté.

Bibliographie :
* Roger-Armand Weigert, Bibliothèque Nationale. Cabinet des Estampes. Inventaire du fonds français. XVIIè siècle., t. I, 1939, p. 180 (K. Audran 107 et 108).
* Marie-Thérèse Mandroux-França et Maxime Préaud, Catalogues de la collection d'estampes de Jean V, roi du Portugal par Pierre-Jean-Mariette, Lisbonne-Paris, 1996, t. II, p. 216 (sous n°9).

Bibliographie additionnelle :
* Nicolas Sainte-Fare-Garnot, « Noël Quillerier peintre... » in colloque Simon Vouet, 1992, p. 173-197.

La gravure figure dans l'album Berinhgen de l'œuvre des Stella de la Bibliothèque Nationale de France. Il faut la mettre en relation avec une mention de Mariette, reprise par Le Blanc et Weigert qui n'en ont pas identifié d'exemplaire. L'amateur en donne la traduction à Karl Audran, compagnon des années romaines et dont la collaboration avec Jacques se poursuit en France. Le format, proche des gravures de Bosse pour l'Office de la Vierge Tristan suggère une illustration pour un petit volume in-12. Dater précisément une telle vignette est délicat. Une place dans les années 1640 est assurée. L'Enfant Jésus retrouvé... de Lyon (1645) et le Salvator Mundi en pied, de 1647, autorisent peut-être une fourchette moins grande, par l'association entre l'autorité simple de la mise en scène, et un reste de maniérisme dans l'élégance de la Vierge. Des éléments extérieurs donneront peut-être quelque jour un plus ferme ajustement.

L'image honore saint Hyacinthe, évêque de Cracovie au XIIIè siècle, qui sauva le Saint Sacrement et une statue en marbre de la Vierge tenant l'Enfant d'un monastère de Kiev menacé par les Tartares. C'est un des principaux saints de l'ordre des Dominicains, qui avaient à Paris un établissement, le couvent des Jacobins de la rue Saint-Honoré, dédié à l'Annonciation. La décoration de la chapelle Saint-Hyacinthe de leur église fut entreprise par Noël Quillerier pour la voûte et Jacques de Létin pour le retable, connu par la gravure de Pierre Daret, en 1642-1644 (Nicolas Sainte Fare-Garnot 1992, p. 476). La confrontation du détail assez proche du saint avec ostensoir et statue accuse l'aspect « classique » de la Vierge tenant l'Enfant et la franchise tranquille du dominicain chez Stella, qui tranche avec l'approche plus mouvementée de son cadet Létin (1597-1661), vers un temps pourtant voisin.

S.K., Melun, février 2023

L'enfant Jésus retrouvé dans le Temple, 1645.
Bois. 66 x 54 cm. Lyon, Musée des Beaux-Arts
Le Chist Salvator Mundi, 1647.
Bois. Env. 31 x 21 cm. Coll. part.
Pierre Daret d'après Jacques de Lestin
Les miracles de saint Hyacinthe.
Gravure. 59 x 41,3 cm. BnF.
La Vierge présentant du raisin à l'Enfant,
dessin perdu
Gravure par Karl Audran
.
Dessin perdu.

Gravure par Karl Audran. Burin. Env. 10 x 6,5 cm. BnF, Da20 fol. (Microfilm E73595)
Lettre :
- dans la marge, Vierge, plus pure et plus pudique,/ Que ne sont les Anges des Cieux :/ Ayde à qui chante ce Cantique/ De ton mérite glorieux.

Bibliographie :
* Roger-Armand Weigert, Bibliothèque Nationale. Cabinet des Estampes. Inventaire du fonds français. XVIIè siècle., t. I, 1939, p. 176 (K. Audran 24).
* Marie-Thérèse Mandroux-França et Maxime Préaud, Catalogues de la collection d'estampes de Jean V, roi du Portugal par Pierre-Jean-Mariette, Lisbonne-Paris, 1996, t. II, p. 215 (sous n°9).

Les remarques faites pour Sainte Hyacinthe valent pour cette Vierge signalée par Mariette, qui en attribue la gravure à Karl Audran, à tel point que l'on peut envisager que les deux aient fait partie d'un même projet d'édition. Le format, avec lettre à quatrain en français, oblige au rapprochement, de même que le sens des inscriptions, qui sollicite l'aide et la protection du saint personnage présenté à la vénération. Comment comprendre le détail du petit pied débordant dans la marge sinon comme une fantaisie tolérée dans l'économie de la page, marge à écriture comprise?

Cette estampe sur un sujet très fréquemment traité par Stella est plus facile à dater. Le port de tête de la Vierge, majestueux malgré l'inclinaison, et le parti de composition, à rapprocher de la Vierge en pied de 1647 et de la Madone Beauharnais de 1650 offre certains des éléments de rapprochements les plus nets, et des jalons pour sa situation. L'association avec la gravure du Saint Hyacinthe viendrait confirmer le resserrement de sa fourchette chronologique dans la dernière partie des années 1640.

Plus encore, peut-être, que pour l'autre estampe, l'inscription porte le poids du principe qui en règle le sens. L'image de l'évêque de Cracovie n'est ni plus ni moins que représenté avec ses attributs. La Vierge, seul objet de la prière écrite, est non seulement montrée avec son fils mais tenant avec lui une grappe de raisin. Celle-ci offre aux deux personnages l'occasion de réactions opposées.

L'Enfant semble sourire, a priori par jeu ou par plaisir du goût dans la perspective d'en manger quelques grains; sa mère affiche, elle, une certaine gravité. Son expression sur laquelle le texte peut attirer l'attention renvoie à la conscience dont elle est capable du destin tragique du Christ, le raisin symbolisant son sacrifice pour tout chrétien. Ce dernier, en imaginant le dialogue des deux personnages, pouvait également y voir l'assurance du Fils sur l'accomplissement de sa mission répondant à l'angoisse maternelle. Qu'elle qu'elle soit, elle transcrit une histoire atemporelle, au message universel, dans le registre personnel et familier du quotidien familial. Rien qui ne puisse étonner de la part de Stella!

S.K., Melun, février 2023

La Vierge, virgo adoranda, 1647.
Bois. Env. 31 x 21 cm. Coll. part.
La Vierge à l'Enfant et saint Jean, 1650.
Huile sur marbre noir. 33 x 25 cm. Coll. part.

Sainte Famille au lys,
dessin
(et gravure de Claudine)

Sanguine (et crayon noir?). 20,6 x 22,7 cm. Annoté à la plume en bas à gauche : J. Stella f. 1633. Marque d'Albert, duc de Saxe-Teschen (1738-1822) (Lugt 174) en bas à droite.

Vienne, Albertina

Historique : Fonds Stella, coll. Claudine Bouzonnet Stella, qui grave la composition; inventaire 1693, partie du legs à Simon de Masso; par descendance, Pierre de Masso (1728-1787)? Acquis par Albert, duc de Saxe-Teschen (1738-1822).


Gravure par Claudine Bouzonnet Stella. Eau-forte. BnF, Da20 fol., p. 45.
Lettre : « Ego flos campi. et lilium. convallium. cant. cap. 2 »

Bibliographie :
* Roger-Armand Weigert, Bibliothèque Nationale. Cabinet des Estampes. Inventaire du fonds français. XVIIè siècle., t. II, 1951, p. 92 (CBS 6).
* Marie-Thérèse Mandroux-França et Maxime Préaud, Catalogues de la collection d'estampes de Jean V, roi du Portugal par Pierre-Jean-Mariette, Lisbonne-Paris, 1996, t. II, p. 218-219 (n°37).
* Sylvain Laveissière in cat. expo. Jacques Stella (1596-1657), Lyon-Toulouse, 2006-2007, p. 175 (n°102).
* Sylvain Kerspern, « Catalogue de l'œuvre de Jacques Stella : Oeuvres datables de 1644-1645, La Sainte Famille au lys », site dhistoire-et-dart.com, mise en ligne en août 2022.

L'historique des dessins de l'Albertina pourrait être assez linéaire. Ils passent de Claudine aux de Masso, jusqu'à ce que Pierre de Masso (1728-1787), qui aura recueilli entre ses mains le reliquat de l'ensemble de la collection Bouzonnet, encore important semble-t-il, en commence la dispersion. En 1786, Albert, duc de Saxe-Teschen (1738-1822) séjourne à Paris et déjà collectionneur, pourrait avoir saisi l'occasion d'acquisitions auprès de l'héritier des Stella.

L'inscription portée au bas à gauche ne ressemble guère aux signatures de Stella, et le nombre supposé en donner la date laisse perplexe, d'autant que plusieurs dessins datés incontestablement de 1633 sont bien connus. Les feuilles du Louvre montrent son style au moment de quitter Rome, pétri des modèles de Raphaël, Dominiquin et Guido Reni assimilés dans des mises en scènes délicatement animées, un faire lisse dans les carnations et un trait précis et calme. Le dessin de l'Albertina témoigne de l'évolution de l'artiste dans l'actualité parisienne des Vouet, Blanchard, Champaigne ou La Hyre, l'incitant à épurer son langage, à lui donner une vigueur et, progressivement, une tension plus particulièrment sensible à partir du milieu des années 1640. Ainsi, on peut plus justement en rapprocher le frontispice gravé en 1645 par Daret pour La mort de Chrispe, pour le type physique de l'impératrice et les dispositions sans affectation, et plus encore Sainte Héléne faisant transporter la Vraie Croix (1646) pour la fermeté du drapé, la typologie pure ou énergique, cette dernière stimulée, peut-être, par le retour en France de François Perrier en 1646.

Le sujet figure parmi ceux dont Stella a multiplié les variations, mesures de son évolution confirmant l'écart d'avec son style à la fin du séjour italien. Peu après son arrivée à Paris, il en donne deux versions; l'une, gravée par Poilly, réagissant à Blanchard par la puissante installation des personnages montrés aux deux-tiers, l'autre, sur cuivre et de 1637, plus classique, aux figures entières. Quelques années avant le dessin de l'Albertina, il revient dans une peinture sur ardoise à la formule aux deux-tiers mais dans un style à l'antique à la tension accrue.

L'analyse de cette dernière m'a conduit à remarquer une évolution dans la place du lys, attribut par excellence de Joseph, qui est le personnage sur lequel le sujet porte l'attention. Les premières versions montrent l'Enfant se détachant de sa mère pour aller lui confier le lys, sorte de narration de l'incarnation du fils de Dieu. Celle sur ardoise place Jésus sur les genoux de sa mère, dans un linge qui évoque le suaire, insistant sur la dimension tragique des pensées des trois protagonistes associée au lys, que l'enfant à mis dans la main de Joseph, symbole de son élection.

La sanguine en reprend l'idée sur un mode non plus narratif ou tragique mais quasi héroïque, dans un cadre minéral austère. Les trois précédents montraient un livre qui suggérait que Joseph avait interrompu sa lecture pour répondre à la sollicitation de son fils adoptif. Stella se débarrasse ici de tout élément anecdotique pour se concentrer sur l'interaction des trois personnages, solidemnt campés, les expressions tranquilles, sinon souriantes. Si le style se tend, l'image est toute en bienveillance, et si un linge ceint l'Enfant, l'heure ne semble pas aux sombres pensées mais à l'exaltation de la Divine Providence protégeant le Dieu caché par la désignation de Joseph. Le jeu des mains souligne toute la délicatesse et la tendresse de la scène familiale, soulignant sans doute une interprétation toute personnelle du sujet, que Claudine ne manqua pas de graver dans le même sens.

L'honneur, 1633.
Dessin. 39,5 x 26,5 cm.
Louvre
Allégorie sur l'agonie du cardinal Borghese,
1633
Dessin. 27 x 20,7 cm.
Louvre.
Pierre Daret d'après Stella
La mort de Chrispe, 1645.
Gravure. 21,3 x 15,1 cm. BnF
Sainte Hélène faisant transporter la Vraie Croix,
1646. Toile. Détail.
Localisation actuelle inconnue.

Poilly d'après Stella, Gravure. BnF

Cuivre, 1637. Loc. inconnue

Ardoise. Loc. inconnue.

S.K., Melun, février 2023

Sainte Famille, sainte Élisabeth, saint Jean et l'agneau,

peinture.
Huile sur toile. 41 x 32 cm. Louvre (mise à jour, mai 2023).

Historique : Vente Ivoire Lyon, 14 octobre 2017, lot 40. Vente Artcurial, 9 juin 2022, lot 2; coll. part.; don Daniel Thierry via les Amis du Louvre.

* Inédit (lors de la mise en ligne)

Bibliographie additionnelle :
* Cat. expo., Raphaël et l'art français (Jean-Pierre Cuzin dir.), Paris, 1984, p. 217, n°319 (notice de Martine Vasselin).
* Bénédicte Bonnet Saint-Georges, « Un tableau de Jacques Stella offert au Louvre », site La tribune de l’art, mis en ligne le mercredi 24 mai 2023 (consulté le 25 mai 2023)

L'invention de cette peinture par Jacques Stella est attestée par la gravure de François de Poilly d'un sujet voisin, en largeur, dans laquelle Joseph est occupé à lire, dont la peinture ou le dessin qu'elle traduit reste à retrouver. Le type physique du père adoptif, dont les traits se tendent comme un masque, est à rapprocher du procédé appliqué au Salvator Mundi de 1647 ou du Joseph de la sanguine de l'Albertina (notice précédente). Notre peinture doit donc prendre place quelques années après la composition gravée par Poilly.

En commentant cette estampe, je n'ai sans doute pas souligné assez la référence à Raphaël. Elle est plus évidente encore avec un format en hauteur. Stella aura vu à Rome, où elle était encore, la Madone au mouton du Prado, qui lui a donné l'idée maintes fois exploitée du jeu avec l'agneau mais aussi, pour cette composition, la manière dont la Vierge tient l'Enfant, qui doit elle-même dériver de la Sainte Anne, la Vierge et l'Enfant de Léonard. L'arrangement même des vêtements peut passer pour une citation, et la possibilité de voir à Paris le panneau de Vinci pourrait avoir favorisé le changement de position du petit Jésus par rapport à sa mère. La relation de cette dernière avec sa cousine reprendrait plutôt la composition gravée par Rousselet, mise en relation avec un dessin du Louvre (Inv. 3949) mais qui pourrait traduire une copie par Philippe de Champaigne inventoriée après son décès (M. Vasselin 1984), sur le marché d'art parisien en 1988.

François de Poilly d'après Stella,
Sainte famille, sainte Élisabeth, saint Jean et l'agneau.
Gravure. 39 x 49 cm. BnF
Le Chist Salvator Mundi, 1647.
Bois. Env. 31 x 21 cm. Coll. part.
Raphaël, La Sainte famille au mouton.
Huile sur bois. 28 cm x 21,5 cm.
Prado.
Philippe de Champaigne
d'après Raphaël,
Sainte famille,
sainte Élisabeth,
saint Jean et l'agneau
.
Gravure. 25 x 20 cm.
Galerie Bailly, Paris, en 1988
(comme de Jacques Stella)
Léonard, Sainte Anne, la Vierge, l'Enfant et l'agneau.
Huile sur bois. 168 x 113 cm.
Louvre
(© 2012 RMN-Grand Palais (musée du Louvre) / René-Gabriel Ojéda)
Gilles Rousselet
d'après Raphaël
(via Champaigne),
Sainte famille,
sainte Élisabeth,
saint Jean
et l'agneau
.
Gravure.
25 x 19 cm.
BnF

Ces références, en particulier celle à Raphaël, ont très tôt nourri l'art de Stella. Ce qui caractérise leur recours alors doit tenir au contexte dans lequel il s'exprime, celui de l'approche classicisante du cercle de Sublet et des frères Fréart, qui encouragent l'étude de l'antique et des grands modèles de la Renaissance italienne. Comme dans la Madeleine se pressent un jeu érudit sur la culture visuelle du temps qui vient enrichir l'appréciation de l'œuvre.

La lecture du geste de la Vierge voulant retenir son fils de rejoindre le symbole de son sacrifice est faite pour la Sainte Anne de Léonard dès que celui-ci l'entreprit. Cette réaction maternelle compréhensible capte l'attention des enfants et d'Élisabeth, qui semble avoir réuni ceux-ci autour de l'agneau. Joseph, dans l'ombre, ne regarde pas son épouse mais la scène, en protecteur ayant dressé la collation - autre référence, avec la carafe, le pain et les fruits, au destin tragique de l'Enfant. Son attitude est la principale variante d'avec la gravure de Poilly, dans laquelle il ne prend pas part à la scène, plongé dans une lecture qui suppose l'inconscience de ce qui effraie Marie et, d'une certaine façon le distrait de sa mission paternelle, sauf à y voir la volonté de trouver dans les Écritures un sens à leur histoire. Point de subterfuge semblable ici : Joseph est un protecteur en action, assumant son rôle dans les tâches les plus humbles et les plus quotidiennes, suivant un esprit que Stella a si fréquemment mis en avant.

S.K., Melun, février 2023

La Charité,
peinture
Huile sur toile. 128 x 101 cm.
Localisation actuelle inconnue


Historique : Hôpital de la Charité, Paris? Saisie puis vente révolutionnaire? Coll. Jean-François Rau(s)ch, Leipzig, sa vente, Leipzig, 17-18 octobre 1799, lot 74 (« J. Stella / No. 74. Une Charité, on y compte cinq figures de grandeur naturelle, d'une couleur, et surtout d'une carnation admirable; ce tableau fut toujours regardé comme un des meilleurs de cet habile peintre: il appartint alors à une communauté, pour laquelle il fut peint. H. 43. L. 37 1/2. [116,5 x 101,5 cm.] T. » ). Vente Dorotheum Vienne 24 avril 2007 (lot 83, Cavalucci). Vente Sotheby's New York 29 janvier 2016 (lot 497, Jacques Stella).

Bibliographie :
* Sylvain Kerspern « Les Stella : suppléments aux catalogues de 2006 : La Charité vendue à Vienne », site dhistoire-et-dart.com, mise en ligne 18-29 avril 2008; retouches, août 2012, janvier 2016

Lors de sa réapparition en vente à Vienne sous le nom d'Antonio Cavalucci (1752-1795), peintre italien marqué par le néo-classicisme, j'ai souligné, dans ma réattribution à Stella, les liens avec L'enfant Jésus retrouvé par ses parents dans le Temple (1641-1642) pour le Noviciat des Jésuites, aujourd'hui aux Andelys, pierre de touche de l'artiste, et Clélie et ses compagnes, autre chef-d'œuvre longtemps incompris. La vente suivante à New York, passant par-dessus celle de Dorotheum (et mon étude), a proposé une identification avec le tableau de Stella de la collection Rauch dispersée pourtant dans l'ancien Empire en 1799. Son rapprochement avec la Madone Beauharnais de 1650, et le glissement de la Clélie au fur et à mesure des ajustements nés de l'entreprise du catalogue raisonné de l'artiste, m'incitent désormais à placer un peu plus tard la Charité, avant cette Vierge, à la minéralité brisée, à la souplesse envolée, mais après, par exemple, les illustrations conçues pour l'Office de la Vierge Tristan (1645).

Comme je l'ai écrit en 2016, l'information suggérée en 1799 de la provenance d'une institution dédiée à la Charité nous est précieuse. La toile pourrait s'agréger aux commandes imputées à Richelieu - post mortem - si une destination pour l'hospice de la Charité voulu par le Cardinal, décoré notamment par Charles Le Brun et Louis Testelin vers 1645-1655, se trouvait confirmée, validant de fait la situation donnée ici. On notera aussi le mur appareillé en fond, que Stella emploie volontiers alors.

Cela m'a incité à m'interroger sur la présence du pot à feu, qu'un des enfants entretient. Le feu symbolise ce qui embrase le cœur de l'amour divin, propice à la charité. Sa présence, même plongé dans une ombre mettant en évidence un délicat clair-obscur, est tout sauf anecdotique. Stella articule sa démonstration autour de l'enfant de dos. D'une part, il tient sur ses genoux une corbeille de fruit dans laquelle la jeune femme a pris un fruit pour l'offrir à l'enfant debout qui vient l'embrasser, tandis qu'elle s'apprête à allaiter celui allongé sur elle. Du regard, il oriente l'attention vers le fond de la scène, associant une scène d'amour maternel, charitable, profane, à sa source spirituelle. Le détail ci-contre qui le concerne montre le soin avec lequel Stella l'a représenté et souligne la haute qualité de son travail, malgré le passage du temps.

Abraham Bosse d'après Stella,
Sainte Suzanne, 1645.
Eau-forte. Env.4,6 x 3,3 cm.
BnF
La Vierge à l'Enfant et saint Jean, 1650.
Toile. 33 x 25 cm.
Coll. part.

Ainsi, loin d'être une mise en image littérale et convenue, la Charité est proposée par Stella comme la mise en œuvre de l'amour divin dans le monde. Si le discours a pu lui être donné comme programme à suivre, les instruments dont il se sert pour le peindre lui sont propres, jouant sur la dimension psychologique exprimée par les actions des enfants. Chacun, incarnation de la pureté et de l'innocence que remplit l'amour charitable, est impliqué dans son action à l'exception de celui de dos, double et guide du spectateur, seule note primaire d'importance, le jaune qui renvoie aux flammes, dans la gamme chromatique employée ici, symphonie de tons secondaires - violine, verts, orangées - et de bruns, outre le blanc.

Suivre le parcours du dessin en partant du même enfant inaugure un arc de cercle poursuivi par certains plis du manteau orangé, par le dos de l'enfant brun et débouchant sur le pot-à feu - au point qu'on peut se demander s'il n'y eut pas volonté d'un format ovale. Technique et prédilections de l'artiste se combinent à merveille pour développer le thème, suivant un coloris qui met également en valeur l'embrasement de l'amour divin, par un palette sourde réchauffée dans l'ombre, telle une obscure clarté, jouant du contraste entre joue empourprée et vêtement vert dont la composante bleue a malheureusement viré. Le tableau peut encore se lire comme l'éveil de l'amour divin, source charitable, depuis le stade primal de l'allaitement jusqu'à la diversification alimentaire et aboutissant à son entretien; le quatrième enfant en prend, avec nous, conscience, en une invitation à s'engager, depuis une attitude passive, dans l'action. Image aussi déroutante que la Clélie au point que l'attribution ancienne ait été refusée dans la vente de 2007, elle n'en administre pas moins tout autant la virtuosité picturale de l'artiste s'effaçant derrière un métier raffiné, tout en mesure, constituant l'un de ses nombreux chef-d'œuvre.

S.K., Melun, mars 2023

Le Christ à la colonne, dit aussi Le Christ aux outrages,
dessin (et gravure par Claudine).
Pierre noire, plume et encre brune, lavis gris et rehauts de gouache; 25 x 19,7 cm (apparemment coupé sur les quatre côtés).

Cambridge (Mass.), Harvard university art museums, Louise Haskell Daly Fund and Friends of the Harvard University Art Museums


Historique : Fonds Stella; legs de Claudine Bouzonnet à son cousin Simon de Masso (1658-1737); Pierre de Masso (1692-1773)? Pierre de Masso (1728-1787)? Sir Edward J. Poynter (1836-1919), London (sans sa marque, L.874); sa vente, Sotheby's, London, 24-25 April 1918, lot 232 (copie d'après Nicolas Poussin); Mrs. Abraham Solomon, New York; sa vente, Sotheby's, London, 13 December 1966, lot 74; Germain Seligman (1893-1978), New York (sa marque, L.3863, en bas à droite); sa femme, Mrs. Germain Seligman, New York, par héritage; vendu à Artemis, Luxembourg, avec E. V. Thaw & Co., New York, David Carrit, Ltd., London, et Robert M. Light, Santa Barbara; Seiden and de Cuevas, Inc., New York; Harvard Art Museums/ Fogg Museum, The Melvin R. Seiden Fund and Louis Haskell Daly Fund, 1984.595r Harvard.

Gravure par Claudine Bouzonnet Stella (1636-1697). 27,7 x 19,2 cm.
Lettre :
- État 1 (Claudine). Au bas de l'image : J. Stella in. à gauche; cum privil. Regis à droite.
Dans la marge : Verè Languores nostros ipse tulit/ Et dolores nostros ipse portavit. Isayæ. cap. 53.
BnF, Da. 20, fol. (p.50)
- État 2 (de Masso). Idem excepté au bas de l'image : J. Stella in. à gauche remplacé par N. Poussin pinx.
Genève, Musée d'Art et d'Histoire; Harvard; Nancy, musée des Beaux-Arts...
Bibliographie sélective :
* (Eugène Piot?) « Les marchands de Paris, I. Madame Ve Jean, marchande d'estampes anciennes de Paris, Le cabinet de l'amateur et de l'antiquaire, II, 1843, p.183-188.
* Catalogue des planches gravées en tous genres par les plus célèbres graveurs du XVIe au XIXe siècle, composant le fonds de commerce d'éditeur d'estampes de Mme Vve Auguste Jean(...)., Paris 1846, p. 87-88 lot 318.
* Roger-Armand Weigert, Bibliothèque Nationale. Cabinet des Estampes. Inventaire du fonds français. XVIIè siècle., t. II, 1951, p. 83 (CBS 26).
* Jacques Thuillier, « Poussin et ses premiers compagnons français à Rome (...) », Nicolas Poussin, ed. André Chastel, Centre National de la Recherche Scientifique, Paris, 1960, p. 110, n.139, fig. 31.
* Hilliard T. Goldfarb, Catalogue d'expostion From Fontainebleau to the Louvre: French Drawing from the Seventeenth Century, The Cleveland Museum of Art, 1989, p. 69-70, n°69.
* Catalogues de la collection d'estampes de Jean V, roi du Portugal par Pierre-Jean-Mariette, éd. Marie-Thérèse Mandroux-França et Maxime Préaud, Paris, 1996, II, p. 217, n°28.
* Sylvain Laveissière in cat. expo. Jacques Stella (1596-1657), Lyon-Toulouse, 2006-2007, p. 176-177, cat. 103.
* Jacques Thuillier, Jacques Stella, Metz, 2006, p. 158-159.
* Sylvain Kerspern, « Jacques Stella. Catalogue (... )La Passion du Christ (...) », site dhistoire-et-dart.com, mise en ligne mars 2017, retouches mai 2018, novembre 2019, avril 2022.
* Sylvain Kerspern, « L'héritage de Stella. Notes sur les de Masso », site dhistoire-et-dart.com, mise en ligne le 27 septembre 2021.

C'est assurément la publication par Jacques Thuillier en 1960 de la gravure de Claudine dévoilant la supercherie opérée pour en attribuer la paternité à Poussin qui aura favorisé la restitution du dessin à Stella. Fraude grossière qui alla jusqu'à apposer un numero 14 comme s'il s'agissait d'un des sujets de la Passion que, dans le même temps, de Masso, qui en est certainement responsable, a fait pareillement passer en Angleterre pour une production du Normand en dépouillant son ami Lyonnais, alors que les dimensions sont très différentes; mais fraude efficace puisque le dessin reparaît à Londres en 1918 comme copie d'après Poussin, assorti de l'estampe en rapport.

Au demeurant, le style de notre feuille n'a pas l'urgente puissance de ladite suite faite par Stella dans les derniers mois de sa vie. Sa violence est contenue, exprimée par les musculatures et les expressions des bourreaux opposées au visage souffrant mais calme, les yeux tournés vers la lumière éclairant la prison. On peut en rapprocher l'illustration pour Le vray trésor de l'histoire sainte sur le transport miraculeux de l'image miraculeuse de Notre-Dame de Liesse illustrée de gravures de Jean Couvay et François de Poilly publiée en 1647. La même année est peint le « regard » du Christ bénissant et de la Vierge adorant, cette dernière peinture étant préparée par un dessin au même décor de mur appareillé que semble décidément beaucoup aimer l'artiste alors.

S'il ne fait pas partie de la suite de la Passion en trente tableaux, il en prépare, d'une certaine façon, le déploiement, et pour cette fois, il peut être utile de convoquer l'ami Poussin. Ce dernier avait entrepris la Crucifixion pour Jacques de Thou, commande que Stella avait apparemment suggérée et que Claudine gravera. En 1646, il lui demande pour lui un Portement de croix auquel le Normand ne peut se résoudre au prétexte des lourdes pensées à remuer pour ce faire, dont le précédent tableau l'avait déjà affligé. L'anedcote souligne une préoccupation qui distingue les deux amis, et qui peut avoir fait germer dans l'esprit de Stella l'idée d'une longue méditation sur les derniers instants, si douloureux, du Christ. Il avait déjà représenté un épisode voisin, La flagellation, dans ses « camayeux », vers 1622-1625. Ici, il dessine le moment qui précède, plus rare, au cours duquel le Christ est dépouillé de ses vêtements.

La comparaison des deux images dit tout à la fois la constance de l'inspiration et l'évolution du style. Si la Flagellation révèle l'imprégnation de la culture florentine y compris contemporaine par une typologie qui semble se souvenir de la production de Domenico Cresti dit Passignano (1559-1638) ou Matteo Rosselli (1578-1650), elle propose déjà une animation délicate encore sensible, possible auto-citation, dans le drapé du dessin d'Harvard. Ce dernier montre aussi toute l'évolution classicisante sur les modèles antiques et raphaëlesques (Giulio Romano compris) pour l'anatomie ou les visages.

La gravure sur bois, qui reprenait le thème du dessin de l'Ensba daté de 1618, avait enlevé tout spectateur. Stella les réintroduit dans le dessin américain par trois hommes (Claudine complétant dans sa gravure ce qui manque à notre feuille) qui observent la scène par l'ouverture grillagée. Affaire de regards, donc : l'un des bourreaux est tout entier occupé à attacher Jésus à la colonne; l'autre, enlevant le manteau, regarde vers sa victime, son visage ou son épaule, sur laquelle il s'appuie pour accomplir sa tâche. Le Christ s'en détache en levant les yeux vers la lumière surnaturelle, surpassant celle de la pièce venant de la gauche et que lui seul perçoit, source de réconfort et de préparation aux souffrances à venir, en sorte qu'il ne s'agit pas tant d'implorer que d'invoquer Dieu. La résonnance avec la suite de la Passion et le discours de Poussin en fait décidément une méditation très personnelle, autant sur le thème que sur la manière de le rendre visible, sensible.

Couvay d'après Stella,
Les trois frères condamnés à la prison.
Gravure. Env. 19,7 x 14 cm.
BnF
La Vierge, virgo adoranda
Sanguine. 34,5 x 20,5 cm.
Dijon, Musée des Beaux-Arts (Alb. TH A3, f°75)
La flagellation, 1622-1625.
Gravure sur bois. 29 x 19 cm.
BnF

S.K., Melun, février 2023

Gravure mentionnée par Mariette perdue Le Christ lavant le péché du monde de son sang/
La Vierge à l'Enfant à mi-corps.
Gravures par Paul Fréart de Chantelou (1609-1694)

(Mariette)

Peintures ou dessins perdu(e)s

Gravures.
Le Christ rédempteur, lavant le péché du monde de son sang
Eau-forte.
Exemplaire : BnF.

La Vierge à l'Enfant à mi-corps. Eau-forte. 5 pouces 1/2 hauteur, 4 pouces travers (14,9 x 10,8 cm.)
(Mariette). Aucun exemplaire repéré.

Bibliographie :
* (Pierre-Jean Mariette) Abecedario de P. J. Mariette : et autres notes inédites de cet amateur sur les arts et les artistes, publié par Montaiglon et Chennevières en 1852-1862; t. 5, 1858-1859, p. 261
* Sylvain Kerspern, «Mariette et les Bouzonnet Stella. Notes sur un atelier et sur un peintre-graveur, Claudine Bouzonnet Stella», Bulletin de la Société de l’histoire de l’art français, 1993, 1994, p. 31-32 (fig. 1).
* Sylvain Kerspern, « Les Jeux et Plaisirs de l'Enfance », site dhistoire-et-dart.com, mise en ligne en novembre 2019.

C'est par Mariette que l'on apprend que les frères Fréart (Chambray et Chantelou) ont pratiqué la gravure, et sous la direction de Jacques Stella, dont ils traduisent trois inventions. Je n'en ai repéré qu'une seule, publiée dans mon étude sur Claudine Bouzonnet Stella et l'atelier familial parce que cette opportunité put prendre place dans le cadre de la formation des neveux et nièces. L'amateur d'estampes date formellement notre Christ de 1648, et les premières traces de la production des élèves se place en 1653-1654, avec l'ex-voto peint perdu pour Fourvières et la gravure du Saint Louis d'après l'oncle.

Il est vraisemblable qu'il faille situer les inventions de Jacques Stella que les Fréart traduisent peu avant leur travail à l'eau-forte. Pour notre Christ, la confrontation ci-contre avec deux ouvrages datés de 1643 et 1645 l'installent effectivement dans la dynamique de ces années, avec un sentiment peut-être plus sévère qui correspond à l'évolution de la deuxième moitié des années 1640.

Lorsqu'il le grave, Chantelou a quitté le secrétariat de Condé, qu'il a suivi dans ses campagnes militaires, depuis un an. Sa technique, timide, modulant le tracé du stylet en courbes et en tirets en parallèles ou croisés, mais attentif au clair-obscur se retrouve dans une autre estampe annotée de son nom, d'après Raphaël celle-ci, sur laquelle je reviendrai bientôt dans le feuilleton consacré aux tableaux que Poussin a peint pour Stella.

Si l'iconographie peut être rattachée au thème du Christ rédempteur, sa mise en scène est assez insolite. Une telle interprétation peut évoquer le pressoir mystique ou le Christ fontaine de vie (titre que je lui ai donné dans mon étude sur Les Jeux et Plaisirs de l'Enfance). Les deux gravures de Jérôme Wierix (1553-1619) ci-contre, illustrant ces deux sujets, suggèrent autant les rapprochements que les particularités de l'interprétation de Stella.

Ici comme là, le lien avec la crucifixion et le sang versé alors est explicite. Le pressoir mystique vient illustrer la symbolique attachée au vin lors de la messe; la fontaine de vie évoque de façon plus abstraite le rôle du Christ dans la victoire sur le péché par l'évocation d'une source du Paradis terrestre. Stella en actualise le propos en montrant le serpent foulé au pied par Jésus, le sang venant remplir une cuve dans laquelle baigne un globe évoquant le Monde. Il illustre ainsi un passage de l'évangile de Jean (1,29) de façon tout à la fois littérale et imagée, en créateur iconographique. Il confère au Christ une dimension héroïque par son canon pour atténuer ce qui pourrait être avant tout une image doloriste, dans le respect d'un discours positif requis. Reste qu'il part d'une interrogation sur le sens de la souffrance de Jésus qu'il va désormais approfondir régulièrement jusqu'à l'ultime Passion en trente tableaux.

S.K., Melun, janvier 2024

(Ci-dessus) Le baptême du Christ.
Toile, 1645, détail.
Paris, église St-Louis-en-l'Île
(Ci-contre)
Le Christ mort, 1643.
Cuivre. 17,5 x 11,8 cm.
Coll. part.
Jérôme Wierix (1553-1619),
Le Christ pressoir mystique, 1619.
Gravure. British Museum
Jérôme Wierix (1553-1619),
Le Christ fontaine de vie.
Gravure.
Gravure mentionnée par Mariette perdue Tête de femme placée sous un dais au milieu de deux cornes d'abondances,
cul de lampe
.
Gravure par Roland Fréart de Chambray (1606-1676)

(Mariette)

Dessin perdu

Gravure.
Tête de femme placée sous un dais au milieu de deux cornes d'abondances, cul de lampe
Eau-forte.
Aucun exemplaire repéré.

Bibliographie :
* Catalogues de la collection d'estampes de Jean V, roi du Portugal par Pierre-Jean-Mariette, éd. Marie-Thérèse Mandroux-França et Maxime Préaud, Paris, 1996, II, p. 236.

Le mariage d'Hercule,
peinture.
Huile sur toile. 69 x 90 cm.
Localisation actuelle inconnue.


Historique : vente Drouot Paris 17 mars 1987, salle 5 et 6, lot157 (comme J. Lemaire). Vente du 12 juin 1995, Paris (Hotel George V, Importants tableaux anciens, lot 125; comme J. Lemaire). Vente Christie's Londres, Old master pictures, 19 avril 2000, lot 50 (comme J. lemaire).
Bibliographie :
* Jean-Claude Boyer, compte-rendu de Jean Lemaire, pittore « antiquario » de Maurizio Fagiolo dell'Arco, in The Burlington Magazine, novembre 1998, p. 758, à propos des n°18 et 20.
* Sylvain Kerspern «L’exposition Jacques Stella : enjeux et commentaires» (figure 7), site La tribune de l’art, mis en ligne le 29 décembre 2006
* Sylvain Kerspern, « La perspective centrale renaissante », site dhistoire-et-dart.com, mise en ligne le 8 janvier 2008, retouches les 7 février 2008 et 28 août 2012 le 31 octobre 2008.
* Jean-Claude Boyer, « Richelieu et la “ curiosité ” : quelques remarques «, in Richelieu patron des arts, Paris, 2010, p. 382-383, 392, n. 39 et 49.

Bibliographie additionnelle :
Philippe Sénéchal, « Fortune de quelques antiques Farnèse auprès des peintres à Rome au début du XVIIe siècle », Poussin et Rome, actes du colloque à l'Académie de France à Rome et à la Bibliotheca Hertziana, 16-18 novembre 1994, Paris, 1996, p. 31-32.

L'attribution à Stella que Jean-Claude Boyer (1998) et moi avons faite indépendamment peut difficilement être remise en cause et l'exercice fait dans mon étude sur la perspective centrale renaissante a apporté de nouveaux arguments dans le recours de motifs partagés avec la Sainte Anne et la Vierge de Rouen et l'Alexandre au tombeau d'Achille, lequel a pareillement suscité le nom fautif de Jean Lemaire. Ce recours aux poncifs pour les peintures d'architecture complique la question de la chronologie. Le travail du drapé, très sculptural, et le profil en demie-lune de la jeune femme derrière Hercule, proche, à nouveau de la Madone Beauharnais, de 1650, incitent à une situation, prudente, dans la seconde moitié des années 1640, sans écarter absolument une date un peu plus tardive.

S'il n'en a pas fait une pratique quasi-exclusive comme Jean Lemaire, Stella s'est volontiers adonné à la peinture d'architectures historiées. Cette spécialité combine les compétences en architecture et la quadratura, qui repose sur la connaissance de la perspective géométrique, avec le souci archéologique, nourri le plus souvent du séjour en Italie. J'ai déjà signalé l'intégration de semblables éléments dans le décor du tableau de Rouen avec Personnages apportant des fleurs à un temple. Ici, il se sert d'un bas-relief de terre cuite aujourd'hui au Louvre avec la collection Campana mais qui était au XVIIè siècle dans les collections Farnese, comme l'a démontré Philippe Sénéchal (1994). Parmi les artistes du temps de Stella qui se sont servi du motif, Valentin de Boullogne en a fait une face du bloc de pierre servant de table à son Concert aujourd'hui au Louvre.

Jacques, lui, reprend attitudes et, pour l'essentiel, drapé des promis et de la suivante pour son propre mariage réunissant Hercule, reconnaissable à sa massue et sa peau du lion de Némée, et Déjanire, couverte d'un voile rose. La démarche est très différente des emplois caravagesques, évidemment, mais aussi de Lemaire puisqu'il s'efforce de donner aux épousailles la forme que l'Antiquité gréco-romaine lui donnait telle que transmise par les témoignages artistiques du temps. Un tel emploi suppose un public, et en premier lieu, un destinataire érudit, susceptible de percevoir la référence, qui aura certainement fait le voyage de Rome. Stella fréquente plus particulièrement les Fréart alors, supervise quelques travaux de gravures des deux frères, peint deux compositions mentionnées par Félibien sans doute vers ce temps pour Chambray, qui lui dédicace un exemplaire de son Parallèle de l'architecture antique et de la moderne paru en 1650 (aujourd'hui à la Royal Academy de Londres).

Montage mettant en évidence le recours à des poncifs pour les petites figures chez Stella pour mon étude sur la perspective (2008). La Vierge à l'Enfant et saint Jean, 1650. Toile. 33 x 25 cm. Coll. part.
Indication du point de fuite de la perspective. Art romain entre 50 av. JC et 50 apr. JC.
Noces de Thétis et Pelée (?).
Bas-relief, détail. Louvre.

Qu'on ne s'y méprenne pas : il ne s'agit pas de rechercher l'exactitude archéologique telle que les artistes du XIXè siècle pourront l'envisager mais de donner à l'image proposée une vraisemblance significative. De ce point de vue, le bâtiment dans lequel prennent place les épousailles n'a pas vocation à une véritable restitution mais à s'accorder à la solennité d'un sujet par ailleurs rarement abordé, comme l'a souligné Jean-Claude Boyer. Il place l'histoire sous les auspices d'Apollon, dieu des arts, et de Diane, chasseresse qui pourrait faire allusion à la façon dont Hercule a tué le centaure Nessus, qui avait voulu enlever Déjanire. Le palais sert par ailleurs à la mise en place d'un schéma perspectif qui interagit avec la dynamique de la composition.

Le point de fuite se place sur le flanc gauche de la colonne qui s'intercale entre la suivante et les deux hommes derrière elle, dont Œnée, roi de Calydon, père de la promise. Le groupe principal s'en trouve décalé vers la droite mais les époux sont cadrés par l'arc cintré ouvrant sur le paysage. La perspective instaure une dynamique au cortège de Déjanire que la pose arrêtée d'Hercule bloque. La marche nuptiale de la fille du roi s'apparente à une marche funèbre puisque son mariage aboutira, par jalousie, à la mort d'Hercule fomentée par Nessus, instrumentalisé par Hera, issue que symbolise l'ouverture sur le paysage autant que le recours au modèle antique, le fixant devant l'Histoire.

Comme dans le tableau de Rouen, l'architecture et les éléments archéologiques s'inscrivent dans une circulation significative qui rappelle l'importance que Raphaël a pu avoir dans sa conception de l'art, ce qu'un autre Mariage, celui de la Vierge pour la tenture qui lui était dédiée pour Notre-Dame de Paris, a, entre autres, déjà permis de mettre en évidence. En sorte que par-delà la multiplicité des références, à l'antique ou aux grands modèles de la Renaissance, c'est un langage tout personnel que cisèle, encore et toujours, Stella, stimulé par le contexte érudit auquel il appartient.

S.K., Melun, mars 2023

Alexandre au tombeau d'Achille,
peinture.
Huile sur toile. 92 x 126,5 cm.
Localisation actuelle inconnue.


Historique : coll. Pierre Roux, dit Roux du Cantal, vente Paris 18 mars 1811, lot 87 («Alexandre venant sacrifier aux mânes d'Achille, dont le tombeau est élevé en face d'un temple ; des aqueducs et autres monumens enrichissent cette belle composition, où l'on compte environ quarante figures formant des groupes variés sur différens plans. L'on peut regarder ce Tableau comme un des plus précieux de ce maître qui, après le Poussin, a illustré l'école française. ». Toile, 92 x 108cm). ?Vente Marie-Antoine Didot, dit Didot de Saint-Marc, Paris 13 juin 1811, lot 198. ?Vente Didot, Paris, 28 mars 1814, lot 121 (env. 81 x 111,5 cm.) Vente Marc-Antoine Didot, Paris, 20-21 mai 1835, lot 50 (Architectures de Lemaire, figures de Stella). Vente Drouot 3 décembre 1993, lot 161 (comme J. Lemaire); coll. part. (en 2006 et 2010, acquis par l'intermédiaire de Pierre Gaubert, selon Jean-Claude Boyer).
Bibliographie :
* Jean-Claude Boyer, compte-rendu de Jean Lemaire, pittore « antiquario » de Maurizio Fagiolo dell'Arco, in The Burlington Magazine, novembre 1998, p. 758, à propos des n°18 et 20.
* Sylvain Kerspern «L’exposition Jacques Stella : enjeux et commentaires» (figure 8), site La tribune de l’art, mis en ligne le 29 décembre 2006
* Sylvain Kerspern, « La perspective centrale renaissante », site dhistoire-et-dart.com, mise en ligne le 8 janvier 2008, retouches les 7 février 2008 et 28 août 2012 le 31 octobre 2008.
* Jean-Claude Boyer, « Richelieu et la “ curiosité ” : quelques remarques «, in Richelieu patron des arts, Paris, 2010, p. 381-382, 392, n. 39-41.

L'attribution à Stella que Jean-Claude Boyer (1998) et moi avons faite indépendamment a rencontré celle de Jacques Thuillier (2006). J'ai produit un document pour mon étude sur la perspective centrale renaissante apportant de nouveaux arguments dans le recours aux motifs partagés avec la Sainte Anne et la Vierge de Rouen et le Mariage d'Hercule, qui a pareillement suscité le nom fautif de Jean Lemaire (catalogué ci-dessus). Ce recours aux poncifs pour les peintures d'architecture ne facilite pas la datation. Le travail du drapé, très sculptural et la tension élégante des dispositions, proches de ce que montre Sainte Hélène faisant transporter la Vraie Croix (loc. inconnue, 1646) suggèrent une situation, prudente, dans la seconde moitié des années 1640, non loin du Mariage d'Hercule avec lequel il partage tant de figurines.

Sans atteindre semblable rareté, son sujet, Alexandre au tombeau d'Achille indiqué par l'inscription sur le monument, n'est pas beaucoup plus fréquemment représenté en France alors, comme l'a noté Jean-Claude Boyer. Les artistes qu'il cite pour avoir eu cette opportunité (auxquels on pourrait ajouter, au XVIIIè siècle, un Hubert Robert) ont tous fait le voyage de Rome et en ont retiré la pratique du tableau d'architecture à petits personnages. Le thème s'y prêtait sans en figer la représentation, les sources donnant quelques détails sur la venue d'Alexandre à Troie où il voulut honorer les héros d'Homère, en particulier Achille.

Ainsi, dans un tableau qui a pu passer pour une œuvre de Stella en Italie à la Révolution, Thomas Blanchet suit de près le texte de Plutarque (Vies d'Alexandre, XV, 7-9) en représentant le roi et deux de ses suivants nus ou quasi-nus, suivant la tradition homérique qui voulait que l'on honore la tombe d'un personnage en courant ainsi dévêtu autour d'elle. Un trépied fumant auprès d'un prêtre vêtu de blanc donne à la scène son parfum de rituel. La composition place Alexandre au centre d'un double parcours, celui militaire venant de la gauche, celui religieux de la droite. Elle représente l'onction du tombeau qui a lieu avant la course, selon Plutarque; au second plan se voit un autre homme se dévêtant : on ne comprendrait pas qu'il se rhabille alors que son comparse et son chef ne l'ont pas encore fait.

Le moment choisi par Stella doit être un peu différent, sans doute antérieur. Alexandre, tout habillé regarde le monument, déjà orné de guirlandes de fleurs, tendant la main au-dessus d'un trépied enflammé qui a pu faire croire à Jacques Thuillier qu'il s'agissait de Mucius Scævola devant Porsenna. La scène principale est placée sur la droite tandis que le point de fuite est presque central, contribuant à une circulation du regard de gauche à droite pour accompagner celle des personnages. Ceux-ci manifestent de différentes façons leur relation avec l'épisode principal : au premier plan, deux groupes aux antipodes de la largeur semble en parler entre eux tandis qu'un mendiant sollicite une jeune femme tenant deux enfants; entre eux, aux marches d'un temple ou au-delà de l'acqueduc, la foule se presse pour manifester leur curiosité envers leurs visiteurs.

Montage montrant le recours aux poncifs pour les petites figures chez Stella pour mon étude sur la perspective (2008). Sainte Hélène faisant transporter la Vraie Croix, 1646. Toile, détail. Loc. inconnue.
Thomas Blanchet (1614?-1689). Alexandre au tombeau d'Achille.
Toile. 98 x 133 cm. Louvre.
(© 2012 RMN-Grand Palais (musée du Louvre) / Michel Urtado)
Indication du point de fuite de la perspective.

La pose d'Alexandre, qui regarde le tombeau d'Achille, est orientée dans l'autre sens, vers la gauche, focalisant tout en la bloquant la circulation interne. On aperçoit par la troisième arche de l'acqueduc les voiles de la flotte qui ont amené le conquérant à Troie. Stella ne cherche pas la restitution archéologique du récit de Plutarque mais les implications psychologiques pour la population troyenne de l'honneur fait à Achille par celui qui s'en voulait un héritier spirituel. Il ne s'agit pas, comme chez Poussin, de partir du motif principal pour en déployer ses répercussions à mesure de l'éloignement, selon un procédé qu'il décrit à son ami Stella à propos de La Manne mais d'un cheminement inverse reposant sur l'art des dispositions au service de la circulation des personnages pour soutenir la narration, le discours, « à la Raphaël ».

Un mot, pour conclure, sur les commentaires lors des passages en vente au début du XIXè siècle. Ils tranchent par l'éloge accordé à Stella alors que sa réputation est au plus bas. La vente de 1814 proposait également un ensemble de copies avec variantes des Sept Sacrements attribuées à Stella suivant une démarche improbable puisque, nous dit-on, faites sous la conduite du maître, appelant cette curieuse appréciation : « Il eût été à désirer que le Poussin eût joint à ses autres perfections celle de l'exécution brillante et soignée de Stella »! Retournement aux arrières-pensées sans doute commerciales, quoique l'expert s'en défende, mais qui souligne du moins l'une des qualités incontestables de l'artiste, que d'aucuns prennent pour de la froideur, le soin et le brillant de l'exécution pour qui sait voir.

S.K., Melun, mars 2023


Le mariage mystique de sainte Catherine,
peinture et dessin

1. Huile sur toile. 68,5 x 85 cm.

Signature et date repeintes ou apocryphes sur la base du piédestal tout à gauche, lue par Scharf F. Verdier f./1689
Norfolk (Usa), Chrysler Museum of Art

Historique : Coll. Pierre de Masso (1692-1773)? Pierre de Masso (1728-1787)? Acquis par Samuel Dickinson (ou Dickenson), sa vente, 12 mars 1774, lot 82? Acquis par le 12è Earl of Derby, Edward Smith-Stanley (1752-1834), Groswenor square, Londres (vendu en 1851) puis Knowsley Hall, Lancashire, Angleterre, catalogué en 1855 et 1875. Bert Norton, New York; acquis des Norton Galleries, février 1955 par Walter P. Chrysler, Jr., 1955-1971; don de Walter P. Chrysler, Jr. au Chrysler Museum, 1971.

Bibliographie :
* George Scharf, A Descriptive and Historical Catalogue of the Collection of Pictures at Knowsley Hall, Londres, 1875, p. 9-10, n°17 (16 du précedent catalogue de 1860) (comme François Verdier).
* Pierre Rosenberg, Catalogue d'expostion La peinture française du XVIIè siècle dans les collections américaines, Paris-New York-Chicago, 1982, p. 372 (tableau de Norfolk, Claudine?).
* Hilliard T. Goldfarb, Catalogue d'expostion From Fontainebleau to the Louvre: French Drawing from the Seventeenth Century, The Cleveland Museum of Art, 1989, p. 148-9, fig.73a (tableau de Norfolk, Claudine).
* Sylvain Kerspern, «Mariette et les Bouzonnet Stella. Notes sur un atelier et sur un peintre-graveur, Claudine Bouzonnet Stella», Bulletin de la Société de l’histoire de l’art français, 1993, 1994, p. 38 (tableau de Norfolk, Jacques).
* Sylvain Kerspern, « Le Mariage mystique de sainte Catherine vendu à Zurich », site dhistoire-et-dart.com, mise en ligne le 29 avril 2008, retouche, août 2012.
* Sylvain Kerspern, « L'héritage de Stella. Notes sur les de Masso », site dhistoire-et-dart.com, mise en ligne le 27 septembre 2021.

2. Crayon noir, plume, lavis, gouache blanche. 29,1 x 35,6 cm.

Wolverhampton Arts and Museums

Historique : Fonds Stella? Coll. Pierre de Masso (1692-1773)? Pierre de Masso (1728-1787)?

Bibliographie :
* (Claudine Bouzonnet Stella) «Testament et inventaire (...) de Claudine Bouzonnet Stella», publiés par J-J. Guiffrey, Nouvelles archives de l’Art Français, 1877, p. 16-18.

Le tableau de Norfolk a réapparu au XIXè siècle en Angleterre sous une attribution suggérée par ce qui fut interprété comme une signature sur le piédestal tout à gauche, lue comme celle de François Verdier avec pour date 1689. Le lien avec Stella est pour autant incontestable, puisque une composition très proche a été gravée par Claudine, qui ne fait pas mystère de son inventeur dans la dédicace et, sur un deuxième état, le précise même au bas de la composition. Si Verdier est sans doute un admirateur de Stella, qu'il a démarqué en plus d'une occasion, la typologie de la gravure est celle du Lyonnais, pas de son cadet.

Toutefois, le canon légérement moindre de la peinture fait glisser le groupe de la Sainte Famille et de la sainte martyre sur la droite, masquant la ville visible au loin, au centre, tandis que les blocs d'architecture jonchant le sol, plus imposants, viennent cacher en partie le bas-relief de l'arc en ruine derrière Joseph. Or il existe un dessin, à Wolverhampton - à nouveau en Angleterre - qui reprend en tout point de la toile de Norfolk, ce qui tend à faire croire que la gravure pourrait traduire un autre original, raison pour laquelle je consacre une notice à cette composition à la suite.

Pierre Rosenberg (1982) a rapproché le tableau de l'estampe mais en envisageant la graveuse plutôt que l'inventeur. J'ai, depuis, caractérisé la manière de Claudine, différente, en sorte que les réserves faites à une attribution à l'oncle ne peuvent venir que de son état. Ne l'ayant pas vu, j'ignore s'il faut envisager un exemplaire fatigué ou une bonne copie ancienne. Sur photographie, le style et le coloris sont indiscutablement siens. Le dessin mérite les mêmes réserves, car la main semble très appliquée. Il peut s'agir non d'une préparation mais d'un ricordo.

La composition s'inscrit dans une formule ébauchée en Italie, avec le Retour d'Égypte gravé par Goyrand et qui trouve sa pleine expression dans les débuts de la Régence, pour aboutir en point d'orgue aux Pastorales. On en rapprochera notamment La fuite en Égypte dessinée, de 1646. Les putti et angelots, pour leur part, se retrouvent dans les Jeux et plaisirs de l'enfance, voisins en date, mais plus encore, peut-être, dans le frontispice pour le tome 3 de La perspective pratique du père Dubreuil, publié en 1649, et dont l'invention doit dater de 1648. Je suis donc tenté de la dater de la fin de la décennie.

Stella installe la scène dans une antiquité revisitée, quelque peu écrasante et pourtant dépassée par la venue du Christ, ce que la foi de Catherine d'Alexandrie, symbolisée par son mariage mystique - sa consécration à Dieu - affirme plus encore, puisqu'elle s'oppose ainsi à ses prétendants. Le concert d'anges ajoute à l'évènement une note rituelle rappelant la musique accompagnant un office, chantée ici non par des angelots mais par des enfants dépourvus d'ailes. D'un âge voisin de Jésus, propre au sujet, ils semblent avoir abandonné leur rôle pour discuter entre eux. Image solaire, aspect enjoué, certes, mais cette péripétie est là pour nous rappeler la gravité de l'acte et de ses conséquences, qui affecte d'ailleurs l'expression des deux vierges et de l'Enfant et que vient aussi discrètement rappeler la règle de charpentier tenue par Joseph.

Claudine d'après Jacques,
Le mariage mystique de sainte Catherine.
Burin et eau-forte. 31 x 38 cm. BnF
Le repos pendant la fuite en Égypte, 1646.
Plume et encre brune, lavis gris et rehauts de gouache blanche. 41 x 57 cm. Coll. part. (expo. 2006)
(ci-contre) F. de Poilly d'après Stella
frontispice de La perspective pratique, 1649.
Gravure. 21,4 x 14,3 cm. BnF
S.K., Melun, février 2023


Le mariage mystique de sainte Catherine,
peinture perdue(?).
Gravure par Claudine
Peinture perdue?
Huile sur toile. Env. 68,5 x 81,5 cm (selon la gravure de l'Ashmolean Museum)
Historique : Coll. Pierre de Masso (1692-1773)? Pierre de Masso (1728-1787)? Acquis par Samuel Dickinson (ou Dickenson), sa vente, 12 mars 1774, lot 82? Localisation actuelle inconnue?

Gravure. Burin et eau-forte. 31 x 38 cm.
Lettre :
État 1 : sur le bloc d'architecture tout à gauche : « Cum Privilegio Regis »; dans la marge, de part et d'autre du cartouche aux armes de Créquy : « ILLUSTRIS. NOBLLIS.MO QUE VIRO D.D. CAROLO DUCI DE CREQUI PARI FRANCIÆ/ PRINCIPI PIVACINI EQUITI TORQUATO REGIÆ COHORTI PRÆPOSITO IN URBE HISDINO PROREGI/ Hanc-ce desponsatorum Virginum Effigiem a Jacobo Stella depictam, ære incisam in obsequij perpetui pignus, devotissimi ac/ debiti famulatus perenne monumentum Vovet et Consecrat Cliens addictissima Claudia Stella
BnF, Da. 20, fol.

État 2 : comme l'état 1 avec à gauche : Stella pinx. et à droite C. Stella sculp. (mentionné par Weigert citant Thomé et une étude sur les Stella dont il a pu bénéficier mais qui est perdue)

État 3 (et 3 bis?) : comme l'état 1 avec à gauche : F. Lauri pinx. et à droite C. Stella sculp.; mentionné par Weigert citant Thomé et une étude sur les Stella dont il a pu bénéficier mais qui est perdue; pourrait correspondre à celle de l'Ashmolean Museum, qui porte cette lettre dans la marge : « Done from an Original Picture 2f. 8 by 2 f. 3 inches./ in the Pos(ses)sion of Mr Sam.l Dickinsons », c'est-à-dire Fait d'après une peinture originale 2 pieds 8 par 2 pieds 3 pouces/ en possession de M. Samuel Dickinsons. Les dimensions suivant le pouce anglais donnent environ 68,5 de haut sur 81 cm de large, correspondant à celle du tableau de Norfolk.

Bibliographie :

* (Claudine Bouzonnet Stella) «Testament et inventaire (...) de Claudine Bouzonnet Stella», publiés par J-J. Guiffrey, Nouvelles archives de l’Art Français, 1877, p. 15-18, 75.
* Roger-Armand Weigert, Bibliothèque Nationale. Cabinet des Estampes. Inventaire du fonds français. XVIIè siècle., t. II, 1951, p. 92 (CBS 40).
* Hilliard T. Goldfarb, Catalogue d'expostion From Fontainebleau to the Louvre: French Drawing from the Seventeenth Century, The Cleveland Museum of Art, 1989, p. 148-9.
* Sylvain Kerspern, «Mariette et les Bouzonnet Stella. Notes sur un atelier et sur un peintre-graveur, Claudine Bouzonnet Stella», Bulletin de la Société de l’histoire de l’art français, 1993, 1994, p. 38.
* Sylvain Kerspern, « Le Mariage mystique de sainte Catherine vendu à Zurich », site dhistoire-et-dart.com, mise en ligne le 29 avril 2008, retouche, août 2012.
* Sylvain Kerspern, « L'héritage de Stella. Notes sur les de Masso », site dhistoire-et-dart.com, mise en ligne le 27 septembre 2021.
La gravure de Claudine s'est retrouvée impliquée dans le dossier trouble des variations paysagères sur le thème du mariage mystique de sainte Catherine, notamment au regard du tableau de Norfolk (ci-contre et objet de la précédente notice). Pour entretenir le doute, elle a subi, comme d'autres, la tentation de la fraude, pour laquelle on peut à nouveau soupçonner la responsabilité de Pierre de Masso : un 3è ou 4è état du XVIIIè siècle donne la composition à Filippo Lauri (1623-1694) et signale sa présence dans la collection de Samuel Dickinson, avec qui de Masso, héritier du cuivre, fut en affaire...

Les dimensions proches de celles du tableau de Norfolk (d'un format différent de celui de ce sujet que Claudine conservait à sa mort, d'ailleurs légué à Anne Molandier, non aux de Masso) peut laisser penser qu'il soit ici traduit par Claudine. Les variantes ne sont pas franchement significatives et pourraient tout simplement résulter d'une correction apportée après coup, dans un dessin destiné à la gravure, pour donner au groupe principal un plus grande présence au regard des éléments d'architecture environnant. L'époque est fertile en critiques pointues sinon excessives dont la correspondance de Stella avec Poussin peut d'ailleurs témoigner.

L'estampe pourrait aussi avoir servi au XVIIIè siècle pour vendre une autre peinture que celle réellement reproduite, suffisamment proche pour faire illusion, en sorte qu'il est nécessaire dans le présent catalogue d'y faire figurer sous un autre numéro la composition avec variante qu'elle traduit. L'hypothétique nouvelle version mettrait également un peu plus en valeur l'aspect archéologique en montrant bien le bas relief de la base du monument à gauche. Le dédicataire de l'estampe est le fils de l'ambassadeur Créquy que Stella avait accompagné à son retour de Rome, Charles III (vers 1623-1687). Son titre de représentant pour le roi dans la ville d'Hesdin situe l'image après 1660 mais il n'est rien dit de ses ambassades à Rome en 1662 puis 1664-1665. La première avait été l'occasion d'un incident diplomatique : il avait été insulté et son épouse et son équipage malmenés, imposant au neveu du pape de venir présenter ses excuses en personne à Louis XIV. Situer la gravure en 1660-1661 est donc vraisemblable, sans pouvoir écarter tout à fait la période 1666-1687.

S.K., Melun, février 2023

Huile sur toile. 68,5 x 85 cm.
Norfolk (Usa), Chrysler Museum of Art
Le Christ au désert servi par les anges,
peinture.
Huile sur toile. 84,6 x 115 cm.
Portland Art Museum (USA), Purchase: Funds provided by the Bequest of Marybeth Branaman and Georgia Stoetzel Branaman.


Historique : Galerie Emmanuel Moatti en 1995. Galerie Didier Aaron, 1997-2002; acquis par le Portland Art Museum sur les fonds du legs de Marybeth Branaman and Georgia Stoetzel Branaman.

Bibliographie :
* Gilles Chomer Peintures françaises avant 1815 : la collection du musée des Beaux-Arts de Grenoble, Grenoble, p. 218-219, fig 1.
* Sylvain Laveissière in cat. expo. Jacques Stella (1596-1657), Lyon-Toulouse, 2006-2007, p. 202, sous le cat. 122.
* Jacques Thuillier, Jacques Stella, Metz, 2006, p. 183.
Sainte Hélène faisant transporter la Vraie Croix, 1646. Toile, détail.
Loc. inconnue.
Le repos pendant la fuite en Égypte, 1646.
Dessin, détail.
Coll. part. (expo. 2006)
Le Christ Salvator Mundi, 1647.
Huile sur bois. 31 x 21 cm.
Coll. part. (expo. 2006)
Jean Couvay d'après Stella, Miracles de N.-D. de Liesse, 1647. Gravure. Env. 19,7 x 14 cm. BnF.

Le tableau est apparu à la fin du XXè siècle, aussitôt rapproché de l'autre version connue du thème par Stella, aujourd'hui aux Offices (ci-contre un peu plus bas), dont on peut remonter l'historique jusqu'à la Révolution et qui pourrait être la toile figurant dans l'inventaire de Claudine sous le n°6. Gilles Chomer (2000), en le publiant, distinguait nettement en date les deux versions, voyant l'Italienne des dernières années de la carrière parisienne, celle aujourd'hui aux USA, de ses premiers années. Sylvain Laveissière (2006) est revenu sur ce point de vue en les rapprochant nettement, les pensant à peu près contemporaines, et tardives. J'ai longtemps hésité à leur propos, y compris sur l'ordre de leurs créations. L'entreprise du catalogue raisonné m'a conduit à éclaircir ce point.

L'arrangement du drapé et les attitudes bien campées, ainsi que celle de l'ange agenouillé peuvent être rapprochés de la Sainte Hélène peinte et le Repos pendant la fuite en Égypte dessiné, de 1646, ainsi que l'ampleur du paysage. La typologie du Christ, plus fluette que dans la version des Offices, s'apparente à ce que montre l'une des gravures de Couvay pour le Vray trésor... de Saint-Pérès, publié en 1647, et le Salvator Mundi sur bois, de 1647. Ces points d'ancrages typologiques pourraient dont situer précisément de ces années. Toutefois, le drapé à l'aspect sculptural plus minéral, moins fluide semble plus en rapport avec ce qu'il développe un peu plus tard, mais je le crois tout de même de plusieurs années avant le tableau des Offices, que je placerai volontiers entre La Samaritaine de Notre-Dame de Bercy (1652) et le retable de Provins (1654). Était-ce la première version en date? Je n'en suis pas sûr.

Une troisième version, probablement en hauteur, et qu'on nous dit grande, fut peinte pour le second Collège des Jésuites de Lyon, principal ornement de sa chapelle mais apparemment complétée de deux tableaux en ovales, dont la Sainte Cécile cataloguée plus haut. Il n'est pas sûr que cette interprétation, lyonnaise, ait suscité les deux autres à la manière de l'essaimage de L'enfant Jésus retrouvé par ses parents dans le Temple (1642) du Noviciat des Jésuites...

Notre toile représente la conclusion de la tentation du Christ alors qu'il s'est retiré au désert pour quarante jours de jeûne. Stella suit Matthieu (4,1-11), seul des trois évangélistes qui donne pour ultime tentation la royauté, après que le Diable l'ait transporté sur une montagne, et qui aussitôt après le départ du tentateur, mentionne les anges s'approchant pour le servir, ce dont le peintre rend compte par celui volant encore. Le « désert » au XVIIè siècle en France n'est pas celui du Proche-Orient au Ier, ni même celui archéologique du XIXè : il s'agit d'un lieu de retrait(e) souvent arboré. Stella ne cherche donc pas ici un decorum raisonné mais un cadre qui parle à ses contemporains. Charles Le Brun, pour les Carmélites du Faubourg Saint-Jacques en 1653, ne fera pas autrement.

Stella en donne ici une version sobre : deux anges adorateurs, un serviteur apportant la nourriture rompant le jeûne, un quatrième semant les fleurs du triomphe sur le monde. Cette économie de moyens, qui prolonge les options du retable pour le Noviciat des Jésuites (1642) sert une lecture par l'expression des Passions et les ressorts psychologiques, d'autant plus sensibles qu'ils sont mesurés.

Sur la droite, un apic montagneux vient fermer la composition, lieu d'où le tentateur vient peut-être d'offrir la royauté. Jésus rend grâce à Dieu par le geste et l'expression, tournée vers le ciel, sans éventuel échange avec ses serviteurs au contraire de ce que montre Le Brun, soulignant une solitude que la fin des tentations ne rompt pas. Bâton de marcheur aux pieds, il est aussi légèrement tourné vers le chemin au pied de l'apic, qui doit le ramener vers le monde, et son destin, ce que la dynamique de la lecture, de gauche à droite, accompagne. Ce triomphe vient préfigurer celui sur la mort, comme le repas proposé anticipe la Cène et, pour le fidèle, le sacrifice de la messe, et les fleurs dispersés, les Rameaux. Cette fois, Stella semble avoir renoncé à ce que le sujet peut avoir de plaisant...

S.K., Melun, février 2023


Version (plus grande) des Offices. 1,11 x 1,58 cm.
Charles Le Brun
Christ servi parles anges
390 x 251 cm. Louvre.

1 Le massacre des Innocents,
deux peintures
1. Huile sur toile en grisaille. 61 x 73 cm. Rouen, Musée des Beaux-Arts.

Historique : acquis sur le marché d'art anglais en 1968 par le Musée des Beaux-Arts de Rouen.


2. Huile sur toile. 128 x 176 cm. Sankt-Augustin, Birlinghoven Schloss

Mes plus vifs remerciements à Alexander Deeg (Fraunhofer-Institut fuer Angewandte Informationstechnik FIT), qui m'a communiqué une bonne reproduction du tableau ainsi que ses dimensions.


Bibliographie :
* Jean-Patrice Marandel « Une grisaille française du XVIIIe siècle au musée de Rouen », Revue du Louvre, 1968, n°4-5, p.225.
* Sylvain Kerspern, « Jacques Stella ou l’amitié funeste », Gazette des Beaux-Arts, octobre 1994, p. 135, n.14.
* Sylvain Kerspern, « Anniversaires “D’histoire & d’@rt” », site dhistoire-et-dart.com, mise en ligne 15 janvier 2005, transféré en octobre 2005.
* Jacques Thuillier, Jacques Stella, Metz, 2006, p. 204-205.
* Sylvain Kerspern, « La Vie de la Vierge en 22 dessins », site dhistoire-et-dart.com, mise en ligne mars 2021, retouches septembre 2021.

Bibliographie additionnelle :
- Claude Nivelon, Vie de Charles Le Brun... (vers 1690-1691), éd. Lorenzo Pericolo, Paris, 2004, p. 134-142.
- Catalogue d’exposition Courage and Cruelty, Londres, Dulwich Picture Gallery, 1990-1991.
- Jacques Thuillier, catalogue d’exposition Sébastien Bourdon, Montpellier-Strasbourg, 2000-2001, p. 283-285.
- Bénédicte Gady, L’ascension de Charles Le Brun, Paris, 2010, notamment p. 184-185, 222-226.
- Bénédicte Gady et Nicolas Milovanovic, Catalogue d’exposition Charles Le Brun, Louvre-Lens, 2016, p. 172-173, 194-195.
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Pierre Daret d'après Stella
La mort de Chrispe, 1645.
Gravure. 21,3 x 15,1 cm. BnF
Le jugement de Pâris, 1650. Toile, détail.
Hartford, Wadsworth Atheneum, The Ella Gallup Summer an Mary Catlin Summer Collection

Ces deux peintures manifestement liées entre elles ne se laissent pas aisément saisir. Du moins le rattachement à l'art de Stella doit-il être désormais fermement établi. La typologie correspond à celle des ouvrages du début de la Régence voire de la Fronde, depuis La mort de Chrispe gravé par Daret en 1645, pour le profil ourlé de la jeune femme, notamment, jusqu'au Jugement de Pâris, de 1650, pour tout un répertoire commun dans les traits, le port de tête ou les expressions. La photographie du tableau allemand (ci-dessous) que je dois à la grande disponibilité d'Alexander Deeg montre un coloris à rapprocher de celui du Christ retrouvé par ses parents de 1649.

L'Enfant Jésus retrouvé par ses parents dans le Temple, 1649
Cuivre. 47,3 x 35,2 cm. Schiedam, Sainte-Lidvina
Le massacre des Innocents, 1623/1625.
Gravure sur bois. 23 x 16 cm. BnF.
Le massacre des Innocents
Toile. 61 x 73 cm.
Rouen, musée des Beaux-Arts.
Daniele da Volterra, Le massacre des Innocents.
Fresque.
Rome, église de la Trinité des Monts.

On pourrait être tenté d'en faire un exercice « à la Poussin », dans un registre proche de L'enlèvement des Sabines mais la source est toute autre. En étudiant la version du sujet donnée par Stella dans sa suite dessinée de la Vie de la Vierge, de la fin de sa vie, j'ai rapproché notre double version du précédent de Daniele da Volterra à la Trinité-des-Monts installant la scène sur un sol pavé qui aboutit à un large escalier à quelques degrés. Il instaure une profondeur bien plus spectaculaire que dans le précédent des « camayeux », marqué par Guido Reni, et propose des modèles de groupe, en particulier ceux au premier plan. Raphaël, incontournable sur ce sujet, est sensible dans nos deux toiles pour certaines femmes, comme celle courant vers nous un enfant dans les bras ou cette autre se retournant dans sa fuite vers le bourreau, mais aussi pour les enfants au sol. Son exemple aura également incité à un point de vue différent de celui, légèrement de dessus, de Volterra, pour privilégier la frise.

M.A. Raimondi d'après Raphaël
Le massacre des Innocents.
Gravure. 28 x 42,5 cm. BnF.
Toile. 61 x 73 cm.
Rouen, musée des Beaux-Arts.
Enlèvement des Sabines
Toile. 116 x 163,5 cm.
Princeton University Art Museums.
Huile sur toile. 128 x 176 cm. Sankt-Augustin, Birlinghoven Schloss

Stella a pleinement assimilé à Rome la leçon de Raphaël dans la circulation, ou pour mieux dire, la marche de l'histoire telle qu'elle se perçoit dans son Massacre des Innocents. Il en déploie sa science dans son interprétation du sujet, en trois frises en rupture d'échelle dans la toile de Rouen, préludant à la mêlée plus complexe et confuse, à dessein, de l'Enlèvement des Sabines de Princeton (ci-dessus). Notre grisaille est restée à l'état d'ébauche, n'esquissant que la structure des bâtiments du décor, un palais classique aux baies alternant frontons en arc-de cercle et triangualires et un temple circulaire sans le moindre ornement. L'un des soldats à l'aplomb de cette construction a manifestement fait l'objet d'un repentir pour le redresser et donner plus de vraisemblance à son geste.

Jacques Thuillier n'a pas manqué de rapprocher ce statut inachevé des mentions du testament et inventaire de Claudine, situant les deux tableaux en toute fin de son catalogue. L'existence du tableau de Birlinghoven me semble contredire une telle datation, sauf à penser, devant la pratique de la variation fréquente chez Stella, que la grisaille prépare une nouvelle version. Or il faut bien remarquer qu'il n'y a pas de variante significative dans les dispositions des personnages, telle qu'on pourrait l'attendre pour ce type de répétition. La suppression de casques ou le changement de la pose d'un bras au centre du tableau allemand n'apportent rien. L'insertion en grisaille d'un dernier plan de déploiement de frises humaines suppose un autre fond d'architecture alors que sa suppression en Allemagne, à l'inverse, est justifiée par la mise au net des bâtiments, dont le portique à fronton triangulaire complétant le bâtiment circulaire pour l'apparenter au Panthéon. L'installation d'un arbre pourrait avoir quelque chose d'artificiel mais il se trouve que ce genre de variante est introduit dans l'Enlèvement des Sabines du dessin (Lyon, Musée des Beaux-Arts) au tableau américain sans autre motivation que l'ornement, ce qui, rétrospectivement, tendrait bien à faire de la grisalle normande une préparation soumise au commanditaire pour la réalisation de la toile de Birlinghoven.

Cette dernière, sur photographie, reste difficile à juger. Le fond remanié est bien dans l'esprit de Stella mais il a quelque chose de fantômatique qui tient peut-être à l'état de conservation. Le coloris, comme je l'ai dit plus haut, est cohérent avec celui autour de 1650, même s'il semble plus sourd que celui de l'Enlèvement des Sabines. Néanmoins, un examen dans de meilleures conditions conduirait peut-être à un glissement dans les premières années de la décennie suivante.

La grisaille sur toile est exceptionnelle chez Stella. Comment l'expliquer? On pourrait songer à une préparation pour la gravure, mais le format en semble trop grand. L'aspect du fond resté sommaire associé à l'existence d'une autre peinture très proche mais complétée en un format plus grand peut suggérer, devant le soin, à une ébauche abandonnée pour se conformer à d'autres dimensions. Par le fait, on ne peut tout à fait exclure que le tableau soit resté à un stade préparatoire, conservé dans la perspective de l'enseignement des Bouzonnet, que Stella prépare alors activement.

La longue réticence à accepter l'attribution à Stella doit tenir à la réputation de l'artiste, souvent taxé d'avoir privilégié les sujets souriants, ce qui constitue d'ailleurs un profond malentendu sur le sens profond desdits sujets. La même répugnance a d'ailleurs touché l'Enlèvement des Sabines, coupable en outre d'un « poussinisme » moins soupçonnable ici, puisque l'ami normand n'a pas réalisé de version du drame dans le registre des compositions à petits personnages. En fait, Stella pourrait cette fois s'inscrire dans un autre contexte, très parisien. En effet, le thème aura volontiers sollicité les pinceaux de la capitale à cette époque. Deux versions contemporaines peuvent particulièrement nous aider à comprendre ses enjeux, et par confrontation, bien saisir les options de Stella : le tableau du Dulwich College de Charles Le Brun (1619-1690), commencé en 1647, et l'interprétation de Sébastien Bourdon (1616-1671) matérialisée dans les peintures de l'Ermitage, de la Galleria Sabauda de Turin et, en réduction, de Worcester, datées de 1647-1651. Il faudra un jour s'interroger sur les raisons de la fortune du sujet dans un si court laps de temps, qui plus est dans des formats voisins.

Charles Le Brun, Le massacre des Innocents, 1647-1671.
Toile. 133 x 187 cm. Londres Dulwich Pictures Museum.
Huile sur toile. 128 x 176 cm. Sankt-Augustin, Birlinghoven Schloss.

La toile de Charles Le Brun est tout à la fois très documentée et problématique. L'artiste l'a entreprise à la veille de la Fronde pour un chanoine parisien. On la dit livrée inachevée et elle figure dans l'inventaire après décès de l'ecclésiastique, en 1670. Gédéon Berbier du Mets, Garde-Meuble de la Couronne, l'ayant acquis dans sa succession, s'adresse à Le Brun pour son achèvement, selon Nivelon, biographe et collaborateur de longue date du maître. La longue description que celui-ci en fait insiste sur l'expression des Passions et le souci archéologique dans la restitution de l'histoire.

La version de Bourdon est mise en rapport avec celle de son confrère par Jacques Thuillier au point d'en faire un argument de datation de l'œuvre, entre 1647 et 1651. Elle témoigne tout autant du « poussinisme » explicite, autant par l'expression des Passions, la construction « cubiste » de la composition multipliant les volumes géométriques du décor architectural, mais aussi dans la citation de la célèbre version de Poussin à Chantilly dans le groupe tout à droite. Comme Le Brun, il met en œuvre les éléments d'un discours raisonné du sujet qui sera largement promu par l'Académie royale de peinture et de sculpture, et qui ira parfois dans les conférences qui y seront prononcées jusqu'aux critiques de peintures de celui que l'institution avait pourtant pris pour héros, Poussin.

Bourdon peint lui aussi l'histoire en mêlant responsables, bourreaux et victimes. Stella, évacuant Hérode et ses commis à la surveillance de l'exécution de son ordre, se concentre sur sa seule mise en œuvre. L'aîné de vingt ans ou plus qu'il est ne porte pas les mêmes prétentions sinon les mêmes ambitions sociales et s'attache avant tout à peindre en creux la manifestation de la Divine Providence. Dans un cadre exprimant non la couleur locale, si j'ose dire, mais la splendeur d'un monde que la venue du Christ vient transcender sinon abolir, il en manifeste le déchaînement de violence dont l'Évangile nous dit que l'enfant Jésus fut préservé. La haute qualité de la grisaille, moins perceptible sur photographie dans la version de Birlinghoven, souligne l'implication qu'il put y mettre vers le temps même où il commence à faire graver ses Jeux d'enfants.

Sébastien Bourdon, Le massacre des Innocents. Toile. 43,7 x 60,2 cm. Worcester Museum of Art, Worcester (Mass., USA).
S.K., Melun, mars 2023
Catalogue Jacques Stella : Ensemble ; À Paris au temps de Louis XIII, mosaïque - Table Stella - Table générale
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